La poésie sonore est-elle l`oubliée du graphisme ?
Contents
1. De le sortir du papier pour le diffuser sous forme d action de performance de lecture Ces textes parl s sollicitent chez le spectateur auditeur la concentration l inattention la r verie La reconnaissance du sonore acquiert une valeur esth tique plastique dans l Art et no tamment avec l apparition de nouveaux m dias Gr ce aux avanc s technologiques le son s autonomise de la musique et entre dans le langage de la cr ation Appara t alors Part de P coute dont rel ve la cr ation radiophonique et qui implique la conception de mise en sc ne sonore et de m dia audiovisuel pour la spatialisation du son Si certains per oivent la po sie sonore comme un son sale une d sacralisation ou une d perdition de valeurs traditionnelles on peut au contraire l associer un retour l mentaire 1 Heidsieck Bernard Novembre 1975 2 Girard Ren La violence et le sacr Grasset 1972 de la langue un apprentissage des codes Bien qu elle fut longtemps contest e on peut affirmer aujourd hui que la po sie sonore est une oeuvre compl te au m me titre que la peinture ou le dessin Elle n est plus simplement un genre mais devient une exp ri mentation contemporaine qui ne cessera de se d velopper En s inventant de nouvelle formes et s loignant de la po sie traditionnelle les po tes sonore tendent r soudre un paradoxe exprimer l inexprimable donner voir l invisible Finalement ne2. en distingue non pas parce qu elle dit mieux mais parce qu elle dit plus et qu elle dit autre chose La prose se d finit comme un langage standard collectif n ayant comme seul but que de communiquer des informations Elle doit tre compr hensible par le plus grand nombre et c est pour cette raison que la po sie la rejette Celle ci a cette par ticularit d tre un langage intime propre au po te qui Putilise pour exprimer son rapport au monde ses exp riences Puisque l homme est homme par le langage il utilise la po sie comme un langage parall le sensible et intellectuel Fondamentalement la po sie a pour but de rendre aux mots de la langue leur capacit d voquer pleinement les choses qu ils repr sentent en ce qu ont celles ci d existence actuelle concr te au sein de notre propre horizon de vie ces arbres par exemple sur ce chemin non l arbre du dic tionnaire Sa t che est de faire appara tre dans la parole notre lieu et notre moment nullement d en analyser les aspects comme le font les autres emplois de mots et ainsi ne dit elle rien en sa profondeur mais accueille en nous les r alit s qui importent les mettant aussi en rapport entre elles ici maintenant comme ne le font videmment pas les projets de la science ou de l action Mais au cours de ce travail de recentrement de notre tre au monde nous ne pouvons que r ver des moments nous tromper nous laisser prendre des illusions et
3. Jean Pierre Po sie sonore l ments de typologie historique Reims 2009 p 26 2 Grammes d du Terrain Vague Paris 3 Bobillot Jean Pierre Po sie sonore l ments de typologie historique Reims 2009 Quatri me de couverture qu acte physiologique au c ur m me de l v nement po tique le chant devenait ce geste formel soit le moment concret o la voix veille la forme La po sie sonore r active la gestuelle du corps anime une po sie fig e dans les caract res crits Elle cr e partir de mots et de phrases des objets devenant nergie auditive Cette po sie est bas e sur tous les sons provenant des organes vocaux de l homme afin de cr er un univers sonore du langage Selon Jean Pierre Bobillot la po sie sc nique et la po sie enregistr e sont les m diums qui m nent la po sie sonore La po sie crite notamment avec la po sie visuelle avec les id o grammes d Apollinaire comme r ponse la simultan it ouvre les portes par la suite la po sie sonore Faut il tablir une distinction entre l oral et le sonore On peut dans un premier temps consid rer que la po sie sonore est celle qui use d un appareillage lectro acoustique pour transformer la voix en la modifiant alors que la po sie orale est celle qui est prof r e sans l utilisation volontaire des outils lectro acoustiques comme medium mais principalement avec les organes naturels que sont les co
