Bouvard et Cie. Les écrivains contemporains à l
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1. it mais aussi par le refus de partir la recherche du savoir cardinal ou de l essai capital Il d niche ainsi le savoir dans ses recoins insolites sans l organiser autrement que par ordre alphab tique Cette collection de bribes de phrases de termes techniques d images d anecdotes et de l gendes est r unie selon ses propres mots en un impraticable et ind chiffrable cabinet de curiosit s qui prend naturellement la forme d une encyclop die 17 mais une encyclop die ouverte et impossible car sans cesse r am nag e et corrig e de s ance en s ance Nul d sir donc dans cette entreprise d accomplir ou d achever le roman flaubertien puisque ces reprises de s ance en s ance d une encyclop die qui s puise se contredire et se corriger soulignent linach vement d un projet qui ne peut se contraindre la forme d un livre Il y a l davantage pour reprendre un mot de St phanie Dord Crousl 18 une strat gie d exposition des savoirs et de leur appropriation Un tel projet d place en effet le centre de gravit du geste artistique sur le chantier documentaire et ses strat gies d appropriation Et s il voque dans un entretien cette pratique sc nique comme une plate forme un atelier une usine 19 c est non seulement pour souligner qu il s agit de mettre en sc ne la fabrique de l uvre dans le temps m me de sa gestation mais aussi pour donner voir l artisanat t tonnant et corporel de la pratique documentai2. ou atopique que les r gles communes de la cit ne peuvent soumettre Or comme le rappelle l essayiste l entr e dans la modernit ouvre une re de la signature de la marque individuelle o la figure de l artiste gage l autorit de l uvre l inverse les artistes de l idiotie qu il voque tour tour miment parodiquement ce d sir d individualit au fondement du projet esth tique moderne l idiot pose sa mani re grotesque la condition solitaire de l artiste moderne mais pour en contester ironiquement le s rieux Ce rire ironique est une mani re d exposer les fondements de l art moderne tout en les d construisant sa mani re l essai est alors une retravers e de la face idiote de l art depuis Bouvard et P cuchet jusqu aux Idiots de Lars von Trier en passant par Alphonse Allais Erik Satie ou le go t pour les peintures idiotes d un Rimbaud Et s il place le roman flaubertien en ouverture du catalogue c est qu il fait de la facult des deux bonshommes de voir la b tise le lieu m me de la fonction critique et d constructive de l idiotie car l idiotie s affronte tout ensemble la b tise comme l intelligence Et c est travers le roman flaubertien que Jean Yves Jouannais dessine une troisi me voie qui vite les cueils sym triques de ces Charybde et Scylla tout ensemble contre la contrainte uniformisante ou l intimidation majoritaire de la b tise sociale et contre l arrogance conclusive de l int
3. tous genres ou les procrastinateurs en s rie Tous ces artistes sont de ces tres anonymes qui cultivent l infamie avec pr dilection tant ils s opposent au d sir moderne de signer et r sistent l re individuelle de la production culturelle en construisant une strat gie de d s gotisation forcen e 8 Jean Yves Jouannais labore alors son essai comme un catalogue d uvres fant mes de projets sciemment avort s ou de r alisations en creux op r es par soustraction dans l espace de la biblioth que C est dire que la pens e esth tique de cet essayiste s inscrit dans le prolongement des r flexions de Borges pour lequel la biblioth que est d j surcharg e de bien trop d innombrables volumes pour avoir l audace d ajouter la somme du d j crit Dans cette pens e de la litt rature comme biblioth que infinie qui contient virtuellement l ensemble des textes possibles Borges consid re l artiste davantage comme un lecteur que comme un cr ateur au point de d velopper dans ses brefs r cits toute une po tique de l esquisse ou de la miniaturisation par laquelle il t che d vider ou d puiser la litt rature en r sumant ou commentant glosant ou recensant un livre d j existant C est un auteur qui fonctionne l conomie puisqu il esquive l infini labeur contourne les tourments de l inspiration la multiplication des chapitres 9 On se souvient des c l bres lignes par lesquelles Borges dissimule le d
