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1. Lui domine pour d truire Elle domine afin de ne pas tre domin e elle domine le dominateur pour d truire l espace de la domination a crit H l ne Cixous dans La jeune n e 1975 p 217 Nous pouvons comprendre que pour certaines r pondre la violence par la violence s av re l unique solution pour se sortir d une position de soumission c est ainsi que nous interpr tons le sort r serv par l crivaine au p re et aux personnages masculins dans les deux r cits tudi s Quant aux institutions Delaume les a attaqu es en s en prenant leurs discours ayant entre autres recours l ironie pour remettre en doute leur validit Ces discours la construisaient en objet Delaume les a d construit en a boulevers le sens y a inscrit sa marque pour se reconstruire comme sujet Elle a rejet la repr sentation que le patriarcat faisait d elle dans ce qu elle appelle la fiction collective et elle a pris le contr le de son identit afin de se repr senter dans son propre discours le discours autofictionnel Michel Wieviorka a soutenu dans La violence qu tre sujet ce n est pas seulement sauver sa peau son corps sa vie personnelle ou collective son tre physique et moral C est aussi construire son exp rience personnelle ma triser ses choix faire valoir sa capacit innover et inventer des formes d expression culturelle 2004 p 104 En ce sens l autofiction n est elle
2. ils disfent l accident et c est aussi pour a que je les ha s CS p 15 dit elle Le ils dans cet extrait n a pas de r f rent clair dans le texte il semble faire allusion aux policiers qui sont arriv s plus tard sur les lieux du crime aux m decins et psychanalystes qui voient la fillette apr s la mort de ses parents ainsi qu aux membres de sa famille qui l h bergent apr s cet v nement bref tout le monde qui la prend en charge sans Jamais nommer le v ritable mal dont elle a souffert pendant les premi res ann es de son existence la violence d un p re qui tant l homme de la famille se croyait autoris exercer son contr le de toutes les fa ons possibles jusque par le meurtre de sa femme Le terme accident qui est employ par ceux qui commentent le drame vient cependant vacuer toute id e d une violence d lib r e et nie par le fait m me la responsabilit du p re dans le tragique v nement La haine de la narratrice envers les institutions patriarcales est vidente comme en t moigne le passage cit plus haut Les mouflettes d Atropos comme Le cri du sablier d noncent avec v h mence ces institutions Certaines sont davantage mises en vidence dont les quatre sur lesquelles nous nous concentrerons davantage dans ce m moire la famille la religion la psychanalyse et le langage Nous verrons maintenant plus pr cis ment comment ces institutions ont fait et font touj
3. Delumeau et Roche 1990 p 344 En France en 1970 une loi visant un partage gal de l autorit parentale entre le p re et la m re est adopt e Toutefois une simple modification au Code civil ne peut venir bout d une id ologie transmise depuis des si cles comme le soulignent Delumeau et Roche o n ne saurait sous estimer le legs du pass un certain nombre de principes v hicul s par les proverbes et le bon sens populaire tel le devoir de correction continuent de d terminer les conduites 1990 p 56 Les dynamiques familiales sont encore souvent d termin es par l autorit du p re et les enqu tes faites sur les cas de violence domestique en viennent 11 toujours la m me conclusion l a violence en priv est d abord masculine Welzer Lang 1996 p 23 L utilisation de la force physique mais aussi de la violence verbale et psychologique est une fa on de r affirmer le pouvoir paternel sur les membres de la famille Selon Patrizia Romito ces actes de violence sont malgr les lois encore tr s pr sents et rarement punis Si la violence des p res sur les enfants n est certes plus aussi pleinement l gitim e ni m me valoris e socialement qu aux temps mythiques d Abraham elle para t toutefois accept e comme une esp ce de produit d riv certes d plaisant voire dramatique dans certains cas mais in luctable s l on veut obtenir ce qui est toujours consid r comme un ob
4. deux litres d eau bouillante contenant une distillation de mati re f cale MA p 166 que les experts soup onnent avoir t ingurgit s de force par la victime ainsi que les cale ons en coton avec lesquels cette derni re a t b illonn e renvoient la sc ne o Chlo d couvre que son copain lui a laiss ses slips plein de merde MA p 162 pour qu elle les lave La fin tragique de Vincent P implique l clatement de toutes les conventions de la bonne conduite f minine les s vices subis par le jeune homme tant tous une r ponse directe aux exigences qu il avait envers son amoureuse Son sort traduit le fantasme de Chlo de refuser de se plier ses demandes et le d sir de cette derni re de prendre le dessus Le renversement du pouvoir au sein du couple est de plus soulign par la mention d abus sexuel dont le d funt 76 aurait t victime ce qui semble constituer une r ponse aux nombreux rapports sexuels qui ont eu lieu sans que Chlo le d sire vraiment et qui va l encontre du st r otype sexuel selon lequel l homme a un r le actif et la femme un r le passif Violence est ainsi faite aux attentes de passivit et de douceur que la soci t patriarcale a envers les femmes Car bien que les sc nes d crites soient imagin es par la protagoniste cette derni re ressent m me si elle ne passe pas l acte un r el d sir de violence et de vengeance duquel elle fait part de nomb
5. plusieurs pages de ce m moire Merci finalement mes chers amis qui m ont norm ment encourag e et qui jamais n ont jug la lenteur de mon travail ou les obsessions qu il g n rait chez moi Je les remercie d avoir t selon mes besoins du moment pr sents divertissants stimulants l coute TABLE DES MATI RES R SUM ee a 0e V RODU TION osr E A E E l CHAPITRE I LA VIOLENCE PATRIARCAL E cecinere enian E 6 EE e E A E E E T E E EE NEA A E 7 TEV OE e EE ei E E AEE A E 8 RO i o E E EEA A E 9 PACE E E e E E ET T A EATA T 16 EEEE e EEE E E NEE EE P I T AA O T A 18 AE RO T EE E TE AAE A A EE A E 22 EE CAO E E E N ENS 26 ER A E E A N ETT 31 CHAPITRE Il VIOLENCE ET DES OREGON a 37 2 1 4 ES UD EC NATIONS MONS ARS a a ee 3 Le Premier acte l enint secors rne e Ee N EE EE E EEEE EE 38 2 1 2 Deuxieme acie l adolesCEnoe ikrr enra EEA EAE EENE 43 Akae Tob meae lare adle soen 48 IM I e E E E A O A A E A A E A 54 CHAPITRE III VIOLENCE ET RECONSTRUCTION DE D IDENTIT suueeeceeecscccrreceeeeceececeeceserererennnn 58 AEE VO CSA AR O T E T 62 32 Fare violence price au langage ersen a S R Aiar 67 Ce E AN 68 3 PA Violence CRI TICON E a a en ie ER 73 3 2 3 es COUR PA ATOS AQU ae 77 3 3 L affirmation d une victoire esse cerececeueeeenureeueceuueceuneceuuccenecenuaecea corn ceuncce 89 R SUM Les mouflettes d Atropos et Le cri du sablier de Chlo Delaume sur lesquels porte le pr sent m moire do
6. une tape essentielle dans le processus de la reconstruction de son identit il fallait table rase pour m extirper de moi CS p 111 d clare t elle Afin de parvenir faire table rase la narratrice lutte d abord contre les souvenirs horribles de son enfance voyant la m moire comme une ennemie la ramenant au p re et la violence Delaume crit dans Le cri du sablier Le jeu du M mory l enfant le d testait car plus elle excellait regrouper les paires plus elle savait sourdine que s imprimerait en elle jamais le regard terrible du g niteur CS p 65 Dans Les mouflettes d Afropos la narratrice voit dans l oubli la solution la douleur que cause la prostitution Je dis ne JAMAIS regarder a vite les traumas et noje les souvenirs Les putes sont amn siques C est l leur seul salut MA p 175 Malheureusement Chlo r alise dans un 57 cas comme dans l autre qu il est impossible de contr ler la m moire et d enfouir jamais ses souvenirs qui reviennent toujours la hanter Elle doit plut t les confronter en brisant le silence dans lequel elle s tait enferm e pendant les trois actes de sa d subjectivation elle doit utiliser la parole pour d noncer et raconter ce qu elle a v cu ainsi que pour se cr er une identit et un univers qu elle m me aura choisis et qui n auront pas t dict s par la soci t Prendre la plume pour faire entendre sa voix appara t f
7. v nement malheureux de son enfance r cit qui fait cho ce qui est relat dans Le cri du sablier C3 annonce Elle va baisser les yeux s accroupir et pleurer Et je n y pourrai RIEN MA p 100 La multiplication des C n appara t pas comme le r sultat du renforcement de la parole de la narratrice mais plut t comme une division qui r v le la faiblesse d une identit fragment e qui n arrive pas tre reconstruite en une seule identit positive en un Je sujet La tentative d organisation graphique des diff rentes voix pr sentes en la narratrice laisse finalement place la fin de la page 101 une cacophonie semblable mais encore plus clat e celle pr sente au d but du texte de 51 Delaume indiquant que le brouillard dans lequel vit la narratrice ne fait que s paissir hypoth se appuy e par un r cit qui devient de plus en plus d cousu la page 118 la mise en page change les mots s alignant dans d troites colonnes isol es au milieu des pages et ce jusqu la page 122 Cette disposition inhabituelle du texte s accorde avec l incongruit des propos tenus par la narratrice Hier soir J ai dormi dans la th i re J ai eu un peu froid d ailleurs Mais en d finitive c est toujours mieux que le plafond Je ne sais plus si j ai fard le tambourin la pince sucre ou la cloche fromage Je ne sais m me plus si J avais un nom d ailleurs en d finitive MA
8. 13 28 Jenny Laurent 1976 La strat gie de la forme Po tique Revue de th orie et d analyse litt raires no 27 p 257 281 Joubert Lucie 1998 Le carquois de velours L ironie au f minin dans la litt rature qu b coise 1960 1980 Montr al L Hexagone 221 p Kelly Liz 2002 When does the Speaking profit us Reflections on the challenges of developing feminist perspectives on abuse and violence by women In Women Violence and Male Power sous la dir de Marianne Herster Liz Kelly et Jill Radford p 34 49 Buckingham et Philadelphia Open University Press Kofman Sarah 1994 L nigme de la femme La femme dans les textes de Freud 3 d rev et corr Coll Livre de poche Paris Galil e 251 p Kristeva Julia 1969 Semeiotik Recherches pour une s manalyse Paris Seuil 237 p Lakoff Robin 1976 Language and Women s Place New York Octagon Books 83 p Lamy Suzanne et Ir ne Pag s d 1983 F minit subversion criture Montr al Remue m nage 286 p Lamy Suzanne 1979 D elles Montr al L Hexagone 110 p 1984 Quand je lis je m invente Montr al L Hexagone 111 p Larochelle Marie H l ne dir publ 2007 Invectives et violences verbales dans le discours litt raire Qu bec Les Presses de l Universit Laval 215 p 2007 Entre force et contraire L invectif chez mile Pouget Voir Larochelle Marie H l ne dir publ 20
9. 1996 p 106 114 Girard Didier et Jonathan Pollock dir publ 2006 Znvectives Quand le corps prend la parole Perpignan France Presses Universitaires de Perpignan 269 p 2006 Introduction Voir Girard Didier et Jonathan Pollock dir publ 2006 p 11 21 Gross Rita M 1996 Feminism amp Religion Boston Beacon Press 279 p 100 Gu rard C cile dir publ 1998 L ironie le sourire de l esprit Paris Autrement 191 p 1998 Une insoutenable l g ret Voir Gu rard C cile dir publ 1998 p 127 137 Gu ry Fran ois 2001 Haine ef destruction Paris Ellipses 127 p Guillaumin Colette 1992 Sexe race et pratique du pouvoir l id e de nature Coll Recherches Paris C t femmes 239 p Hajdukowski Ahmed Maroussia 1983 Le d nonc nonc de la langue au f minin ou le rapport de la femme au langage Voir Lamy Suzanne et Ir ne Pag s d 1983 p 53 69 Hamon Philippe 1996 L ironie litt raire Essai sur les formes de l criture oblique Paris Hachette 159 p H ritier Fran oise 1996 R flexions pour nourrir la r flexion Chap in De la violence p 13 53 Coll Opus Paris Odile Jacob Hermann Claudine 1976 Les voleuses de langue Paris Des femmes 179 p Holderread Heggen Carolyn 1996 Religious Beliefs and Abuse Voir Clark Kroeger Catherine et James R Beck dir publ 19
10. Alors que le discours juratoire et l insulte sont souvent associ s la virilit comme le souligne entre autres Marina Yaguello 2002 la caract ristique qui semble faire consensus chez les th oricien ne s en ce qui a trait au langage des femmes est l extr me politesse qui caract rise son usage Lakoff 1976 Hajdukowski Ahmed 1983 Talbot 1998 Yaguello 2002 La fonction de cette politesse est de r duire les frictions et les conflits de masquer les antagonismes la d sapprobation ou le d saccord explique Yaguello En d autres termes la politesse est li e l incapacit de s affirmer de dire ouvertement ce que l on pense de r clamer son d de donner des ordres 2002 p 44 Dans cette perspective la politesse appara t comme l envers de la subjectivit elle implique le respect des conventions et de la biens ance au d triment de l expression de toute pens e originale de toute affirmation qui irait l encontre de l id ologie dominante La femme tend accorder plus d importance que l homme la norme ce qui traduit l assimilation excessive du mod le dominant attitude langagi re typique chez le colonis dit encore Yaguello 2002 p 46 Les femmes seraient donc moins enclines que les hommes utiliser l invective qui se d finit justement par opposition la norme charg e de tracer la fronti re entre le licite et l illicite Beaumartin et Garcia cit s dans Girard
11. Comme selon l interpr tation la plus commune de l histoire de la cr ation dans la Bible the two sexes were given their different and unequal natures by God Lipsitz Bem 1993 p 56 il para t nature que la subordination des femmes aux hommes soient enseign e par l glise comme God s divine plan for social relationships Holderread Heggen 1996 p 16 Selon l institution religieuse les femmes mari es ou non doivent donc toujours se soumettre une figure paternelle qu il s agisse de leur propre p re d un membre masculin de leur famille de leur poux ou du cur de leur paroisse qui est le vrai p re du peuple de Dieu Delumeau et Roche 1990 p 141 Pourquoi cette insistance dans la religion sur la puissance des hommes et leur sup riorit morale Selon Mary Daly the entire conceptual systems of theology and ethics developed under the conditions of patriarchy have been the products of males and tend to serve the interests of sexist society 1974 p 4 Carolyn Holderread Heggen une f ministe chr tienne soutient que le christianisme n tait pas la base misogyne a ny religious teaching that isn t good news for even the most vulnerable among us is a distortion of Jesus gospel affirme t elle 1996 p 27 Sandra Lipsitz Bem donne l exemple de several groups of early Christians now known as the Gnostics who elaborated on some of the Priestly verses in a way that m
12. L intertextualit est la perception par le lecteur de rapports entre une uvre et d autres qui l ont pr c d e ou suivie En reprenant des termes propres la psychanalyse freudienne Delaume renvoie le lecteur aux textes de Freud 83 crits initiaux L hypoth se psychanalytique en est un exemple l homme est attaqu et diminu l aide d un outil la psychanalyse qui l origine a contribu confirmer sa grandeur Le ridicule du discours psychanalytique lui m me est soulign par son utilisation dans ce contexte particulier Delaume faisant donc d une pierre deux coups elle attaque les hommes ef la psychanalyse et elle le fait ironiquement en utilisant leur propre discours qui avait d abord fait violence aux femmes L ironie s av re finalement tre ce qui selon nous explique la tension qui na t de la contradiction apparente entre d une part l utilisation d un discours phallocentrique et d autre part la d nonciation et la ridiculisation de ce qu il v hicule Pierre Schoentjes note que l ironie est justement caract ris e par la pr sence de deux sens contradictoires dans une aire de tension 2001 p 93 elle consiste crit Lucie Joubert en un d tournement de sens 1998 p 73 en un cart entre ce qui est dit et ce que l on veut faire entendre 1998 p 29 L emploi du discours psychanalytique par la narratrice ne doit pas tre per u comme le si
13. Newbury House Tietyens Meyers Diana 1994 Subjection and Subjectivity Psychoanalytic Feminism and Moral Philosophy New York et Londres Routledge 199 p V drine H l ne 2000 Le sujet clat Coll Livre de poche Paris Librairie g n rale fran aise 188 p Veillette Denise dir publ 1995 Femmes et religions Ste Foy Presses de l Universit Laval 466 p 1995 Introduction Hi rarchisation sociale des sexes occultation des femmes et appropriation masculine du sacr Voir Veillette Denise dir publ 1995 p 1 40 Venner Fiammetta 1995 Les catholiques traditionalistes et les femmes In Femmes et violences dans le monde sous la dir de Mich le Dayras p 139 145 Paris L Harmattan Walker Nancy A 1990 Feminist Alternatives Irony and Fantasy in the Contemporary Novel by Women Jackson University Press of Mississippi 220 p Websdale Neil et Meda Chesney Lind 1998 Doing Violence to Women In Masculinities and Violence sous la dir de Lee H Bowker p 55 81 Coll Research on men and masculinities Thousand Oaks Sage Weeks Kathy 1998 Constituting Feminist Subjects New York Cornell University Press 196 p Welzer Lang Daniel 1992 La violence masculine domestique et les hommes violents In Places du p re violence et paternit sous la dir de Jo l et Marie Pierre Clerget p 95 103 Coll Champs Lyon Presses Universitaires de L
14. le nom est capital sauras tu qui tu es C est pourtant d accoucher pour de bon de moi m me qui me permit enfin de d g niturer les salaces particules et pleutrasses mandibules qui s vanouirent enfin tout du moins je l esp re CS p 71 Dans le dictionnaire Le Petit Robert 2009 la premi re d finition qui est donn e du mot rep re est la suivante Marque qui sert retrouver un emplacement Le nom du p re et le nom du mari sont les marques qui indiquaient la narratrice sa place de fille et d pouse se choisir un nom appara t comme un premier effort pour effacer ces marques et possiblement trouver une place qui soit autre une place qui ne soit pas assign e par la soci t patriarcale C est en se donnant un nom qui ne soit pas le reflet de son statut dans la soci t que la femme peut conqu rir son identit sociale et son identit tout court affirme Marina Yaguello 2002 p 226 Pour Chlo faire changer son nom dans les registres officiels est la premi re tape de cette conqu te loin de l amener se perdre cela lui permet de rena tre ou plut t de na tre en tant que sujet Commencer se reconstruire en tant que sujet ne s av re toutefois possible pour la parratrice qu travers une lutte contre le p re et plus largement contre le syst me patriarcal et ce qu il impose aux femmes Dans Les mouflettes d Atropos c est le corps de Chlo qui amorce pour elle la bataille en
15. t avec les phrases explicit es 1996 p 21 C est ce que nous observons d ailleurs souvent dans l ironie de Delaume 84 Delaume n est pas la premi re crivaine avoir recours l ironie afin de d noncer une vision patriarcale du monde avec le nombre grandissant de textes de femmes et de textes f ministes qui se sont vus publi s dans les quatre derni res d cennies I ironie est devlenue un moyen de revendication C est pour les auteures une fa on de d fier le discours dominant le recours l ironie t moignant d une contestation des valeurs traditionnelles et d une reconnaissance du caract re arbitraire des causes susceptibles de perp tuer l oppression des femmes Nancy A Walker cit e dans Joubert 1998 p 19 L ironie plut t que de renforcer l id ologie dominante contribue en branler les fondements fellle met le sens dessus dessousf ajffole les rep res bouscule les fronti res Gu rard 1998 p 129 Cela fait d elle une arme essentiellement transgressive et elle l est d autant plus lorsqu elle est utilis e par une femme puisque le fort potentiel d agressivit qu elle rec le Joubert 1998 p 17 la fr quente m chancet qu elle implique Joubert 1998 p 19 les images de destruction qu elle voque Schoentjes 2001 p 203 ainsi que le pouvoir de parole que celui ou celle qui l utilise se donne Joubert 1998 p 18 vont enc
16. toie dans la r alit que lui cr e Delaume elle se laisse cependant aller de grandes violences dans certaines sc nes qui semblent voquer ses fantasmes La violence dont il s agit une violence qui s op re par les mots travers l usage de la langue plut t que par les gestes est violence non pas seulement cause des actes agressifs qui sont d crits mais aussi cause de la nature transgressive de ce qui est pr sent soit des sc nes o une femme a physiquement et psychologiquement le dessus sur des hommes Le cas de Vincent P en est un exemple Vincent P est pr sent comme l amoureux de la narratrice Il vient habiter chez elle pendant quelque temps cette cohabitation est relat e dans le rapport d une tude socio psychologique qui est faite sur le jeune homme Ce dernier selon ce qui est observ pendant l tude refuse de s adonner quelque t che m nag re que ce soit Chlo d sign e dans le En italique dans le texte 75 rapport par les termes la femelle exc d e finit par tout faire pour lui la cuisine les courses le m nage Elle se plie de plus ses avances sexuelles m me si elle n a aucune envie de le faire Le comportement d apparente soumission aux d sirs de l homme qui est d abord observ chez la narratrice est le reflet du comportement typique auquel la soci t patriarcale s attend de la part des femmes Le r le de m nag re et d amante disponible
17. y a qu une seule libido et elle est d essence m le crit H l ne Cixous 1975 p 148 Dans l id ologie freudienne la femme reste dans la d r liction de son manque de d faut de absence de envie de etc qui l am ne se soumettre se laisser prescrire de fa on univoque par le d sir le discours la loi sexuels de l homme Irigaray 1974 p 56 En parlant de manque de de d faut de d absence de Freud d crilt la sexualit f minine comme simple envers et m me revers d un 0 En italique dans le texte 29 sexualisme masculin Irigaray 1974 p 58 Le sexe de la femme en psychanalyse est un sexe de second ordre et on lui donne comme principale fonction d tre le r ceptacle du sexe premier le phallus Il est r duit selon Luce Irigaray un trou enveloppe qui fait gaine et frottement autour du p nis dans le co t un non sexe 1977 p 23 Toutes les zones rog nes de la femme sont oubli es au profit du vagin pour cette derni re selon Freud Sexual gratification finally comes to be situated after a tortuous process of psychosexual development not in her masculine clitoris which is where it was originally but in her truly feminine vagina Lipsitz Bem 1993 p 59 La psychanalyse impose donc comme norme une sexualit qui chez la femme semble un peu trop requise par la pratique de la sexualit masculine d plore Irigara
18. Les nombreuses tentatives de suicide de Chlo qui marquent son adolescence peuvent tre vues comme des tentatives d sesp r es de se d barrasser du p re qui l ment indissociable du nous ne peut dispara tre sans que le elle ne disparaisse aussi Elles peuvent galement tre vues comme la capitulation d une jeune fille qui force de se faire r p ter qu elle n est personne et qu elle ne vaut rien pr f re s vanouir compl tement 2 1 3 Troisi me acte l ge adulte 2 1 3 1 Chlo la prostitu e dix huit ans ge auquel correspond le d but de ce que la narratrice appelle dans Le cri du sablier le troisi me acte de sa vie Chlo quitte la demeure de son oncle et de sa tante esp rant enfin acc der une vie meilleure Elle s engage toutefois dans une profession qui loin de l encourager se trouver et s affirmer la force une fois de plus s oublier et vouloir dispara tre tout en l obligeant jouer un r le typiquement f minin elle devient prostitu e Ce choix s inscrit dans un continuum de violence et de d subjectivation v cu depuis l enfance la prostitution tant comme l crit Patrizia Romito en tout et pour tout de la violence puisqu elle repose sur la r ification sur la chosification de la femme de plus elle culmine souvent dans des violences absolues de la part des hommes 2006 p 192 La violence que vit Chlo en tant que prostitu e se t
19. alisant combien son clitoris est incapable de soutenir la comparaison avec l organe sexuel du gar on Irigaray 1977 p 39 Toute petite fille reconna t ou devrait reconna tre que comparativement au gar on elle n a pas de sexe ou du moins que ce qu elle croyait un sexe valeureux n est qu un p nis tronqu Irigaray 1977 p 39 Son sexe n en est donc pas un part enti re il n est qu une p le copie du r f rent qu est le phallus Et cette d fectuosit anatomique c est l expression qu utilise Freud qu est l absence de p nis conf rerait la femme une inf riorit inn e laquelle elle ne peut rem dier Cela entra nerait chez les filles une envie du p nis et par extension un rejet de leur propre sexe La m re en vient m me tre d valoris e aux yeux de la fillette comme ceux du gar on Kofman 1994 p 203 et va parfois jusqu attirer le m pris de ses enfants alors que la valeur et la puissance du p re possesseur de l organe m le si pris sont reconnues La grande valeur accord e au phallus dans la psychanalyse et la d valorisation constante du sexe de la femme pr sent comme le dit Sarah Kofman comme une cavit pleine de pus qui suscite chez les hommes un sentiment d horreur 1994 p 51 ont une influence sur la fa on dont Freud traite des rapports entre les sexes et plus particuli rement de la sexualit Pour Freud il n
20. avanc es consid rables qui ont marqu les derni res d cennies Nous avons souhait par le biais de ce m moire la mettre en relief Cependant nous ne voulions pas pr senter les femmes comme de simples victimes sans ressources ce quoi le patriarcat tente souvent de les r duire En ce sens Les mouflettes d Atropos et Le cri du sablier taient des r cits tout indiqu s pour permettre de donner une image la fois vuln rable et forte des femmes qui bien qu elles soient parfois les victimes d une violence qu il ne faut en aucun cas nier sont aussi souvent capables d une grande r silience d une formidable puissance d une admirable cr ativit Ce sont ces qualit s qui ont permis Delaume de s affirmer en tant que sujet et de se reconstruire une identit travers l criture apr s avoir t longtemps r duite un objet par la violence des hommes et des institutions Avant de voir comment Delaume est parvenue reprendre le contr le de sa vie et de son identit nous avons tenu pr senter les responsables de sa d subjectivation premi re en commen ant par son p re qui par ses actes violents rendait visible et tangible la domination masculine et concr tisait la violence patriarcale Nous avons soulign que si dans le cas du p re de Delaume le pouvoir paternel a t exerc l extr me ce pouvoir est en fait la base du patriarcat et il s exprime sous diverses formes souvent camoufl so
21. ch rie Je taime et m me qu il m embrasserait Sa barbe piquerait les joues m me que du coup a chatouillerait Alors papa irait dans la chambre du fond qui sert aux invit s quand ils ont trop bu pour prendre leur voiture et il prendrait la grande caisse en bois qui est rang e sous l tabli Il rirait en disant Soazic aide moi voyons c est tellement lourd Alors maman prendrait un c t de la caisse et on jetterait tous les jouets de papa qui font mal dans les flammes et a serait dr lement joli On aurait dit que papa ne crierait plus jamais On aurait dit qu on aurait eu un magnifique mois de juin CS p 58 Chlo ne conna t finalement pas de d nouement heureux avec son p re qui meurt sans jamais avoir d montr de lamour pour sa fille lui Jet ant plut t sa mort en pleine face CS p 122 Longtemps apr s l v nement la narratrice comme nous l avons vu l impression que le p re qui demeure vivant travers le patriarcat continue la dominer m taphoriquement elle s imagine tre un sablier qu il remplit de lui m me et de la peur qu il g n re en elle touffant ainsi sa voix Cependant la prise de parole r alis e gr ce l criture permet Delaume de se vider grain grain de son p re au fil des mots elle le remplace par les morceaux de son identit elle jusqu ce que l objet qu est le sablier s efface pour laisser place un sujet vide du p re Ca
22. customs etiquette education and the division of labor determine what part women shall or shall not play and in which the female is everywhere subsumed under the male Cit e dans Lipsitz Bem 1993 p 40 1 1 1 Une violence l gitim e Comme l indique la d finition de Rich le patriarcat se perp tue par divers moyens Certains sont plus visibles d autres Sont moins vidents mais ils sont tous pr judiciables pour les femmes La violence que l on voit et que l on nomme aujourd hui a au moins l avantage d tre de plus en plus d nonc e mais c t de la violence brutale d clar e visible que peut subir l tre humain il y a celle qui subtile insidieuse secr te s exerce sans pouvoir tre d nonc e source d un d sespoir vertigineux et indicible et qui s pare celui qui en est la victime du monde de l change de la reconnaissance et de la compassion Florence 2002 p 253 Ainsi la femme qui ne porte pas les marques corporelles d une violence vidente n est souvent pas consid r e comme une victime pourtant chaque femme est victime du patriarcat peu importe sa classe sociale sa race ou son lieu d habitation Le patriarcat est une infrastructure antid mocratique qui sous tend toutes les formes de soci t que celle ci soit capitaliste socialiste communiste totalitaire libertaire La forme de soci t peut changer l infrastructure demeure immuable solide infrangible souli
23. d finition pr cise Toutefois lorsque Chlo emploie plus tard le mot encul en pr sence de sa tante sa m re se voit dans l obligation de lui expliquer qu il s agit d un terme vulgaire qu il vaut mieux ne pas employer quand on est une petite fille car une petite fille doit toujours rester polie CS p 51 Elle note ensuite le mot dans le cahier o elle consigne tous les nouveaux mots qu elle apprend en prenant soin d y accoler l ast risque lui permettant de reconna tre dans sa liste les mots interdits aux petites filles qui doivent toujours rester polies CS p 52 Le syst me tabli par la fillette pour identifier les termes ne pas employer montre bien son assimilation des r gles concernant l usage de la langue selon le sexe La m re l a soulign et Chlo le r p te docilement ce sont les petites filles et non les enfants en g n ral qui doivent viter l emploi de mots grossiers La pr cision sur le genre appara t d autant plus importante qu il est pr c demment mentionn dans le r cit que les parents de Chlo vitent g n ralement de mentionner son appartenance au sexe f minin la m re fait une exception pour ce qui est de l ducation langagi re de sa fille qui doit apprendre s exprimer en respectant les normes de la f minit Le fait que ce soit un homme que Chlo ait entendu prononcer le mot encul ne fait que renforcer les le ons de sa m re Il y a tou