4. avec l hell niste Hubert Pernot Il enregistra des airs de danse et m lodies populaires Une grande partie de ses uvres seront transcrits sur partitions par le compositeur Paul Le 1 Zumthor Paul La lettre et la voix d du seuil Paris 1972 p 206 Flem et serviront par la suite de mod le aux cinq m lodies populaires grecques 1906 1909 de Maurice Ravel Mais les pr curseur de cette manipulation de l enregistrement comme art sonore sont des po tes En 1911 Ferdinand Brunot cr e les Archives de la parole qui recueille l enregistre ment de voix c l bres Guillaume Apollinaire participera ces s ances d enregistrements Paris puis imaginera une polyphonie po tique en 1914 Il appellera simultan isme la diction haute voix de la po sie sur diff rentes couches sonores Kurt Schwitters enregiste en 1932 sa Ursonate Die Sonate in Urlauten qui sera publi e dans le dernier num ro de la revue Merz Cette po sie phon tique est compos e de la diction d un texte comprenant grand nombre d onomatop es De ces exp riences d couleront de nom breux courants relevant de la po sie sonore qui mergeront pendant le XX si cle Les apports de l appareil qu est le magn tophone furent multiples Le po me cherchait s extraire du papier se projeter hors de la page La bande magn tique est donc arriv e au bon moment pour Pen retirer et servir de support d enregistrement et de retransmissio
5. ce mouvement pour se lib rer le corps doit transgresser sa dimension sacr e Avec les lectures publiques les sp cificit s du po me semblent se faire dans le corps et donc dans et surtout par le signe faire prouver un malaise celui du corps en proie aux signes aux signes qu il est charg d mettre Un exorcisme propose Heidsieck la suite de Prigent Le corps fabrique les signes du po me et cr e les relations forme contenu signifiant signifig corps esprit Il est un support de la repr sentation de l exp rience qu il vit On peut alors le comparer un monument un espace o repose le langage de la repr sentation Peut on parler de d placement d une incarnation du po me qui devient la voix du corps le c r monial du po me son spectacle Les nouvelles po sies exp rimentales sont des pratiques des dispositifs et non plus une es sence comme pouvait l tre le genre po tique 1 Detrez Christine La construction sociale du corps Paris Points 2002 p 191 Peut on comparer la performance d un po me sonore un rite en raison de l utilisation du geste On citera la proposition de d finition de Martine Segalen Le rite ou rituel est un ensemble d actes formalis s expressifs porteurs d une dimension sym bolique Le rite est caract ris par une configuration spatio temporelle sp cifique par le recours une s rie d objets par des syst mes de comportements et
6. valeur communicative Cette valeur qui consid re comme bruit tout ce qui met en danger l int grit du message information Finalement la po sie bruyante est celle qui contourne l exigence d une harmonie po tico musicale ainsi que cette n cessit de clart de communication Cette po sie incarn e est un concept qui comporte plusieurs id es la po sie s incarne dans la chair des po tes dans leurs corps par leurs mouvements par leurs gestes et ga lement dans l utilisation de leurs voix On peut donc penser la po sie sonore comme tant une po sie vivante gr ce au po te De plus cette nouvelle fonction de la voix non plus comme fonction de communication ou de fonction esth tique lui fait prendre le chemin de Pinhumain de l anormal 1 Cohen Jean Structure du langage po tique Flammarion coll Champs 1966 p 31 2 Rigolot Fran ois S mantique de la po sie Seuil coll Points 1979 p 166 CONCLUSION La po sie sonore pourquoi Je n en sais rien Et apr s tout je m en fous C est comme a Mais ce que je sais c est que passe ou doit passer travers elle la vie charri e intense bourbeuse ou gt 4 2 x planante Qu elle chappe sans doute par son oralit son primitivisme la litt rature Que cette derni re est bien le moindre de mes soucis Qu a travers elle au del des mots et des sons ou travers sons et mots physiqu
