La nuit des masques
Contents
1. cole Boulle 18 incapables de l oublier Sans doute n tait il pour elle qui un moment de sa vie lui avait tant t qu une intermittence un figurant qui n aurait pas ses derni res pens es Mais il sentit dans ces minutes o passait la mort la gr ce des heures que la vie lui avait donn es et que le bonheur est tou jours d autrefois Des lueurs d aube clairaient les rideaux Grange avait les yeux ouverts par l insomnie A neuf heures cinquante sept ce matin l une d p che d agence annon a la mort de Sylvia Cet ouvrage a t r alis sur Syst me Cameron par la SOCI T NOUVELLE FIRMIN DIDOT Mesnil sur l Estr e pour le compte des ditions Flammarion le 28 juin 1990 Imprim en France D p t l gal ao t 1990 N d dition 12661 N d impression 149152. La vente du Sisley avait procur Grange de quoi tenir plusieurs ann es Ces quelques centim tres carr s de toile color e qu il avait c d s sans remords lui assu raient un train de courtisane Fran ois Grange avait lou un grand studio rue Las Cases et il avait v cu Le Monet dormait dans un coffre Quand Fran ois Grange se rendait deux fois l an 14 aux f tes de famille il saluait tout un cousinage d avocats de belles filles soumises et de gendres ilotes qui ce faisant taient en passe de r ussir Tout tait en ordre Sachant que pour dix fourmis il faut une cigale la bourgeoisie prot ge ses ludions du sceau des hypoth ques Comme on entre au couvent Grange tait mandat pour faire la nouba Et pourtant ce d serteur ne manquait pas de finesse Il lisait beaucoup tait m me devenu au fil des ann es assez rudit L t de ses vingt sept ans il flatta la cr dulit de l une de ses ma tresses en se pr tendant crivain Par gageure il r digea sous ses yeux le d but d un roman Il plaqua la fille et acheva le roman Le texte circula fut mis sous les yeux d un diteur qui le publia Contre toute attente Grange fut applaudi Cet otage des notaires et des impressionnistes se trouvait enfin une raison sociale Il en fut le premier tonn mais ne se d roba pas Il paya sa dette Sisley en signant un deuxi me ouvrage qui lui valut l estime de quelques lectrices Aux derni res nouvell
3. Lormes Corbigny Ch tillon en Bazois 23 km Il aurait dans sa vie entendu Frank Sinatra vingt trois kilom tres de Ch tillon en Bazois Grange acc l ra les phares balay rent une ligne droite Puis ce fut un village Pass l glise il 11 bifurqua dans un chemin noir un long tunnel de h tres au bout duquel on apercevait des lumi res La voiture franchit un portail roula sur une all e de graviers Grange consulta sa montre Il tait pr s d une heure du matin Il distingua dans la trou e le b timent principal du manoir cal l angle par une tour Les fen tres du salon taient clair es Les bourrasques s abat taient sur la fa ade Il arr ta la voiture devant le corps d entr e coupa le moteur La pluie ruisselait sur le capot Une silhouette apparut sur le perron et courut vers lui abrit e d un parapluie Grange reconnut Jacques le r gisseur Leurs deux sil houettes dos ronds se h t rent vers le porche En marchant le r gisseur glissa Grange Mademoiselle est d j couch e Votre chambre est pr te Le r gisseur referma la porte sur la nuit Dans le salon o ils taient entr s un feu mourant rou geoyait Grange sentit soudain la trace de la ma tresse des lieux un parfum de femme Son regard s attarda sur les tentures de velours vert frapp et sur le lustre girandoles Tabourets gu ridons et consoles taient essaim s comme des pi ges dans un pr Un ar me de ca
4. MARC LAMBRON La nuit des masques Roman Extrait de la publication MARC LAMBRON Marc Lambron n sous la Quatri me R publique est critique litt raire au Point Auteur de l Impromptu de Madrid Prix des Deux Magots 1989 La nuit des masques A Paris aujourd hui Nathalie et Fran ois ont trente ans de l argent un pass de viveurs Ils inventent des jeux prennent l un sur l autre des paris amoureux Un soir Nathalie met Fran ois au d fi de conqu rir une belle inconnue Sylvia L entreprise de s duction tourne tran gement De Paris New York le jeu s endiable le liberti nage ouvre sur les abimes de la passion Un homme deux femmes La jalousie les miroirs la cruaut jettent le trio dans la nuit des masques o chacun devient pour l autre une proie De la l g ret la noirceur cette com die sensuelle plac e sous le signe de Lubitsch et de Laclos est aussi le roman du d chirement amoureux un apprentissage de la nuit Photo Flammarion Extrait de la publication 9 782080 664594 FF 6459 90 VIII 99 00FF PARIS 6 GR GROU RADENEZ 8 JOLY Extrait de la publication LA NUIT DES MASQUES Du M ME AUTEUR L impromptu de Madrid MARC LAMBRON LA NUIT DES MASQUES FLAMMARION Avec le soutien du Centre national www centrenationaldulivre fr O Flammarion 1990 ISBN 9782081301863 Imprim en France Sophie O allons nous seigneur