24. d importance au langage tenu par l enfant CS p 53 Elle r alise toutefois tr s t t que le langage est aussi et surtout r gi par le p re qui fui l impose avec force et violence L enfant parla fort t t On la jugea bavarde Le seul mot qui manquait d signait classiquement le statut de g niteur Le p re y rem dia en exer ant la force chacun ses atouts Il frappa rebelote jusqu lui d crocher le tandem de syllabes et sa menue m choire mais cela accessoirement CS p 20 Apr s le meurtre de la m re par le p re la narratrice cesse de parler pendant neuf mois Le drame caus par le p re se dit difficilement avec les mots de l ennemi avec les mots des hommes L histoire est finalement racont e l aide d un langage diff rent ce qui sera tudi dans un chapitre subs quent La langue telle que Chlo l a apprise de sa m re ne peut plus tre utilis e avec insouciance puisqu elle est aussi la langue du p re Elle dit celui ci Tu m as sali des mots Comme si ma robe d alors ne fut pas suffisante Souill au pus vocables connotations f briles tant de phon mes burin D calcifi vif la ti deur de la langue Tant de mots pr sent barbotent dans la boue noire C est peut tre le pire crime que tu aies pu commettre Mon p re ma plaie mesquine CS p 124 36 On appelle la premi re langue apprise par une personne langue maternelle Maternel crit Yaguello voq
25. de m me en se sentant coupable toutefois la mort de son p re Dieu vous qui tes si bon et si juste exaucez ma pri re par piti tuez mon p re et je promets d tre sage et de devenir bonne s ur et de ne plus jamais monter sur les marches de l autel prie la fillette CS p 36 Elle promet la soumission en change de sa lib ration du p re puisqu on lui a enseign que Dieu aime les filles sages et dociles La figure de Dieu dans l institution religieuse est utilis e de toutes sortes de mani res afin de conformer les femmes une certaine image et de les culpabiliser Dieu est la fois le Cr ateur qui a voulu les femmes inf rieures aux hommes le Juge qui jugera les femmes qui ne remplissent pas leur devoir de femmes et le Justicier qui r compensera celles qui malgr les souffrances ont accept de garantir la survie de la chr tient en procr ant et en transmettant ses valeurs Venner 1995 p 141 Pour Luce Irigaray le recours Dieu est toujours la reconduction du f minin l conomie phallocratique 1977 p 75 Mary Daly crit Women have suffered both mentally and physically from this deity in whose name they have been informed that birth control and abortion are unequivocally wrong that they should be subordinate to their husbands that they must be present at rituals and services in which men have all the leadership roles and in which they are degraded not only by enforced passivity but al
26. e gar on mais ce n est pas le cas et on le lui reproche d s ses premiers jours Ses parents manifestent leur m contentement en n gligeant de lui donner un nom Si l enfant avait t un gar on il se serait appel tout de suite Mais l enfant tait contrariante Elle tint obstin ment t te aux aiguilles tricoter aux r gimes alimentaires aux pr dictions scand es rebouteuses de rabais et aux influences de la lune Le jour de l expulsion les parents constat rent avec d pit la pr sence incongrue du doublon chromosome et renonc rent tout effort d appellation Durant quarante 39 huit heures le nourrisson ne fut personne Seul le personnel hospitalier sembla s en mouvoir CS p 27 La narratrice tablit un lien entre le refus de ses parents de la nommer et son identit sexu e celle ci apparaissant d s la naissance du b b comme une horrible tare qui vient remettre en question son droit tre identifi e en tant que personne par le biais de l appellation Le nom comme le note Nancy A Walker dans Feminist Alternatives Irony and Fantasy in the Contemporary Novel by Women est troitement li l identit 1990 p 61 ainsi le refus des parents de nommer leur fille cause de son sexe peut tre vu comme le refus de lui accorder une identit de la reconna tre en tant qu tre humain Un pr nom et un nom lui sont plus tard attribu s mais ce n est que par n cessit ses parents ne les
27. est cependant loin de plaire Chlo comme l indiquent plusieurs r f rences son profond m contentement dans le rapport de l tude socio psychologique Ce m contentement que celui qui le provoque ne semble pas remarquer est soulign grands traits dans un article fictif qui est ins r la fin du rapport de l tude socio psychologique Il y est rapport que le corps d un jeune homme de vingt quatre ans a t retrouv atrocement mutil sur un terrain vague du XXe arrondissement de Paris MA p 165 Si le nom de la victime n est jamais mentionn les diff rents indices diss min s dans le texte ne laissent aucun doute sur son identit il s agit de Vincent P L article attribue le meurtre un groupuscule de Gothiques form d individus assoiff s de sang et d actes morbides MA p 166 mais il contient aussi des renseignements qui donnent au lecteur la certitude que l homicide a t commis par Chlo En effet l introduction anale d une douzaine de Craquottes et d un pot de deux cent cinquante grammes de gel e de groseilles chez le d funt MA p 166 constat e par les autorit s n est pas sans rappeler les plaintes que Vincent P a adress es la femelle parce que celle ci ne lui avait pas achet de Craquottes pour son d jeuner et ensuite parce que lorsqu elle l a finalement fait elle n a pas achet de gel e de groseilles pour les accompagner De m me les
28. et la pla ait en position de soumission 3 2 2 La violence f minine racont e Si les attaques verbales de la narratrice dans Le cri du sablier et dans Les mouflettes d Atropos sont le plus souvent dirig es vers les hommes c est qu ils sont souvent l origine de la violence qu elle subit et des malheurs qui surviennent dans sa vie Le ressentiment qui habitait d j Chlo avant la mort de ses parents se transforme en haine d finitive apr s le tragique v nement Apr s avoir vu son p re tuer sa m re et son grand p re fuir la sc ne du crime sans tenter de sauver sa fille et sa petite fille l enfant en conclut que les hommes se r sument tre des assassins ou des l ches CS p 75 Sa perception des hommes s aur ola vengeance m fiance m pris Que ce fut r actif ou saine lucidit elle sut depuis ce jour que Jamais d ordalie ne pourrait en substance innocenter quiconque se mouvant sous l gide de la testost rone raconte la narratrice CS p 75 Longtemps Chlo se sent impuissante face aux hommes et la soci t qui leur donne un pouvoir absolu Elle ne sait non plus quoi faire de cette haine immense qui l habite et qu elle trouve encombrante MA p 44 et si lourde MA p 43 Le m tier de prostitu e qu elle choisit lorsqu elle sort de l adolescence ne fait que la confronter encore et encore ces hommes qui la violentent et qui la consid rent comme un morcea
29. explique t elle raconter son exp rience et sa relation avec lui nous le verrons plus tard est une tentative de la part de la Delaume de l extraire d elle m me une fois pour toutes S il n est pas facile pour la narratrice de se d barrasser du p re c est que m me une fois d c d celui ci a encore sur sa fille une emprise immense Pendant longtemps elle croit que jamais elle n oublier a jamais elle ne pourr a javelliser souvenirs d tacher grande eau Dor navant afin d all ger les r f rences le sigle MA sera utilis pour d signer le livre Les mouflettes d Atropos celui publi dans la collection Folio des ditions Gallimard en 2003 Toujours dans le but d all ger les r f rences des citations tir es des r cits tudi s le sigle CS sera d sormais employ afin de d signer le livre Le cri du sablier celui publi dans la collection Folio des ditions Gallimard en 2006 14 combien m me lacrymale la rage et la fureur du p re si trop puissant CS p 65 Ce passage refl te bien l impression de grandeur et de puissance qu a laiss e le p re sur sa prog niture Lorsqu on a acc s la vision de l enfant qu tait la narratrice le p re est d peint comme un personnage plus grand que nature plus qu humain L enfant tait si jeune Elle croyait son p re immense et sa peur se bleutait CS p 21 Il lui apprend le respecter comme on enseigne la fillette
30. id ologie sociale fossilis e d nonce Romito 2006 p 65 citant Bachelard Fran oise Collin met aussi en garde contre la langue consid r e comme commune tous les tres humains la langue qu elle appelle publique et qui est selon elle une langue d homme Sous le couvert de sa vertu op ratoire dit elle ce langage est d abord et surtout un langage de pouvoir pouvoir sur les choses mais aussi pouvoir sur les autres parmi lesquels au premier chef les femmes 1976 p 4 Selon plusieurs ce langage que les hommes ont cr qu ils s approprient et dont ils se servent pour s approprier les femmes ne peut tre qu tranger aux femmes qui le connaissent mais qui n est pas leur Bersianik 1990 Collin 1976 Gagnon 1977 Daly 1974 Hermann 1976 Irigaray 1976 C est un langage qui toujours leur fait violence en les construisant en tres inf rieurs aux hommes et en donnant des armes ces derniers pour continuer les traiter de la sorte Il permet de forger une r alit illusoire et biais e qui donne au patriarcat une l gitimit et qui place en marge toute vision du monde qui y oppose qui ne pr sente pas les choses dans une perspective masculine Les femmes qui prennent la parole avec le langage des hommes seraient donc vou es reproduire Irigaray 1976 p 24 utiliser un langage qui est toujours celui des autres Hermann 1976 p 29 Concr tement le caract r
31. illustr En lisant la d finition du mot amour sans le verbe faire accol ce qui la contraria grandement l enfant se dit qu elle avait vu juste L envers de lamour tait la haine c tait marqu m me que a s appelle un antonyme Elle reprit son stylo plume c urs roses assortis au petit cahier marqua deux points puis qui hait et fait le mal aux autres par exemple comme papa CS p 52 L enfant ne comprend pas tr s bien la signification du nouveau mot qu elle note ni le concept d injure on peut ainsi supposer que l association du terme encul avec le p re est faite au moment o se produit l v nement en toute innocence sans intention d invectiver celui qu elle traite sans vraiment s en rendre compte d encul D ailleurs le cahier dans lequel elle note l exemple n est destin qu elle On peut toutefois galement supposer que la narratrice qui est adulte raconte le raisonnement de l enfant tout en ayant conscience de ce qu il sous entend ou m me parce qu elle sait ce qu il sous entend elle s amuse ic1 d jouer l interdiction qu elle a re ue jadis tout en attaquant celui qui elle d clare ouvertement la guerre la fin du r cit Dans Les mouflettes d Atropos on retrouve la m me dualit entre ce qui est dit au moment de l nonciation et ce qui est dit au moment o les v nements racont s se d roulent D s le d but du roman les jurons s accumul
32. l cole catholique respecter Dieu il ridiculise m me ce Dieu qu elle a appris tre au dessus de toutes choses en disant que Dieu n tait personne et qu il le connaissait CS p 21 Le p re est per u comme un tre immense omnipotent omniscient Car le p re toujours sait Car toujours l sait tout Il voit Et sait m me lorsqu il est au loin CS p 34 D ailleurs le choix par Delaume de l appellation le p re plut t que mon p re ou son p re pour d signer son g niteur n est pas sans rappeler la fa on de nommer Dieu le p re Le choix du d terminant le qui donne un caract re g n rique plut t que particulier au p re laisse aussi supposer que plus que son p re ce sont tous les p res et plus largement tous les hommes qui imposent leur loi dans la soci t patriarcale Le p re de la narratrice impose sa loi en ayant recours la violence autant physique que verbale et psychologique Il utilise cette violence afin de maintenir les membres de sa famille dans la peur et de leur rappeler qu il est celui qui domine qui a le contr le Il aime beaucoup exercer son pouvoir CS p 21 et tapiss e muqueuses gorge et me de peur rance CS p 24 Tout en lui est violence chaque remarque chaque demande est faite de fa on violente Lorsque pour la premi re fois 1l ordonne sa fille de s asseoir derri re un piano et d en jouer l incapacit de l enfant le ren
33. l Occident du XXIe si cle CHAPITRE I LA VIOLENCE PATRIARCALE Andr Mineau dans son livre La violence biologie histoire et morale chr tienne crit que lle terme violence provient du latin violentia qui signifie force imp tueuse abondante et excessive Le verbe apparent violare implique clairement l id e de transgression c est dire d exc s par rapport une norme 1994 p 13 Si les mots violentia et violare sont phon tiquement semblables et que tous deux sont li s au m me terme fran ais violence ce qui les diff rencie s mantiquement est pour nous primordial et traduit tr s bien la diff rence que nous percevons entre d une part la violence exerc e contre les femmes par le syst me patriarcal et ses acteurs principaux les hommes et d autre part la violence exerc e par les femmes contre ou en r ponse un syst me et des individus qui les oppressent Par exemple dans Les mouflettes d Atropos et dans Le cri du sablier la violence f minine est utilis e entre autres comme moyen de transgression du r le et de la place accord s aux femmes par la soci t patriarcale Elle est aussi une r ponse une violence masculine qui elle s inscrit tr s bien dans l id e d une force imp tueuse abondante et excessive En effet la violence lorsqu elle est utilis e contre des individus en position de subordination par des gens ou des institutions d tenant d j
34. moment l Il arrive m me qu il ne s agisse plus de femmes mais d un il d une m choire d une rate ou d un foie Romito 2006 p 86 Romito est consciente que cJe type de formulation propre au langage m dical n est sans doute pas employ de mani re d lib r e dans le but d occulter la violence masculine 2006 p 86 mais il reste qu il s agit l d une autre fa on de rendre invisible la violence des hommes et la souffrance qu elle cause aux femmes Susan Ehrlich et Ruth King mentionnent quant elles certains cas dans lesquels les hommes vont jusqu modifier le sens litt ral des mots pour l adapter leurs d sirs et pour l gitimer leur violence Elles donnent entre autres l exemple d une campagne contre le viol qui a eu lieu en 1989 en Ontario et qui a t intitul e no means no In reaction to the campaign rapportent elles obscene and violent messages appeared in the windows of men s 7 i 7 ii dormitories no means harder no means dyke no means more beer no means tie me up 1992 p 151 Quelques ann es plus tard racontent Ehrilich et King un juge de la Cour Supr me de la Colombie Britannique lors de l annonce de son jugement par rapport une accusation de viol a sp cifi que at times no may mean maybe or wait a while 1992 p 151 Ces exemples ne sont pas exceptionnels 1l est courant dans
35. p 119 Cette derni re phrase et l absurdit de ce passage donnent l impression d une perte d identit li e une perte de contact avec la r alit r alit dans laquelle Chlo n est pas une jeune femme nomm e Daphn qui aime le champagne et les hommes qui passent MA p 116 mais o elle est monnaie vivante MA p 188 et o son propre corps ne lui appartient plus Comment garder son corps soi quand on le loue MA p 174 se demande la narratrice En effet comme le note Colette Guillaumin on ne peut pas tre la fois propri taire de soi m me et tre la propri t mat rielle d autrui 1992 p 34 L appropriation du corps de la narratrice par les hommes ne peut qu entrer en conflit avec la construction d une subjectivit comment lorsque que l on peut laisser autrui prendre possession de soi peut on en m me temps s affirmer comme sujet pensant La prostitution appara t d s lors dans Les mouflettes d Afropos comme un autre ab me o se perd le je de la protagoniste 2 1 3 2 Chlo l pouse Si Ja prostitution est la manifestation ill gale de l appropriation du corps des femmes par les hommes cette appropriation a aussi une expression l galis e la relation contractuelle de mariage Guillaumin 1992 p 46 Le mariage serait selon Colette Guillaumin un contrat non mon taire au contraire de la prostitution qui donnerait l homme le droit d u
36. position commissariat police le grand p re dit fi rement je me suis accroupi car J ai tout de suite pens il va tirer hauteur d homme CS p 74 66 mots qui en demandent un compl ment Sous sa plume il arrive que les verbes impersonnels se conjuguent la premi re personne du singulier que les verbes intransitifs 6 27 28 7 deviennent transitifs et qu un compl ment devienne sujet Elle s amuse galement avec les signes de ponctuation entre autres en omettant parfois les virgules dans les num rations les points d interrogations lorsgu elle pose une question les points la fin des phrases et les guillemets les virgules et les deux points lors des discours rapport s D autres fois les points surgissent l o on ne les attend pas par exemple entre le verbe et le LA Ba 4 sujet ou entre deux l ments d une num ration Delaume d stabilise galement le lecteur en manipulant et en d construisant constamment les lieux communs et les expressions fig es dont regorge la langue fran aise attirant l attention sur le caract re construit de celle ci et la fa on dont on l utilise sans cesse de fa on machinale sans se poser de questions Ainsi certaines locutions sont bris es par la elle se vidait de quelque chose consciente du la mani re de CS p 86 6 M me l t je pleuvais souvent MA p 121 7 Le p re disparaissait s
37. sans en avoir conscience et elles participent de leur plein gr la d bilisante domination masculine et capitaliste MA p 189 en remplissant le r le qui leur a t assign par la soci t patriarcale soit celui de bJourgeoise entretenue au terme contractuel d un mariage de raison de pJoule pondeuse ali n e au foyer de flemme vaillamment harnach e son poste d employ e ou de b imbo rose immol e au phallogocentrisme MA p 188 Le choix des mots ali n e harnach e et immol e voque toute la violence avec laquelle les femmes sont maintenues dans leur position d inf riorit et remet en question l id e de plein gr que l auteure avance la page suivante il d montre l ambivalence de la narratrice qui en veut aux femmes de ne pouvoir se sortir du carcan du patriarcat mais qui en m me temps reconna t les contraintes et la pression li es au fait d tre de sexe f minin La narratrice elle m me est pendant le troisi me acte de sa d subjectivation la fois prostitu e et catin socialis e se pliant au rituel patriarcal qu est le mariage Apr s avoir t trait e comme une moins que rien pendant toute son enfance et son adolescence Chlo esp re trouver dans l amour un peu de reconnaissance elle se mari e croyant et cela malgr elle devenir quelque chose peut tre m me une personne CS p 70 Une am re d sillusion l attend toutefois el
38. soumise au pouvoir de son poux ne parvient pas aider sa fille se construire en tant que sujet l utilisant plut t afin de donner au monde ext rieur l impression qu elle forme avec son mari et leur enfant une famille parfaite L int r t qu elle partage avec Chlo pour la langue fran aise par exemple ne sert non pas apprendre la fillette un langage qui lui permettrait de s affirmer mais plut t impressionner les autres et pr server les apparences Elle y parvient notamment en lui enseignant des mots compliqu s qu elle lui demande d ins rer dans la conversation lorsqu elle re oit des invit s L a m re accordait norm ment d importance au langage tenu par l enfant Et surtout en public Il n tait pas rare qu en l absence maritime du p re la m re organis t des d ners o l enfant devait accomplir un certain nombre d exercices d finis l avance Il va de soi que ces derniers devaient para tre spontan s devant les convives pantois CS p 54 Lorsque Chlo a de la difficult assimiler les mots enseign s les reproches fusent sa m re lui rappelant qu elle n est qu un outil C est bien simple lui disait la m re il suffit de te demander de prononcer outr pour comprendre quel point tu es bonne jeter Alors l enfant se concentrait tr s fort pour qu on la garde encore un peu CS p 54 La langue n appara t pas comme un moyen de s exprimer mais plut t
39. tat et l glise travaillent ensemble pour faire de la famille organisme de base de tout l difice social Delumeau et Roche 1990 p 233 et ce jusqu au XXe si cle Et celui qui dirige la famille est bien s r le p re principal responsable de la transmission des normes qui garantissent l autorit de l tat assurent la moralisation et la discipline du temps pr sent et fondent l conomie du Salut et l espoir en une vie future Delumeau et Roche 1990 p 233 L exercice du pouvoir de l tat et de l glise passe donc par le p re dont la puissance est appuy e par ces deux institutions Les glises catholique et protestante qui divergent sur certains principes valorisent l une comme l autre l autorit paternelle qui quelles que soient les structures de la famille indivise souche nucl aire conjugale est reconnue l image de l autorit politique et religieuse comme une monarchie divine Delumeau et Roche 1990 p 233 Et si pendant le si cle des Lumi res ce pouvoir immense est remis en question alu XIXe si cle le p re est restaur par le Code civil dans la totalit de ses pouvoirs il retrouve la puissance paternelle enti re Delumeau et Roche 1990 p 321 Dans toutes les classes sociales a mission du p re tout en se modifiant demeure au moins dans son intention celle de figurer et de transmettre les notions d ordre de discipline d autorit
40. tre une femme et de ce que devrait tre un homme Les institutions sont donc souvent complices de la subordination des femmes elles vont parfois m me selon Patrizia Romito jusqu d fendre les pr rogatives des hommes violents encouragefr l exercice de leurs droits patriarcaux et cela au prix du bien tre de la sant et parfois de la vie m me des femmes et des enfants 2006 p 178 Teresa de Lauretis citant Breines et Gordon avance que les institutions like the medical and other helping professions e g the police and the judiciary are complicit or at least congruent with the social construction of battering 1985 p 13 les femmes se retrouvent ainsi seules face une violence laquelle elles sentent qu elles ne peuvent chapper faute d un soutien significatif de la part de syst mes qui fonctionnent encore selon le r gime patriarcal Dans Les mouflettes d Aftropos et dans Le cri du sablier les institutions et leurs repr sentants n apparaissent pas comme des alli s mais bien comme des complices en quelque sorte de la violence dont la narratrice est victime M me apr s le meurtre de la m re par le p re la violence de ce dernier reste tue La narratrice nomme le drame Nous ferons r f rence aux narratrices des deux r cits tudi s comme un seul et m me personnage puisqu elles partagent le m me nom et la m me histoire ceux de Delaume l assassinat mais
41. tudi e jusqu ici et dont Delaume fait le r cit pour les raisons que nous avons nonc es pr c demment mais aussi parce qu elle se situe cette fois dans le texte qu elle est cr e par celui ci D un point de vue f ministe cela soul ve certaines questions le mat riau utilis pour construire le texte tant bien s r la langue fran aise qui a t labor e c est ce que nous avancions dans le premier chapitre par et pour les hommes Mais si la langue telle que nous la connaissons est un danger pour la femme comme le soutient Maroussia Hajdukowski Ahmed 1983 p 64 selon certain e s th oricien ne s et crivain e s f ministes il existerait toutefois ou pourrait exister un parler femme une langue qui plut t que de v hiculer id ologie partriarcale parviendrait au contraire la subvertir Le langage des femmes tel qu il est pr sent par celles qui s y sont attard es n est pas compl tement tranger celui des hommes celui qui est appris par tous d s l enfance mais il est autre parce qu appropri par les femmes qui deviennent ainsi sujets d une langue qui au d part les confinait au rang d objets Il s agit pour les femmes de s emparer de la langue qui leur a t impos e et de la faire leur Lies discours m les peuvent encore servir assurait Madeleine Gagnon dans Mon corps dans l criture Elle y sugg rait faisant r f rence la langue des hommes P reno
42. utilisent jamais pour la d signer part l cole jamais personne ne l appelait CS p 70 dit la narratrice en faisant r f rence l enfant qu elle tait Elle avait pr cis au d but du r cit De nom avant la charge De nom 1il n y avait pas Et quand il y en avait ils n taient jamais propres mais cela va de soi On m appela l Enfant jusqu ce que mes parents se soient neutralis s CS p 19 Le nom propre qui souligne habituellement l unicit d un tre et qui est port par chaque individu est d daign au profit du nom commun enfant Ce dernier tant d un genre neutre il permet de d signer la fillette sans avoir sp cifier son appartenance f cheuse au sexe f minin L emploi du nom commun concorde de plus avec la fa on dont elle est trait e par ses parents soit comme un vulgaire objet Mari et femme s emploient effectivement des fois d un commun accord d autres fois chacun leur fa on faire sentir leur fille comme une chose sans importance Ils le font d abord par leur n gligence oubliant parfois de nourrir Chlo et s occupant d elle aussi peu que possible esp rant selon la narratrice qu elle finisse par s autod truire force d tre ignor e Afin qu elle f t victime d un de ces accidents domestiques auxquels la t l vision consacrait moult plages informatives l enfant fut laiss e cinq jours sur sept sans surveillance
43. 07 p 49 60 Le Blanc Guillaume 1998 Le premier tonnement Voir Gu rard C cile dir publ 1998 p 22 40 Leclerc Annie 1979 Parole de femme Paris Grasset 196 p 102 Lipsitz Bem Sandra 1993 The Lenses of Gender Transforming the Debate on Sexual Ineguity New Haven Yale University Press 244 p L wy Ilana 2006 L emprise du genre Paris La Dispute 277 p Magli Ida 1976 Pouvoir de la parole et silence de la femme Les cahiers du Grif no 12 juin p 37 43 Mathews Alice P 1996 How Evangelical Women Cope with Prescription and Description Voir Clark Kroeger Catherine et James R Beck dir publ 1996 p 86 105 Michaud Yves 2004 La violence 6 d Coll Que sais je Paris Presses universitaires de France 127 p Mineau Andr 1994 La violence biologie histoire et morale chr tienne Coll Interpellations Montr al M diaspaul 140 p Muecke D C 1969 The Compass of Irony Londres Methuen 276 p Par Fran ois 2002 La violence dans les litt ratures francophones Voir Hyland Julie Larbi Touaf et Soumia Boutkhil 2002 p 7 15 Pi gay Gros Nathalie 1996 Introduction l intertextualit Coll Lettres sup rieures Paris Dunod 186 p Poynton Cate 1989 Language and gender making the difference Oxford Oxford University Press 104 p Rabeau Sophie 2002 L intertextualit Coll Corpus Paris Fl
44. 1l cr e l acteur l tre humain comme sujet de son existence Wieviorka 2004 p 43 La violence qu utilise Delaume cette derni re n tant pas n e avec le sexe qui l aurait plac e du c t du pouvoir correspond donc davantage la violence d colonisatrice dont parle Fanon qu la violence dont nous avons trait dans les deux premiers chapitres qui tait employ e de mani re maintenir l ordre d j tabli par la soci t patriarcale La violence des individus qui sont en position de subordination va au contraire l encontre des r gles impos es par ceux qui sont au pouvoir elle est assimil e la suspension de l ordre l impr visible l absence de forme au d r glement absolu Michaud 2004 p 9 62 Delaume dans les deux r cits tudi s d fie l ordre patriarcal en transgressant constamment les r gles qui contribuent le maintenir faisant ainsi violence aux structures m me du patriarcat L auteure sort ainsi du cadre impos qui la confinait au r le d objet ce qui permet l mergence d une subjectivit impossible atteindre dans le respect des limites fix es sous le r gne patriarcal Ce chapitre portera sur cette violence resubjectivante qui constitue le moteur des Mouflettes d Atropos et du Cri du sablier 3 1 Faire violence au langage La violence dont il est question dans ce chapitre est d un autre ordre que celle que nous avons
45. 2 Pour l auteure et donc pour nous le fait qu elle affirme que Chlo Delaume est un personnage de fiction ne signifie pas que Chlo est un personnage qui n existe pas dans la r alit mais plut t qu il s agit d une identit qu elle a choisi de cr er plut t que de continuer laisser les autres lui b tir une identit tout aussi fictive parce que construite Dans S crire mode d emploi Delaume affirme J ai d cid de devenir personnage de fiction quand j ai r alis que j en tais d j un cette diff rence pr s que je ne m crivais pas D autres s en occupaient Personnage secondaire d une fiction familiale et figurante passive de la fiction collective 2008 p 1 Cette fiction collective fait selon nous r f rence la fa on dont la soci t pousse les individus qui la composent se conformer une image pr cise tout en tentant de laisser croire que c est la nature qui les a faits tels qu ils sont l En italique dans le texte 61 lui revient elle doit an antir l aide des mots qu elle utilise comme arme tout adversaire masculin en commen ant par son p re Le d c s de ce dernier nous l avons not dans le chapitre pr c dent n a pas mis fin emprise qu il avait sur sa fille l criture sert celle ci comme l crit Luc Le Vaillant le tuer plus encore 2002 p 44 Il peut para tre incongru que la violence qui a d abord t
46. 8 Il est important de mentionner que si les deux parents semblent participer la d subjectivation de la narratrice c est toutefois le p re qui est bl m par celle ci la m re tant pr sent e comme la victime de la violence de son poux Les sentiments ambivalents qu elle ressent pour sa fille sont expliqu s par l auteure par la rancune caus e par la conception de Chlo v nement qui a oblig sa m re respectueuse des lois patriarcales rester avec un homme violent La narratrice laisse en effet sous entendre que la grossesse de sa m re a t la raison du mariage de ses parents 40 de huit dix neuf heures CS p 28 Lorsqu ils sont pr sents les parents de la fillette ne manquent pas de lui rappeler combien elle est encombrante comme un objet qui girait au travers de leur route Mes parents taient tr s maniaques se rappelle la narratrice dans Les mouflettes d Atropos Jamais rien ne tra nait Chaque chose avait sa place Les assiettes sur l tag re de gauche Le beurre au frigidaire Et moi dans le placard du fond MA p 98 Dans cet extrait la r ification de Chlo est mise en relief par le parall le qui est fait entre elle et des objets du quotidien son corps fait partie de l num ration des choses qui doivent tre rang es Les moments pass s dans le placard galement voqu s dans Le cri du sablier viennent rappeler la fillette qu aux yeux de ses parents elle ne vaut pa