4. 009 1997 p 47 9 Ibid p 15 10 Cit ibid p 72 73 11 On pense notamment et bien videmment Roland Barthes et son tr s c l bre article La mort de l auteur Manteia no 5 1968 p 12 17 12 Jean Yves Jouannais Artistes sans uvres I would prefer not to ouvr cit p 188 13 Jean Yves Jouannais L Tdiotie art vie politique m thode Paris ditions Beaux Arts 2003 14 Cl ment Rosset Le R el trait de l idiotie Paris Minuit 1977 15 Jean Yves Jouannais L Tdiotie art vie politique m thode ouvr cit p 48 16 Citation de la pr sentation que Jean Yves Jouannais propose sur le site du centre Pompidou http wWww centrepompidou fr Pompidou Manifs nsf 0 33A78F85FC 7AC713C125746C0030F6B7 17 Id 18 St phanie Dord Crousl Bouvard et P cuchet de Gustave Flaubert Une encyclop die critique en farce Paris Belin 2000 p 5 19 Olivia Rosenthal Entretien avec Jean Yves Jouannais Litt rature no 160 2010 p 5 20 Id 21 Ibid p 6 22 Ibid p 7 23 David Ruffel Une litt rature contextuelle Litt rature no 160 2010 p 61 73 Pour lire les fichiers PDF t l chargez gratuitement Adobe Acrobat Reader L BUNIVERSIT IDE ROUEN Mentions l gales cr d HLILRESS http flaubert univ rouen fr revue article php id 149 6 6
5. 15 3 2014 CENTRE FLAUBERT uvres Dossiers manuscrits Correspondance Ressources par uvre Biographie Iconographie Biblioth que tudes critiques Bibliographie Th ses Comptes rendus tudes p dagogiques D riv s l tranger Revue Bulletin Agenda Ventes Vient de para tre Sur la toile Questions r ponses Maa bE 9 TE hrima CE er nee Urf Phu re arte Een t s Gustave Flaubert revue revue n 13 article de Laurent Demanze RECHERCHE gt Accueil revue revue n 13 REVUE Sommaire Revue n 13 Retour Revue Flaubert n 13 2013 Les dossiers documentaires de Bouvard et P cuchet l dition num rique du creuset flaubertien Actes du colloque de Lyon 7 9 mars 2012 Num ro dirig par St phanie Dord Crousl Bouvard et Cie Les crivains contemporains l ombre de Flaubert Laurent Demanze ENS de Lyon Voir R sum Dans La Spirale et le monument Yvan Leclerc soulignait la place singuli re qu occupe le lecteur devant le roman inachev de Flaubert Car ce r cit d sir et pens durant presque toute une vie laisse chacun d entre nous devant un chantier documentaire monstrueux au risque de consid rer l inach vement du roman comme une de ses caract ristiques les plus essentielles Lire Bouvard et P cuchet c est peu ou prou entrer dans une fabrique romanesque et osciller par l m me entre l attitude du l gataire et celle
6. 3 2014 Gustave Flaubert revue revue n 13 article de Laurent Demanze Jean Yves Jouannais m ne depuis 2008 au sein de L Encyclop die des guerres qu il pr sente au Centre Pompidou dans des s ances mensuelles Il s y propose de se saisir d une lacune ou d un chapitre manquant du roman flaubertien Car si les deux copistes s aventurent entre autres dans l agriculture la di t tique la religion en compulsant des centaines d ouvrages il remarque qu trangement les deux autodidactes ne plongent pas dans le champ de la guerre laissant de c t la poliorc tique l art d assi ger les villes ignorant la science dite strat gique 16 Alors m me que Flaubert s est frott l histoire militaire pour Salammb6 Sur sc ne il s imagine prolonger la vie fictionnelle des deux bonshommes et leur confrontation au chantier documentaire en leur empruntant la fois leur pratique d autodidacte leur curiosit min e par l idiotie mais aussi le risque assum de l chec puisqu il s aventure dans un territoire dont il n est pas sp cialiste pour mettre pr cis ment l preuve cette ill gitimit dans le rapport au savoir Ni historien ni savant dans la pol mologie Jean Yves Jouannais constitue ainsi mesure une biblioth que des guerres en accumulant la mani re d un collectionneur guid par le hasard essais r cits t moignages livres techniques sa pratique documentaire est non seulement tendue par un souci d h t rog n