5. Voici le lieu du monde le plus sauvage et le plus solitaire et rien n y annonce la f te que vous m avez promise O me menez vous A un spectacle tr s curieux Marivaux La Dispute Gens du monde gens du vide fant mes de d sirs partouzards ind cis attendant leur Watteau toujours chercheurs sans entrain d improbables Cyth res Louis Ferdinand C line Voyage au bout de la nuit Extrait de la publication La voiture filait sur les routes du Morvan En quittant Paris il fallait trois heures pour gagner le Tr moy le manoir de Nathalie Fran ois Grange avait cent fois suivi cette route Cette nuit l il pleuvait Au sortir d un village de l Avallonais un li vre d tala dans la lumi re des phares Grange l vita Il n avait plus crois de voiture depuis dix minutes Grange en conduisant triturait les fr uences de sa radio Un quatuor cordes gr silla le de Vienne Plans brisures tissu dans l espace trange dans ce paysage de fermes noy es de pluie Le mouvement s achevait D Anton Webern vous venez d entendre les Six Bagatelles opus 9 Mille neuf cent treize Pour quoi les speakers de France Musique avaient ils toujours l air d enterrer leur m re Grange cher cha une autre station 4 to the moooon let me fly among those stars in other words pleeeaase be true Frank Sinatra Au bord de la route des panneaux indicateurs jetaient des noms dans la nuit
6. es Grange faisait donc l crivain comme d autres jouent au golf II d cou vrait dans ces signes qu il griffonnait sur le papier une chor graphie qui lui rappelait les mambos les plus retors Il s y adonnait et il s y perdait Ce blond contraint qui virait droite et penchait gauche entrait dans des ann es incertaines Sa vie se dessinait dans le cadre d un tableau vendu d une toile absente Il crivait mod r ment mais 15 lisait beaucoup Ces derniers temps la conster nation g n rale il s tait entich de Mauriac Kitsch lui disait on et sulpicien Diabolique et moderne r torquait Grange Mais tout le d tour nait de Malagar et d abord les dames Elles exi geaient g n ralement de lui quelques simagr es sentimentales Grange avait la politesse de ne pas les d cevoir Il faisait donc l arlequin l apache des canap s L homme de plaisir Mais les femmes l inqui taient De plus en plus Il voyait ses amies changer incroyablement Pass vingt cinq ans elles n avaient plus d affection vraie pour les hommes Elles tuaient en elles m mes la nymphette elles reprenaient le maintien la voix de leurs m res Il fallait payer Anneaux traites chantages A trente ans soit elles consul taient des psychiatres soit elles surveillaient des berceaux taient elles seulement heureuses Il n en tait pas s r Grange contournait Il recherchait les tr s jeunes filles et les trentenair
7. es avis es Les unes et les autres se trouvent encore surtout les unes Dans une soir e on l avait r cemment soumis au questionnaire de Proust Qualit pr f r e chez l homme Le courage r pondait Grange Qualit pr f r e chez la femme L intelligence et l indul gence Ensemble On lui avait object que la pr dilection pour les femmes de t te est l indice d une propension au vice Et que l on trouve Paris par les temps qui courent plus de femmes intelligentes que d hommes courageux C est toute la question 16 avait song Grange comment apparier des fines mouches solitaires avec des pleutres satisfaits L argent qu il avait tir du Sisley s puisait Il se demandait ce que seraient les ann es Monet Au r veil il tait midi Grange tonn d avoir dormi dix heures d affil e fut d un bond la fen tre Un ciel gris de matin e finissante tombait sur les frondaisons Il sonna La femme de chambre ne fut pas longue d poser son chevet un plateau Pli pr s de la th i re et des toasts un exemplaire du Journal du Centre Lorsque Grange le d plia une enveloppe en tomba II la d cacheta reconnut l criture de Nathalie tir e sur deux feuillets Quelle graphomane grogna t il Il parfuma sa lecture au th citron d chiffra Fran ois Il est d j onze heures je file d jeuner chez les Champlain au ch teau de la Vieille Montagne Je te laisse dormir cette