47. 96 p 15 27 Hooks bell 2004 Violence in Intimate Relationships feminist perspective In Violence and Gender An Interdisciplinary Reader sous la dir de Paula Ruth Gilbert et Kimberly K Eby p 236 240 New Jersey Pearson Prentice Hall Huston Nancy 1988 Pourquoi les tabous linguistiques ou la dure n cessit du juron In La diff rence sexuelle dans le langage sous la dir de Georges Kassa p 11 17 Coll Contrastes Nice Z ditions Hutcheon Linda 1981 Ironie satire parodie Une approche pragmatique de l ironie Po tique vol 12 no 45 avril p 140 155 1991 Splitting Images Contemporary Canadian Ironies Toronto Oxford University Press 160 p Hyland Julie Larbi Touaf et Soumia Boutkhil 2002 La violence l uvre Montr al Cahiers du CELAT 143 p Hyland Julie 2002 Mordre la langue le cri comme espace ultime de r volte Voir Hyland Julie Larbi Touaf et Soumia Boutkhil 2002 p 57 69 Irigaray Luce 1974 Speculum de l autre femme Coll Critique Paris Minuit 463 p 101 1976 Quand nos l vres se parlent Les cahiers du Grif no 12 juin p 23 28 1977 Ce sexe qui n en est pas un Coll Critique Paris Minuit 217 p Jank l vitch Vladimir 1964 L ironie Paris Flammarion 187 p Jeammet Philippe 1985 Violence et identit l adolescence Les Cahiers de L IPC no 2 novembre p
48. CS p 13 M me apr s la mort des parents les apparences doivent tre maintenues Malgr l horreur de ce qu elle a v cu Chlo doit para tre normale elle ne doit pas trahir le secret familial par un silence qui peut para tre suspect Afin de la faire parler on l envoie chez plusieurs psychanalystes qui chouent tous la gu rir Leur d marche ne parvient au contraire qu la faire taire davantage Plus sa langue s agitait m aspergeant de vocables plus la cacophonie ass chait la comptine CS p 12 raconte la narratrice en parlant du premier rencontr En fait ceux qui sont consid r s comme des sp cialistes de la psych n apparaissent aucunement sous la plume de Delaume comme des restaurateurs de la parole et du sujet mais plut t comme des participants la d subjectivation d j amorc e par le p re Chlo a l impression que ceux qui la traitent ne cherchent qu formater s on cas CS p 19 lui construisant une r alit fid le ce quoi autour d elle on veut qu elle corresponde Vous me dites remontez je n aspire qu descendre CS p 26 constate la narratrice s adressant un des th rapeutes rencontr s qui comme les autres semble compl tement ignorer les besoins de sa patiente Vous n coutez rien CS p 32 leur reproche t elle encore les non dits de la jeune fille tant interpr t s de fa on non pas la comprendre mais de mani re fou
49. H l ne Cixous qui a beaucoup trait de la question du langage des femmes est repr sentatif du rapport de violence qui s est tabli entre certaines auteures et la langue qui sert le patriarcat Si la femme a toujours fonctionn dans le discours de l homme signifiant toujours renvoy l adverse signifiant qui en annihile l nergie sp cifique en rabat ou touffe les sons s diff rents il est temps qu elle disloque ce dans qu elle lexplose le En italique dans le texte 64 retourne et s en saisisse qu elle le fasse sien le comprenant le prenant dans sa bouche elle que de ses dents elle elle ui morde la langue qu elle s invente une langue pour lui rentrer dedans 1975 p 176 Plusieurs textes de femmes publi s apr s la parution de La jeune n e dans lequel on retrouve l extrait pr c dent ont t construits partir d une langue qu on ne voulait pas intacte mais diff rente bris e d construite par une violence lib ratrice cr atrice Chlo Delaume fait partie de ces crivaines qui ont attaqu la langue des hommes Ces mots qu elle avait accus son p re de salir elle leur fait la peau Loret 2001 p 4 les triture linfini Grangeray 2003 p 34 Dans Les mouflettes d Afropos comme dans Le cri du sablier aux mots accept s par les dictionnaires courants se m lent des mots que Delaume a ravaud s pour reprendre le terme utili
50. MA p 137 Les morts r p t es de Chlo peuvent tre vues comme autant d checs ses tentatives de 54 subjectivation la fin de l union matrimonial semble toutefois galement annoncer une naissance le d but d un chemin vers la d couverte d un je sujet 2 2 Vers le sujet Chlo en rompant avec son poux ne fait pas que sortir d un mariage ali nant elle pose le premier geste concret lui permettant de se lib rer de l emprise de son p re qui r ussit l atteindre travers le mari Au lendemain des noces in vino veritas l poux laissa s choir la cire trop vacataire qui durant des ann es l avait par strates couvert Le simoun s leva bruitant dans la chambre les accents ancestraux de la rage s culaire que la m moire de femme pensait avoir enfouis Etouff e au larynx aveugl e aux saccades par tous les orifices qu elle voulait autister le p re revint en lui le p re revint en elle CS p 103 Pendant des ann es la narratrice a tent d oublier la violence de son p re et les souvenirs douloureux de son enfance ses efforts sont balay s par l poux qui fut sable Fut sable tout entier CS p 102 Le sable comme cela a t mentionn pr c demment symbolise le p re de la narratrice le mari se r v le donc tre une r plique de ce dernier Chlo r alise qu il est impossible de se r approprier son corps et sa vie de se construire une identit propre et une subj
51. Parce que c est bien connu chassez le naturalisme il revient au galop MA p 108 L oubli a ses raisons que la raison n ignore CS p 112 3 Nous l attendons de vulve ferme MA p 171 Delaume fait visiblement r f rence l p e de Damocl s et l expression il y a anguille sous roche 68 possible de proc der des violences si insidieuses par le moyen de la langue que se r alisent ainsi de v ritables meurtres psychiques 2006 p 43 Que l on croie ou non au pouvoir mortif re des mots force est de constater que Delaume les manie avec une grande violence les coups sous sa plume jaillissant de toutes parts sous toutes les formes Dans les deux r cits tudi s le verbe appara t la fois comme l arme qu elle pointe vers les responsables de sa d subjectivation et comme l outil de la reconstruction de son identit Nous verrons maintenant comment ces deux fonctions de la langue se manifestent et se r alisent dans Les mouflettes d Atropos et dans Le cri du sablier 3 2 1 L invective L invective est probablement la forme la plus vidente de violence verbale Lorsqu elle est utilis e celui ou celle contre qui elle est dirig e sait imm diatement qu il ou elle est l objet d une attaque elle est l expression langagi re par excellence de la col re de la haine de l agression Son tymon latin invectivae orationes discours violents
52. Si Delaume a fr quemment recours au discours psychanalytique dans les deux r cits tudi s le p nis n y appara t toutefois pas comme l organe valeureux d crit par la psychanalyse freudienne au contraire particuli rement dans Les mouflettes d Atropos i est l objet des moqueries et du d go t de la narratrice en plus d tre comme nous l avons vu constamment menac de mutilation ce qui peut appara tre comme une r f rence l angoisse de castration que Freud donne aux gar ons La narratrice parle ainsi de l a pestilence manant des braguettes entrouvertes MA p 52 des hommes et de la fa on dont leur phalle avide d explosion se tr mouss e stupide avant qu ils jaculent laissant ensuite voir des extraits de bave mousseuse d bordant des pr puces trisomiques qui provoquent chez elle le plus instantan d go t MA p 56 Les termes employ s par Delaume pour d crire les organes g nitaux masculins sont toujours d valorisants la narratrice leur donnant des pith tes peu flatteuses habituellement utilis es pour qualifier des tres humains On peut y voir une moquerie de la fa on dont la psychanalyse freudienne accorde au phallus un statut et une importance d mesur s que la narratrice remet d ailleurs clairement en question lorsqu elle affirme Il faut s tre prostitu e pour savoir Pour relativiser le pouvoir des biroutes et le pouvoir des hommes Remettre la sublimation du c
53. UNIVERSIT DU QU BEC MONTR AL VIOLENCE ET IDENTIT DANS LES MOUFLETTES D ATROPOS ET LE CRI DU SABLIER DE CHLO DELAUME M MOIRE PR SENT COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MA TRISE EN TUDES LITT RAIRES PAR MICH LE GAUDREAU AO T 2010 UNIVERSIT DU QU BEC MONTREAL Service des biblioth ques Avertissement La diffusion de ce m moire se fait dans le respect des droits de son auteur qui a sign le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles sup rieurs SDU 522 R v 01 2006 Cette autorisation stipule que conform ment l article 11 du R glement no 8 des tudes de cycles sup rieurs l auteur conc de l Universit du Qu bec Montr al une licence non exclusive d utilisation et de publication de la totalit ou d une partie importante de son travail de recherche pour des fins p dagogiques et non commerciales Plus pr cis ment l auteur autorise l Universit du Qu bec Montr al reproduire diffuser pr ter distribuer ou vendre des copies de son travail de recherche des fins non commerciales sur quelque support que ce soit y compris l internet Cette licence et cette autorisation n entrainent pas une renonciation de la part de l auteur ses droits moraux ni ses droits de propri t intellectuelle Sauf entent contraire l auteur conserve la libert de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont il p
54. agressifs est d riv du verbe invehi invectum attaquer s lancer contre s emporter contre par la col re Girard et Pollock 2006 p 14 L invective n est jamais lanc e discr tement elle implique une parole forte puissante directe qui ne laisse pas de place celle de l autre Le but de l invective est en effet de clouer le bec son adversaire de lui ter toute possibilit de parole de tuer le verbe de l autre Girard et Pollock 2006 p 18 L invectiveur avance Marie H l ne Larochelle n argumente pas ses opinions il les impose 2007 p 59 Ainsi pour user de l invective i l faut tre ou se croire dot d une certaine l gitimit s exprimer fortement R thor 2006 p 29 Cette l gitimit s exprimer fortement a traditionnellement t reconnue comme le privil ge des hommes uniquement les femmes devant tre selon les normes patriarcales sympathiques attentionn es soumises discr tes retenues voire effac es Bourdieu 2002 p 94 Les tudes faites sur l utilisation de la langue selon les Pour plus de clart notons que dans ce m moire nous employons le mot invective comme un terme englobant l injure et Le juron 69 sexes montrent qu il est g n ralement attendu encore aujourd hui que les param tres de la f minit et de la masculinit soient respect s par hommes et femmes lorsqu ils s expriment
55. ammarion 254 p R thor Jo lle Une approche pragmaticiste de l invective Voir Girard Didier et Jonathan Pollock dir publ 2006 p 25 39 Romito Patrizia 2006 Un silence de mortes La violence masculine occult e traduit de l italien par Jacqueline Julien Coll Nouvelles questions f ministes Paris Syllepse 298 p Ruether Rosemary 2001 Christian Feminist Theology History and Future In Daughters of Abraham feminist thought in Judaism Christianity and Islam sous la dir de Yvonne Yazbeck Haddad et John L Esposito p 65 80 Gainesville University Press of Florida Schoentjes Pierre 1998 Un suppl ment de libert Voir Gu rard C cile dir publ 1998 p 108 126 103 2001 Po tique de l ironie Paris Seuil 347 p Sch n Jackie 1992 L inscription des femmes dans la langue fran aise une affaire compliqu e Prot e vol 20 no 3 automne p 17 22 Solanas Valerie 2005 SCUM Manifesto traduit de l anglais par Emmanuelle de Lesseps Grenoble Zanzara ath e http infokiosques net IMG pdf SCUM_v2005 pageparpage pdf Derni re consultation 05 01 10 Talbot Mary M 1998 Language and Gender An Introduction Cambridge Polity Press 257 p Thorne Barrie et Nancy Henley 1978 Difference and Dominance an overview of language gender and society Chap in Language and Sex Difference and Dominance 3 d rev et corr p 5 42 Rowley
56. anisme v hicule certaines valeurs positives qui ont amen des r sultats tout aussi positifs toutefois selon elle ces r sultats have been attained at a too high price that is by leaping over inequities instead of working through these 1974 p 153 M me si certaines violences telles que l inceste le viol et la violence conjugale sont davantage d nonc es qu autrefois au sein de l glise il y a un refus de la part des dirigeants de cette institution de rem dier d finitivement la situation en s attaquant la source du probl me soit les in galit s entre les hommes et les femmes par rapport leurs droits leur r le et les mod les de masculinit et de f minit qui leur sont impos s Holderread Heggen a fait avec une coll gue une recherche pendant laquelle elles ont interrog des membres du clerg afin de conna tre leur vision d une spiritually healthy Christian woman Elle a t d crite ainsi submissive in the home gentle and soft 7 t LE t 37 s 37 L spoken lets spouse make decisions dependant passive finds identity through spouse and withholds criticism Holderread Heggen pr cise These are not qualities they named as descriptive of a spiritually healthy man Nor are they qualities that are likely to empower a woman to protect herself and her children from an abusive man 1996 p 21 En effet dans la religion les
57. ant elle la prise de position de diff rents gouvernements et de nombreuses organisations internationales qui ont d clarf officiellement que la violence contre les femmes et les mineur e s est une inacceptable violation des droits humains entra nant des cons quences tragiques non seulement pour les victimes mais pour l ensemble de la soci t 2006 p 12 Cela n a pas suffi briser compl tement le silence qui entoure encore trop souvent les cas de s vices contre les femmes mais gr ce l avancement de leurs droits certaines victimes sont parvenues s chapper de la relation abusive de laquelle elles avaient d abord t prisonni res pour prendre la parole dans l espace public et d noncer ce qu elles subissaient en priv Nathalie Dalain fait partie de celles qui ont refus de rester emmur es dans le silence en 1999 elle a pris la plume et le nom de Chlo Delaume signifiant ainsi sa renaissance afin de raconter son histoire et la violence subie pour laquelle elle bl me non seulement son p re mais aussi les hommes qui ont travers sa vie et plus largement les institutions qui encouragent le r gne patriarcal Dans ce m moire nous nous int resserons aux deux premiers r cits publi s par Delaume soit Les mouflettes d Atropos et Le cri du sablier parus respectivement en 2000 et en 2001 Ils nous serviront tudier dans un premier temps la fa on dont la violence du p re des ho
58. ar le p re qui ne l a jamais quitt e depuis sa mort Son suicide n a pas mis fin son emprise sur sa fille celle ci est convaincue qu en mourant il est parvenu ramper au dedans CS p 24 installant en elle par le fait m me le fameux grain qu on l accuse d avoir Quand un enseignant la d crit comme caract rielle Chlo y voit la confirmation de ce qu elle ressentait d j le p re l a envahie et sa folie se r pand en elle Elle cherche s en d barrasser sans trop savoir comment proc der elle pensait fort l extraction sans vraiment savoir comment faire Si le p re est en moi c est peut tre de partout c est tellement difficile de le localiser Pour s amputer du p re o faut il sectionner Pour se d lier du p re que faut il trancher sec si ce n est tout le moi si ce n est l tre entier Le p re se doit Surmoi mais l tait pulsion il tait a sur moi il s est fondu en Nous CS p 89 Le p re ne peut bien s r pas concr tement envahir le corps de sa fille mais cette image parvient montrer quel point Chlo a int rioris la violence du p re et ce que ce dernier repr sente la menace patriarcale Cette derni re ne meurt visiblement pas avec un de ceux qui l incarne elle est au contraire perp tu e par la soci t C est ainsi que la narratrice se retrouve dans le m me tat de soumission qu avant le d c s de ses parents dans la m me impossibilit de
59. ard Didier et Jonathan Pollock 2006 p 117 126 Bersianik Louky 1990 La main tranchante du symbole Louiseville Remue m nage 280 p Booth Wayne C 1975 A Rhetoric of Irony Chicago The University of Chicago Press 2920 Bourdieu Pierre 2002 La domination masculine d augment e d une pr face Coll Points Essais Paris Seuil 177 p Carron Jean Pierre 2002 criture et identit Pour une po tique de lautobiographie Bruxelles Ousia 202 p Cixous H l ne et Catherine Cl ment 1975 La jeune n e Paris Union g n rale d dition 296 p Cixous H l ne 1986 Entre l criture Paris Des femmes 203 p Clark Kroeger Catherine et James R Beck dir publ 1996 Women Abuse and the Bible How scripture can be used to hurt or to heal Grand Rapids Baker Book 255 p Collin Fran oise 1976 Polyglo u ssons Les cahiers du Grif no 12 juin p 3 9 Daly Mary 1974 Beyond God the Father Toward a Philosophy of Women s Liberation Coll Beacon paperbacks Boston Beacon Press 225 p 99 Delaume Chlo 2008 crire mode d emploi Communication pr sent e dans le cadre d un colloque sur l autofiction Cerisy 25 juillet 2008 http www chloedelaume net ressources divers standalone_1d1 cersiy pdf Derni re consultation 20 12 09 De Lauretis Teresa 1985 The Violence of Rhetoric Considerations on Representation and Gender Semiotica
60. cellule familiale ce syst me c est le patriarcat 1 2 Les institutions patriarcales Si le patriarcat est encore si puissant aujourd hui c est qu il est soutenu par des institutions qui l gitiment et encouragent certaines des pratiques patriarcales qui v hiculent une vision du monde et une id ologie patriarcales ou encore qui prennent des d cisions qui favorisent les hommes tout en faisant violence aux femmes Par violence nous n entendons pas uniquement la violence physique mais plus largement tout acte ou pratique brimant l autonomie ou la libert des femmes ou emp chant celles ci d avoir acc s aux m mes opportunit s que les hommes Comme l indique Andr Mineau il existe une violence institutionnelle dissimul e qui implique que certaines personnes sont syst matiquement exclues de choix sociaux ouverts par ailleurs aux autres 1994 p 22 les femmes forment l un des groupes sociaux qui sont le plus souvent victimes de ce type de violence Pour Pierre Bourdieu les structures de domination sont le produit d un travail incessant de reproduction auquel contribuent des agents singuliers dont les hommes avec des armes comme la violence physique et la violence symbolique et des institutions familles glise cole tat 2002 p 55 Ces institutions exercent une intervention constante qui m ne une construction mat rielle et symbolique labor e autour de l appa
61. comme un code que la fillette doit ma triser selon des r gles strictes si elle ne veut pas tre jet e Les mots servent projeter une image illusoire alors que la violence que vivent Chlo et sa m re est tue A l cole la mascarade se poursuit Chaque ann e la rentr e scolaire la jeune fille doit faire une r daction dans laquelle elle est suppos e raconter une journ e de ses vacances 42 Et chaque ann e elle invente car la violence du p re ne se dit pas Elle ne peut raconter les coups les injures la peur les mots lui servent donc camoufler la r alit en racontant plut t des histoires gaies et rocambolesques Grouillantes de cousines farceuses de promenades dans les bois de capture de furet CS p 38 Les mots encore une fois ne sont pas l outil d un sujet mais celui qui sert le silence n cessaire la perp tuation de la domination du p re Les r dactions mensong res annuelles contribuent ce que la narratrice appelle la l gende familiale qui s av re tre la version des faits pr sent e au monde ext rieur vision qui vise dissimuler la violence subie La narratrice en donne un exemple lorsqu elle raconte que lorsqu elle tait un tout petit enfant la suite d une col re paternelle qui avait entra n chez elle une grave blessure la m choire IJa l gende familiale rapporta que fort maladroitement elle avait chutf de son long tentant de galoper ve
62. ct re transgressif en d fiant les attentes de douceur et de passivit li es au f minin En dernier lieu nous analyserons la fa on dont Delaume attaque les discours que tiennent les diff rentes institutions patriarcales ce qu elle fait en ayant entre autres recours l intertextualit et l ironie Pour la r daction de ce m moire nous ne nous appuierons pas sur des tudes d j r alis es sur l uvre de Delaume puisque lorsque nous avons commenc nos recherches et l laboration de ce m moire en 2006 aucune notre connaissance n avait encore t publi e Par contre nous pourrons b n ficier de l existence d un vaste ventail de recherches r alis es sur la violence sur la violence faite aux femmes sur le patriarcat et les institutions qui le soutiennent ainsi que sur l criture des femmes et le rapport de celles ci la langue Ces tudes nous aideront b tir une analyse qui mettra en relief la fois les effets d vastateurs de la violence masculine et le pouvoir qui na t de la d nonciation de cette violence Nous souhaitons que le caract re r cent des textes de Delaume nous permette d offrir l analyse d une violence actuelle nous esp rons de plus que ce m moire ainsi que le contexte de contemporan it dans lequel la violence est pr sent e dans les r cits l tude contribueront rappeler que la domination masculine est toujours pr sente et toujours n faste dans
63. d furieux Il gifla la bonne rien et aboya la m re qu huit ans c est une honte de n avoir aucun don Les mercredis suivants les cours furent assen s CS p 23 Le terme assen est ici r v lateur tout ce qui vient du p re est re u comme une attaque un coup de plus port la narratrice Les cours de piano ici exig s violemment par le p re ne font pas exception La narratrice n ayant connu qu une relation de violence extr me avec son p re et sa m re gardant le silence ne protestant jamais contre la violence que son mari lui inflige et inflige sa fille cette derni re en vient croire que cette violence est m rit e Un jour elle entend sa m re parler du fils des voisins qui a t plac en maison de correction parce qu il 5 est un d linquant La fillette faisant le lien entre la correction re ue par le d linquant et les corrections qu elle re oit de son p re demande sa m re s il se peut qu elle soit elle m me une d linquante bien que la police ne s en soit Jamais rendu compte La m re r torqu e qu tant une mauvaise graine il ne serait pas surprenant que l enfant le devienne et que c tait d ailleurs pour a qu on avait int r t la surveiller de pr s si on ne voulait pas qu elle finisse en maison de redressement elle aussi ce qui ferait le plus grand tort la r putation de la famille dans le quartier L enfant en conclut que le p re
64. de la culture dominante mais il contribue galement les cultiver et les transmettre Les diff rentes langues en effet et particuli rement le fran ais qui selon Fran oise Collin 1976 est Pune des plus institutionnalis es ont t construites d abord et avant tout par des hommes travers les si cles les r gles qui les ont r gies ont t galement d cid es par des hommes ces derniers tant ceux qui avaient plus facilement acc s l ducation l alphab usation et plus tard aux r les de d cideurs Le fran ais que l on conna t aujourd hui comme la grande majorit des langues utilis es dans les soci t s patriarcales a donc d abord et avant tout t forg par des hommes et est teint de leur vision 32 du monde et de leur propension favoriser le masculin Les conventions linguistiques par exemple sont selon Louky Bersianik une manifestation inconsciente de la croyance en la sup riorit masculine et des cons quences de cette croyance domination m pris et violence 1990 p 58 Pour beaucoup d auteur e s f ministes la langue n est donc pas un mat riau neutre mais bien le v hicule dangereux subtil et insidieux de l id ologie patriarcale Le langage sert injecter inconsciemment et ou consciemment tous les conservatismes toutes les discriminations crit Olivette Genest 1995 p 105 1l v hicule sans cesse et sans qu on y prenne garde l
65. dialogue entre elle et sa m re d c d e la narratrice met dans la bouche de son interlocutrice les mots suivants quand bien m me esp rais je bient t quitter ton p re chaque matin d clin au vu de ton minois me renvoyait la cause de ma perte annonc e Je ne te salue pas toujours je te maudis CS p 62 Pour la narratrice 1l est clair que la maternit a t une contrainte impos e sa m re et non un choix de la part de celle ci J aurais aim tre veuve et par trois fois st rile je tai vomie la vie si contrainte et forc e chagrine toi l orpheline au chagrin rabot Combien de fois ma fille mon tourment mon d go t ai je esp r qu enfin tu ne sois qu un mirage CS p 62 L assassinat de la m re par le p re n est montr que comme le coup final port un meurtre symbolique commis la naissance de leur fille neuf ans plus t t Ton p re m a tu e 30 juin et tu m as ensevelie le jour m me calcule bien le d c s plus trois jours car c tait les vacances les fossoyeurs manquaient Et tu m as ensevelie le jour m me moins neuf ans de ta procr ation Le jour de cet orgasme qui t ordura en moi CS p 63 Toutefois malgr son aversion pour le mariage et pour la maternit la m re pour qui les apparences taient extr mement importantes pr server plong dans la vie que la soci t commandait aux femmes En r alit elle avait une relation m diocre avec sa fille qu elle f
66. domin es La violence physique et psychologique exerc e par des hommes contre des femmes est un exemple des diff rentes manifestations de cette violence elle est le sympt me d une probl matique plus large comme le souligne Patrizia Romito la violence masculine est un instrument qui pour fonctionner efficacement n cessite un syst me organis de soutiens r ciproques et de vastes complicit s au niveau social 2006 p 50 Dans ce chapitre nous nous proposons d examiner ce syst me que nous appellerons patriarcat en tudiant les grandes institutions qui le composent et que critique Chlo Delaume dans Les Mouflettes d Atropos et dans Le cri du sablier Afin de mieux comprendre le fonctionnement de ces institutions et la raison de leur importance et de leur influence sur la condition des femmes il importe tout d abord de d finir le patriarcat et d exposer les mani res dont il fait violence aux femmes 1 1 Le patriarcat L expression violence patriarcale employ e jusqu ici est dans une certaine mesure pl onastique puisque le terme patriarcat en lui m me voque une violence inh rente La d finition qu en donne Adrienne Rich r sume bien comment ce syst me tablit un rapport de pouvoir in galitaire et oppressif pour les femmes Patriarchy is the power of the fathers a familial social ideological political system in which men by force direct pressure or through ritual tradition law and language
67. dra se propagera se renversera ou s arr tera le mouvement p 176 Ce genre d invitation aux femmes a t lanc par plusieurs f ministes dans les ann es 1970 par la suite plusieurs crivaines ont pris d assaut le langage l ont manipul tritur modifi signifiant que la langue de base n en tait pas une dans laquelle elles se reconnaissaient donnant l impression que le texte qu elles livraient au public avait t crit dans une langue semblable mais autre qui leur appartenait Les inventions langagi res une syntaxe clat e et la subversion des normes et conventions linguistiques sont le propre de plusieurs crits au f minin depuis quelques d cennies Selon Josephine Gattuso Hendin elles seraient plus particuli rement le propre des r cits mettant en sc ne des femmes violentes elle avance que the violent women of fiction are masters of logic games and inventions 2004 p 25 et que sous la plume des crivaines qui les mettent en sc ne e stablished uses of speech are challenged by a violence used as a form of experimentation in style Gattuso Hendin 2004 p 72 Car c est bien de violence qu il s agit pour cr er leur propre langage les femmes n ont pas le choix selon plusieurs f ministes de s attaquer celui des hommes de le mettre en miettes pour qu en merge une langue nouvelle qui ne ferait pas violence aux femmes Dans l extrait suivant le choix des mots employ s par
68. e androcentrique du langage se traduit entre autres dans la fa on dont il est utilis pour d peindre hommes et femmes Male dominance is strikingly Notons entre autres la r gle de grammaire qui veut que lorsque vient le temps d accorder un nom un adjectif ou un pronom se rapportant des choses ou des personnes qui n ont pas tous le m me genre le masculin l emporte sur le f minin 33 apparent in the content of words in language about women and men crivent Thorne et Henley 1978 p 15 Il existe une dissym trie entre les termes utilis s pour d crire les femmes et ceux employ s pour d crire les hommes par exemple comme le note Maroussia Hajdukowski Ahmed tJout mot dont le r f rent est f minin ou tout animal non noble peut servir d signer la femme souris poule dinde 1983 p 64 ce qui n est pas le cas pour les hommes Marina Yaguello remarque le m me ph nom ne D s l enfance chacun apprend que certains mots sont porteurs de prestige alors que d autres voquent le ridicule la faiblesse la honte Le petit gar on se sent confort soutenu approuv dans ses aspirations de petit coq ce qui le m nera tout droit au gallismo le sexisme l italienne La fille se sent tr s vite coinc e dans son r le de poule poule mouill e poulette poule caquetante cocotte poule de luxe m re poule ou poule pondeuse moins qu elle ne soit une b casse b cassine une o
69. e de la distance qu elles prennent par rapport certains d terminismes de leur condition de femmes 1998 p 47 Dans Les mouflettes d Atropos Delaume critique entre autres le r le de cuisini re et de m nag re qui est encore beaucoup plus souvent impos aux femmes qu aux hommes truffant ironiquement son texte d id es re ues Q ue voulez vous les bonnes femmes c est fait pour rester aux fourneaux c est bien connu MA p 24 j errais dans la cuisine comme toute bonne femme qui se respecte MA p 57 La narratrice on l a vu se sert toutefois de ces st r otypes afin de les retourner contre les hommes notamment avec la fabrication du Bito Extracteur En reprenant les st r otypes dont les femmes font les frais et les discours patriarcaux pour en d tourner le sens Delaume signifie son refus de prendre le r le d objet que ceux ci lui assignent cause de son sexe Comme le sugg re Laurent Jenny If oubli la neutralisation d un discours tant impossibles autant en trafiquer les p les id ologiques c est ainsi que S ouvre le champ d une parole neuve n e des fissures du vieux discours 1976 p 279 Et de cette parole neuve Delaume est sujet 3 3 L affirmation d une victoire Le cri du sablier s ouvre sur le r cit des moments qui suivent le meurtre de la m re de Chlo par son p re Les policiers envahissent les lieux du crime et la fillette qui vient de p