7. ar son pouvoir de liaison et d accumulation mais une encyclop die apor tique qui refuse de conclure pour mettre au contraire en sc ne la multiplicit infinie des syst mes et des codes notre poque reprenant l ambition antique la litt rature tend repr senter la multiplicit des relations qu elles soient en acte ou potentielles Depuis que la science se d fie des explications g n rales comme des solutions autres que sectorielles et sp cialis es la litt rature doit relever un grand d fi et apprendre nouer ensemble les divers savoirs les divers codes pour laborer une vision du monde plurielle et complexe 3 Et si Italo Calvino d finit le roman venir comme une encyclop die ouverte et sceptique comme un r seau multiple dont La Vie mode d emploi de Georges Perec est selon lui l embl me c est sous le patronage du dernier Flaubert qu il place alors la litt rature de ses v ux mais un Flaubert relu par Borges et Queneau Je voudrais par ailleurs souligner l espace d une co ncidence car il ne me semble pas fortuit que l essor de ces fictions encyclop diques dans les litt ratures d aujourd hui au fil de dictionnaires capricieux de divagations rudites ou d encyclop dies intimes se fasse alors m me que les chercheurs en litt rature s interrogent nouveau sur la sp cificit du savoir ou de la pens e litt raires On songe bien s r au livre de Pierre Macherey quoi pense la litt ratu
8. du continuateur 1 Mal lue par ses contemporains de rares exceptions cette uvre attendra le XXe si cle pour tre red couverte et appr hend e Mais ce parcours silencieux d un roman invisible ne cessera de convoquer les imaginaires des crivains tout au long du si cle tant elle interroge la place probl matique de la litt rature au sein des discours de savoir et le statut de l crivain l re de la reproduction technique Ses plus ardents lecteurs l ont sollicit r guli rement au XXe si cle pour mieux comprendre les m tamorphoses du champ litt raire et les repr sentations de la cr ation l heure de ses red finitions majeures De Borges Queneau de Perec Barthes Bouvard et P cuchet n aura pas seulement t une r f rence majeure convoquer d placer ou d fendre c est aussi un intercesseur capital dans les pens es de la litt rature et dans les strat gies litt raires que ces auteurs d ploient trouble m taphysique de la r p tition recyclage des savoirs inexacts fonction perturbatrice de la copie empire de la b tise et emprise de l intertexte autant de ren gociations des limites de la litt rature que ces crivains auront labor es partir de ce roman matriciel Sans doute il y a l une filiation secr te que les crivains auront invent e la p riph rie des panth ons scolaires une mani re de conqu te capt e de bouche oreille en marge des uvres impos es S il ne faut pas n g
9. e du nouveau ne pas prolonger l histoire ni compl ter le mus e C est aussi donner comprendre combien les attributs prom th ens de nos g nies furent des m dailles de peu de prix Car le copiste dans ses versions modernes est un ironiste la copie avou e des uvres se voit l occasion d un grand rire Une fac tie qui marque combien l illusion de la http flaubert univ rouen fr revue article php 1id 149 3 6 15 3 2014 Gustave Flaubert revue revue n 13 article de Laurent Demanze post rit s est consum e 12 Comme on le voit la pratique du copiste aboutit d noncer les mythologies de la subjectivit comme celles de l int riorit cr atrice pour revendiquer les puissances du d j crit en rappelant que la fonction auteur est une posture r cente dans l histoire des arts et qui pourrait s effacer tout moment Ces artistes d s uvr s qui renoncent se faire un nom ces artistes sans uvres sont autant d incitations paradoxales red couvrir des uvres sans auteurs dont on per oit le murmure infini dans le brouhaha incessant de la biblioth que N anmoins c est progressivement hors de la biblioth que que Jean Yves Jouannais va retrouver les bonshommes flaubertiens puisqu il les croisera plus tard dans sa pratique de commissaire d exposition En effet il organise d s 2000 une exposition itin rante en Russie intitul e Le Fou d doubl l idiotie comme strat gie contemporaine C es