7. EE Conclusion 20 22 INTRODUCTION Si la pasta no se instala a partir de este momento en la dimensi n m trica del verso D nde se instala entonces la poesia Si d sormais la po sie ne r side pas dans la dimension m trique du vers O r side donc la po sie De nombreux mouvements d avant garde se sont succ d s tout au long du XX si cle Le futurisme et le dada sme sont les principaux mouvements qui ont donn un nouveau souffle la po sie suivis du lettrisme de la po sie concr te de la po sie sonore puis du mouvement fluxus Tous ont boulevers la conception traditionnelle du texte La notion de son dans les arts s attache in vitablement une r flexion sur les contextes de l exp rience artistique On distingue une v ritable volont de redessiner les rapports des arts Part d en repenser les contextes et les modes de pr sentation Ce d sir de lib rer le son de la musique que souligne John Cage n est pas uniquement une invitation s opposer aux codes musicaux mais une fa on de repositionner l art au del des fronti re Ces contradictions sont symptomatiques de la complexit du tournant sonore Qu elle se nomme sonore concr te ou action ce type de po sie veut s chapper d une tyrannie de l imprim Elle ne veut plus s inscrire entre les pages d un livre mais veut s en extraire et s exprimer Pair libre afin d exister dans le lien q
8. Forum le 6 juillet 1982 transcrit par Dominique Meens dans Wolman D fense de Mourir Paris Allia 2001 p 173 3 Po sie sonore Sous l appellation restrictive et controvers e de Po sie sonore on d signe g n ralement un ensemble de pratiques h t rog nes et diversement novatrices apparues d s les ann es 50 mettant en jeu la voix et recourant un outillage lectro acoustique qui peut aller du simple microphone lors d improvisations publiques et ou enregistr es sur une bande magn tique Francois Dufr ne Crirythmes l utilisation cr atrice du magn tophone avec manipulations m me la bande et ou diffusion de bandes pr enregistr es lors des prestations sc niques Henri Chopin Audio po mes Bernard Heidsieck Po mes partitions voire l informatique et au s quenceur suivant une voie ouverte par Brion Gysin assist de lan Sommerville Permutations Le lettrisme donnera lieu des po mes purement phon tiques sur bande magn tique Le terme sonore est apparu en 1958 dans la revue Gr mmes C est Jacques de la Villegl qui parlant de Fran ois Dufr ne affirme que Fran ois Dufr ne apporte donc la po sie exclusivement sonore une solution neuve et personnelle Jean Pierre Bobillot propose dans son ouvrage Po sie Sonore l ments de typologie historique une d finition de la po sie sonore Les po sies globalement qualifi es de sonores ont une longue histoir
9. des sons laiss s au choix de l interpr te utili sation non musicale de la voix percussions auxiliaires et utilisation d un dispositif m canique ou lectronique Avec cette uvre Cage cr e une sorte de jeu pour chanteur dont il d finit le cadre et les r gles mais o l interpr te construit enti rement la r alisation Chaque personne est totalement libre de choisir ce qu il veut faire de cette pi ce de la diffi cult vocale qu il veut montrer des voix et des bruits qu il d cide de faire en fonction de ses capacit s Ainsi chaque pr sentation de cette uvre est unique autant au niveau de linter pr tation que de l aspect musical car deux interpr tes ne chanteront jamais ces courbes de la m me mani re la hauteur et la vitesse des notes n tant pas pr cis ment d finies Le hasard est donc une donn e essentielle de la composition de Aria mais pas de son ex cution Finalement en prenant l exemple de John Cage la partition graphique qui devrait tre une contrainte appara t paradoxalement comme une forme de libert Il s agit l de trouver la sensation de libert dans la contrainte que l on s impose en vue d autres avantages Cette citation de Valery rejoint d ailleurs ce que pouvait exprimer Cornelius Cardew Et si vous jouez un jeu vous adh rez ses r gles Et c est une chose int ressante que les gens fixent des r gles par plaisir et qu ensuite ils