70. e est ainsi contredite par la perp tuation d une tradition qui mise sur la filiation paternelle uniquement Et comme le souligne Bersianik m me lorsqu une femme choisit d utiliser le En italique dans le texte nom de sa m re elle n arrive pas se d tacher compl tement de la pratique patriarcale puisque ce nom ainsi que le nom de la m re de cette m re et ainsi de suite ad nauseam c est encore et toujours le nom du p re 1990 p 28 La loi du p re d borde du contexte familial sortir de la maison du p re et refuser le mariage ne peut lib rer totalement une femme du joug patriarcal chaque homme et pas uniquement les p res et les poux ayant des droits sur toutes les femmes ces droits ne s att nula nt que devant l appropriation priv e par un homme d termin Guillaumin 1992 p 85 Le p re biologique a des substituts partout le terme p re voquant au del de l aspect filial l id e de cr ateur de d cideur de d tenteur de la v rit Son titre est utilis fr quemment pour d signer beaucoup plus que le simple r le de g niteur la verbalisation paternalisante et paternaliste utilis e par les pr tres catholiques dans leur rituel viens vers le P re cat ch se le P re l a rappel e lui note n crologique de la paroisse le P re est l origine des hommes et leur fin liturgie de la messe Au nom du P re le s
71. e montre ainsi qu elle est ma tresse de son histoire C est galement une fa on pour elle de souligner sa distanciation par rapport toutes les figures patriarcales et non seulement par rapport au p re Elle dit M abandonner lascive la glu des divans pour me radier du sable e t t suicidaire On ne vide pas le p re en remplissant son ventre ses entrailles de l inceste papounet putatif d un gourou corrosif joli substitution L pig nie jamais ne prendra source en moi Jamais Entendez vous On les conna t les trappes de la psychanalyse CS p 116 La fin du Cri du sablier sert Delaume affirmer sa victoire sur le p re et sur les institutions qui lont pouss e s craser et se taire Lorsqu elle dit son p re t u m as depuis toujours entrav e corps et salve ma Joue gauche br le encore de ton bout de cervelle Je ne tendrai pas l autre CS p 119 elle ne fait pas que lui tenir t te lui elle affirme galement son rejet de la religion catholique et par le fait m me du r le de victime que celle ci impute aux femmes Le mot pig nie signifie remplacement progressif d un min ral par un autre Delaume laisse donc entendre que le p re et le psychanalyste s quivalent l un comme l autre la ramenant la loi du p re Elle illustre d ailleurs l encouragement de la puissance paternelle par le psychanalyste lorsqu elle lui fait dire quelques pages aupa
72. e qu elle veut au moment o elle le veut Pour la premi re fois elle est la metteure en sc ne de la vie de Chlo et m me de son univers elle choisit quels personnages repr senter et comment travers le r cit d v nements v ridiques elle greffe surtout dans Les mouflettes d Atropos des situations fantasm es dans lesquelles la plupart du temps ce ne sont pas les hommes mais les femmes en g n ral et la narratrice en particulier qui ont le plein contr le de leur existence du monde dans lequel elles voluent et des hommes qui les entourent Chlo dans les r cits tudi s volue dans ces deux mondes celui qui semble tre ancr dans une r alit jadis v cue par l auteure et celui que cette derni re a cr de toutes pi ces Ce m lange entre autobiographie et fiction est aujourd hui fr quent dans les crits des femmes qui brouillent souvent les fronti res entre narratrice personnage et auteure et entre les genres litt raires Walker 1990 Delaume souligne la mouvance de ces fronti res en affirmant au tout d but de son troisi me livre La vanit des somnambules qui est paru peu apr s Le cri du sablier Je m appelle Chlo Delaume Je suis un personnage de fiction 2002 p 7 Cette affirmation peut para tre contradictoire puisque le nom de la narratrice et le nom qui est donn l auteure du livre concordent ce qui est habituellement l un des signes du pacte autobiographique p
73. e reconnaissent pas dans le mod le traditionnel de la femme comme des malades et ce sans questionner le rapport de leur pathologie un certain tat de la soci t de la culture aboutit le plus g n ralement resoumettre les femmes au discours dominant du p re sa loi en faisant taire leurs revendications Irigaray 1977 p 69 Bref la psychanalyse freudienne ne remet pas en Il est important de mentionner que nous ne rejetons pas la psychanalyse comme science et que nous reconnaissons qu il y a eu une approche f ministe des th ories psychanalytiques qui ont ainsi t r utilis es et adapt es une vision diff rente de la f minit et de la masculinit Dans ce m moire toutefois c est la psychanalyse freudienne que nous nous int ressons celle ci ayant laiss des marques permanentes dans l imaginaire collectif quant la vision de la sexualit et des rapports entre hommes et femmes 28 question la position subordonn e des femmes dans la soci t mais la justifie plut t en expliquant que le d veloppement normal qui s amorce d s l enfance chez les petites filles les m ne naturellement vers les r les d pouses et de m res et fait d elles des tres naturellement inf rieurs aux hommes Le signe le plus visible de cette inf riorit serait selon Freud l absence de phallus La fillette prendrait elle m me conscience de son inf riorit la vue d un p nis r
74. ectivit avec l aide de quelqu un qui comme son p re est du c t du pouvoir CS p 113 tous les hommes ne feront que la ramener au p re la resoumettre la loi patriarcale Ils ne peuvent que l loigner d elle m me C est d eux qu on s essouffle sans jamais se trouver CS p 99 avance t elle Pour se trouver la jeune femme n a donc pas le choix de l annulaire elle deli e pi ge argent CS p 102 Sur les papiers officiels le nom du mari est ratur CS p 71 et elle retrouve officiellement le nom du p re Passer du nom du mari au nom du p re semble toutefois entrer en contradiction avec l id e de se construire une identit propre comme l crit Nancy A Walker t he fact that women traditionally assume first the names of their fathers and then the names of their husbands means that they go through life without named identities of their own but instead with names that indicate their status as objects daughter wife 1990 p 55 La narratrice choisit finalement de porter un tout nouveau nom plut t que de revenir celui du p re ce qui est r v lateur de son d sir de se d tacher de l identit qui lui a pr c demment t impos e Elle raconte l v nement dans Le cri du sablier 55 E lle d cida un jour de changer par elle m me la trace tat civil Son entourage inquiet eut la douce na vet de se soucier alors pataqu s schizoide le nom est un rep re
75. elle est pr sent e dans les crits psychanalytiques Freud laisse croire dans ses textes qu une femme qui ne parvient pas jouir gr ce la p n tration vaginale est comme nous l avons mentionn dans le premier chapitre frigide et anormale Or c est l absence d orgasme chez la femme pendant les rapports sexuels qui appara t sous la plume de Delaume comme la norme elle en fait cependant part apr s avoir repris ce qui est consid r par plusieurs f ministes comme l essence du discours freudien en ce qui trait au sexe de la femme 44 ms C est nous qui soulignons 80 donnant encore une fois lieu ce va et vient entre acceptation et rejet du discours psychanalytique quoi a sert quoi Un sexe de femme C est tout fait insignifiant Comme si toutes ces excroissances charcutailles m taient l que pour masquer le vigoureux n ant de l entrecuisse Alors disons pour le plaisir Apr s tout pourquoi pas Sauf que combien d orgasmes simul s De g missements de pacotille Viens mon ch ri penser payer la facture T l com oh oui c est bon encore huit cents balles cette fois ci enfonce bien han a arrange pas le d couvert je mouille mort passer la poste pourvu que ce soit pas la banque c est bon bordel oui pour l anniversaire de Sophie le gilet Agn s b fourre moi ta queue faut le prendre en taille 3 elle a vachement grossi a Vient putain de b
76. en d clinant les tons avant de ricaner gloussant fiel et morsures quand la clef de contact mettait en branle moteur CS p 34 M me si dans cet extrait il n y a pas usage d une violence physique de la part du p re son attitude en elle m me est violente puisqu il s amuse de la peur de sa femme et cultive les craintes qu elle ressent par des remarques mesquines qui sous entendent qu elle est en constant danger et que lui est en contr le Un peu plus loin dans le texte l expression jouet patriarcal CS p 45 utilis e par Delaume pour d signer l instrument avec lequel l enfant est battue par son p re renforce l id e que ce dernier ne prend pas au s rieux la violence qu il exerce sur sa fille et les cons quences qu elle entra ne Le jeu suppose en effet quelque chose de l ger de futile d enfantin qui ne porte pas cons quence L adjectif 16 patriarcal vient souligner le fait que la violence masculine n est toutefois un jeu que pour l homme dans une soci t r gie par la loi du p re le jouet patriarcal est un instrument utilis par le p re et par les hommes en g n ral pour maintenir leur supr matie La g n ralisation peut se faire ici car l auteure n a pas choisi d utiliser le mot paternel mais bien le mot patriarcal supposant donc que la violence n est pas le propre de son p re elle mais un ph nom ne plus g n ralis dans un syst me qui d passe sa
77. ent on retrouve trois fois le mot putain dans les six premi res lignes comme si l auteure souhaitait d embl e tablir son refus de respecter les tabous verbaux li s au f minin Cependant les mots grossiers qu elle attribue la narratrice ne franchissent jamais les l vres du personnage de Chlo lorsqu elle se trouve dans une situation pr sent e comme r elle Je m astreins au silence Et c est tr s compliqu Ma logorrh e sismiquel je la rumine affirme la narratrice au d but des Mouflettes d Atropos MA p 21 Lorsqu elle se prostitue par exemple elle s exprime de fa on ne Jamais heurter ses clients Elle en souligne ainsi l importance On n attaque pas le micheton en lui demandant s il consent nous emmerder toute la soir e par ses propos insipides nous tringler comme un blaireau et se laisser vidanger le larfeuille apr s les couilles Que nenni Ici rien que des Jeunes femmes 72 avenantes et bien mises qui au gr des affinit s pressenties vont de bonne gr ce fenir compagnie MA p 128 La narratrice n h site toutefois pas injurier ses clients quand elle raconte ses rencontres avec eux En relatant sa soir e avec l un d eux par exemple elle fui adresse ceci Avec tes vingt cinq centim tres y a pas de risque pour que je t oublie connard MA p 176 Cette invective r v le toute la haine qu elle ressent envers ceux qui la paient en change de service
78. ent maman Daphn ment beaucoup Mais c est toujours moi qui vomis Par contre c est jamais moi qui baise Nous avons pass un accord MA p 116 Daphn est le r ceptacle par excellence les hommes y mettent ce qu ils veulent Daphn mon joli sac de bure Daphn ma jolie bo te fer dor MA p 191 Elle n a pas d histoire elle est uniquement une prostitu e un objet la disposition de ceux qui d sirent se l approprier Chlo elle s en sert comme d un cran entre elle et la r alit Un peu comme lorsqu elle tait petite et qu elle s inventait des souvenirs d t d nu s de violence par le biais des r dactions scolaires elle s invente une vie dans laquelle la violence et la prostitution 50 n existent pas Daphn tant celle qui offre son corps contre de l argent Cette strat gie am ne toutefois Chlo se perdre Daphn prenant de plus en plus de place Mon temps n tait plus mien Tout restait Daphn MA p 195 constate la narratrice Cette derni re se rend compte que deux personnes distinctes ne peuvent vivre dans le m me corps sans que l une ne ressente les r percussions des actions de l autre leurs existences loin d tre parall les s entrem lent et brouillent l identit premi re de la jeune femme Daphn tait si faible Et elle devenait moi Ou je n tais plus qu elle Impossible cloisonnement MA p 196 La narratrice est plong e dans un flo
79. ent sur les biens et les services mais aussi sur les gens qui en ont besoin et qui n y ont pas ou plus difficilement acc s Le contr le que les hommes ont sur les objets s tendant aux femmes la diff rence entre celles ci et les choses mat rielles devient souvent floue Malgr le fait que les femmes ont th oriquement obtenu le statut de personne et que l on tente de condamner l utilisation de la violence contre elles le fait que le patriarcat est toujours aussi pr sent rend difficile l limination de la violence physique The inherent logic of patriarchy says that since men have the right to dominance and control they also have the right to enforce that control It is this control over component of patriarchy and its assumptions of ownership of women and children by men that make it vulnerable to violence and abuse Holderread Heggen 1996 p 17 1 1 2 La loi du p re 1 1 2 1 Une perspective historique Rich le souligne dans sa d finition le patriarcat c est le r gne de la loi du p re Ce dernier occupe une place centrale dans le patriarcat et dans chacune des institutions qui sert ce syst me L importance qui lui est accord e remonte des si cles pendant un certain temps son pouvoir tait si grand qu il poss dait m me le droit de d cider de la vie et de la mort de ses enfants Delumeau et Roche 1990 Les pouvoirs du p re ont par la suite t restreints le droit de tuer son enfant a t aboli en 374
80. erdre ses parents entend l un des hommes dire au t l phone Ch rie je rentrerai tard fais les d ner sans moi Non les c telettes je les ferai griller demain dans le jardin Mais oui le temps sera cl ment nous avons eu un magnifique mois de juin CS p 9 Pour Chlo ce mois de juin s est termin par un drame qui s est d roul sous ses yeux et qui l habitera jamais le commentaire du policier fait sur les lieux m mes o l v nement vient tout Juste de se produire para t absurde dans les circonstances Il traduit toutefois tr s bien la r action 90 de tous face au meurtre qu ils nomment l accident la violence et l horreur de ce qui est arriv doivent tre imm diatement vacu es ignor es cach es La phrase nous avons eu un magnifique mois de juin est souvent r p t e dans Ze cri du sablier d abord toujours prononc e par d autres dissonante alors qu elle vient se heurter au r cit de la douleur que ressent la narratrice qui elle ne cache rien malgr son d sir de croire en la magnificence de ce mois de juin de cette r alit que les autres d peignent et dans laquelle elle ne parvient pas reconna tre sa vie Elle raconte comment elle esp rait enfant vivre pour de bon dans le monde qu on lui inventait Ce serait l t On aurait dit que papa m aimerait On aurait dit que papa me prendrait dans ses bras qu il me dirait je taime ma petite fille
81. es SCUM maintenant institutionnalis es mais dans un univers o l institution patriarcale n est plus auraient obtenu le pouvoir et seraient parvenues inverser le rapport de domination entre hommes et femmes Les hommes s ils ne semblent pas tre disparus de la surface de la terre l poque o est crit l article sont consid r s comme faisant partie d une sous humanit MA p 163 82 socio psychologique faite sur le jeune homme et plus particuli rement sur la pr sence de traces de freins dans ses cale ons Dans l article est cit e une professeure fictive qui a mis ce que Delaume appelle une hypoth se psychanalytique Les raisons de l tat des sous v tements de Vincent P y sont expliqu es gr ce des termes Surmoi a pulsion et des concepts plaisirs sexuels naissant dans la petite enfance gr ce certains contacts entre la m re et le petit gar on rapport sado masochiste entre homme et femme stade anal qui sont la base de la psychanalyse freudienne Or les explications loin de mettre en valeur le sujet masculin le font para tre ridicule et faible malgr la mention du sadisme dont il fait preuve envers sa m re et envers sa compagne Comme la fa on d agir de Vincent P d crite dans le rapport est le reflet du comportement masculin typique il est possible de voir dans la ridiculisation du jeune homme une ridiculisation des hommes en g n ral impressi
82. es et pour les femmes En imposant une image masculine de Dieu qui est l autorit supr me dans le christianisme les dirigeants de cette institution ont laiss croire que les hommes avaient un pouvoir similaire celui de Dieu Comme le dit Holderread Heggen bJecause Christ and the twelve named disciples were men because most names for God connote masculinity and because male dominance in some denominations is formalized by regulations allowing only men to assume the highest positions of leadership and authority the link between masculinity and divinity in many people s minds is strong 1996 p 20 Les femmes ont t carr ment exclues et sont constamment renvoy es dans la religion leur nature secondaire et inf rieure La narratrice du Cri du sablier enfant prend conscience de ce ph nom ne et comprend que en tant que fille elle n occupe pas la m me place que les gar ons aux yeux de Dieu puisqu elle n a pas les m mes droits qu eux l glise Exclusively masculine symbolism for God for the notion of divine incarnation in human nature and for the human relationship to God reinforce sexual hierarchy explique Daly 1974 p 4 If God in his heaven is a father ruling his people then it is in the nature of things and according to divine plan and the order of the universe that society be male dominated ajoute t elle plus loin 1974 p 13 25 Daly ne nie pas que le christi
83. et Pollock 2006 p 12 et qui constitue une pratique transgressive qui met mal le savoir vivre ou le savoir dire que les soci t s polic es attendent de leurs membres Xantos 2007 p 21 Dans L emprise du genre Ilana L wy traite d une tude qui d montre que les enfants entre l ge de trois et six ans d veloppent selon leur appartenance sexuelle un comportement tr s diff rent Les gar ons qu on encourage tre plus durs utiliseraient plus fr quemment leur capacit insulter et blesser par la parole pour tablir l autorit de leur groupe sur celui des filles 2006 p 84 Ces derni res tenteraient plut t de prendre le contr le en adoptant un comportement socialement approuv consid r comme plus appropri pour les filles mais s av rant r aliseraient elles moins efficace 2006 p 84 Ce comportement socialement approuv implique entre autres choses la tenue d un langage correct et poli en tout temps les mots grossiers tant jug s unladylike Talbot 1998 p 39 70 Dans Le cri du sablier le personnage de Chlo apprend tr s jeune que certains mots ne sont r serv s qu aux hommes Elle entend un jour un gar on adresser encul sur son v lomoteur un automobiliste quelconque CS p 50 Lorsqu elle demande sa m re la signification de ce qu elle a entendu celle ci lui r pond de mani re d tourn e sans lui donner de
84. ette violence est demeur e inh rente En italique dans le texte 2 En italique dans le texte 30 l imaginaire sexuel pr sent dans les soci t s occidentales Bourdieu note que l acte sexuel lui m me est con u par les hommes comme une forme de domination d appropriation de possession 2002 p 36 Et ploss der sexuellement comme en fran ais baiser ou en anglais to fuck c est dominer au sens de soumettre son pouvoir mais aussi tromper abuser ou comme nous disons avoir Bourdieu 2002 p 35 Marina Yaguello va dans le m me sens en soulignant que l a plupart des synonymes de baiser et de coit de r f rence et d utilisation purement masculines ont un sens hostile agressif L id e de lutte et d attaque y est centrale Corr lativement le p nis est vu comme une arme ou un outil 2002 p 202 Nous pouvons donc avancer que la violence des rapports sexuels entre hommes et femmes et le rapport de domination qui s y tablit sont inscrits dans la langue m me Delaume utilise d ailleurs un langage tr s violent pour d crire tout ce qui touche la sexualit parlant entre autres de se faire d foncer MA p 12 p 176 et perfore r la chatte MA p 27 L acte sexuel appara t tr s clairement dans ces citations comme un acte d agression de la part des hommes envers la narratrice En r sum l institution qu est devenue la psychanalyse a fait et
85. eure C est le cas par exemple du mot d tritique utilis ainsi dans le passage suivant La col re ou la Jalousie pourrait d clencher d tritique d doublement d identit porte de jade la d mence CS 7 C est nous qui soulignons 65 p 86 Selon la structure de cette phrase l adjectif d tritique devrait logiquement qualifier le d doublement d identit Or il est ardu sinon impossible de concevoir comment ce terme propre au domaine de la g ologie qui signifie qJui est form au moins partiellement de d bris peut caract riser le nom auquel il semble syntaxiquement attach qu on le consid re au propre ou au figur La sonorit et la construction du mot ne renvoient pas non plus au contraire de ceintur es un autre signifiant qui serait davantage appropri au sens g n ral de l extrait cit Et si un sens g n ral se d gage en effet de cette phrase malgr certaines incongruit s dans d autres passages toute possibilit de signifiance semble devoir tre cart e Quelles circonstances caprices surent prismer uvulaire quelles circoncises caprines surent priser ovulaires crit Delaume dans Le cri du sablier CS p 94 Dans cette phrase comme dans plusieurs autres que l on retrouve dans les deux textes tudi s les mots se suivent sans tisser de liens intelligibles la langue devient un mat riau dont Delaume se sert selon sa propre logique et no
86. fait toujours violence aux femmes car elle a contribu maintenir les rapports de domination entre les sexes et a ni la jouissance des femmes au profit de celle des hommes Et si depuis un certain temps la sexualit et le plaisir de la femme semblent valoris s dans la soci t il est important de souligner que ce plaisir doit encore se vivre en fonction des d sirs masculins La jouissance des femmes autrefois accessoire est maintenant recherch e car ses orgasmes sont n cessaires comme d monstration de la puissance masculine Irigaray 1977 p 198 L homme et son phallus restent le centre de toute activit sexuelle comme l explique Ilana L wy dans L emprise du genre Selon les codes sexuels toujours en vigueur les jeunes hommes ont le droit d exp rimenter d oser de prendre des initiatives Les filles ne sont pas dans la totale impossibilit d en prendre aussi mais seulement condition qu elles ne d fient pas ouvertement la hi rarchie du genre Cette hi rarchie s inscrit directement dans l acte sexuel lui m me Les adolescentes apprennent que le vrai rapport sexuel c est la p n tration vaginale qu il commence avec l rection masculine et finit avec l jaculation 2006 p 81 31 La psychanalyse a laiss en h ritage l imposition d une monosexualit phallique expression employ e par Cixous 1975 p 156 ainsi qu un culte du p nis et de l rection qui est enco
87. femmes sont encourag es d velopper des qualit s habituellement associ es celles d une victime les rendant plus vuln rables diff rents abus de la part des hommes qu elles apprennent consid rer comme des tres sup rieurs On leur enseigne tr s t t que descendant de la p cheresse ve qui a t cr e apr s et partir d Adam et qui a caus leur chute elles ont h rit de sa nature seconde et doivent payer pour ses fautes Dans cette logique beaucoup de femmes croyantes viennent croire qu elles m ritent de souffrir et que s1 elles subissent la violence de leur mari c est qu elles lont m rit Holderread Heggen qui est th rapeuthe travaille avec des femmes chr tiennes qui sont victimes de violence elle a r alis au cours de sa pratique que certaines croyances religieuses favorisent la violence contre les femmes et la soumission de celles ci Dans son texte Religious Beliefs and Abuse elle cite Lenore Walker who has conducted extensive research on battered women She has discovered that women with strong religious backgrounds often are the least likely to believe that violence against them is wrong 1996 p 18 La narratrice du Cri du sablier quand elle entend le pr tre dire que Dieu savait toujours accabler les m chants se dit que J ai p ch CS p 44 voyant les ch timents 26 de son p re comme une cons quence de ses mauvaises actions Elle souhaite tout
88. ges masculins parlent de crise de la masculinit et de disparition des r les et identit s sexuelles traditionnels Ils d crivent des hommes nouveaux des femmes nouvelles des familles nouveau style ils annoncent l av nement d une soci t unisexe A c t de cela chez le marchand de journaux le plus proche on peut feuilleter des magazines f minins dans une librairie trouver les romans Harlequin dans un grand magasin s attarder au rayon cosm tiques dans une boutique de jouets acheter une poup e Barbie et un kit de m nage pour petites filles Et tirer une tout autre conclusion quant la pr tendue disparition de l image traditionnelle de la femme R les et identit s f minins d autrefois ont peut tre disparu mais certains aspects de ceux qui ont cours aujourd hui lui ressemblent s y m prendre 2006 p 34 Plusieurs st r otypes quant la nature f minine et aux r les que cette derni re m ne suppos ment les femmes jouer s av rent extr mement persistants travers le temps malgr 89 les revendications f ministes des derni res d cennies et les changements que celles ci ont amen s L ironie comme le note Lucie Joubert a toutefois r cemment beaucoup servi aux femmes d noncer ces st r otypes leur ironie crit elle prend syst matiquement le contre pied de l id al f minin auquel les hommes souhaitent les voir se conformer 1998 p 202 et elle t moign
89. gne Louky Bersianik 1990 p 16 Le patriarcat est si universel et si inh rent toutes les soci t s que malgr toutes les luttes f ministes des derni res d cennies il passe dans plusieurs cas inaper u s av rant une dictature rendue invisible apr s avoir r duit les femmes l impuissance et la servilit gr ce sa culture mill naire Bersianik 1990 p 15 La domination masculine tant l gitim e par sa pratique constante travers l histoire elle est per ue comme la norme donc comme quelque chose d acceptable et c est pr cis ment cette croyance qui la rend si difficile cerner d noncer et liminer En effet crit Pierre Bourdieu dans La domination masculine La force de l ordre masculin se voit au fait qu il se passe de justification la vision androcentrique s impose comme neutre et n a pas besoin de s noncer dans des discours visant la l gitimer L ordre social fonctionne comme une immense machine symbolique tendant ratifier la domination masculine sur laquelle il est fond 2002 p 22 Cette immense machine symbolique permet donc la l gitimation de ce que Mary Daly appelle un planetary sexual cast system which involves birth ascribed hierarchically ordered groups whose members have unequal access to goods services and prestige and to physical and mental well being Ces privil ges conf rent aux hommes un pouvoir et un contr le non seulem
90. gne de l approbation de celui ci mais plut t comme une mani re d tourn e de l invalider Les indices que l auteure diss mine dans le texte et qui laissent croire un rejet des grands principes de la psychanalyse freudienne sont une fa on de sensibiliser le lecteur au v ritable sens qui se cache derri re la reprise du discours qui en faisait originellement l apologie 8 L ironie est un concept que plusieurs th oricien ne s reconnaissent tre tr s difficile d finir Comme l indique Pierre Schoentjes il n existe pas de conception unifi e et homog ne de l ironie 2001 p 9 selon lui aucune th orie ne rendra jamais toutes les complexit s de s a pratique 2001 p 293 Il est pour nous important de souligner que l id e de contraste et de tension que nous amenons propos de l ironie ne signifie pas que nous r duisons celle ci une simple antiphrase bien que l ironie se traduise parfois par l emploi de cette figure de style Philippe Hamon pr cise qu fill s agit dans l ironie plus souvent soit d inverser ou de permuter des rapports soit de contester ou de disqualifier globalement des modes et des structures d argumentations ou de raisonnements plut t que de prendre simplement le contraire d un mot 1996 p 23 Beaucoup d effets d ironie dit il encore jouent sur la reconstitution d un implicite les sous entendus qui n est pas dans une relation de contrari
91. i dans le prochain chapitre CHAPITRE 3 VIOLENCE ET RECONSTRUCTION DE L IDENTIT travers les si cles les femmes se sont constamment fait refuser le droit la parole ce qui a eu pour cons quence de les carter ou du moins d carter leur point de vue entre autres choses de l histoire de la culture et du fonctionnement de la soci t Le silence qu on les obligeait garder contribuait de plus perp tuer d une part l id e qu elles taient des tres inf rieurs aux hommes d autre part la violence qu elles subissaient au sein du syst me patriarcal Encore aujourd hui certaines femmes demeurent mur es dans le silence incapables de transcender certains tabous persistants li s la violence patriarcale Telles ces femmes qui se Sont tues se taisent et taisent toujours les in galit s propres leur genre Chlo la protagoniste des Mouflettes d Atropos et du Cri du sablier s est retrouv e maintes reprises r duite au silence devant affronter seule l horreur de la violence qu elle a subie et dont elle a t t moin Ce silence comme nous l avons d montr dans le chapitre pr c dent a jou un r le majeur dans la d subjectivation du personnage en ne formulant jamais ses d sirs ses besoins ou ses frustrations la Chlo d abord d peinte par Delaume laissait du m me coup les membres des diff rentes institutions d cider pour elle de ce qu elle tait et de ce qu elle vo
92. ie blanche une dinde bref toute la basse cour y passe ou une pie jacassante Toutes les esp ces femelles peuvent prendre un terme p joratif les oiseaux et la volaille en particulier constituent la m taphore fondamentale de la femme Ce n est pas vrai des esp ces m les mettons part le vaniteux et l ours mal l ch 2002 p 189 La femme n est ni une poule ni une pie ni une truie ni une vache toutefois dans la langue des hommes ces mots violemment p joratifs et port alnt des connotations haineuses Yaguello 2002 p 193 sont devenus des synonymes de la femme socialement accept s et fr quemment employ s La femme travers le langage est r duite une moins que rien un tre ou parfois un objet sans valeur ou du moins poss dant une valeur moindre que celle de l homme Cela va de soi consid rant que l a langue est dans une large mesure un miroir culturel qui fixe les repr sentations symboliques et se fait l cho des pr jug s et des st r otypes en m me temps qu il alimente et entretient ceux ci Yaguello 2002 p 8 Cette langue qui sert constamment d nigrer les femmes et leur rappeler l inf riorit de leur statut Yaguello l appelle la langue du m pris Le m pris et le d nigrement des femmes v hicul s par l institution langagi re constituent une violence psychologique envers elles mais la langue des hommes se fait parfois a