10. elligence dont Flaubert a bien montr qu elles taient r versibles Doublement affront s la p trification de la b tise et la monumentalit de l intelligence Bouvard et P cuchet proposent selon l essayiste une mobilit des perspectives et inventent un burlesque sp culatif Par l ouverture et la souplesse qu elle lui l crivain permet l idiotie se r v le comme non pas une soustraction en termes de compr hension du monde mais une multiplication des points de vue sur les fondements de l activit humaine L idiotie est en cela proche de la sagesse parce qu elle suppose la ma trise des outils de l intelligence auxquels elle ajoute la mise l preuve de ceux ci par la d rision 15 Les deux bonshommes seraient alors pour ainsi dire l origine d un burlesque sp culatif que Jean Yves Jouannais associe aussi bien au duo invent par Leo McCarey Laurel et Hardy qu Biefer et Zgraggen ou aux clowns texans The Art Guys influenc s par le groupe Fluxus Le rapprochement de Jean Yves Jouannais proc de donc d un double geste puisqu il s agit de consid rer la vie posthume de Bouvard et P cuchet et sa diss mination hors de l espace du livre et de souligner que la vivacit physiologique des deux comp res leur plasticit profonde est un op rateur de pens e mobile Interroger la litt rature mais hors du livre telle est enfin l entreprise que http flaubert univ rouen fr revue article php 1id 149 4 6 15
11. et P cuchet est proprement cardinale tant elle l accompagne non seulement comme d clencheur inaugural mais dont il cherche aussi tirer les cons quences pour les limites de l uvre d art et les seuils du livre Jean Yves Jouannais apr s des tudes de lettres a t r dacteur en chef de la revue Art press pendant neuf ans et fut le cofondateur de la Revue Perpendiculaire en 1995 Essayiste commissaire d exposition critique d art romancier la pratique de cet auteur s affranchit volontairement des barri res et des d limitations de champ pour proposer des exp rimentations traversi res Mais malgr cette h t rog n it des pratiques la r f rence au roman flaubertien est constante et contrast e ses diff rentes r flexions sont en effet autant de saisies des facettes diverses de Bouvard et P cuchet comme s il s agissait d exp rimenter successivement des perspectives sp cifiques sur le roman Ce sont ces facettes que je voudrais tour tour voquer en suivant pas pas les tapes du parcours de Jean Yves Jouannais qui m am neront l accompagner dans les aventures des copistes les avatars de l idiotie et les avaries du chantier documentaire En 1997 Jean Yves Jouannais publie un essai tr s remarqu Artistes sans uvres dans lequel il propose un inventaire d raisonnable des artistes d s uvr s tous ceux qui auront vou leur existence ne pas produire les abstentionnistes du chef d uvre les effaceurs en
12. is en s exposant seul sur sc ne s vanouir mais en faisant de son corps m me le relais de la litt rature hors du livre telle est sans doute la tension de l entreprise de Jean Yves Jouannais qui le sait lucidement quand il note l orgueil terrible dans cette ambition de dispara tre 22 d faut de conclusion au moins un paradoxe m diter L entreprise de Jean Yves Jouannais s inscrit dans un plus vaste mouvement de la litt rature contemporaine qui s chappe des fronti res du livre pour investir la sc ne les mus es et autres lieux d exposition en se confrontant aux autres modes de production artistique Il y a l selon le mot d un critique l invention d une litt rature contextuelle 23 qui