10. mani re dif f rente Elle n est fond e que sur le rep rage d un d calage temporel On peut alors penser que P coute plastique s effectue au niveau de cette oreille gauche Vaduz donne un m me l ment sonore deux statuts diff rents dans une quasi simultan it Duchamps illustre d ail leurs ce propos Ce qu il faut entendre d une oreille de l oreille droite gauche on pourrait trouver une s rie de choses entendre ou couter d une seule oreille 1 Duchamp Marcel Duchamp du Signe Champ Flammarion Paris 1994 19508 LA PERFORMANCE amp 2 LE SACRE Ill Walter Benjamin rappelait que jusqu la fin du Moyen Age Part apr s avoir t au service de la magie servait la religion des degr s divers et sous des formes multiples Les th mes exploiter tait alors restreints mais d s la Renaissance Part primitif et religieux com mence s estomper L int r t pour Dieu laisse place l engouement pour l homme L art se la cise Son caract re sacr se relie au culte de la Beaut Auparavant l importance de l uvre r sidait dans le fait d exister et non dans celui d tre vue Mais progressivement les uvres mancip es de leur usage rituel tendront vers une valeur d exposition Le mode d int gration primitif de l uvre d art la tradition trouvait son expression dans le culte On sait que les plus anciennes uvres d art naquirent
11. renoncent un syst me de signes liant signes visuels d un c t v nements sonores de l autre Chaque partition graphique devient une uvre totalement originale compos e de graphismes non conventionnels tirant son origine d une recherche d interactions entre son espace et graphisme mais qui en m me temps peut aussi acqu rir une valeur esth tique propre Au fil des ann es John Cage donne sa partition une multitudes de signes qui interrogent l interpr te plus qu ils ne lui donnent des ordres Son syst me de notation est propres chaque projet Le graphisme utilis n est pas n cessairement destin repr senter ce que l on entendra La partition est ainsi pour Cage une photographie de circonstances ll demande ainsi parfois de ne pas s en tenir strictement ce qui est d limit par la par tition Il s agit souvent d un cadre dans lequel inscrire chaque action On retrouve ainsi son go t pour le visuel pour les arts graphiques partition chiquier de Chess Music multiples utilisations des dessins de Thoreau plac s selon des op rations de hasard Renga 1996 des cartes g ographiques La notation s av re galement chez lui tr s diversifi e pour crire le Concert for piano and orchestra il utilise quatre vingt quatre syst mes de notation diff rents L criture de chaque solo est con ue de mani re m nager l ex cutant la marge d inter pr tation qui lui interdira
12. son texte le crie Il recherche le dialogue instaure une communication et cela de mani re directe Il en appelle l attention de l auditeur sa perception son regard son oreille sa participation parfois Cette mise en vidence de la fonction de la voix n est pas sans rappeler celle du Proph te ou de Oracle Pourtant qu elle soit accompagn e d un d cor ou d objets valorisant une lecture cette performance se rapproche du th tre Dans Pour en finir avec le jugement de Dieu la voix d Artaud est divis e en plusieurs voix Chaque voix d acteur imite les intonations d Artaud Dans cet enregistrement la voix d Artaud semble poss d e L clatement de la seule voix d Artaud se retrouve aussi lorsque celui ci crie Le cri est une des choses du monde les mieux partag es et tous les nouveau n s manifestent leur existence par le cri Dans L esquisse d une psychologie scientifique 1895 Freud d crit le cri comme une interpr tation par le nouveau n de la douleur qu il re oit le cri chappe au nouveau n et en m me temps exprime ce qu il prouve c est le d but des souvenirs conscients Par son cri aigu dans son uvre Artaud fait r sonner sa voix comme un souvenir fondamental lointain conscient et douloureux 1 Segalen Martine Rites et rituels contemporains Paris Nathan coll 128 1998 La voix poss de ses propres limites C est en d pla ant le lieu de production de la vocalit n