8. f flottait sur la pi ce Il repassa du regard les objets Rien n avait t d plac Les gravures motifs chinois dormaient dans leur cadre Une sph re armillaire gitait dans un angle Des lueurs passaient sur le plafond de feuilles feu et or Ils suivirent un corridor qui donnait sur un esca 12 lier Au dehors l orage s loignait Tout tait silen cieux l tage Le r gisseur prit cong de Grange qui demanda qu on ne le r veill t pas Une fois dans la chambre Fran ois Grange se laissa tomber sur un fauteuil Il se sentait comme un bernard l ermite qui change de coquille Il se jaugea dans la glace qui surmontait la chemin e regarda sans voir Une pendule barom tre tait accroch e aux boiseries rechampis turquoise Dans un cadre ovale pr s du lit une photographie d avant guerre avait t gliss e portrait d un homme jeune cheveux ramen s en arri re On pouvait lire dans un cartouche Andr Jurieu aviateur Grange se leva alla la fen tre la d verrouilla Des feuilles d chiquet es taient pla qu es contre les volets Une odeur de terre humide montait Grange se pencha un instant au dehors L ombre tait noire sous les arbres serr s Un oiseau de nuit cria Avant de s endormir il pensa qu il tait sur le domaine de Nathalie Qu quelques m tres de la son souffle de femme jeune exhalait d autres r ves Il savait que des invit s taient attendus le lende ma
9. fois Je reviens vers seize heures La maison est toi comme d habitude Les autres arrivent en fin d apr s midi et reste 17 ront pour la nuit J essaie une distribution in dite avec quatre nouveaux Voil le mode d emploi J ai invit Claire d abord 27 ans cole de commerce travaille dans une banque d affaires A mon avis une des plus redoutables brise couilles de la place Elle est rest e yuppie alors que la mode en passe Avance dans la vie comme la VIF Flotte en M diterran e radar salves missiles en alerte Calibre les m les au logiciel avec toise rayons X scanner Probablement mal heureuse Elle cherche le maitre talon et d apr s ce que j ai vu jette toujours son d volu sur des hommes fades Et puis Laszlo 35 ans 2 pianiste hongrois l ve d un l ve de Clara Haskil Pr tend avoir fui son pays en montgolfi re vers 1978 aujourd hui un visa suffirait Tr s bien dans Granados et Ravel Muet en soci t jusqu vingt trois heures Se lance ensuite dans des complaintes sur la grandeur perdue de l Autriche Hongrie qui meuvent les salons Dans ces moments l deux tics il cligne des yeux comme un hibou et souffle constamment sur ses doigts Aurait t viol plusieurs reprises par des ma tresses de maison subjug es Moi peut tre Tu verras Alexandra 25 ans native de Caro line du Sud famille d industriels du coton Suit des cours de restauration l
10. in Des nouveaux lui avait elle dit Que va t elle encore manigancer songea Grange en refr nant un sourire Il ne voulait pas deviner Soudain le sommeil fut sur lui L homme qui dormait entrait reculons dans sa premi re trentaine Les miroirs lui renvoyaient 13 l image d un vieil enfant blond dress dans les coles de la plaine Monceau Il tait n le fils de son p re un agent de change amateur d art dont la collection d impressionnistes tait r put e Dix ans auparavant la famille de Fran ois Grange lavait pouss vers les offices et les charges Grange s y ennuya Apr s quelques tudes Sciences po il avait fui les destin es notariales qu on lui r servait s tait partag entre des amies de sa m re et des jeunes filles d extr me gauche toutes tr s adroites Quoique rebours des conventions sa premi re jeunesse avait t des plus convenues En France chaque g n ration paie son tribut au foutoir Il faut pour rassurer les banquiers que quelques irr guliers fassent sauter la banque Fran ois Grange avait tenu sa partie On le disait insolent sauteur un beau g chis qui promettait Sa famille lui reprochait son oisivet puis signait des ch ques Grange avait re u en legs le tweed et la facilit il fr quentait donc les tailleurs et les bars Quand il eut vingt cinq ans son p re de guerre lasse lui donna deux toiles de sa collection un Sisley et une marine de Monet
Download Pdf Manuals
Related Search