93. ie la fin de la prostitution pour la narratrice qui ne peut vendre son corps sans l alter ego qu elle s est cr pour survivre aux rencontres avec les clients Dans l extrait cit la narratrice parle de Daphn la troisi me personne et non la premi re ce qui laisse supposer qu elle reprend possession de son corps et qu elle rev t une identit unique La r appropriation de soi appara t clairement comme une lib ration pour Chlo qui appren d respirer vivre alors qu en tant que prostitu e elle sentait que chaque jour une partie d elle m me mourait Cesser de vendre son corps l am ne plut t mourir en tant qu objet et entrevoir la possibilit de rena tre pour de bon en tant que sujet Dans Le cri du sablier la lutte entreprise par la narratrice vise d abord et avant tout se vider symboliquement du p re afin de reprendre possession d elle m me Celui ci est beaucoup plus qu un g niteur il repr sente l oppression la violence et le patriarcat qui impose sa loi et qui construit les individus selon un mod le pr d fini qui radique toute possibilit d individualit de subjectivit Se vider du p re signifie donc galement se vider de la peur qu il a trop longtemps cultiv e en elle se d barrasser des r gles et des tabous int rioris s pour laisser merger un je qui ne serait pas le fruit du travail de construction du patriarcat Il s agit pour la narratrice d
94. ient d un genre sec De quartz et de mica qui fragments mosa ques microscopiques rocailles vous rentrent par chaque pore et tous les orifices On suffoque CS p 24 Les fragments du p re habitent Chlo et sali ssent CS p 24 les mots enseign s par la m re Alors la petite en attendant la fin de la temp te incessante ferm e fort la bouche CS p 24 Elle ne peut s imaginer parler avant d avoir essor pour toujours les moindres putatifs qui serpill ent en elle CS p 15 c est dire avant de s tre d barrass e du p re Les mots recouverts pour l instant par ce que la narratrice imagine comme un sable paternel ont t pervertis par le p re et ne peuvent cause de cela servir Chlo Substantifique serait trouvons le substantif combien m me adjectif ou onomatop e salvateurs quoi bon cette langue m est trang re cette langue p teuse blanchie dans une bouche t tanique Les mots comme on les lit Sans r sonance interne Les mots comme on crit Non a ne se crie pas CS p 14 Le mutisme de la jeune fille trouble les membres de sa famille qui s occupent d elle apr s le d c s de ses parents Mes neuf mois sans paroles se mu rent en un calvaire d harc lement babillages manant de chacun CS p 16 raconte la narratrice Sur ma gorge s effondraient les regards lourds de tout Du reproche l effroi elle n est donc pas 44 normale
95. ient monnay s ou non La femme sera toujours un r ceptacle Juste un foutu r ceptacle Les hommes y mettent en vrac bite fantasmes pulsions transferts mois amours et parfois m me le prix MA p 38 La prostitution donne l impression la narratrice d tre une enveloppe vide MA p 39 dont les hommes se servent au gr de leurs envies au m me titre qu elle avait l impression lorsqu elle tait plus jeune d tre un sablier que son p re remplissait de son sable touffant Le r le d enveloppe vide convient cependant Chlo qui plut t que de chercher le transcender cherche l habiter compl tement Il l aide en effet supporter la violence de la prostitution la conscience s av rant son ennemie Il ne faut pas r aliser Surtout pas MA p 176 S vader de soi m me pendant l acte sexuel n est toutefois pas facile cela n cessite une lutte de tous les instants Encore une fois Ne pas voir Non non non je dis non Surtout Ne pas voir Ni la queue ac r e qui p n tre en cadence Ni la moue qui s odieuse sur la bouche limac e Ni la contraction torve qui psalmodie gr le Ni Ni R sistance MA p 174 Afin de mieux r sister Chlo cr e Daphn son alter ego qui elle c de la place quand elle a se prostituer Daphn a vingt deux ans Elle est plus jeune que moi On s entend bien quand m me Daphn aime le champagne Et puis les hommes qui pass
96. igne de croix Dieu le P re a cr le ciel et la terre le Credo le Saint P re les P res de l Eglise et leur pens e patristique les P res enseignants les P res cur s les P res moines etc correspond celle des rituels du patriarcat la que le nom du p re ou le patronyme la loi du p re le p re de famille omnipotent les P res fondateurs le p re de la bombe H le p re du b b prouvette le patriarche le patron la patrie le patrimoine etc Ces invocations quotidiennes ont pour effet que le monde se laisse saisir en tant que cosmos parfaitement intelligible Eliade Ce cosmos est un monde violent o la m re est exclue du champ symbolique le seul champ qui donne du pouvoir travers une culture Bersianik 1990 p 127 Bref la soci t patriarcale est celle des p res elle est celle des hommes les femmes y vivent mais le pouvoir revient ceux qui on laisse la place dans les institutions et dans le champ symbolique Les femmes d tenant un certain pouvoir de d cision dans certaines sph res de la soci t exercent ce pouvoir illusoire sous la loi du p re c est donc encore et toujours la loi de l homme qui r gne L3 1 1 2 3 La figure du p re dans Les mouflettes d Atropos et dans Le Cri du sablier Dans Les mouflettes d Atropos peu d allusions au p re sont faites Toutefois les rares passages qui lui sont consacr s ne laissent aucun doute sur la violence qui l ani
97. inalement comme la solution pour reprendre le contr le de sa vie Et si enfin la trame narrative se brisait Et si enfin c est moi qui d liais le fatum prenant les paragraphes grumeleux pleines mains Il serait lors facile et m me un peu l ger de parcourir les lignes sans vomir de douleur aux angles des points virgules Si le sable gliss le au travers de mes doigts la syntaxe ruissellera l o j impose margelle Sur l ardoise en coulisse la craie fondra peut tre Et si rien ne s efface je pourrai barbouiller La bu e se fera dense sur la plaquette de verre J inscrirai mot mot le putsch fait l ulc re CS p 110 La mat rialisation de la lutte de Chlo Delaume lutte qui nous le croyons est la m me que celle du personnage de Chlo nous l tudions dans ce m moire 1l s agit de ses deux premiers r cits publi s Les mouflettes d Atropos et Le cri du sablier C est travers les pages de ces livres que l crivaine d lifei le fatum et qu elle impose margelle alors que le sable gliss le en d autres mots c est travers les pages de ces livres qu elle tente de changer le destin qui a t fa onn pour elle par les repr sentants du patriarcat et qu elle se construit une subjectivit et une identit une identit qu elle souhaite rev tir et non qui lui a t impos e au fur et mesure qu elle se vide du p re Ce processus de resubjectivation sera tud
98. iquement f minins celui de prostitu e et celui d pouse la suite de notre analyse nous avons pu conclure que l un comme l autre ont contribu la r ification de la narratrice qui tait consid r e comme une marchandise avou e lorsqu elle remplissait le premier et comme un objet dont l acquisition par un homme tait l gitime aux yeux de la soci t quand elle se fondait dans le second Delaume s est toutefois chapp e de ces deux r les et cela l a men e vers l entreprise de la reconstruction de son identit qui s est r alis e dans l criture 95 La prise de la plume chez Delaume a r sult en l expression d une violence lib ratrice qui nous le rappelons ne peut tre consid r e de la m me mani re que la violence masculine parce qu elle a t utilis e partir d une position de domin e Elle s est d abord manifest e dans les textes de l crivaine par l emploi d une langue clat e meurtrie qui se voulait diff rente de celle des hommes C est ainsi que Delaume a pu l utiliser pour se construire une identit et pour attaquer les responsables de sa d subjectivation Les hommes qui ont travers la vie de l auteure ont t injuri s et fictivement mutil s dans Les mouflettes d Atropos et dans Le cri du sablier cela traduit son refus de garder le r le de victime et de correspondre aux crit res de douceur et de passivit que le patriarcat impose aux femmes
99. jectif sup rieur par une majorit le maintien de l autorit masculine sur la femme et sa prog niture 2006 p 178 1 1 2 2 La loi du p re aujourd hui Plusieurs auteur e s f ministes soutiennent que les femmes dans les soci t s patriarcales sont souvent certain e s disent toujours rel gu es au rang de marchandises Yaguello 2002 Bourdieu 2002 Guillaumin 1992 Irigaray 1977 Bersianik 1990 Enfants elles appartiennent au p re Adultes elles appartiennent l poux ou au conjoint si elles choisissent de vivre une relation h t rosexuelle Dieu si elles choisissent la religion au mac si elles choisissent la prostitution Guillaumin 1992 D s la naissance des enfants leur appropriation par le p re est soulign e par le nom propre repr sentant le monopole du pouvoir par le p re Irigaray 1977 p 183 Le nom de famille est le signe visible de organisation du patriarcat avance Louky Bersianik c e qui est g nant dans le patronyme ajoute elle ce n est pas la pr sence du p re ou du p re du mari c est l absence de la m re 1990 p 28 La pr s ance du nom du p re sur le nom de la m re donne du poids l id e que les enfants sont d abord et avant tout ceux de l homme d ailleurs demande Guillaumin une pouse ne donne t elle pas des enfants son mari alors que la r ciproque n est pas exacte 1992 p 22 La r forme de 1970 sur l autorit parental
100. jectivit l affirmation du je ne semble pouvoir se faire qu travers une lutte d une grande violence qui appara t comme une r ponse la violence qu elle a jadis subie et qui semble avoir t la cause premi re de sa d subjectivation En 1977 dans La venue l criture Madeleine Gagnon crivait La lib ration des femmes a veut dire la parole du corps On n a pas besoin de se f cher pour l atteindre Mais je n ai rien vraiment rien contre toutes celles qui se f chent Si pour elles le corps c est un cri si pour elles le corps est enfin violence et combats pourquoi ne le brandiraient elles pas ce corps ce cri qui fut si longtemps emmitoufl p 86 Chlo Delaume est de celles qui se f chent qui d noncent avec v h mence qui attaquent qui ont une criture criante Dire simplement j existe ne suffit pas elle doit le faire avec force de fa on plus puissante que l homme Elle le d clare d ailleurs dans Le cri du sablier en faisant r f rence la fin de sa p riode de silence empruntant les mots de B r nice personnage cr par Racine Et du Verbe revenu je peux vivre pour de bon Mais il ne s agit plus de vivre mon p re ma belle charogne maintenant il faut r gner CS p 125 Tout rapport entre homme et femme appara t sous la plume de Delaume comme un combat duquel doivent ressortir un vainqueur et un perdant si l crivaine veut prendre la place qui
101. jet dont son p re usait pour exprimer sa rage sans jamais se soucier des cons quences que cela entra nait Le milieu scolaire dans lequel la jeune Chlo voluait et o la religion tait omnipr sente renfor ait les enseignements paternels l enfant n avait ainsi nulle part o se d velopper en tant que sujet Le regard que nous avons port sur le r cit qui a t fait de l enfance de l crivaine nous a aussi permis d analyser ses premiers rapports avec la langue qui bien que d j aim e par Delaume cette poque ne constituait pas encore un outil propre l laboration d une subjectivit Adolescente le personnage de Chlo tait enferm dans un univers familial qui m me s il n tait pas le lieu d une violence physique l loignait toujours de son identit et de sa subjectivit Les membres de sa famille en effet niaient ce qu elle avait v cu et lui construisaient avec l aide de divers psychanalystes une identit dans laquelle elle ne se reconnaissait pas Nous avons vu comment la perte de soi s est manifest e dans Le cri du sablier par le d laissement ponctuel de la part de Delaume de la premi re personne du singulier pour raconter son histoire ce qui mettait en relief sa difficult affirmer sa subjectivit subjectivit dont le je est souvent le signe premier L tude des textes Les mouflettes d Atropos et Le cri du sablier nous a aussi permis d explorer deux r les typ
102. la corrig e lui m me la maison afin de la redresser L enfant est poursuivie par le p re qui en a le droit L enfant est coupable car elle est une mauvaise graine Les mauvaises graines comme les d linquants sont nuisibles CS p 48 Lorsqu un jour apr s avoir re u plusieurs coups de la part de son p re la narratrice lui demande pourquoi il la bat ainsi et ce qu elle a fait pour m riter ce ch timent le p re ne ressent pas le besoin d expliquer son geste il lui dit simplement Un jour je vais te tuer a c est en attendant CS p 45 Pour l enfant comme pour le p re la violence dont fait preuve ce dernier est naturelle normale l gitime Bien que la fillette soit horrifi e par la violence de son p re elle n arrive pas la percevoir comme quelque chose de r pr hensible puisqu elle lui appara t tour tour comme un devoir et comme un jeu pour lui En effet il s amuse de la peur qu il suscite chez sa fille et chez sa femme par exemple lors d un s jour de camping alors qu il a ordonn sa fille de rester dans la tente pendant que lui et son pouse partent en voiture l enfant per oit la peur r ception ph romones oui travers la toile l enfant renifle la peur de la m re qui s chappe qui s fiente aux sphincters rassis par la fen tre ouverte de la BX noire du c t passager La place du mort se dit l enfant Le p re aimait ressasser l expression la dire et redire
103. le discours En italique dans le texte F En italique dans le texte 35 dominant d entendre des viols ou d autres formes de violence tre justifi s par le comportement ou l habillement de la femme victime la parole de cette derni re tant d valoris e et consid r e comme peu importante en comparaison de celle de l homme qui clame que le refus verbal ou les supplications de la victime n taient pas des signes clairs de ce qu elle souhaitait r ellement Les d sirs v ritables des femmes ne sont pas selon la logique patriarcale nonc s par les femmes elles m mes mais plut t r v l s dans certaines de leurs actions et interpr t s par les hommes qui savent en d pit de ce qu elles disent ce qu elles veulent vraiment Les mots semblent souvent peu importe lesquels sont choisis et la personne qui les emploie revenir toujours vouloir dire la m me chose ce que les hommes veulent leur faire dire Dans Le cri du sablier la narratrice a un rapport probl matique avec la langue qu elle aime mais qu elle consid re comme dangereuse Enfant c est travers elle qu elle r ussit tablir un rapport avec sa m re Le Verbe l enfant l aimait plus que toute autre chose Et l seulement d ailleurs avaient lieu pour l enfant les changes de la m re Aussi la m re qui tait p dagogue lui apprenait souvent de nouveaux mots Si cela arrivait fr quemment c est que la m re accordait norm ment
104. le inviter les hommes comme les femmes s exprimer pour gu rir en r alit elle ne rend la femme sa parole que pour mieux la lui ravir que pour mieux la subordonner celle du ma tre Kofman 1994 p 52 Delaume l illustre d ailleurs dans Le cri du sablier lorsqu elle rapporte que le psychanalyste lui demande de Ilaissefr s a langue au chat CS p 64 Dans le cas du r cit de la mort de Vincent P toutefois c est la femme qui ravit la langue de l homme Un peu avant l article relatant la d couverte du cadavre de Vincent P un autre article est gliss dans le texte celui l intitul Notes de l Institut Scum Il porte sur l tude Le titre de l article renvoie tr s probablement au SCUM Manifesto de Valerie Solanas un pamphlet publi en 1968 Solanas y d nonce l h g monie masculine et y sugg re l radication des m les qui pourrait tre rendue possible gr ce aux SCUM qui sont des filles laise plut t c r brales et tout pr s d tre asexu es Elles sont dJ barrass es des convenances de la gentillesse de la discr tion de l opinion publique de la morale du respect des trous du cul toujours surchauff es p tant le feu sales et abjectes Solanas 2005 p 21 Elles sont aussi m chantes violentes go stes ind pendantes Solanas 2005 p 26 Delaume dans son article fictif qu elle date d apr s 2027 imagine un monde o l
105. le ne semble pointer les r gles que pour mieux les contourner ensuite soulignant le passage de sa protagoniste d objet ex cutant sujet pensant passage qui devient possible gr ce au refus de se soumettre aux lois du patriarcat L usage de l invective par la narratrice des deux r cits est doublement transgressif puisque injures et jurons sont d j par d finition des transgressions le fait qu ils En italique dans le texte 10 soient prononc s par un personnage f minin constitue une transgression suppl mentaire puisque ce dernier chappe ainsi la politesse qu on impose aux femmes En effet la narratrice fait preuve d une violence contraire ce que le patriarcat d finit comme la nature f minine et elle se donne un pouvoir habituellement refus aux repr sentantes de son sexe La virilit de l invective est d ailleurs souvent soulign e par sa comparaison avec l jaculation l une comme l autre marquent un passage au dehors une d charge Girard et Pollock 2006 p 20 L jaculation tant un symbole de puissance Delaume en rendant l invective arme f minine s approprie du m me coup la puissance dont jouissent naturellement les hommes dans le syst me patriarcal Le fait qu elle utilise cette arme de nombreuses reprises contre ceux l m mes qui habituellement en sont ma tres ne fait que confirmer son d sir de bousculer les structures du syst me qui muselait Chlo
106. le r alise que l amour salvateur qu elle attendait n exist e pas MA p 33 elle se retrouve mari e un homme qui ne tenait rien e t surtout pas elle CS p 70 et qui la trahit souvent CS p 101 La relation avec l poux qui est 53 voqu e dans les deux textes tudi s n est jamais d crite comme une p riode heureuse au contraire elle est marqu e par les infid lit s du mari philosophe par la douleur caus e par celles ci ainsi que par un profond sentiment de vide chez la narratrice qui se sent comme une enveloppe d gonfl e de sa substance C est l qu est le vrai drame de l adult re dit elle il se trouve dans cette perte de soi Dans ce corps rladi par le partage MA p 32 La perte de soi mentionn e par la narratrice n est pas que l effet de l adult re elle est galement provoqu e par la sexualit qui pratiqu e l int rieur du mariage est pr sent e comme tout aussi dommageable que lorsqu elle a lieu dans un contexte de prostitution D s l instant o les hommes le convoitent votre sexe ne vous appartient plus Ne fait plus partie de votre corps N est plus la continuit tactile de vos terminaisons nerveuses D s qu ils s embo tent ils vous ali nent Au mieux c est votre corps qu ils baisent Votre enveloppe vide Sans nulle trace de votre soma MA p 39 L amour avertit la narratrice ne peut sauver les fem
107. lut t une actrice qui joue plus ou moins bien le r le que lui a assign la soci t patriarcale cette derni re tant la metteure en sc ne de la d subjectivation de Chlo et de la violence que celle ci subit 2 1 1 Premier acte l enfance L enfance de Chlo narratrice et personnage commun aux deux r cits tudi s est marqu e principalement par la violence de son p re Outre les agressions physiques cette violence est caract ris e par le rappel constant l enfant qu elle ne vaut rien qu elle n est rien Son existence lui est pr sent e comme une erreur Jamais tu n aurais d na tre Jamais Estime toi heureuse du sursis CS p 46 lui dit un jour son p re lui expliquant que les ch timents physiques dont il l afflige sont ce qu elle doit subir en attendant qu il vienne une fois pour toutes rectifier l erreur de sa naissance en mettant fin ses jours CS p 45 La fillette plut t que de protester contre le traitement re u accepte les paroles de son g niteur comme un fait tabli comme l indique la narratrice dans Les mouflettes d Atropos Je suis n e Ce qui constituait d j en soi une grossi re erreur Je suis de ces enfants engendr s par erreur un samedi en vitesse au fond d un aquarium Si quelqu un est fautif Je ne sais toujours pas qui On a fini par me convaincre que c tait moi MA p 97 L existence de l enfant aurait pu tre acceptable si elle tait n
108. mais son r le n tait pas moins important pendant longtemps il a t consid r comme le garant de l ordre public et le soutien de la soci t Il tait normal qu il gouvernfe sa famille comme le prince p re de ses sujets gouvernait l tat Il tait la pierre angulaire de tout un difice Delumeau et Roche 1990 p 25 Bossuet cit par Delumeau et Roche explique que la seule puissance reconnue d Adam la constitution des royaumes a t l empire domestique et paternel sur une famille prototype de toute soci t Dans cette section nous faisons surtout r f rence l volution du r le du p re en France puisque les histoires des deux r cits tudi s se d roulent dans ce pays Nous soulignons toutefois que la place accord e au p re dans les soci t s occidentales est partout semblable 10 humaine C est de cette autorit paternelle originelle que d rive toute autre id e de commandement Comme le roi est p re le p re de famille est un roi 1990 p 132 Les R formes catholique et protestante n ont pas affaibli le pouvoir du p re au contraire du milieu du XVe si cle aux deux ou trois premi res d cennies du XVIIIe si cle l image et la puissance du p re s affermissent dans l Occident chr tien Le p re est la pierre angulaire de l entreprise de christianisation op r e apr s le concile de Trente Delumeau et Roche 1990 p 131 L
109. me Le chien il tait gentil Il sentait pas tr s bon mais moi je l aimais bien En plus il se retenait de pleurer quand papa lui donnait des coups de tabouret Moi j en ai jamais t capable dit Chlo la narratrice du r cit Delaume 2003 p 99 C est trange quand mon p re a tir sur maman bout portant la seule id e qui m ait travers l esprit c est de me barrer de la pi ce toute berzingue ranconte elle encore MA p 123 Ces informations donn es au milieu du r cit viennent expliquer en partie la haine que la narratrice exprime et ressent envers les hommes ainsi que la peur et l angoisse qui teintent les r f rences l enfance p riode pendant laquelle Chlo voulait ch trer les ogres MA p 33 et avait peur du loup MA p 93 On devine que ces cr atures habituellement issues d un imaginaire enfantin sont les repr sentations d un p re mena ant Dans Le cri du sablier la figure du p re est tr s pr sente elle domine le r cit Chaque phrase chaque d tour ram ne toujours au p re qui revient sans cesse comme un mauvais r ve comme une obsession l obsession de la narratrice qui malgr son ardent d sir de se d barrasser de lui en est impr gn e jusqu au plus profond de son tre Tu collas vingt huit ans obstruant de folie ta ranc ur h ritage aux moindres pores de moi Delaume 2006 p 120 l accuse t elle Le p re aimait remplir CS p 23
110. mes dans les r les suppos ment exclusifs de la m re de la vierge ou de la putain ainsi que du positionnement de chacune de ces cat gories de femmes sur une chelle morale stricte Delaume met toutefois ces r les sur un pied d galit lorsqu elle affirme qu elle est entr e au Putanat comme d autres dans les Ordres MA p 187 et que les femmes qui choisissent la voie du mariage bien qu elles le nient se prostituent au m me titre que celles qui on accole l tiquette de putain dans la soci t Toutes changent leur corps contre une r tribution Qu elle soit factuelle ou symbolique affirme la narratrice dans Les moujlettes d Atropos MA p 189 La vision tr s Jud o chr tienne qui a encore cours par rapport celles qui exercent le m tier de prostitu e de fa on factuelle et l hypocrisie de ceux et celles qui portent sur elles un Jugement moralisateur sont d nonc es lorsque la narratrice raconte avec ironie les r actions g n r es par le d voilement du m tier de l une de ses coll gues qui on a enlev la garde de ses enfants cause de la fa on dont elle gagnait sa vIe A u lieu de gagner le smic en pianotant sur un clavier et de partir cinq semaines l an se tortiller en bikini devant les GO du Club Med Agadir leur m re pr f re se faire bourrer le cul sans jamais penser autre chose qu aux mensualit s de l cole maternelle de Passy Parce qu ils son
111. mes de la r ification in vitable qu elles subiront dans tout rapport h t rosexuel M me quand ils sont amoureux ils font de vous un chouette support C est visc ral Ils ne peuvent pas faire autrement Ce n est jamais vous qu ils perforent C est une moule juteuse une chatte de salope en rut une foufoune apeur e C est l entrejambe douillet de bobonne le minou de bibiche la fleur mi vrounette translucide de leur si pr cieuse dulcin e Pas vous PAS VOUS Vous comprenez MA p 38 Chlo est compl tement ali n e dans son r le d pouse dans lequel elle ne trouve aucune source de valorisation Les femmes de philosophes doivent tragiquement ne servir rien MA p 88 d clare t elle comme s il s agissait d une r gle crite suivre la lettre Elle se sent apparemment impuissante dans un mariage qui loin de l amener s exprimer la r duit un objet sexuel une parure silencieuse Quand finalement la relation entre les deux poux se termine un an et demi apr s que le mariage ait t c l br Chlo semble avoir perdu toute individualit elle s est effac e s est fondue dans un amour qui s est av r destructeur La fin de celui ci est ressentie comme la fin de la jeune femme elle m me Ici c est mon amour qu on jeta la fosse Or je n tais que lui Le deuil Le deuil de quoi Moi qui suis d j morte D j morte Et depuis ma naissance ca fait combien de fois
112. mitose originelle Il n a pas il n a pas de supr matie vaginale Juste une question d h bergement O doux respect procr atif Porteuses de vie et d MST Nous vous aimons O poules pondeuses Vous tes si tendres et myst rieuses Vos larmes poudr es scintillent en fleurs jeunes filles ou dames aux chapeaux verts Vous enfantez dans la douleur Beaut s graciles et ternelles Petites putains aux cuisses dodues Muses l giaques et pyr n ennes Et vous n avez pas votre pareil pour faire le r ti de veau l ancienne avec de petits champignons MA p 169 La plupart des mots de cet extrait viennent de Delaume et non de la Bible mais ils r sument la fa on dont la diff rence des sexes est pr sent e par l institution religieuse Cette derni re si elle vante parfois les qualit s de la femme et reconna t son utilit dans le monde ne manque Jamais de rappeler a sup riorit masculine ce que Delaume souligne en crivant que lje Gland est tout puissant et qu il n y a pas de supr matie vaginale La reprise ridiculisante et grossi re des grandes lignes du discours religieux sur le genre agit comme une critique de celui ci et met ses failles en relief Car c est cela que sert l ironie cette derni re crit Vladimir Jank l vitch en mimant les fausses v rit s les oblige se d ployer s approfondir d tailler leur bagage r v ler les tares qui sans elle passeratient inaper ues elle fait cla
113. mmes 1996 p 23 En d autres mots la violence physique masculine n est qu un sympt me d une violence plus g n ralis e issue du syst me qui r git le monde depuis des mill naires le patriarcat C est celui ci qui gr ce au soutien constant des diverses institutions qui g rent les diff rentes sph res de la soci t contribue la perp tuation de la domination masculine que des si cles de luttes f ministes n ont pas r ussi enrayer En effet bien que les nombreuses avanc es des derni res d cennies aient pu laisser esp rer la disparition prochaine de l ordre social favorisant les hommes au d triment des femmes celle ci n a finalement pas eu lieu affirme Ilana L wy ou plut t pr cise t elle c l br e dans les m dias et dans un certain discours politique elle n a pas eu lieu dans la vraie vie 2006 p 31 Le tr s grand nombre de femmes qui sont encore aujourd hui victimes de violence domestique est l un des signes que l galit entre les sexes n est toujours pas acquise N anmoins si la violence physique contre les femmes est loin d tre chose du pass en Occident comme ailleurs on peut en revanche observer un r el effort de la part de certains groupes pour la d noncer Selon Michel Wirviorka depuis 1968 les lois de plusieurs pays ont t modifi es afin de lutter contre les violences conjugales et familiales 2004 p 85 Patrizia Romito souligne qu
114. mmes et des institutions patriarcales a particip la d subjectivation de l auteure narratrice et dans un deuxi me temps comment cette derni re est ensuite parvenue se reconstruire une subjectivit ainsi qu une identit qui lui est propre en utilisant l criture pour faire violence ceux qui l ont violent e Dans Les mouflettes d Atropos et dans Le cri du sablier auteure narratrice et personnage principal se confondent les deux r cits tant r dig s la premi re personne du singulier et les narratrices portant le m me nom que l auteure Delaume a d ailleurs dit propos des deux textes l tude dans ce m moire Les faits el v nements sont strictement r els le prisme de la fiction effectue son travail d agencement et de stylistique Tout vu rien invent Delaume 2008 p 4 C est ainsi qu auteure narratrice et personnage principal seront consid r s dans ce m moire comme une seule et m me personne et c est ce qui nous permet d tudier la d marche litt raire de Delaume comme une r ponse la violence subie par le personnage de Chlo Dans le premier chapitre nous nous proposons de voir plus en d tail comment se traduit la violence patriarcale aujourd hui Nous jetterons d abord un regard sur l volution du r le du p re travers l histoire la puissance de ce dernier tant ce sur quoi repose le patriarcat Nous analyserons ensuite la figure du p re dans le
115. n du pouvoir 2004 p 94 la violence physique des hommes contre les femmes et les enfants n est qu une manifestation extr me d un pouvoir accept Le probl me qu elle soul ve est que alors qu elle est condamn e par la soci t son moteur le patriarcat est en revanche l gitim La soci t s applique donc souvent faire para tre la violence physique perp tr e par les hommes non pas comme la manifestation d un syst me qui ne fonctionne pas et qui fait fondamentalement violence aux femmes mais comme une r alit f cheuse mais exceptionnelle sans aucun lien avec une domination masculine g n rale Une autorit vraiment souveraine impose ses normes et la violence r elle est condamn e appara tre sous d autres cat gories comme celles de d sordre de criminalit de maintien de l ordre de purge de contre r volution de folie explique Michaud 2004 p 123 C est ainsi que dans Le cri du sablier la famille de Chlo justifie la violence du p re en d cr tant que ce dernier avait un grain CS p 85 Ce grain du p re on reproche Chlo d en avoir h rit elle voudrait nous faire passer pour malades alors que c est elle qui a un grain Et elle le sait parfaitement c est a le comble rugit l oncle avant de cong dier l objet de tous les vices elle devint la salet la folie le d sordre la fourberie faits adolescente D sormais elle serait d sign e syst mati