13. 5 2 Artaud Antonin Evelyne Grossman Pour en finir avec le jugement de Dieu Paris Galli mard 2003 p 9 3 Artaud Antonin 1945 lettre du 6 octobre 1945 4 Henri Parisot la pr sence mena ante jamais lassante de mon corps si fort qu on me presse de questions et que je nie toutes les questions il y a un point o je me vois contraint de dire non NON et ce point c est quand on me presse quand on me pressure et qu on me trait jusqu au d part en moi de la nourriture de ma nourriture et de son lait en me pressant ainsi de questions jusqu l absence et au n ant de la question on m a press jusqu la suffocation en moi de l id e de corps et d tre un corps et c est alors que j ai senti Pobsc ne et que j ai p t de d raison et d exc s et de la r volte de ma suffocation C est qu on me pressait jusqu mon corps et Jusqu au corps et c est alors 1632 17710 que j ai fait tout clater parce qu mon corps on ne touche jamais Le texte se finit plus tard par un cri interminable Artaud se sert du corps pour ext rioriser son texte il en fait son support une limite o se cr e l change du dedans et du dehors Cette exp rience du dehors est un instant o tout langage discursif est appel se d nouer dans la violence du corps et du cri car la pens e quittant l int riorit bavarde de la conscience devien
14. Blandine Pietra LE GRAPHISME L PREUVE DU BRUIT La po sie sonore est elle l oubli e du graphisme Master Design Graphique Sous la direction de Anthony Masure Campus de la fonderie de l image CNA CEFAG Je tiens dans un premier temps remercier mon directeur de m moire Anthony Masure pour ses conseils ses connaissances et sa disponibilit Je remercie galement les professeurs de Master Perrine Rousselet Alexandre Giraudeau et Adeline Goyet pour leurs avis critiques J aimerais adresser un remerciement particulier Guillaume Jacquemin qui a accept de r pondre mes questions Mes derniers remerciements iront vers ma famille et mes amis pour leurs encouragements et leur patience durant les tapes difficiles de ce travail SOMMAIRE Introduction D O I Nouveaut de la po sie sonore et de ses pratiques 1 Une d finition largie de la po sie eee 2 Le lettrisme pr curseur de la po sie sonore oeoo 3 Po sie sonore A _ RE 4 Un nouveau support du papier au magn tophone 5 Le changement de statut du lecteur et du po te ici RE II La place du corps et de la voix D 1 Le corps comme outil 2 9 L corps corps po tique d Artaud a nn ii 21202 3 Le dedoublemen aa ann ann 17719 III La performance et le sacr _ en 1 o Vers une d sacralisation du genre po tique seunas 19 03 2 Partition graphique code ferm m M ES SS _
15. GALEN Martine Rites et rituels contemporains Paris Nathan 1998 SIMEON Jean Pierre tats provisoires du po me VII article Oralit s Cheyne Paris 2007 SZENDY Peter coute plastique communication lors du col loque Plasticit s WALTER Benjamin L uvre d art l poque de sa reproductibilit tech nique Paris Allia 1935 Vid os amp enregistrements ARTAUD Antonin Pour en finir avec le jugement de Dieu CHOPIN Henri La civilisation du papier CAGE John Ar a HEIDSIECK Bernard Vaduz ISOU Isidore Trait de bave et d ternit LA ROCCA Ketty Appendice per una supplica WOLMAN Gil L Anticoncept La m moire m gapneumes
16. Yves pour Le Monde le 30 D cembre 2011 recueilli par St phane Barsacq et Jennifer Schwarz Paris NOUVEAUT DE LA PO SIE SONORE amp SES PRATIQUES Vou depuis toujours tenter de percer le myst re de son existence l homme dans l veil de sa conscience a invent peut tre avant toute chose la po sie Tout vrai po te est en qu te de quelque chose d innomm dont l intelligibilit demeurera toujours probl matique Le principe d incer titude s applique aussi et surtout la po sie Il n y a po sie que lorsque le po te se trouve dans l obligation d inventer un langage pour voquer une terre invisible dont il a la prescience et cela parce que le langage quotidien ne lui permet pas d en trahir les secrets qu