cesse de s interroger sur sa puret ou sa sp cificit interne comme dans les ann es 1960 mais se pense en termes d illimitation ou de d placement Cette exposition de la litt rature hors du livre est donc certainement lire de mani re ambivalente comme l indice d une h g monie contest e de la litt rature mais aussi comme une entreprise de http flaubert univ rouen fr revue article php 1id 149 5 6 15 3 2014 Gustave Flaubert revue revue n 13 article de Laurent Demanze reconqu te par ses bords Or ce qui me semble singulier dans le geste de Jean Yves Jouannais c est qu en se saisissant de Bouvard et P cuchet il choisit pr cis ment un roman de la biblioth que un livre qui na t des livres et les expo
13. liger ce prestige de la raret qui donne bien souvent une aura privil gi e aux uvres incomprises il n en demeure pas moins que cet cho contemporain de Bouvard et P cuchet m rite d tre interrog tant il est pr gnant dans la litt rature d aujourd hui Au risque de c der au vertige de la liste et d entamer une de ces num rations h t roclites et grotesques dont Flaubert a le secret il faut bien pourtant mesurer l empan de cette veine bouvardienne d sormais Pierre Senges Jean Yves Jouannais Umberto Eco Arno Bertina ric Chevillard Hubert Haddad Camille Laurens Charles Dantzig G rard Genette Olivier Rolin Jean Marie Blas de Robl s St phane Audeguy et Emmanuelle Pireyre etc pour limiter ma liste aux seuls auteurs qui revendiquent explicitement d une mani re ou d une autre la r f rence au roman de Flaubert Le statut de cette r f rence a cependant subi un basculement autrefois de l ordre du plaidoyer quand il s agissait pour Jorge Luis Borges et Raymond Queneau de reconqu rir le prestige d une uvre incomprise il s agit d sormais d une uvre centrale pour penser la place probl matique de la litt rature dans la profusion du champ discursif et remodeler la figure de l crivain http flaubert univ rouen fr revue article php 1d 149 GUSTAVE FLAUBERT Contact propos du site 1 6 15 3 2014 Gustave Flaubert revue revue n 13 article de Laurent Demanze Tiphaine Samoyault le remarq
14. ours de la soci t ou du savoir D laissant le d sir d une puret autarcique la litt rature contemporaine assume sinon revendique son h t rog n it voire sa monstruosit Elle se saisit nouveaux frais des savoirs non pas pour les illustrer ni pour y puiser une source de dispositif esth tique mais pour instaurer avec eux un dialogue critique et vigilant C est d s lors l inscription de la litt rature au sein des discours de savoir au creux d pist mologies concurrentes et la distance probl matique entre la curiosit de l crivain et l autorit intimidante des discours sp cialis s qui se trouvent nouveau pos es de nos jours Depuis l croulement du syst me des Belles lettres la litt rature peine en effet revendiquer la production d un savoir l gitime ou d une connaissance reconnue institutionnellement Dans la fabrique moderne des savoirs elle se voit d poss d e de son autorit pist mologique d autrefois N anmoins cette marginalit dans le champ des savoirs n est pas forc ment v cue sous le signe de la perte car elle propose la litt rature une place singuli re de r flexivit critique ou de contre savoir voire de reliaison des sp cialit s incompatibles Telle est d ailleurs l ambition que doivent reconqu rir la litt rature et le roman selon Italo Calvino dans ses posthumes Le ons am ricaines L crivain italien consid rait en effet le roman de son poque comme une encyclop die p