116. n selon celle qui a t d finie par les acteurs du syst me patriarcal Nous pourrions aussi assimiler l absence de sens reconnaissable au cri qui selon Julie Hyland est pr cis ment l envers de la langue 2002 p 61 l exp rience dans laquelle tout langage s effondre 2002 p 62 Le cri est dit encore Hyland en citant Kristeva ce qui ne respecte pas les limites les places les r gles c est l entre deux l ambigu le mixte 2002 p 60 il constitue l espace d une r volte absolue Hyland 2002 p 63 En ce sens il caract rise tr s bien les fuites de sens pr sentes dans les textes tudi s et plus largement il est sans doute ce qui d crit le mieux l uvre de Delaume qui a d ailleurs intitul son deuxi me r cit Le cri du sablier le sablier la repr sente Le cri voque en effet parfaitement la violence dont fait preuve l crivaine violence qui se veut d sordre chaos rejet des r gles tablies par l id ologie dominante L crivaine montre galement sa distanciation par rapport la langue des hommes en d fiant constamment les r gles qui r gissent la grammaire fran aise La syntaxe dans ses textes s av re souvent compl tement clat e elle omet fr quemment les d terminants ou les mots faisant les liens entre les diff rentes parties de ses phrases et elle refuse parfois aux Sur sa joue gauche l enfant re ut fragment cervelle CS p 19 Pendant d
117. ne soit pas entrav e par les imp ratifs venant de sa famille ou des institutions patriarcales parvient entrevoir une renaissance une identit nouvelle et une envisageable subjectivit Le troisi me et dernier chapitre sera consacr l analyse de la reconstruction de la subjectivit et de l identit de la narratrice possible gr ce une violence qui se manifeste dans l criture Nous tudierons les diff rentes formes que prend cette violence en commen ant par la violence qui est faite au langage Nous pr senterons celle ci comme une tentative de la part de Delaume de se r approprier la langue des hommes qui telle quelle ne permet pas aux femmes d tre sujets Ensuite nous tudierons comment Delaume r cup re cette langue transform e pour l utiliser contre les hommes et contre les institutions patriarcales Nous nous pencherons sur l utilisation que l crivaine fait de l invective qui appara t la fois comme une arme servant attaquer ceux qui ont d abord compromis d une mani re ou d une autre la subjectivit de la narratrice et comme un moyen de faire violence aux conceptions patriarcales sur le genre construction sociale b tie partir du sexe des individus et dont d coulent toutes les justifications des in galit s entre hommes et femmes Nous nous pencherons galement sur le r cit d actes de violence physique perp tr s par la narratrice elle m me qui rev tent eux aussi un cara
118. nnent lieu la fois au r cit de la violence qui a t subie par l crivaine et au d ploiement d une violence dont elle m me est l auteure Dans cette tude nous cherchons d montrer que la violence racont e qui est perp tr e par les hommes et par les institutions patriarcales est responsable de la d subjectivation de Chlo Delaume qui est la fois l auteure la narratrice et le personnage principal des deux textes analys s et que la violence dont celle ci fait preuve est le moteur de la reconstruction de son identit et de sa subjectivit Plus largement l aide de th ories f ministes sur la violence sur le langage et sur les rapports entre les sexes nous explorons quelques facettes de la domination masculine qui est encore bien pr sente aujourd hui et certains des m canismes d velopp s par les femmes afin de r pondre l tat de soumission dans lequel les place le patriarcat Ce m moire est divis en trois chapitres Le premier se veut surtout une pr sentation th orique de la violence patriarcale et de quatre des institutions qui la perp tuent et qui pr occupent Delaume soit la famille la religion la psychanalyse et le langage Le second chapitre s articule autour de la d subjectivation de l auteure narratrice et le dernier autour de la violence employ e par Delaume afin d attaquer les responsables de sa d subjectivation et de se reconstruire une identit qui s loigne des mod les imp
119. ns Les mouflettes d Afropos repr sente d abord bien ce mod le puisqu elle se prostitue remplissant donc lorsqu il s agit de rapports sexuels avec ses clients un r le d objet qui la place n cessairement en position passive La vente de ses services En italique dans le texte 81 sexuels en effet implique que celui qui la paie peut avoir le plein contr le de son corps La narratrice dit d ailleurs au d but du r cit que l a femme sera toujours un r ceptaclel jJuste un foutu r ceptacle MA p 38 elle ne sert soutient elle qu accueillir tout ce avec quoi les hommes choisissent de l envahir Toutefois comme nous l avons mentionn un peu plus t t dans ce chapitre Delaume s amuse inverser le rapport d activit et de passivit lorsqu elle ins re un article de Journal dans lequel il est crit que son copain Vincent P a vraisemblablement t abus sexuellement et que ce qui a caus sa mort est la section au cutter de s a langue et de sjes parties g nitales MA p 166 s vices qui lui ont t inflig s comprend on par Chlo elle m me L homme est dans ce cas c1 devenu la victime passive d un bourreau f minin actif qui semble l avoir d pouill de ce dont la psychanalyse a d pouill la femme la puissance dont le symbole est le phallus et le pouvoir de parole symboliquement enlev Vincent P par la section de sa langue Car si la cure psychanalytique semb
120. ns la nettoyons la de toutes ses ali nations reconnaissons ses marques phalliques et ajoutons les n tres qui la feront d border de toutes parts ajoutons le double du sexe qui manque faisons notre marque 1977 p 82 Luce Irigaray proposait quelque chose de semblable dans Sp culum de l autre femme paru en 1974 Mettre tout sens dessous dessus derri re devant en bas en haut Clonvulsionner radicalement le langage y reporter r importer ces crises que son corps p tit 63 dans son importance dire ce qui l agite Insister aussi et d lib r ment sur ces blancs du discours qui rappellent les lieux de son exclusion espacements qui assurent de leur plasticit silencieuse la coh sion l articulation l expansion coh rente des formes tablies Les r inscrire en carts autrement et ailleurs que l o ils sont attendus en ellipses et clipses qui d construisent les grilles logiques du lecteur scripteur font d railler sa raison troublent sa vue jusqu ce qu en r sulte au moins une diplopie incurable Bouleverser la syntaxe en suspendant son ordre toujours t l ologique par des ruptures de fils des coupures de courant des pannes de conjoncteurs ou disyoncteurs des inversions de coupages des modifications de continuit d alternance de fr quence d intensit Que pour longtemps on ne puisse plus pr voir d o vers o quand comment pourquoi a passe ou a se passe vien
121. nt d tablir que le langage qui est propos la protagoniste cette p riode de sa vie ne sert paradoxalement qu la maintenir dans le silence et dans son r le d objet Dans la deuxi me partie du chapitre nous tenterons d tablir que la mort du p re n a pas mis fin l emprise qu il avait sur sa fille puisqu il ne s av re que le repr sentant d un syst me beaucoup plus grand que lui le patriarcat Nous tudierons la fa on dont Chlo est encourag e garder tue la violence qu elle a subie avant le d c s de ses parents et la v ritable nature de ce drame nous analyserons galement le r le jou par les psychanalystes rencontr s par la jeune fille quant son enfermement dans le silence Nous verrons finalement dans cette section comment le d ni de l exp rience traumatique v cue par la narratrice a contribu son impossibilit de se constituer en tant que sujet Pour ce qui est du dernier temps de l analyse de la d subjectivation de Chlo nous nous concentrerons sur les r les d pouse et de prostitu e dans lesquels elle s est gliss e l ge adulte nous verrons comment l un comme l autre lont loign e de toute subjectivit la rel guant encore une fois au rang d objet de marchandise Le chapitre se terminera toutefois sur une note d espoir alors que nous analyserons comment la protagoniste en quittant son mari et la prostitution tout en envisageant de prendre une parole qui
122. nuisant ses activit s de prostitution La jeune femme prouve d abord de la difficult rester veill e pendant la nuit puis m arrive plus consommer d alcool Elle s vanouit tr buche divague et vomit devant les clients Quand ces derniers la touchent elle se met pleurer sa peau tant devenue d une excessive sensibilit Le moindre fr lement me violentait raconte elle MA p 197 Souhaitant d abord pr server son travail Chlo ou plut t Daphn Chlo s tant vanouie pendant cette p riode alors que son alter ego prend toute la place cherche garder le contr le et du m me coup sa client le Je ne rendais pas les armes Ne pouvais me r soudre me soumettre ainsi aux ordres d une enveloppe qui voulait le contr le C est moi qui d cide je pensais Mais puisque moi n tait personne Plus personne Alors le corps perp tua la monstrueuse C est nous qui soulignons 56 mutinerie MA p 197 Cette monstrueuse mutinerie se r v le finalement profitable puisque la narratrice n a d autre choix que de laisser partir Daphn Au m tro Convention Daphn est un peu triste la gare d Austerlitz je lui rends ses bagages Sur le quai qui s loigne je la vois dispara tre Elle n a d j plus d ge Je lui susurre bonne chance Mes poumons se d gorgent L air s orange aux veinures T apprends respirer MA p 205 Le d part de Daphn signif
123. o t sa place Entre la lampe Arts D co et la photo du petit dernier MA p 38 Le choix du mot sublimation qui renvoie un concept labor par Freud laisse supposer que la toute puissance phallique est critiqu e non seulement pour ce qu elle est mais aussi en tant que fondement de la psychanalyse qui se trouve du coup galement critiqu e Une tension est ainsi cr e dans les textes de Delaume par l usage fr quent du discours psychanalytique qui peut para tre comme une fa on de l endosser et la tenue de propos qui viennent au contraire remettre en question la validit de ce discours Dans le cas du livre Le Cri du sablier le r cit s articule autour du dialogue entre la narratrice et celui qui semble tre son psychanalyste Elle lui parle des traumatismes v cus pendant l enfance l adolescence et En italique dans le texte 79 l ge adulte en utilisant des termes qui appartiennent clairement au domaine de la psychanalyse montrant qu elle a int gr le langage appartenant son interlocuteur Le t moin d charge portait en elle le poids des non dits familiaux des silences tabout s des tambourins honteux qui rythmaient clair de a et sur moi l omerta fondit sucre cuill re CS p 17 Le p re se doit Surmoi mais il tait pulsion il tait a sur moi il s est fondu en Nous dit elle plus loin CS p 89 Cependant la coupure du mot surmoi dans les deux e
124. ogues de difformations masculines ces pi tres nomenclatures de virilit s gerbantes ces d fil s de zgegs au quotidien que l id e de faire le m nage m est venue MA p 54 raconte Chlo en faisant r f rence la p riode de sa vie o elle se prostituait Elle explique ensuite comment apr s avoir eu cette illumination elle commence infliger une castration syst matique ses clients Elle donne la marche suivre de son op ration avec pr cision tout en prodiguant plusieurs conseils pratiques laissant sous entendre qu elle souhaite tre 77 imit e L invitation est clairement destin e aux femmes puisque sa technique de castration sugg re l emploi du Bito Extracteur qui se doit d tre fabriqu avec un four micro ondes appareil qui pr sente l avantage non n gligeable d appartenir aux avatars de toute personne dot e d un clitoris MA p 57 Encore une fois les st r otypes de la f minit sont utilis s dans un but de destruction de l homme le four micro ondes outil suppos ment f minin devient l arme servant le priver de l embl me de sa virilit Selon Mary Daly to castrate essentially means to deprive of power 1974 p 9 nous pouvons ainsi supposer que ces sc nes de castrations fantasm es r v lent le d sir de la narratrice de priver les hommes de leur pouvoir pouvoir qui a constamment t utilis pour la placer et pour placer les femme
125. on qui est renforc e par le titre donn au livre duquel est tir e P hypoth se psychanalytique L homme cet insecte nuisible Selon Laurent Jenny l intertextualit n est jamais anodine 1976 p 281 Elle implique toujours un certain jugement qu il soit positif ou n gatif Le regard intertextuel affirme Jenny est un regard critique et c est ce qui le d finit 1976 p 259 L auteur qui reprend les mots d un autre les ram ne in vitablement sa propre vision ce qu il veut dire un discours lorsqu il est repris ne parle plus il est parl Il ne d note plus il connote Il ne signifie plus pour son propre compte 1l passe au statut de mat riau Jenny 1976 p 267 Delaume se sert en effet du discours psychanalytique comme mat riau pour b tir un discours neuf qui loin de v hiculer le message qu il transmettait dans le contexte de son nonciation premi re en Sous entend un autre qui s en loigne diam tralement voire qui le contredit totalement et cela m me si les mots utilis s sont parfois les m mes que dans les 4 Nous prenons ici le concept d intertextualit au sens large en tant que transposition d un ou plusieurs syst mes de signes en un autre pour reprendre une d finition qu en a donn Kristeva cit dans Pi gay Gros 1996 p 11 Nous aimons aussi la d finition donn e par Micha l Riffaterre cit dans Pi gay Gros 1996 p 16
126. ons communes que Delaume invite an antir ne sont que des symboles de la fixit de la langue fran aise et des automatismes qu elle a cr s et qui rendent si facile et souvent presque imperceptible la perp tuation des pr jug s des discriminations nous voyons dans ces phrases une invitation radiquer toutes les contraintes li es la langue des hommes une invitation faire voler en clats le cadre strict l int rieur duquel elle volue et qui fait d elle une langue sexiste et exclusive C est cette derni re que l crivaine cong die et ventre dans ses textes laissant merger un langage duquel elle est ma tresse et sujet dictant ses propres r gles plut t que de suivre celles qui impos es par l institution langagi re contribuent la r rfication des femmes C est ainsi que Delaume peut se servir de la langue contre ceux qui lui ont fait violence soit les hommes et les institutions patriarcales ceux ci devenant dans Les mouflettes d Atropos et dans Le cri du sablier les victimes du verbe incisif de l auteure 3 2 Faire violence gr ce au langage Est ce qu on peut tuer avec la langue se demande H l ne Cixous dans La Jeune n e 1975 p 201 Selon Jean Pierre Vidal qui s est int ress la violence du verbe il est 3 Delaume fait entre autres mention d un plexus trop solaire CS p 13 et d un tuteur quand bien m me l gal CS p 83
127. ontre de ce qui est commun ment attendu des femmes Ainsi l ironte has been male territory for centuries alors que les femmes en taient souvent la cible Jennifer Waelti Walters cit e dans Joubert p 18 R cemment toutefois celles ci ont repris leur compte cette arme masculine leur permettant de s approprielr un pouvoir dont elles avaient t priv es Joubert 1998 p 94 de renverser les r gles du jeu pour passer du statut d objets d ironie celui de sujets ironisants Joubert 1998 p 19 Delaume se sert en effet de l ironie afin de s imposer en tant que sujet cr ant un discours qui lui est propre plut t que de suivre celui de l id ologie dominante qu elle corche transforme brutalise Nous avons tudi le traitement qu elle fait du discours psychanalytique mais celui ci n est pas le seul tre attaqu dans Les mouflettes d Atropos et dans Le cri du sablier les discours propres plusieurs autres institutions patriarcales s y voient bafou s dont le discours religieux Lucie Joubert remarque qu il s agit l d une cible fr quente chez les femmes 1ironistes qui s en prennent entre autres des segments de pri re des mots appris par c ur r p t s inlassablement au fil des c r monies religieuses en reprenant ces formules dans un processus provocateur d intertextualit leur donnant ainsi un sens nouveau Jo
128. opre trajectoire sous le patriarcat c est au rang d objets que les femmes sont confin es L a violence dans d innombrables formes c est la n gation du sujet affirme Michel Wieviorka 2004 p 101 c est ce que nous tenterons de d montrer dans ce chapitre en analysant la d subjectivation de la narratrice dans Les mouflettes d Atropos et dans Le cri du sablier 2 1 La d subjectivation en trois actes Il y a toujours trois actes C est un fait entendu Il y a toujours trois actes Et comme d un fait expr s ce soir j ai vingt sept ans Et comme d un fait parfait la table il est dit que trois fois neuf vingt sept CS p 78 Les mouflettes d Atropos et Le cri du sablier d voilent tous deux des l ments de chacun des trois actes dont parle la narratrice dans Le cri du sablier le premier r cit portant toutefois davantage sur le troisi me acte alors que le second se 38 concentre sur les deux premiers ces trois actes voquant les trois grandes phases de la vie de l auteure narratrice avant la prise de la parole Les mouflettes d Atropos premi re uvre de Delaume a t publi e pour la premi re fois en 2000 alors que l crivaine avait 27 ans La m taphore th trale peut tre expliqu e par le fait que la narratrice des deux r cits ne semble jamais tout fait ma tresse de ses paroles de ses gestes ou de son existence lorsqu elle fait r f rence ces trois p riodes tant p
129. ordel a vient prendre rendez vous chez le v to oui oh oui hanhanhannnn Oh mon amour c tait fabuleux MA p 35 Les manifestations d un apparent plaisir sexuel apparaissent ici non pas comme la preuve d une sexualit r ellement satisfaisante pour la femme mais plut t comme une mise en sc ne visant prouver l homme sa capacit faire jouir L orgasme f minin est n cessair e comme d monstration de la puissance masculine 1977 p 198 soutient Luce Irigaray Pierre Bourdieu crit que Catherine MacKinnon a sans doute raison de voir en la simulation de l orgasme faking orgasm une attestation exemplaire du pouvoir masculin de rendre l interaction entre les sexes conforme la vision des hommes qui attendent de l orgasme f minin une preuve de leur virilit et la jouissance assur e par cette forme supr me de la soumission 2002 p 37 C est dans ce sens que nous pouvons comprendre la repr sentation que donne Delaume de la sexualit le plaisir sexuel que retirerait de la p n tration vaginale la femme normale serait ilfusoirement construit pour correspondre une perception masculine et phallocentrique de Ja sexualit perception que la psychanalyse a contribu forger Un autre concept la base des th ories freudiennes de la sexualit est le rapport d activit et de passivit qui caract riserait les relations entre hommes et femmes Le personnage de Chlo da
130. ore orthodox Christians considered highly heretical 1993 p 45 Ils ont entre autres propos une repr sentation d un Dieu la fois m le ef femelle et acceptaient les femmes comme pr tres Toutefois 24 blecause the ideas of the Gnostics so fundamentally challenged the absolute monotheism and the absolute maleness of the Jewish God whom all Christians now took to be the father of Jesus Christ the Gnostic texts were excluded from the select list of twenty six that were canonized as the New Testament Lipsitz Bem 1993 p 45 Cet exemple montre bien que le peu de place r serv aux femmes et le peu de consid ration qui est donn aux personnes de leur sexe dans la religion chr tienne est le r sultat de la construction par les hommes travers l histoire d une religion b tie pour servir leurs propres int r ts pour servir the purposes of patriarchal social arrangements Daly 1974 p 22 Et bien que le christianisme ait volu travers le temps et qu il ait donn lieu certaines variantes Fiammetta Venner rappelle que toutes les branches du christianisme partagent le m me syst me de pens e et de valeurs sur les questions des femmes de la famille de la natalit de la sexualit et de l avortement 1995 p 140 c est dire un syst me qui prive les femmes de leur droit de choisir Ce sont les hommes au sein de l institution religieuse qui poss dent le droit de choisir pour eux m m
131. os s par la soci t patriarcale Mots cl s Chlo Delaume Les mouflettes d Atropos Le cri du sablier violence sujet subjectivit identit langage langue f minisme INTRODUCTION Le 30 juin 1983 Nathalie Dalain qui a alors 10 ans voit son p re abattre sa m re puis se suicider Ce geste est le point culminant d une violence qui dure depuis des ann es et dont la jeune fille elle m me a t maintes reprises victime Malheureusement l histoire de cette femme qui t tu e parce qu elle s appr tait quitter son mari et de leur fille l enfance meurtrie n est pas extraordinaire chaque jour partout dans le monde des femmes et des filles de tous ges sont victimes d une violence masculine qui bien qu elle ne s av re pas toujours meurtri re cause in vitablement des ravages irr parables dans la vie de celles qui la subissent Cette violence crivent Neil Websdale et Meda Chesney Lind cannot be explained away as a deviant phenomenon that lies outside of the otherwise harmonious relationships between men and women Rather violence against women is endemic to the social condition of women across both time and culture 1998 p 55 Male violence against women ajoutent ils is a reflection of their sociopolitical domination over women 1998 p 79 elle traduit selon Daniel Welzer Lang la domination collective et individuelle du groupe des hommes sur le groupe des fe
132. oss de un exemplaire REMERCIEMENTS Je tiens d abord remercier Martine Delvaux professeure au d partement d tudes litt raires de l UQ M qui d s le baccalaur at m a fait d couvrir tout un pan de la litt rature qui tait pour moi jusque l inconnu et dont la d couverte m a insuffl une passion renouvel e pour l tude des lettres C est de plus gr ce elle que je me suis plong e pour la premi re fois dans les textes fabuleusement riches de la brillante auteure qu est Chlo Delaume Je lui suis galement reconnaissante d avoir dirig mon m moire en me laissant une libert totale tout en me redonnant r guli rement confiance en mes capacit s gr ce ses commentaires encourageants sur mon travail Je remercie mes parents d avoir su me donner l envie d apprendre et de me d passer et de m avoir soutenue pendant tout mon cheminement acad mique J adresse un merci particulier ma m re et tous les autres membres de ma famille amoureux des lettres qui d s mon jeune ge m ont mise en contact avec le monde merveilleux des livres Merci mon amoureux des six derni res ann es Olivier d avoir partag mon quotidien fait d angoisses de remises en question et de travail acharn Ses encouragements m ont grandement aid e traverser les hauts et les bas de la r daction Merci aussi mes beaux parents c est dans l ambiance chaleureuse et invitante de leur maison que j ai r dig
133. our nous elle constitue surtout une mani re de revendiquer la maternit du personnage que nous avons vu voluer dans ses deux premiers r cits donc une fa on de dire que Chlo a t forg e dans son esprit et non par la soci t patriarcale Nous y voyons galement une fa on de signifier que en devenant auteure et en choisissant elle m me son nom Chlo Delaume est un pseudonyme l crivaine se reconstruit une nouvelle identit la fois trang re et semblable celle de la petite fille et de l adolescente qu elle Dans l introduction nous rapportions les paroles de Delaume qui a dit que les v nements racont s dans les deux r cits l tude dans ce m moire taient strictement r els Or ce monde parall le que Delaume cr e est bas sur des fantasmes qu elle pr sente comme tels dans le r cit on peut donc dire que ce qui se d roule dans ces fantasmes est cr dans l imagination de l auteure mais que l existence de ces fantasmes elle est r elle 60 tait Dissatisfaction with the self as constructed by others leads women to imagine alternative selves avance Nancy A Walker 19900 p 8 c est ce qu on pourrait comprendre de Chlo Delaume qui appara t comme un alternative self n gr ce l criture et qui serait sujet plut t qu objet Pour Chlo Delaume toutefois la simple prise de parole ne semble pas tre suffisante pour se reconstruire une sub
134. ours violence aux femmes 1 2 1 La famille Selon Luce Irigaray la famille a toujours t le lieu privil gi de l exploitation des femmes 1977 p 140 Pierre Bourdieu crit que c est sans doute la famille que revient le r le principal dans la reproduction de la domination et de la vision masculines 2002 p 117 Pourtant la famille reste encore aujourd hui malgr l accroissement important du nombre de divorces depuis les quarante derni res ann es une institution extr mement valoris e dans laquelle la femme joue la plupart du temps un r le traditionnel C est dans la famille que s impose l exp rience pr coce de la division sexuelle du travail soutient Bourdieu 2002 p 117 Les femmes apprennent donc travers l institution familiale reproduire le r le que la soci t patriarcale leur a traditionnellement assign et qui contribue leur subordination Les luttes f ministes r centes n ont pas r ussi 19 selon Ilana L wy venir bout des st r otypes et des pressions exerc es par la soci t pour que les femmes correspondent un certain mod le de f minit Les femmes occidentales sont libres en principe du moins de d velopper leurs capacit s intellectuelles d exercer une vaste gamme de professions d endosser des responsabilit s politiques d avoir une vie sexuelle satisfaisante de d cider si et quand elles veulent avoir des enfants Mais dans le m me tem
135. ouvent une poign e d res CS p 74 La m re pensant quitter le p re sait toujours tout CS p 74 Je monnaie bon prix car la bidoche est fra che un peu nerveuse mais tendre si tendre qu on y p n tre comme dans du beurre mon cul mon sexe mes seins mon ventre mes cuisses mes reins ma bouche ma langue ma voix mes veines et autres composantes la carte car on le dit suffisamment l homme fantasme toujours en morcel puzzle MA p 94 30 o suis je qu ai je fais que vais je faire encore CS p 12 3L C est dr le d tre vide ce point Introspection du rien en moi Franchement vu comment on est serr es elle est vraiment de mauvaise foi MA p 109 32 C est ainsi que la m re nomma Chlo la fille de Paume parce qu il est quand m me grand temps de se d cider Madame dit le p diatre reprenez donc un Temesta CS p 28 3 Je Me retrouverai MA p 108 34 De vous sentir Chaude et Palpitante MA p 72 67 pr sence d adverbes qui viennent d ranger les automatismes des expressions sont d form es parfois en tant appropri es on ne peut plus clairement aux femmes Allons cong dier Damocl s et sa sinistre quincaillerie sugg re Delaume dans Les mouflettes d Atropos MA p 202 Il est temps pr sent d ventrer les anguilles avec la roche qui les abrite annonce t elle dans Le cri du sablier CS p 81 Ces deux expressi
136. ouvoir de figures masculines soit Dieu et son p re et on lui enseigne que son identit sexu e la d savantage d embl e et que son seul salut se trouve dans le respect des r gles dict es par les pouvoirs patriarcaux L X constate Chlo est Ie chromosome rampant CS p 31 celui qui l a rendue sujette plut t que sujet tous les milieux dans lesquels elle volue tendent le confirmer L id ologie du p re se trouve donc soutenue par la religion les institutions patriarcales tant nous l avons vu au chapitre 1 toutes troitement li es bien que celui ci ne croie pas en Dieu Chlo plut t que de trouver 41 incongru que son p re l envoie une cole catholique voit plut t dans ce choix le reflet de la perception qu il a d elle L enfant n tait rien il la confiait au rien CS p 37 Chlo n a en effet aux yeux du p re aucune substance propre elle lui sert de vase creux qu il se pla t remplir Il tapissait muqueuses gorge et me de peur rance Il enfon ait rancune tassait l che impuissance Il ajoutait chaque jour un granul nouveau Il remplissait parois sachant que ce corps neuf ne pouvait d border CS p 24 Immobilis e par la peur la fillette se laisse envahir par la hargne et la violence du p re objet mall able elle devient le r servoir de toute l id ologie patriarcale qui vient touffer sa voix sa subjectivit La m re
137. pas le lieu par excellence du d ploiement de la subjectivit Le lieu o il est possible de cr er un soi qu on peut lib rer de toute trace d une r alit qui chappe son contr le C est ce que semble croire Chlo Delaume qui affirme dans S crire mode d emploi Pratiquer l autofiction revient dire le roman de ma vie je peux le transformer d s le prochain paragraphe je peux le modifier et modifier le monde dans lequel je m inscris 96 C est moi que revient la responsabilit du chapitre en cours 2008 p 11 C est mon mode de contr le dit elle encore de contr le sur ma vie 2008 p 1 Ces paroles font entre autres cho celles d Annie Ernaux une autre auteure fran aise qui a crit dans La femme gel e Je m cris je peux faire ce que je veux de moi 1981 p 63 Il reste maintenant esp rer que la subjectivit et le contr le identitaire qui semblent na tre chez certaines femmes gr ce l criture puissent exister autant dans la r alit qui s labore sur papier que dans la r alit tangible du quotidien des petites filles des adolescentes des femmes BIBLIOGRAPHIE Corpus tudi Delaume Chlo 2003 Les mouflettes d Atropos Coll Folio Paris Gallimard 205 p 2006 Le Cri du sablier Coll Folio Paris Gallimard 127 p Autres oeuvres litt raires cit es Delaume Chlo 2002 La vanit des somnambules Paris Farrago e
138. pr sent e dans ce m moire et qui est g n ralement vue comme une force n gative et destructrice puisse galement tre pr sent e comme un outil n cessaire la construction d une subjectivit Liz Kelly am ne ce propos une pr cision importante qui semble faire consensus chez plusieurs th oricien ne s de la violence To use violence from a position of powerlessness cannot have the same foundation or the same meanings as that from a position of powerfulness even though the consequences of those it 1s directed towards may be the same 2002 p 38 Dans le m me ordre d id es Michel Wieviorka voque les th ories de Frantz Fanon qui a tudi la violence dans un contexte de colonisation Le parall le s tablit facilement entre le groupe des femmes et le groupe des colonis s l un comme l autre rassemblant des individus qui en viennent d pendre d un groupe qui les domine et qui agit selon ses propres int r ts sans gard aux besoins de ceux et celles qu il assujettit Fanon oppose la violence premi re qui est celle de l oppresseur qui exploite domine exclut le colonis mais aussi le nie ou le m prise dans sa langue sa culture son histoire l a violence du colonis qui est lib ratrice Wieviorka 2004 p 43 Toujours selon Fanon celle ci serait essentielle pour que les colonis s se constituefnt de non hommefs en hommefs la violence d colonisatrice soutient