il est all p cher dans les profondeurs de sa conscience Pourquoi faire de la po sie A quoi sert la po sie Qu est ce que la po sie 1 Une d finition largie de la po sie Rappelons dans un premier temps l origine de la po sie et notamment celle de sa relation avec l oralit On trouve d j une trace de la po sie associ e la notion d oralit en Gr ce Antique La po sie grecque commence avec l Iliade et l Odyss e qui sont l aboutissement d une longue tra dition orale d origine essentiellement indo europ enne D s le X si cle les a des musiciens et conteurs chantaient les exploits de h ros l gendaires Les plus appr ci s taient sans d
17. a turelle vers des dispositifs technologiques qu elle brise ces limites Cette intrusion de l appa reil rompt le dialogue instantan e entre deux tres humains Comme dans les hallucinations auditives la vocalit artificielle peut correspondre une personne absente ou imaginaire Quand on coute les performances de Bernard Heidsieck il devient difficile de percevoir sa voix de la non voix entre voix naturelle et voix de synth se Cette fronti re devient floue et le contr le de l appareil se rapproche plus de celui d un instrument de musique que de l organe phonatoire 2 Partition graphique code ferm Le terme de partition graphique appara t dans les ann es cinquante en relation avec cer tains compositeurs tels que John Cage Earle Brown Morton Feldman et Christian Wolff La partition ne s adresse pas exclusivement la sc ne de la musique contemporaine mais peut tre jou e par n importe quelle formation musicale dans n importe quel style Il ne s agit pas r ellement d interpr ter la pi ce ni m me d actualiser en musique ce qui existe virtuellement sur la feuille L uvre est en attente et l artiste r pond la po sie graphique des pages travers une musique personnelle La partition se r v le comme une forme entre la trace d action et un dispositif qui peut tre activ Elle repr sente plut t un processus de travail qu une notation de l existant Elle est visible pend
18. a nent sur le sol recouvert pour l occasion de papier Sous la direction de Klein les corps de femme deviennent d s lors des pinceaux vivants Si Klein fit appel des mod les certains artistes revendiquent leur corps comme tant un mat riau artistique dans des performances ou des v nements et c est par la pho tographie et la vid o qu ils en gardent une trace visible Le corps de l artiste a maintenant deux r les sujet et objet th mes de son travail Avec les actions et happenings les artistes r duisent le foss qui les s pare du spectateur qui devient n cessaire la r alisation de l uvre Dans les ann es 60 Bruce Nauman r alise des performances vid o Nu crachant de l eau il ex cute un Autoportrait en fontaine L artiste r alise galement des sculptures moulages de parties du corps utilise des n ons color s ou encore fait des mots anagrammes et r bus autant de mati res premi res pour ses uvres Pour cette notion de corps comme outil j ai directement pens la vid o Appendice per una supplica de Ketty La Rocca qui incarne cette volont de remplacer la parole par le geste et notamment ici par une partie du corps Dans cette vid o l artiste met en sc ne et parle avec ses mains Le mot devient inutile car les mains peuvent r v ler un tat psychologique Proche de l art conceptuel la d marche de Ketty La Rocca est d inventer un langage gestuel Elle util
19. a po sie On comprend donc que cette nouvelle pratique de la po sie comme performance a t dans un premier temps vivement rejet e car elle renvoyait une image n gative du po te en mettant plus particuli rement en cause sa dignit Le po te endosse dor navant plusieurs fonctions d auteurs et d interpr te lorsque sa po sie devient performance Ainsi cette po sie fait appel au corporel en utilisant la voix et le corps et donc associ e une performance sc nique comme nous l aborderons dans la troisi me partie du m moire 1 Goudeau mile Dix ans de boh me p 172 LA PLACE DU CORPS amp DE LA VOIX Pourquoi le langage buccal seul se consid rerait il po tique au