15. re 4 comme aux r flexions de Paul Ric ur sur la m taphore ou le r cit l interrogation d un Jacques Bouveresse sur La Connaissance de l crivain 5 aux d veloppements de l pist mocritique ou un r cent volume des Annales 6 Non que la litt rature ait jamais cess d avoir affaire aux savoirs d une poque ni de revendiquer un projet de connaissance m me indirect mais plut t parce qu apr s quelques d cennies marqu es par une rigueur formaliste voire par une autarcie ludique la litt rature renouvelle son commerce avec le monde et rentre en dialogue sinon en concurrence avec les discours de savoir de son poque il y a peu encore semiosis la litt rature se revendique nouveau mathesis Il y a l probablement le signe d un basculement esth tique dans lequel la litt rature apr s d interminables c r monies des adieux analys es par William Marx lors desquelles elle tirait sa http flaubert univ rouen fr revue article php 1id 149 2 6 15 3 2014 Gustave Flaubert revue revue n 13 article de Laurent Demanze r v rence au monde 7 se r inscrit volontairement dans la profusion des discours et tente de reconqu rir un lieu sp cifique non de production des savoirs mais de confrontation ou de frottement des savoirs l Jean Yves Jouannais le copiste l idiot et l autodidacte Pour illustrer mon propos je voudrais pr senter le travail d un artiste contemporain pour qui la r f rence Bouvard
16. re Pr l vement d une citation monstration d une image tissage d un lien entre des bribes de discours livres feuillet s copie d une citation perplexit silencieuse le d placement du chantier documentaire sur sc ne met en exergue toute une physiologie de la composition une sc nographie du corps au travail qui met au second plan l uvre achev e pour accentuer l inverse tout un art de la dispositio clJ est un travail de copiste il n y a pas d intelligence 20 revendique t il en mettant videmment en exergue la dimension irr fl chie du geste mais surtout pour ne pas poser l auteur En effet Jean Yves Jouannais consid re cette entreprise comme un exercice combinatoire qui privil gie les op rations de lecture les s lections de savoir traductions d tournements hommages qui sont au centre de l activit litt raire tout en effa ant l illusion de la novation Je crois vraiment que les auteurs constituent une part secondaire de la litt rature 21 Sans doute est ce la raison de son affiliation Bouvard et P cuchet qui l enjoint revendiquer et endosser le statut fictionnel d un personnage romanesque tre la cr ature d un romancier mais d un romancier d autrefois Entre la figure du compilateur et celle du personnage romanesque on peut lire l le d sir de dispara tre et de s vanouir dans le foisonnement des discours des savoirs et des textes sans rien signer Dispara tre sans doute ma
17. se Loin d hybrider les arts ou de d noncer la cl ture du livre travers la performance son entreprise semble alors sc nographier le rapport de l individu contemporain au livre cet objet fantasmatique qui provoque l idiotie et suscite l ill gitimit Au lieu d y voir une contestation j y vois rebours la resacralisation du livre qu on fantasme en permanence mais que l on repousse toujours l NOTES 1 Si toute uvre a partie li e la mort la derni re prend immanquablement une vertu testamentaire Elle place le lecteur dans la position fantasm e du l gataire voire par son inach vement du continuateur gt Yvan Leclerc La Spirale et le monument Essai sur Bouvard et P cuchet de Gustave Flaubert Paris SEDES 1988 p 161 2 Tiphaine Samoyault On ne se souvient pas de Flaubert dans Anne Herschberg Pierrot dir uvres et Critiques XXXIV 1 T bingen 2009 p 87 99 3 Italo Calvino Multiplicit gt 1989 dans Le ons am ricaines repris dans D fis et labyrinthes t II Paris Seuil 2003 p 95 4 Pierre Macherey quoi pense la litt rature Paris PUF 1990 5 Jacques Bouveresse La Connaissance de l crivain Marseille Agone 2008 6 Annales Savoirs de la litt rature 2010 2 7 William Marx L Adieu la litt rature Paris Minuit coll Paradoxe 2005 8 Jean Yves Jouannais Artistes sans uvres I would prefer not to Paris Verticales 2