139. ps elles sont valu es et se mesurent elles m mes par des normes int rioris es de f minit fond es sur la perception des femmes comme tant avant tout partenaires sexuelles des hommes et m res Les femmes sont cens es tre s duisantes charmantes fines douces pleines de compassion dou es pour le care et ne jamais aspirer ouvertement l exercice du pouvoir sur les hommes surtout pas sur les hommes dans leur vie 2006 p 44 Les traits de caract re que la soci t patriarcale valorise chez les femmes entra nent ces derni res vers le r le d pouse et de m re un choix diff rent de la part d une femme bien qu il ne soit pas explicitement proscrit n est certes pas encourag et peut amener une r probation tacite De plus l int riorisation des normes de f minit par les femmes m ne souvent la reproduction de rapports in galitaires au sein du couple h t rosexuel qui constitue la base de l institution familiale Pour L wy il est clair que le couple h t rosexuel traditionnel ou non reste un espace important de discrimination des femmes 2006 p 51 les femmes y sont souvent encore aujourd hui subordonn es leur partenaire Les statistiques de violence conjugale viennent confirmer ce ph nom ne l homme beaucoup plus souvent que la femme a recours la violence physique En d pit de toutes les pol miques d clench es par le sujet cette violence que l on appelle domestique est dans de
140. quement coupable des moindres maux domestiques puisqu il tait vident qu elle tait mauvaise La mauvaise graine le mauvais grain elle a un grain comme son p re r p taient l envi les h bergeurs CS p 85 Les h bergeurs ce sont l oncle et la tante de Chlo qui l accueillent peu de temps apr s qu elle ait recommenc parler On lui indique toutefois que sa voix retrouv e ne doit pas servir voquer sa r alit d autrefois mais instaurer celle qu on souhaite tre visible aux yeux du monde Ainsi les h bergeurs lui recommandfent de les appeler Papa et Maman car il est n cessaire qu elle s adapte de mani re ce que personne ne se rende compte de rien CS p 82 Delaume a mis le dernier segment de la phrase en italique attirant ainsi attention sur l application de tous taire ce qu elle a v cu Chlo s engage de plus ne jamais r pondre aux questions qui ne cesser ont de fuser CS p 82 afin de pr server l image qu on lui ordonne de projeter On lui impose une fois de plus une identit un r le jouer la for ant se perdre en tant que sujet 46 Parfois toutefois ses actions faillent repr senter la personne qu on lui demande d tre et alors les reproches fusent on l accuse entre autres comme nous venons de le mentionner d avoir h rit de la folie paternelle La jeune fille y voit un signe de l invasion de son corps et de son esprit p
141. r le temps est achev Le temps tire sa fin Le sablier s effondre mon papa ma Babel ma langue ne fourche plus je ne tourne plus rien Le sablier s effondre mon papa Babylone ma putain scl ros e Je n ai plus Je te dis quiconque faire payer CS p 121 Ce dessablage Delaume l a fait seule le psychanalyste qui semble l avoir accompagn e dans sa prise de parole s av re finalement tre une cr ation de l auteure 9 Puisqu aucun moment aucun je vous dis j ai depuis des ann es tr pass le seuil rance d un cabinet sinuant la curiosit Vous n existez donc pas et j en suis d sol e Elles n ont besoin de rien les mouflettes t tanos Elles n ont besoin de rien certainement pas de vous Jamais je n ai sombr dans votre cueil cr tin Jamais mon cureuil vous n triperez vilain Vous n tes qu un docte leurre au mica symphonie Vous n tes qu une cr ation jacul e en douce parfois mon hypophyse s enduit de priapisme Je vous cong die l Car depuis le d but c est par vous que je plante aux pand mies verglas la pointe du bistouri Car depuis le d but tout n tait qu autopsy CS p 116 Le psychanalyste d abord outil du patriarcat est ainsi devenu l outil de Delaume dans son entreprise de resubjectivation Elle a cr le personnage du psychanalyste comme elle m me a t forg e par ceux rencontr s pendant l enfance et l adolescence ell
142. raduit surtout dans le texte par la violence du lexique utilis par Delaume pour parler de sexualit Nous l avions d j soulign dans le premier chapitre chaque rapport sexuel appara t dans Les mouflettes d Atropos comme une attaque une agression Le sexe de la narratrice se fait perforefr MA p 27 p 38 et d foncer MA p 12 par des queuefs ac r efs MA p 174 Pendant les bats elle doit simuler la sainte jouissance impos e MA p 13 en m me temps qu elle subit la violence des attaques verbales assen es par les hommes qui s appliquent rlecracher en boucle le lexique en v rifiant qu il s n oubliefnt rien cochonne salope putain petite garce grosse truie taimes a tu la veux elle te pla t elle est bonne ten redemandes hein p tasse je vais te baiser te sauter te d foncer te niquer te bourrer te troncher te fourrer te mais oui mon ange vois comme je mouille Ifs ont pay deux 49 mille pour a Pas de risque que je me rel ve en disant poussin ce soir j ai la migraine MA p 176 Le contrat mon taire la base de la prostitution vient ainsi justifier une violence qui en d autres circonstances pourrait tre d nonc e par la victime Or dans ce cas ci celle ci n est pas consid r e comme un tre humain mais comme un simple objet servant la jouissance de l homme ph nom ne qui se reproduit selon la narratrice dans tous les rapports sexuels qu ils so
143. rappait parfois et avec qui elle tait d une grande duret Son ressentiment envers elle tait dans l intimit vident toutefois devant les autres elle s effor ait de passer pour une m re aimante et fi re de son enfant Sa fille maltrait e ne devait surtout pas avoir lair mal lev e car cela aurait fait le plus grand tort la r putation de la famille dans le quartier CS p 48 La famille dans les r cits de Delaume nous appara t comme une institution souvent dysfonctionnelle de l int rieur mais qui installant les bases de la soci t patriarcale et des relations entre les individus doit para tre saine et quilibr e tout en perp tuant l oppression des femmes et des enfants au profit des hommes 22 1 2 2 La religion L institution religieuse est troitement li e l institution familiale puisque la premi re encourage la seconde maintenir un rapport hi rarchique dans lequel le p re d tient un pouvoir presque absolu sur son pouse et ses enfants Pour l glise la famille est la base d une soci t saine vivant selon les principes religieux L glise tient compte de la r alit sexu e et accorde beaucoup d importance la diff rence des sexes Elle y voit la garantie de l h t rosexualit sur laquelle repose tout syst me de parent et partant de l ordre social crit Denise Veillette 1995 p 17 L plise par son enseignement diff rentialiste sur les sexe
144. ravant Vous ne saurez le taire le sable est impudent le sable si r current peut tout ce qu il d sire CS p 115 En effet Delaume fait r f rence un verset c l bre de la Bible Si quelqu un te frappe sur la joue droite tends lui aussi l autre Au fil des si cles l Eglise a souvent repris cet enseignement biblique dans son sens litt ral et ce en l adressant particuli rement aux femmes 92 Les derni res pages du deuxi me r cit de Delaume laissent ainsi l impression que la prise de parole qui s est effectu e dans Les mouflettes d Atropos et dans Le cri du sablier lui a permis une fois pour toutes de se d barrasser du p re et de se lib rer suffisamment des imp ratifs patriarcaux pour pouvoir se construire une identit dont elle est ma tresse Elle s impose comme sujet affirmant que sa voix n est plus fluette CS p 119 cette derni re s l ve d sormais au dessus de toutes celles qui l avaient d abord enterr e Et l crivaine posant un dernier regard sur ce qu elle a d truit pour se reconstruire conclut J ai foutu le feu au jardin cette ann e nous aurons un magnifique mois de juin CS p 127 CONCLUSION La violence contre les femmes qu elle se traduise par des coups ou qu elle se fasse sournoise en contraignant insidieusement les femmes remplir des r les qui les placent en position de soumission est toujours bien pr sente en Occident malgr les
145. re tr s pr sent dans les soci t s occidentales et qui se laisse entrevoir dans la plupart des repr sentations actuelles de la sexualit dans la pornographie par exemple La place glorieuse donn e au sexe de l homme dans la soci t en comparaison avec le tabou et le d go t entourant le sexe de la femme refl te bien le statut inf rieur accord aux femmes statut que la psychanalyse avec les autres institutions patriarcales a renforc et justifi 1 2 4 Le langage Au m me titre que la famille la religion et la psychanalyse le langage est consid r par plusieurs f ministes comme une institution grandement oppressive pour les femmes il est d ailleurs troitement li toutes les institutions patriarcales puisque la transmission des valeurs des id ologies et des lignes de conduite propres ces institutions se r alise d abord travers lui Le langage n est pas uniquement cet outil qui nous permet de communiquer de transmettre nos exp riences de nous les rem morer et de construire des liens sociaux il est avant tout le moyen par lequel nous codifions et conceptualisons le monde souligne Patrizia Romito 2006 p 80 Loin d tre neutre il est plut t un syst me symbolique engag dans des rapports sociaux un lieu id ologique Hajdukowski Ahmed 1983 p 53 et est necessarily laden with social values Ehrilich et King 1992 p 152 Non seulement il refl te les valeurs et id ologie
146. reconnaissance de sa valeur On m appela l Enfant jusqu ce que mes parents se soient neutralis s Neuf mois je fus la Petite Ensuite s accumul rent l inventaire adjectifs qui tous se d clin rent en fonction de l humeur et des situations La Grande et la Conasse La Folle et la P tasse CS p 19 L identit particuli re de Chlo est perdue dans le flot des noms communs qu on lui attribue et qui lui font violence par leur nature p jorative Son appartenance au sexe f minin est soulign e par le genre des mots qu on choisit pour la nommer mais elle rev t une connotation tout aussi n gative que lorsqu elle tait consid r e comme taboue Le choix d insultes typiquement li es au f minin folle p tasse montre bien quel point aux yeux de la narratrice adulte son identit sexu e est li e au peu de valeur qui lui est accord et la difficult d acc der une subjectivit qui soit reconnue son sexe la d valorisant d embl e et constituant lui seul un argument de poids pour la d nigrer Le elle utilis par la narratrice pour se d signer est aussi la marque de son genre et sa minuscule la mat rialisation concr te de son inf riorit il est noter que les pronoms il qu ils soient personnels ou impersonnels ne perdent nulle part dans le texte leur majuscule Jorsqu 1ls sont en t te de phrase La reconqu te du je symbole par excellence du sujet et pronom d un genre ne
147. reil reproducteur externe m le ou femelle Guillaumin 1992 p 117 118 Selon Colette Guillaumin cette construction mat rielle qui est pr sent e comme un fait de nature est utilis e afin de justifier l assignation des femmes et des hommes des r les sp cifiques in galitaires Dans le m me ordre d id es Mary Daly soutient que l exploitation 17 de la classe des femmes par la classe des hommes est possible cause de ce qu elle appelle la Sex role socialization a conditioning process which begins to operate from the moment we are born and which is enforced by most institutions 1974 p 2 Les institutions ont t b ties par les hommes pour servir les int r ts des hommes ayant toujours les m mes bases malgr l av nement du f minisme elles v hiculent donc toujours des valeurs propres au patriarcat Comme le souligne Sandra Lipsitz Bem malgr la prise de conscience qui a eu lieu pendant le dernier si cle par rapport la condition de la femme hidden assumptions about sex and gender remain embedded in cultural discourses social institutions and individual psyches that invisibly and systematically reproduce male power in generation after generation 1993 p 1 Une prise de conscience n a pas t suffisante pour changer les m canismes profonds du syst me patriarcal et des institutions qui le servent n1 pour changer fondamentalement la vision que se font les gens de ce que devrait
148. reuses reprises pendant le r cit Le fait qu elle ne concr tise pas ce d sir dans la r alit ne fait que mettre l accent sur le poids des conventions et des interdits qui font partie int grante de ce qui d finit la f minit Delaume vite cependant de montrer la retenue f minine comme une fatalit comme un imp ratif auquel il est impossible d chapper Dans ses textes plane la menace d une r bellion qui d passe la violence symbolique Le respect des normes de la f minit est parfois pr sent davantage comme une tactique sournoise que comme une r elle assimilation du mod le dominant On ne vous a pas appris la ruse Gu pi res talons aiguilles s cateur enroul d un mouchoir de soie cach au fond du sac Kelly MA p 21 Les attributs f minins apparaissent ici comme un voile cachant la v ritable nature violente de Chlo qui ne concorde pas avec celle que lui pr te le patriarcat Dans le texte transpara t l espoir que cette nature pourra enfin tre d voil e I faut tre patiente Et quand sonnera le glas je serai attabl e MA p 21 En attendant que ces temps bient t cul s de pernicieuse phallocratie MA p 57 soient d finitivement r volus la narratrice dans les fantasmes sanglants dont elle fait part S attaque au symbole m me de la puissance m le le phallus C est force de les voir ainsi tal es ces bric brac de queues putr fi es ces catal
149. rnir avec les mots des psychanalystes une explication qui conviendra la famille Un d entre vous nagu re osa nommer mon vide lorsque mes propres l vres se soudaient de refus Il l cha aphasie comme on clame rhume des foins pour rassurer avril de ses ternuements raconte t elle CS p 16 Le diagnostic rassure en effet la famille qui peut expliquer par un terme m dical le silence de la jeune fille sans avoir nommer le drame L entourage de Chlo en vient m me pr f rer son silence redoutant qu une parole recouvr e serve raconter la violence subie et relater le meurtre Si la petite reparle pour dire ce qu elle a vu il y a des chances ma ch re qu elle nous relate le drame Leur menton tremblota la grand m re soupira je ne veux rien savoir mieux vaudrait qu elle se taise CS p 17 Un des psychanalystes consult s r sume bien la situation Vous f tes t moin cuisine d nouement innommable pour tout individu beno tement format Chaque membre de la famille redoutait qu un matin vous l chiez le r cit au petit d jeuner CS p 78 La violence du p re est en effet innommable pour les gens format s par la soci t patriarcale elle est taboue parce qu elle r v le un des c t s les plus sombres de la domination masculine fondement du patriarcat La violence est 45 comme le dit Yves Michaud l ultime instrument de a coercition ou de l obligation l ultime moye
150. rs un joujou quelconque CS p 21 Emp tr e dans cette l gende familiale la jeune Chlo a l impression que nulle part elle n est vraiment entendue Trois jours seulement apr s sa naissance on l invite d j avec insistance au silence Dans le lit roulettes l enfant criait souvent esp rant par l m me rappeler quelqu un que lui faire ing rer un liquide nutritif e t t de bon ton J aimerais lui clouer le bec dit la m re en s approchant l oreiller la main CS p 28 Toute manifestation d une pens e d une requ te ou d une protestation tant d courag e par ses parents la fillette en grandissant s applique se taire Elle subit impuissante les s vices et les affronts de son p re sans jamais ouvrir la bouche Le p re mena ait rauque et cherchait quelques farces Il trangla le chat ses tours taient pendables La petite pleura dru et la m re la somma de cesser cin ma a lui ferait trop plaisir Sois donc intelligente Il servit aux amis le hamster de l enfant cuisin en mezz s Il tait libanais sa cuisine excellente lui valait l enthousiasme Voyez d j je ne disais rien D j rien CS p 23 Chlo ne peut se tourner vers quelque individu que ce soit car les r gles de biens ance que lui a apprises sa m re la force nourrir la l gende familiale Quant Dieu elle doute qu il puisse tre l coute de fa on ad quate s i les filles ne pou
151. s par milie Grangeray l crivaine donnant des noms propres et communs ainsi qu des adjectifs des allures de verbes nagasaki kafkayer vergeturent courant d aira borborygment naiva titanesquait joignant des mots connus pour n en former qu un seul m at ur tral devient m atur trals et en d coupant d autres syntagma tiques tics tics et tic Elle laisse ainsi sa marque sur les mots des hommes mots dont lorsqu elle les laisse intacts elle d tourne souvent le sens On en trouve un exemple dans cette phrase tir e du Cri du sablier S interrogeait l enfant assign e au placard et au cort ge de crampes qui s ajoutaient chafouines aux br lures ceintur es CS p 36 Ici la d finition commune du mot ceinturer 1 Entourer d une ceinture ou d une enceinte 2 Prendre qqn par la taille en le serrant de ses bras prise dans Le Petit Robert 2008 ne convient pas Delaume fait vraisemblablement r f rence aux br lures caus es par des coups donn s l aide d une ceinture Dans ce cas ci l auteure a utilis un r f rent qui permet la compr hension du terme dont le sens est d tourn soit le mot ceinture Toutefois Delaume va parfois plus loin encore dans plusieurs phrases se glissent des mots auxquels le lecteur ne peut attacher aucune d finition qui serait sens e dans le contexte tabli par l aut
152. s impose l id e que la femme par sa nature sp ciale est faite pour tre pouse et m re Veillette 1995 p 17 Selon Pierre Bourdieu elle inculque ou inculquait explicitement une morale familialiste enti rement domin e par les valeurs patriarcales avec notamment le dogme de l inf riorit fonci re des femmes 2002 p 117 Bourdieu utilise le pr sent puis l imparfait sous entendant qu il y a eu un changement par rapport la religion Il est vrai que cette derni re au courant du si cle dernier a perdu un peu de son importance dans le monde occidental elle a toutefois laiss des traces profondes dans la vision que les hommes et les femmes ont du monde et de leur r le dans la soci t Dans Le cri du sablier V institution religieuse joue un r le important dans la fa on dont la narratrice se per oit et per oit les gens de son sexe elle est en effet persuad e que Dieu ne l aimait pas car elle tait une fille et que jamais des filles Dieu se laisse approcher CS p 77 Toute jeune elle apprend travers son ducation religieuse consid rer le sexe f minin comme inf rieur Ce qu on lui enseigne l cole catholique est coh rent avec la relation de domination qui s est tablie entre son p re sa m re et elle En effet la religion valorise le pouvoir paternel que les th ologiens ont b ti sur le roc la volont de Dieu Delumeau et Roche 1990 p 169 Non
153. s davantage que n importe quel objet qui se trouve dans la maison Toutefois la diff rence des objets inanim s elle grandit et un jour son p re constate qu elle est trop grande pour entrer compl tement dans le placard Cette manifestation de vie de la part de la jeune Chlo suscite la col re de son p re qui se montre tr s contrari par le fait que sa fille ne puisse plus tre rang e la place qui lui tait assign e L enfant avait grandi un peu pour faire expr s Une croissance trop rapide pour tre honn te s tait insurg le p re CS p 67 Les reproches du p re peuvent sembler ridicules puisqu ils visent une r alit la croissance sur laquelle Chlo n a aucun contr le mais 1ls repr sentent bien quel point toute transgression des limites tablies par la soci t patriarcale ici repr sent e par le p re peut engendrer des repr sailles l cole catholique Chlo apprend aussi l importance pour les filles de rester la place qu on leur assigne place qui constate elle est plus restreinte que celle qu on accorde aux gar ons ce qui soul ve chez elle des interrogations Elle ne comprenait pas pourquoi seuls les gar ons pouvaient se rapprocher ne serait ce que d un cran mais tout de m me d un cran de plus de Dieu CS p 35 Dieu devait quelque part tre un peu misogyne CS p 35 d duit elle l cole comme la maison on lui apprend se soumettre au p
154. s deux textes tudi s de m me que la fa on dont la violence paternelle est pr sent e par Delaume et re ue par celles qui en sont les victimes Par la suite nous nous attarderons aux quatre institutions auxquelles l crivaine consacre une place particuli re dans ses deux premiers r cits soit la famille la religion la psychanalyse et le langage Plus pr cis ment nous verrons comment ces institutions ont fait et font toujours violence aux femmes en participant la perp tuation de l id ologie patriarcale Nous nous aiderons de diff rentes tudes f ministes qui ont t faites sur les cons quences n fastes entra n es par la vision androcentrique du monde propos e par ces institutions vision qui est v hicul e de fa on constante travers le temps et qui est impos e souvent insidieusement toutes les soci t s Le second chapitre s laborera autour de la d subjectivation du personnage de Chlo que nous analyserons en trois temps l enfance l adolescence dont le d but est marqu par la mort des parents qui d truit toute innocence qui pouvait encore exister en la jeune fille et l ge adulte Nous verrons tout d abord comment les s vices dont le p re afflige Chlo le silence qu on demande celle ci de garder par rapport ce qu elle vit et l ducation religieuse qu elle re oit contribuent rendre l gitime aux yeux de la fillette m me sa r ification Nous tenterons galeme
155. s en position d objet Tout un monde a t rig sur ces quelques grammes de lacis capillaire de tissus vasculaires de fibres lastiques MA p 50 constate la narratrice en faisant r f rence au phallus Ce monde patriarcal et phallocrate est un monde dans lequel l acc s au pouvoir et la subjectivit ne semble possible que pour les d tenteurs d organes m les R ver de l radication de l embl me de ce monde revient r ver d un profond bouleversement de l ordre actuel des choses ordre selon lequel si l on suppose que la castration signifie effectivement priver de tout pouvoir celui qui la subit ce sont les femmes qui jusqu maintenant ont t castr es par la soci t sexiste dans laquelle nous vivons Daly 1974 p 9 3 2 3 Les discours patriarcaux attaqu s Freud l instar de la philosophe Mary Daly pr sente les femmes comme des tres castr s dans son cas il ne s agit toutefois pas de d plorer leur manque de pouvoir mais bien de souligner chez elles l absence de phallus auquel il accorde dans ses crits une place centrale La diff rence sexuelle se r sout chez Freud Pen plus ou l en moins d un sexe le p nis note Luce Irigaray 1974 p 59 Le sexe de la femme lui est compt En italique dans le texte 78 comme pas de sexe N gatif envers revers du seul sexe visible et morphologiquement d signable Irigaray 1977 p 26
156. s proportions crasantes celle de l homme sur la femme Les nombreuses tudes effectu es dans les pays industrialis s sont concordantes entre 20 30 des femmes auraient subi des violences physiques ou sexuelles par leur partenaire ou ex partenaire dans le courant de leur vie Romito 2006 p 40 Si autant de cas de violence conjugale existent et il ne s agit souvent pas d pisodes isol s mais plut t de violences r p t es c est qu il y a un silence qui entoure la situation donc une forme d acceptation de la part des victimes et de la soci t Que peuvent esp rer les femmes en change de cette loyaut et de ces silences demande Patrizia Romito Tout au plus des miettes de pouvoir affirme t elle qui rel vent plus de la condescendance des dominants que des droits acquis Mais ces miettes elles ont tellement peur de les perdre qu elles pr f rent nier l vidence et pratiquer cette non reconnaissance d elles m mes et du monde qui permet aux dominants comme aux domin es de maintenir intact l ordre des choses Le silence de bien des femmes sur la 20 violence masculine silence qui se traduit par une complicit de fait avec les bourreaux est une chose tragique 2006 p 254 Dans Les mouflettes d Atropos et dans Le cri du sablier Delaume d peint le couple h t rosexuel comme une prison pour la femme prison de laquelle celle ci peut difficilement sortir indemne Le couple est pr sent comme
157. s sexuels les conventions et le r le d objet qu elle rev t d s qu elle accepte l argent des hommes l emp chent cependant de manifester cette haine qu elle camoufle l aide de formules convenues M me lorsqu elle ne travaille pas Chlo se sent aussi oblig e de cacher ses sentiments derri re la fa ade de la politesse Un jour apr s un rendez vous galant la col re monte en elle l usage du mode conditionnel lorsqu elle raconte ce qui s est produit indique qu elle a choisi la retenue plut t que l expression de ses frustrations Je voudrais le coincer contre le mur lui dire droit dans les yeux casse toi pauvre minable infoutu de me faire mouiller avant que je t clate la gueule te broie les couilles te sectionne le chibre en plus t as des chaussettes de sport MA p 141 Ces mots n ont pas t dits au moment o ils ont travers pour la premi re fois les pens es de la narratrice ils sont n anmoins employ s plus tard au moment du r cit Ce dernier devient un lieu de lib ration gr ce auquel la narratrice peut laisser libre cours sa logorrh e sismique Delaume en mettant en sc ne un personnage constamment divis entre les conventions et l assouvissement de ses envies attire l attention sur les r gles qui r gissent le comportement f minin et de cette fa on ne fait que rendre plus videntes les pratiques transgressives auxquelles elle s adonne dans ses deux r cits El
158. sce et d traque la machine CS p 24 Le p re ce grain de sable qui vient d traquefr les plans de lib ration de sa femme et de sa fille an antit du m me coup leur espoir de trouver un jour le bonheur en tuant son pouse et en laissant leur enfant le souvenir ind l bile et horrible de cet v nement r v lateur qui lui apprend que le d sir de se lib rer du patriarcat doit se payer 7 Delaume relate sous forme d tude socio psychologique l histoire d un jeune couple dans lequel l homme a quelques probl mes faire sa part des t ches m nag res il finit assassin atrocement mutil sur un terrain vague du XXe arrondissement de Paris MA p 165 Il s agit toutefois d une histoire fantasm e alors que celle de sa m re est pr sent e comme r elle 21 Tu as voulu du p re la chute irr m diable la chute au mar cage parricide cumant J acc de ta requ te Mais contre pr l vement Un modique tribut je t enl ve la maman Ton souhait est exauc Maintenant il faut payer Passe la caisse Loloth la facture est sal e plus encore que les larmes par hectolitres vers es CS p 77 La narratrice se sentant responsable de la mort de sa m re ressent une grande culpabilit Non seulement elle croit que ses pri res ont men au drame mais elle est aussi persuad e que sa m re a endur les s vices de son mari pendant toutes ces ann es cause de son existence Imaginant un
159. se constituer en tant que sujet Dans le texte cela est entre autres r v l par l oscillation entre la premi re personne du singulier la troisi me personne du singulier et la premi re personne du pluriel qui indique que le je n est pas assez fort pour s imposer en tant que seul sujet le p re prenant trop de place pour que ce soit possible La puissance de celui ci est soulign e par le n majuscule du pronom nous pourtant en fin de phrase alors que le pronom elle plac en d but de phrase commence par une minuscule Dans les pages suivantes la premi re personne du singulier est compl tement effac e au profit de la troisi me qui n est jamais d sign e par un nom propre mais toujours par le pronom elle qui m me lorsqu il se trouve en t te de phrase commence toujours par une minuscule Ce choix typographique est maintenu m me quand la narratrice rapporte les paroles de personnages qui parlent d elle sugg rant que son sentiment de n tre personne ou du moins d tre diminu e est encourag et perp tu par ceux qui l entourent et qui la consid rent tout autant qu elle m me comme une moins que rien 47 Si Chlo esp rait avant la mort de ses parents que de se faire nommer et sexuer lui permettrait d acc der au statut de personne et de ne plus subir la violence de son p re elle se rend compte que la reconnaissance de son identit sexu e n entra ne aucunement la
160. ser sexuellement de la femme cette fois au m me titre que le client qui loue la prostitu e en plus de permettre d tendre l usage physique diverses autres t ches telles que le travail domestique l enfantement ainsi que les soins aux enfants aux personnes g es et aux malades Superficiellement le mariage et la prostitution sont oppos s il semble 32 cependant qu ils se v rifient l un l autre pour exprimer l appropriation de la classe des femmes conclut Guillaumin 1992 p 24 Cette vision semble tre partag e par Delaume qui dans Le cri du sablier comme dans Les mouflettes d Atropos pr sente le mariage en tant que lieu de domination de la femme par l homme l instar de Guillaumin elle fait le parall le entre le mariage et la prostitution l un et l autre tant d crits comme menant les femmes se perdre alors que leur corps est consid r comme une propri t acqu rir Toutes changent leur corps confre une r tribution Qu elle soit factuelle ou symbolique crit Delaume MA p 189 laissant entendre que le marchandisage du corps des femmes est in vitable sous le r gne patriarcal Celles qui n offrent pas litt ralement des services sexuels contre une r mun ration imm diate sont ce que la narratrice appelle dans Les mouflettes d Afropos des catin s socialis e s MA p 188 celles ci soutient elle se prostituent en le niant ou plus grave
161. seulement les enfants qui cause de la I sera davantage question de la religion catholique puisqu il s agit de celle dans laquelle a t lev le personnage de Chlo toutefois ce que nous appelons l institution religieuse englobe les religions en g n ral puisque comme le rappelle Rita M Gross none of the major world religions Judaism Christianity Islam Buddhism Hinduism and the East Asian philosophical traditions of Confucianism and Taoism treat women and men equally 1996 p 106 23 chute d Adam sont n s dans la corruption et enclins au mal doivent tre corrig s par la contrainte par leur p re Delumeau et Roche 1990 p 169 mais les femmes parce qu elles sont moralement inf rieures aux hommes et parce qu elles devraient davantage faire confiance au Jugement de ces derniers qu au leur Holderread Heggen 1996 p 19 doivent se soumettre la volont de leur mari Dans le mariage religieux sans lequel la famille ne peut tre l gitime aux yeux de l glise the role of duty and submissiveness is an institutional anchor Mathews 1996 p 95 Mathews parle ici bien s r de la soumission de la femme l homme et non l inverse la religion catholique rappelle depuis des si cles que lle chef de tout homme c est le Christ et que le chef de la femme c est l homme Saint Paul dans l p tre aux Corinthiens cit dans Venner 1995 p 139