d triment de tout autre moyen de communication humaine Les moluments du corps entier ne devraient ils pas tre class s dans la cat gorie des signes autant qu ils r pondent la n cessit du bruit Le lecteur se d m ne corps et bouche dans un ordre rigoureusement inscrit par l emploi int gral offert chacun de ses membres La po sie sonore bruit humain et non simplement voix r duit des lettres ouvre des sources insoup onn es cet art 1 Le corps comme outil Depuis les ann es soixante le corps s est affranchi des anciennes contraintes sociales et mo rales de la soci t Le corps est r invent et devient un instrument de pratiques sociales un corps organique un corps subjectif enf
20. ant la performance et prend une forme plastique dans l espace Dans ce cas l elle peut se constituer comme une forme autonome et part enti re la performance n tant qu un moment de l activation Dans le travail de partition on retrouve donc une volont d criture dans l espace C est une partition qui propose une infinit d interpr tations et qui laisse libre jeu l action r p titive ou simplement la marche Dans son ensemble elle prend une forme chor graphique Ces partitions d un genre nouveau sont tr s diff rentes les unes des autres aussi bien au niveau de leur aspect visuel que du point de vue des approches mises en uvre lors de leur laboration Ce que Feldman met en place dans de telles partitions ce sont davantage des diagrammes que des graphismes comme le fera E Brown peu de temps apr s dans des uvres comme les Folio Pieces November et December 52 Si les notations graphiques de Cage sont d lib r ment nigmatiques et en appellent au pouvoir d imagination ou d invention de l interpr te il n en est pas vraiment ainsi chez Feldman On pourrait plut t assimiler ce type de partition quelque plan ou patron 1 Bosseur Jean Yves Monographie dans Feldman Morton Ecrits et paroles L Harmattan Paris p 26 pe Se Avec le temps cette vari t d approches ne fait que s accro tre d autant plus que la partition graphique n est pas le fait exclusif des seu
21. au service d un rituel magique puis religieux Or c est un fait de la plus haute importance que ce mode d existance de l uvre d art li l aura ne se dissocie jamais absolument de sa fonction rituelle Dans le champ de l art la performance comme nous l aborderons ici pourrait relever d un d sir de sacr en reprenant une forme c r monielle D une part l uvre d art emprunte la c r monie archa que ses proc d s protocolaires en t chant de transposer avec eux leur pouvoir magique de m tamorphose du quotidien d autre part elle recherche la soci t sauvage gr ce l euphorie du regroupement et le caract re d improvisation qui en d coule Dans le premier cas une sacralit du cycle et de la r gle dans le second une sacralit sensitive qui a rompu avec les concepts abstraits 1 Walter Benjamin L uvre d art l poque de sa reproductibilit technique Paris Allia 1935 p 22 2 Longpr H l ne Probl me du sacr dans l art contemporain dans la revue Crit re n 32 automne 1981 1 Vers une d sacralisation du genre po tique On peut consid rer qu il y a mise en sc ne lorsqu il y a lecture devant un public soit des lectures avec des effets sc niques que Bernard Heidsieck appelle lectures actions po sie action etc Le plus souvent les gestes accompagnent la voix En Am rique du Nord cette pratique est appel e spoken word tand
22. ce seront cela des pens es qu il nous faudra dire qui emploieront ces mots pourtant r intensifi s port s au del de leurs 1 Gide Andr Attendu que Charlot Alger 1943 p 167 2 Herman Bretel Jos pha 3 Val ry Paul Vari t Gallimard Paris 1930 p 92 4 Wikip dia contenus conceptuels Le po te crit des po mes qui il l esp re seront lus Il les publie sous forme de livre ou de feuilles volantes Mais qui lit encore de la po sie aujourd hui Qui coute la voix des po tes On constate que le regard du lecteur fuit le po me traditionnel Que reste t il pour r tablir le dialogue La parole am ne capter l attention de celui qui P coute par le ton et le rythme employ s Une parole prof