18. sir de soustraction d autorit derri re la paresse feinte D lire laborieux et appauvrissant que de composer de vastes livres de d velopper en cinq cents pages une id e que l on peut tr s bien exposer oralement en quelques minutes Mieux vaut feindre que ces livres existent d j et en offrir un r sum un commentaire 10 On reconna tra l horizon de cette pratique soustractive qui refuse m me d ajouter un autre livre aux trav es surcharg es de la biblioth que l entreprise de Pierre M nard recopiant mot mot le roman de Cervant s Il y a l bien s r un portrait de l artiste en copiste une anatomie du corps de l crivain en r gime de profusion intertextuelle l origine duquel Jean Yves Jouannais place videmment Bouvard et P cuchet par lesquels il cl t son inventaire Et par cette figure du copiste qui prend le pas sur le cr ateur il conf re au geste qui reproduit et r p te un geste premier une fonction ironique et critique qui conteste la posture auctoriale 11 Recopier c est transformer la production en reproduction c est non seulement ne rien ajouter au panth on des uvres mais c est surtout de mani re r troactive mettre en p ril la notion d auteur le mus e des uvres consacr es en d voilant derri re le moindre texte un plagiaire qui s ignore ou un compilateur pour ainsi dire vou l anonymat Copier pour l artiste c est ne pas inventer ne pas cr er ne pas agr er l exigenc
19. t au terme de plus de dix ans de recherches de voyages de rencontres qu il fait para tre son tude sur l idiotie 13 preuve s il en fallait que chez Jean Yves Jouannais l criture advient apr s une formidable ingestion documentaire et qu elle n est pas le reflet d un savoir qui pr c de le projet mais le d p t d un mouvement d enqu te et de recherche qui vient combler une ignorance Cette gen se du livre permet de mieux saisir l architecture m me de l essai qui emprunte doublement la structure du catalogue il a en effet partie li e au catalogue d exposition par la confrontation entre notices et illustrations qui dessine un parcours mus al mais surtout parce que le livre r fute toute dramaturgie d monstrative pour adopter une approche num rative Il explore tour tour une s rie de cas singuliers une succession d exp rimentations ou de possibles artistiques il dresse une liste des mani res exploratoires de l idiotie en art sans poser sinon par ironie au manifeste Ce parcours des figures idiotes Jean Yves Jouannais le place sous le patronage des r flexions de Cl ment Rosset qui partir de l tymologie du mot soulignait combien l idiotie s opposait l uniformit de la vie sociale pour embl matiser au contraire une revendication de singularit 14 Non pas un d sir d individualit gag e par une profondeur intime ni une croyance l originalit de soi mais l exp rience d une singularit excentrique
20. uait apr s bien d autres dans un article r cent 2 les romans flaubertiens proposent des esth tiques contrast es et singuli res Elle y suivait trois lignes ou trois lign es flaubertiennes dans le champ narratif contemporain une ligne Bouvard et P cuchet une ligne Madame Bovary et une ligne L ducation sentimentale afin de mesurer l empreinte flaubertienne dans la cr ation contemporaine et cartographier les critures d aujourd hui selon le territoire flaubertien qu elles investissent Si elle commence donc par voquer ceux qui entre rudition ironique et idiotie revendiqu e embo tent le pas aux copistes flaubertiens elle ne remarque ni n explique la centralit du dernier roman de Flaubert dans les esth tiques contemporaines au point d clipser la couleur de sang d un Salammb ou la biblioth que fantastique de La Tentation Si le dernier roman de Flaubert est ce point sollicit depuis quelques ann es c est selon moi parce qu il met en permanence l preuve les limites et les fronti res de la litt rature en se confrontant l paisseur des discours et aux divergences des savoirs pour y puiser tout la fois des apories romanesques et des solutions esth tiques Au sortir d une conception formaliste du texte la litt rature a en effet pris nouveau en charge la question de son inscription dans les champs discursifs elle a cess de revendiquer une autonomie m me restreinte et r engage le dialogue avec les disc
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