162. so verbally and symbolically 1974 p 31 En se servant de Dieu comme porte tendard du patriarcat l institution religieuse a fait et fait toujours violence aux femmes 1 2 3 La psychanalyse Parall lement la religion particuli rement partir du XIXe si cle des sciences comme la biologie la psychologie et un peu plus tard la psychanalyse ont toutes t utilis es comme pr textes un moment ou un autre pour justifier les in galit s existant entre les hommes et les femmes Pour Mary Daly la psychologie et la psychanalyse function as Mother Church of contemporary secular patriarchal religion 1974 p 4 imposant une vision androcentrique du monde cautionn e par la science qui est effectivement lev e aujourd hui au rang de religion Dans ce m moire il sera surtout question de la psychanalyse Delaume y faisant r f rence plusieurs reprises dans les deux r cits tudi s PA Les th ories observations et tudes de Freud qu on appelle le p re de la psychanalyse sont encore utilis es comme bases de la psychanalyse et plus largement force est de constater qu elles ont eu un impact important sur l imaginaire collectif occidental Ayant v hicul une vision tr s phallocentrique du monde qui venait sous le couvert de la science appuyer l id ologie patriarcale Freud selon Diana Tietjens Meyers supplied some of the most damaging and pervasive imagery in Western culture to su
163. stain unconscious prejudice against women along with woefully consistent repressive treatment of women 1994 p 62 Elle soutient que la psychanalyse a t complice de la subordination des femmes en repr sentant ces derni res de fa on tr s traditionnelle Freud s psychoanalytic figurations of gender codify and seek to ratify cultural conventions and expectations regarding maternity and female domesticity This history has forged a lasting bond between psychoanalysis and traditional feminine norms 1994 p 62 Freud a tabli des param tres de normalit qui confinaient les femmes des r les traditionnels et qui condamnaient toutes celles qui ne les respectaient pas Pour Daly la psychanalyse l instar de la religion contribue culpabiliser les femmes qui d rogent aux normes tablies Millions who might smile at being labeled heretic or sinful for refusing to conform to the norms of sexist society can be cowed and kept in line by the labels sick neurotic or unfeminine crit elle 1974 p 4 Une femme qui refuse de se soumettre aux hommes et aux lois de la soci t patriarcale doit donc tre gu rie l aide d un psychanalyste afin de rem dier la situation Pour Luce Irigaray psychanalyser une femme revient l adapter une soci t de type masculin 1977 p 71 En effet voir les femmes qui refusent de se conformer aux normes tablies ou qui ne s
164. t L o Sheer 147 p Ernaux Annie 1981 La femme gel e Paris Gallimard 184 p Articles sur Chlo Delaume Cantin David 2002 L abandon dans l ab me Le Devoir Montr al 12 janvier p DS Grangeray milie 2003 Chlo Delaume le conte d fait Le Monde Paris 5 d cembre p 34 Kechichian Patrick 2001 Le chant baroque de Chlo Delaume Le Monde Paris 26 octobre p 3 Lan on Philippe 2003 Le propre Delaume Lib ration Paris 27 f vrier p 5 Le Vaillant Luc 2002 Profil Lib ration Paris 16 janvier p 44 Loret ric 2001 La force Delaume Lib ration Paris 1 novembre p 4 Viviant Arnaud 2001 L avenir Delaume Les Inrockuptibles no 313 13 au 19 novembre p 28 29 98 Corpus th orique Ackley Katherine Anne dir publ 1990 Women and Violence in Literature An Essay Collection New York Garland 325 p Aebischer Verana et Claire Forel dir publ 1983 Parlers masculins parlers f minins Paris Delachaux et Niestl 200 p Bard che Marie Laure 1999 Ze principe de r p tition Litt rature et modernit Paris et Montr al L Harmattan 237 p Benstock Shari 1991 The Female Self Engendered Autobiographical Writing and Theories of Selfhood Women s Studies vol 20 no l p 5 14 Bernab Laurent 2006 De deux il y en a un de trop ou l invective comme violence sacrificielle Voir Gir
165. t des FILS DE PUTE ces enfants doivent expier Et le plus loin possible Que leur foutue souillure n clabousse surtout pas le fond de culotte immacul de leurs voisins de bac sable Fils de tra n e pensez donc Leur m re leur salope de m re crucifi e le plus haut possible Et a avait le culot de dire bonjour dans l ascenseur et une femme de d put en plus Pour qui elles se prennent ces filles l Lapidation de la roulure Fis ne voyaient que des gens comme il faut Bannissement perp tu exclusion pharmakos la Cit refleurie Je ne 5 Il est important de pr ciser que le discours religieux ne se limite pas ce qui est crit dans la Bible mais qu il fait galement r f rence toute l id ologie v hicul e par l glise catholique En italique dans le texte En italique dans le texte 88 leur ai jamais fait de mal Cette femme est condamnable Bel exemple pour des gosses Ta m re suce des bites dans les bars TA M RE SUCE DES BITES EN ENFER Femme Publique femme de Rien D pe ons la l abattoir Sortons crochets et morale inoxydable Arrachons lui sainte Marie le fuit de ses entrailles qui ne peut tre b ni mais alors pas du tout Une m re se DOIT d tre m re avant d tre femme Excision cathartique Voyez donc mon vagin parfaitement respectable Matriarcat et tarte aux pommes Le minou bobonne visit le samedi par la queue conjugale les petits sont couch s
166. te toi d I que j m y mette Proprette jusqu aux ovaires Et pisodiquement fourr e par celle du mec de sa meilleure copine tous les soirs de biture Pacha Club Faut savoir se d tendre c est crit dans Madame Figaro MA p 133 La mention des enseignements d un magazine f minin travers un discours aux relents jud o chr tiens voque l influence qu a eue P institution religieuse sur les discours modernes concernant les genres Pendant longtemps les diktats religieux ont fait la loi quant la mani re dont hommes et femmes devaient agir selon leur sexe aujourd hui flemininity is articulated in and through commercial and mass media discourses especially in the magazine industry Talbot 1998 p 171 Or que le genre soit repr sent par l institution religieuse ou par les diff rents m dias dont l autorit s est substitu e celle de la religion force est de constater que les femmes sont toujours enferm es dans un mod le pr cis duquel toute d viation est fortement r prouv e la diff rence que aujourd hui le discours dominant maquille les contraintes impos es aux femmes en les pr sentant comme des signes d une libert et d une puissance nouvellement acquises Selon Ilana L wy I ampleur des discriminations contre les femmes est efficacement cach e par le discours m diatique dominant Une avalanche de livres articles et missions de t l vision proclament la fin des privil
167. tefois une diff rence marqu e entre Chlo le personnage qui vit les v nements racont s et Chlo la narratrice Alors que la premi re respecte les codes verbaux impos s aux personnes de sexe f minin la seconde les transgresse plusieurs reprises Lorsque cette derni re raconte l pisode de la d couverte du mot encul par la jeune Chlo ce qui semble d abord tre le r cit de l apprentissage et de l acceptation des r gles li es au langage f minin devient gr ce l exploitation de l ignorance et de l innocence qu on associe g n ralement l enfance une fa on d tourn e d injurier le p re Apr s que sa m re lui a expliqu qu e ncul a veut dire quelqu un qui fait lamour l envers et que c est tr s mal que f c est m me contraire la nature CS p 51 la petite demeure un peu confuse Son chemin r flexif est ainsi relat La nature voulait donc qu on fasse lamour l endroit Cela paraissait totalement logique puisque si Dieu tait amour lamour tait Dieu Or l envers de Dieu tait le 71 Mal ce qui par cons quent n tait pas bien du tout Ce qui tracassait un tantinet l enfant dans tout a tenait au verbe faire Faire l amour ne pouvait pas signifier faire Dieu parce que ce n tait pas possible De retour dans sa chambre l enfant crit encul dans le petit cahier rose et cherche l expression faire l amour dans le Petit Larousse
168. ter leur non sens elle induit l absurdit en auto r futation 1964 p 100 L ironie secoue la somnolence de la pr somption satisfaite elle appelle l inconscient plus de conscience dit encore Jank l vitch 1964 p 66 en ce sens elle est l outil id al pour remettre en question ce qui a t impos par les diff rentes institutions patriarcales parfois pendant des si cles comme des v rit s absolues La place consid rable accord e la religion dans les textes de Delaume est selon nous explicable par le fait que plusieurs des v rit s remises en question par l crivaine ont pris naissance dans le En voici un extrait Notre p re qui tes aux cieux Saisir de la main droite Que votre nom soit sanctifi Secouer de haut en bas Que votre r gne vienne Resserrer l g rement les doigts Que votre volont soit faite Augmenter le rythme Sur la terrel Humecter la paume gauche Comme au ciel La frotter sur le gland AMEN MA p 53 En italique dans le texte 87 o 2 i OER p nA s discours religieux qui est en grande partie responsable de la transmission d une vision tr s dichotomique hi rarchique et restrictive des genres Cette vision bien qu elle ait chang sur certains points au fil des si cles demeure pr dominante m me dans les milieux les plus la ques La religion catholique est entre autres l origine du cloisonnement encore fr quent des fem
169. u de chair sans me La 74 naissance d un je sujet am ne toutefois la narratrice formuler un d sir de vengeance et tenter de le mettre en pratique Car quand l enfant fut grande car quand l enfant fut moi il tait l gitime qu on les fasse tous payer CS p 76 d clare t elle Les personnages masculins cr s par Delaume finissent effectivement par payer particuli rement dans Les mouflettes d Atropos Ils le font cependant surtout dans une dimension fantasm e l crivaine tablissant cette fois une dualit entre ce qui est pr sent comme r el et ce qui est pr sent comme le fruit de l imagination de la narratrice L ambivalence de cette derni re entre la violence dont elle a envie de faire preuve et les obligations qu entra ne l appartenance au sexe f minin est soulign e comme nous l avons vu par l touffement de son d sir d invectiver certains hommes elle transpara t aussi dans l extrait suivant o l emploi de l infinitif indique une envie que encore une fois Chlo ne suivra pas Me redresser Lui laminer le visage ongles miroirs Locus Solus conna t bien la formule Le mordre au sang et le cogner le cogner comme un sourd Comme un sourd qu il est D ailleurs En d finitive Lui arracher les couilles les oreilles et les h matomes byzantins et au secours maman MA p 179 Mais si Chlo ne blesse finalement jamais ses clients et les hommes qu elle c
170. u identitaire le je se perdant une fois de plus dans la mer de personnages qu elle s est cr s et qui ont t cr s pour elle La subjectivit qui chappe Chlo est marqu e dans Les mouflettes d Afropos par ce qui semble tre une multiplicit de voix qui plut t que de contribuer clairer les pens es de la narratrice les brouillent encore davantage Au d but du r cit l auteure cr e une v ritable cacophonie qui semble repr senter le brouillard dans lequel se trouve Chlo Moi je ne lai jamais support Oui mais tu tais la seule Donc une minorit Je savais qu il fallait se m fier Tu tais la seule et c est LA R GLE Il fallait me laisser mon veto De quel droit Pour qui elle se prend celle l pr sent c est toi enfin c est toi c est toi oui oui c est toi la plus parano C est moi tout court TOUT COURT J ai dit Chacune son r le Et retourne ta place C est un peu facile tu crois pas toujours rejeter la TA PLACE J AI DIT MA p 11 On ne sait plus qui parle les voix se m lent et coupent la parole des autres sans que rien ne se r gle sans que rien ne se d voile De la page 95 la page 101 le texte se lit comme une pi ce de th tre alors que l on assiste au dialogue entre C CI C2 C3 et ainsi de suite jusqu C17 Tous ces personnages semblent assister impuissants la douleur de personnage principal alors que cette derni re raconte un
171. u rang d objet finit par imposer en tant que sujet entre autres gr ce l emploi d une langue qui se veut trang re celle des hommes C est ce passage d un tat l autre qui sera d crit dans les deux chapitres suivants CHAPITRE Il VIOLENCE ET D SUBJECTIV ATION La question du sujet a t abord e par maints litt raires philosophes linguistes et autres th oricien ne s sans qu une d finition claire et unanime ait pu tre tablie Suffit 1l d tre humain pour tre sujet Suffit il de pouvoir dire je Selon le sociologue allemand Hans Joas la subjectivit d passe le simple concept d individualit pour lui tre sujet implique aussi la possibilit de se construire comme tre singulier capable de formuler ses choix et donc de r sister aux logiques dominantes qu elles soient conomiques communautaires technologiques politiques ou autres Le sujet autrement dit c est d abord la possibilit de se constituer soi m me comme principe de sens de se poser en tre libre et de produire sa propre trajectoire Wieviorka 2004 p 286 Or si l on consid re cette d finition qui est celle qui illustre le mieux le concept de subjectivit tel que nous le pr sentons dans ce m moire la violence patriarcale appara t comme une entrave l acquisition de toute subjectivit chez les femmes puisqu elle les emp che pr cis ment de faire leurs propres choix de produire leur pr
172. ubert 1998 p 91 85 Les pri res et autres formules rituelles fig es qui font partie int grante de la religion catholique sont le symbole de l immuabilit de cette institution qui offre une vision tr s monolithique du monde et de la fa on dont il doit tre r gi notamment en ce qui a trait aux r les f minin et masculin S y attaquer appara t donc comme une fa on d branler les fondements de ce qu elles repr sentent et de signifier un d sir de profond changement des bases m mes de la religion et de tout ce qui y est actuellement vu comme inalt rable Dans Le cri du sablier Delaume reprend fr quemment le lexique religieux et certaines formules bibliques connues en les transformant et en les adaptant au contexte du r cit Je n avais pas dix ans et perdu tant de choses qu un son de plus de moins ne changeait gu re la donne La picote des sir nes le chant des musaraignes tout cela importait peu La voix imp n trable quand laisse venir ceux qui sont petits enfants la col re dans le temple et la morsure vivace qui garrotte la croix du plexus trop solaire On me poussait dire quand tous ceux de mon ge vrillaient la chansonnette CS p 12 Plus loin dans le texte elle parle ainsi du troisi me jour suivant sa naissance Au matin du troisi me jour la m re songeant avec une nostalgie non feinte cette poque b nie o les petons des niards pouvaient tre transperc s pour d corer les branches des rob
173. ue douceur sein enfance langue La langue qu apprend l enfant avant de parler la langue paternelle Pafernel voque surtout pouvoir et autorit 2002 p 182 Le patriarcat vient toujours salir IJes mots des femmes salir la langue maternelle en modelant le langage selon une id ologie androcentrique qui fait violence aux femmes Plusieurs auteures soutiennent que pour que les femmes puissent raconter leur histoire sans utiliser les armes servant leur oppression et sans diffuser la vision du monde et des gens propre au patriarcat les femmes doivent cr er un nouveau langage qui leur soit propre L enjeu est vaste Il s agit de se r approprier le monde en se r appropriant le langage a crit Julia Kristeva cit e dans Hajdukowski Ahmed 1983 p 54 Annie Leclerc dans son texte Parole de femme publi en 1979 invitait les femmes i nventer une parole qui ne soit pas oppressive Une parole que ne couperait pas la parole mais d lierait les langues p 11 Selon nous c est ce qu a fait Chlo Delaume travers l criture des deux r cits tudi s Mais avant de s affirmer l aide de la langue qu elle s est cr e l auteure a d traverser une p riode de silence racont e dans Le cri du sablier Dans ce texte et dans celui qu elle a intitul Les moufleftes d Afropos nous assistons au passage du silence la parole travers l histoire d un personnage f minin qui r duit a
174. ulait elle leur permettait de la faire correspondre au mod le con u par le patriarcat Son silence tait meubl par les voix des autres c est dire les voix du p re du psychiatre du pr tre du client du mari etc Puis Chlo Delaume l auteure qui comme elle l a elle m me affirm tait jadis Chlo le personnage qui a v cu la violence la mort des parents le silence etc a finalement d cid de prendre la parole et de raconter cette violence ces morts ce Silence Le r cit fait par l crivaine des v nements survenus dans son pass v nements qu on lui avait d abord demand de taire nous appara t comme une tentative de resubjectivation L criture caract re autobiographique constitue d ailleurs pour plusieurs th oricien ne s un moyen possible de se construire et de s imposer en tant que sujet Shari Benstock notamment avance que l autobiographie peut tre vue comme an effort to recapture the self 1991 p 8 Jean Pierre Carron pour sa part soutient que toute criture du moi soutient implicitement la certitude d un j existe dont l crit doit permettre 59 l affirmation et pourquoi pas la fid le restauration 2002 p 13 Delaume reconstruit son identit travers le personnage de Chlo avec qui elle partage plusieurs traits et une histoire marqu e par des v nements troublants et tragiques mais qui elle a aussi la possibilit de faire dire et faire faire c
175. un lieu de perdition o l un des deux partenaires doit obligatoirement tre men sa perte Dans Les mouflettes d Atropos sous la plume ironique de Delaume c est l homme qui finit par mourir dans Le cri du sablier Delaume raconte employant un ton plus r aliste et dramatique l histoire de l assassinat de la m re par le p re Dans ce r cit le couple form par les parents de la narratrice est mis l avant plan il repr sente bien la r alit des femmes prises dans une relation conjugale ali nante Le bonheur pour la femme qui choisit l union h t rosexuelle semble impossible dans lunivers de Delaume l a m re fut malheureuse d s le jour du mariage CS p 24 crit elle dans Le cri du sablier Le reste de la relation se vit dans un contexte d abus et de violence alors que la m re est victime de la col re et des reproches incessants du p re Le p re gifle la m re c est pas un gosse que tu as chi ma pauvre c est un putain d animal un putain d animal je te dis CS p 40 La m re de la narratrice ne se sent bien n dans son r le d pouse ni dans son r le de m re pourtant cela lui prend dix ans avant d entamer des proc dures de divorce Elle ne parviendra toutefois jamais ses fins puisque son poux vient l arr ter avant qu elle ne se lib re de son emprise Les rouages taient en cours quand la salve perturba le sens du m canisme Le grain de sable qui s immi
176. un pouvoir absolu ne sert qu r affirmer une sup riorit d j acquise C est de ce type de violence qu il sera question dans ce chapitre La violence patriarcale renforce l ordre d j tabli l ordre lui m me dans les soci t s androcentriques ne pouvant tre maintenu qu en oppressant une partie de la population L ordre n est rien d autre que la syst matisation de la violence affirme Wolfgang Sofsky cit dans Frappat 2000 p 33 pour Daniel Welzer Lang la violence est un mode de r gulation d un rapport social conjugal ou familial 1992 p 100 Dans un syst me d termin elle sert maintenir chacun la place qui lui a t assign e dans le cas du syst me patriarcal elle maintient donc les hommes en position de pouvoir et les femmes en position de soumission ce pouvoir La violence patriarcale est loin de se r sumer la violence de certains hommes envers certaines femmes elle englobe les diff rents m canismes utilis s par les membres d une soci t et par ses institutions afin de permettre un groupe de personnes d en dominer un autre Si comme le dit H l ne Frappat la question de la domination est l enjeu d une anthropologie et d une politique fond es sur les seuls rapports de violence 2000 p 221 les femmes ont alors t victimes d une violence constante travers les si cles et sur tous les continents parce qu elles ont de tout temps t
177. us le couvert d une tradition qui travers les si cles a toujours entretenu l image d un p re tout puissant Nous nous sommes ensuite attard e sur les quatre institutions qui se voient fortement critiqu es par Delaume dans les deux r cits tudi s soit la famille la religion la psychanalyse et le langage Celles ci chacune leur fa on ont contribu forger une image de l homme et de la femme qui a plac le premier en position de dominant et la seconde en position de domin e si certaines d entre elles semblent aujourd hui avoir une moins grande influence sur la soci t elles ont n anmoins toutes laiss leurs marques dans l imaginaire collectif laissant en h ritage des certitudes que les luttes f ministes ne sont toujours pas parvenues branler 94 Une tude approfondie des deux premiers textes de Delaume dans lesquels cette derni re se confond avec la narratrice et le personnage principal nous a permis de voir comment la violence qu elle a subie a d abord caus sa d subjectivation Selon Patrizia Romito la violence familiale implique que la victime n est plus consid r e par l abuseur comme une personne mais comme une chose dont on peut disposer que l on tient sous contr le que l on utilise quand on en a besoin et sur laquelle on d charge sa rage et ses frustrations 2006 p 39 C est ainsi que Delaume a pr sent l enfant qu elle tait c est dire comme un ob
178. ussi complice de la violence physique qui leur est faite Patrizia Romito donne l exemple du langage employ pour parler de la violence masculine que ce soit dans les m dias dans les rapports m dicaux ou dans les rapports de police Les m canismes d euph misation et d vitement linguistique peuvent tre subtils ou carr ment grossiers mais ils Sont toujours syst matiques Les r sultats d une telle 34 m thode sont spectaculaires les hommes disparaissent de tout ce qui traite de la violence masculine envers les femmes et les enfants C est ainsi que l on parlera de conflits domestiques ou de diff rends conjugaux au lieu de nommer les violences exerc es par les maris sur leurs pouses il sera question de familles maltraitantes ou incestueuses quand ce sont les p res qui maltraitent et violent leurs enfants Comme on l a dit les policiers insistent sur le fait que leurs interventions concernent la violence familiale mais jamais la violence envers les femmes 2006 p 83 Romito fait aussi r f rence aux observations que Carole Warshaw a faites partir des fiches cliniques du service des urgences d un h pital desquelles disparaissent autant l auteur que le contexte des violences les femmes sont battues mais on ne comprend pas par qui elles sont tu es par une sorte d agent impersonnel frapp es par un poing une bouteille ou une chaise qui traversaient l espace juste ce
179. ustes oliviers jeta un il exasp r au fruit d j g t de ses entrailles CS p 27 Dans un autre passage la narratrice dit commentant les r flexions de l enfant qu elle tait par rapport l apprentissage de nouveaux mots La langue savait elle m me reconna tre les lus Au commencement tait le Verbe Les voies imp n trables savaient donner les signes qui aurait un jour droit la R demption CS p 53 Dans ces quelques extraits des bribes du discours religieux sont morcel es et sorties de leur contexte afin d tre adapt es au discours de Delaume qui affirme ainsi Sa subjectivit Dans Les mouflettes d Atropos le caract re subversif et transgressif de l op ration de transformation du discours religieux est encore plus vident En effet Delaume s y approprie celui ci en l accolant un discours provocateur et blasph matoire qui contrevient souvent aux valeurs fondamentales de la religion catholique l entrem lement des phrases du Notre P re avec la description d une s ance de masturbation d un client par la narratrice en est un 49 ms C est nous qui soulignons 86 exemple Plus loin la narratrice transforme nouveau des fragments du texte biblique auquel elle emprunte le ton et la forme pour reprendre ironiquement le discours que tient la religion sur les sexes Le Gland est tout puissant et les voies de l ur tre sont imp n trables Ne revendique que ta
180. utre semble impossible sans que Chlo ait repris l enti re possession de sa personne et pour ce faire elle doit supprimer ce qui reste du p re en elle Or ce projet lui semble presque impossible r aliser sans qu elle ne se d truise elle m me Jls disent tuer le p re les 7 Elle en avait aussi assez d tre l enfant Elle songeait m me parfois que quand elle serait grande le p re serait forc de lui donner un nom Elle s interrogeait souvent sur la mani re dont se manifesterait le basculement Le basculement du neutre au genre individuel Quel effet a pourrait bien lui faire elle d entendre le p re la nommer Si les coups s vanouiraient sous le charme de l appellation Si Chlo prononc quivaudrait au philtre au S same ouvre toi ou si le ceinturon saurait battre la mesure Si le p re ne frappait que l enfant n gligeable ou si c tait son tre tout son tre quel qu il pousse qu il voulait ratisser le tuteur la main Elle se disait aussi que peut tre le p re dirait Chlo ma fille Et que de la sexuer et que de dire son nom am nerait le p re demander pardon Et que d avouer enfin la g nituration am nerait le p re se dire c est ma chair et cesser de fait toute mortification CS p 56 48 adultes emp tr s 1ls disent tuer le p re pour pouvoir avancer Mais quand le p re est mort mais quand le p re charogne comment le liquider sans se perdre autopsie CS p 92
181. vaient le servir il y avait de grandes chances qu il leur pr te une oreille un peu moins attentive CS p 35 raisonne t elle Au comble du d sespoir elle tente n anmoins de se faire entendre par lui et afin de maximiser ses chances de r ussite elle hurl e dans sa t te apr s s tre approch e de 43 l autel puisqu il faut parler tout pr s du tympan des sourds 1l faut leur parler bien fort au creux de l oreille CS p 36 La fillette imagine effectivement un Dieu sourd aux demandes des filles l image de ceux qui servent la soci t patriarcale Quand elle voit finalement son v u accord elle avait pri Dieu de faire mourir son p re elle croit que la perte de sa m re tant aim e est le prix payer pour avoir os lever la voix et pour avoir demand la mort d un si digne repr sentant du patriarcat Le meurtre de la m re et le suicide du p re closent le premier acte sans lib rer la voix de Chlo le drame la plongeant dans un mutisme encore plus profond 2 1 2 Deuxi me acte l adolescence Bien que la langue qui a t apprise Chlo servait paradoxalement jusqu la mort de ses parents taire la violence du p re la jeune fille l aimait par dessus tout car elle servait tablir un lien entre sa m re et elle Les mots d couverts gr ce la m re sont pour Chlo des objets pr cieux qu elle d sire pr server tout prix Or le p re en mourant dev
182. vol 54 no 1 2 p 11 31 Delumeau Jean et Daniel Roche dir publ 1990 Histoire des p res et de la paternit Paris Larousse 478 p Demers Jeanne et Line McMurray 1983 Manifester au f minin Pour une approche pragmatique de l autre discours Voir Lamy Suzanne et Ir ne Pag s d 1983 p 163 174 Dor Jo l 1988 Le p re et sa fonction en psychanalyse Paris Point hors ligne 155 p Ehrlich Susan et Ruth King 1992 Gender based language reform and the social construction of meaning Discourse and Society vol 3 no 2 p 151 166 Florence Jean 2002 La violence symbolique du trauma la reconstruction In La violence repr sentations et ritualisations sous la dir de Myriam Watthee Delmotte p 253 159 Paris L Harmattan Frappat H l ne 2000 La violence Coll Garnier Flammarion Corpus Paris Flammarion 251 p Gagnon Madeleine 1977 Mon corps dans l criture In La venue l criture H l ne Cixous Madeleine Gagnon et Annie Leclerc p 63 116 Paris Union g n rale d dition Gattuso Hendin Josephine 2004 Heartbreakers Women and Violence in Contemporary Culture and Literature New York Palgrave Macmillan 312 p Genest Olivette 1995 Langage religieux chr tien et cat gorie du genre Voir Veillette Denise 1995 p 93 109 Gillett Shirley 1996 No Church to Call Home Voir Clark Kroeger Catherine et James R Beck dir publ
183. xtraits voque une distanciation de l auteure par rapport au discours psychanalytique le jeu de mots appara t comme une tentative de r appropriation du langage propre la psychanalyse que Delaume transforme pour lui donner sa marque De plus pendant tout le r cit la narratrice bien qu elle continue participer la s ance confronte constamment le psychanalyste prouvant sa m fiance envers lui et envers sa doctrine Vous dites tre plus que l homme mais vous vous attelez toujours susurrer cryptages l o n importe qui voit plus clair qu eau roch e l accuse t elle Votre savoir t cheron ne constitue en rien le crochetage de serrure CS p 60 Elle lui oppose une grande r sistance mettant en doute sa capacit et celle de tous les autres psychanalystes la gu rir Quels noms demanda t il Quels noms en g n ral vous taient attribu s Je ne vous dirai rien Vous ne savez qu en faire Ceux d entre vous nagu re me l ont bien d montr CS p 18 Dans Les mouflettes d Atropos ce n est pas la figure du psychanalyste qui est attaqu e mais comme nous l avons d j soulign en analysant le traitement qui est fait du phallus ce sont les fondements des th ories freudiennes qui le sont En plus de remettre en question la vision glorificatrice des organes g nitaux masculins Delaume donne une image de la sexualit entre hommes et femmes qui entre en contradiction avec la fa on dont
184. y 1977 p 23 Selon la logique psychanalytique en effet une femme qui ne trouve pas son plaisir dans la p n tration vaginale est frigide et anormale et gagnerait tre suivie par un psychanalyste qui pourrait la gu rir et l amener cesser de refuser la seule sexualit valable celle qui contribue au plaisir des hommes et la procr ation La psychanalyse dit Irigaray tient sur la sexualit f minine le discours de la v rit Un discours qui dit le vrai de la logique de la v rit savoir que le f minin n y a lieu qu l int rieur de mod les et de lois dict s par des sujets masculins 1977 p 85 En plus d tre d fini travers des param tres masculins le mod le de sexualit qu impose la psychanalyse reproduit le rapport de pouvoir et de domination entre hommes et femmes d j pr sent dans la soci t en donnant la femme un r le passif et l homme un r le actif opposant passivit vaginale action phallique L acte sexuel appara t pratiquement comme un acte d agression pendant lequel la femme se laisse manipuler la guise de l homme Le viol si possible f condateur est d ailleurs pr sent par certain e s psychanalystes comme le comble de la jouissance f minine devenant le mod le du rapport sexuel crit Irigaray 1977 p 62 La repr sentation de la sexualit dans Ja psychanalyse est empreinte de violence masculine et c
185. yon 104 1996 Les hommes violents Paris Indigo amp C t femmes ditions 367 p Wieviorka Michel 2004 Za violence Paris Balland 328 p Xantos Nicolas 2007 H r tique poissarde et mochet e l invective comme philosophie du langage chez Wittgenstein Flahault et Nothomb Voir Larochelle Marie H l ne dir publ 2007 p 21 35 Yaguello Marina 2002 Les mots et les femmes Paris Payot amp Rivages 258 p

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