r e qui se s pare de la typographie et cherche l acc s par Poralit C est l qu intervient la po sie sonore Elle vit travers la mat rialit du langage se place au del de la langue et existant gr ce au magn tophone et dans les mani pulations qu il permet La voix l ment central de mon m moire sort ainsi de sa fonction premi re de communication qu on lui attribue dans la soci t occidentale Cette po sie critiqu e qui rend hommage et rompt avec la tradition litt raire qui emprunte un chemin parall le bouleverse les hi rarchies et la conception m me de la po sie Donner entendre la voix une d marche qui m int resse particuli rement 1 Entretien de Bonnefoy
23. de langages sp cifiques par des signes embl matiques sont le sens cod constitue l un des biens communs d un groupe Le rite incluant les c r monies les sacrifices des repr sentations est toujours codifi Le signe est la parole Quand on parle de performance on l associe parfois la repr sentation Mais peut on parler de repr sentation dans la pratique de la po sie sonore Non Si on d fi nit le terme de repr sentation cela implique une pr existence du texte or la performance de la po sie sonore est complexe Si le texte reste le m me le texte prononc est chaque fois diff rent La performance varie selon le public qui l amp coute On peut alors l associer une uvre ouverte mais peut on imaginer quelqu un faire du Pey De l Isou Le po te est seul pouvoir rendre compte de l investissement du moi dans le texte et des diff rentes actions semblables mais jamais identiques Ce que disent les mots la performance le montre Elle fait voir m me si le geste semble plus anodin que la parole Par le geste il y a mise en sc ne au sens propre des mots de cette po sie en chair et en os selon Heidsieck Le but tant de donner voir pour partager Le geste est alors un signe Quand on parle de l implication du corps dans la performance on aborde le corps mais aussi la voix Le po te n crit pas ses textes pour en faire une lecture silencieuse et solitaire mais proclame
24. doute parce que la po sie touche au sensible contrairement aux sciences o les connaissances ob issent des lois et sont v rifi es par des m thodes exp rimentales qu elle est si difficile d finir et qu elle nous para t obscure 2 Le lettrisme pr curseur de la po sie sonore 3 Au d but du XX si cle apr s cinq si cles d dition graphique la po sie se lance l assaut de la barri re gutenbergienne c est dire au plus solide syst me de signifiants scripturaux dans lequel la production du sens avait t longuement emprisonn e C est en s appuyant sur les avant gardes historiques que la po sie et la litt rature s aventure dans un processus d mancipation hors des contraintes techniques C est le concept m me de la po sie qui tente de se dilater il s agit de r cup rer une sorte de synesth sie qui enveloppe le producteur et l usager dans une pluralit de stimuli et sensations non plus seulement optiques mais aussi auditifs gestuels psychologiques La parole r cup re sa physique son ancienne mat rialit vocale enfreignant la condition de subor dination du signifiant Fond en 1945 par Isidore Isou le lettrisme s est impos comme un mouvement r volu tionnaire apr s le dada sme et le surr alisme Les raisons du passage r solu une po sie phon tique font l objet des premiers chapitres du livre De Charles Baudelaire Isidore Isou o elles se distribuent sel
25. e encore tr s m connue Elles se caract risent par un certain usage de la voix en g n ral la voix propre du po te et ou de la technologie de l enregistrement du traitement et de la restitution du son la voix mais gale ment tout autre objet sonore ou bruit d s la conception et ou l laboration m me de l uvre D un c t donc le corps prof rant en sc ne ou en studio de l autre le phonographe le micro phone le magn tophone aujourd hui l ordinateur Elles se traduisent par une relativisation du Livre au profit du live du disque du livre disque du disque livre d Internet etc et s inscrivent volontiers en faux dans le dispositif et l id ologie du tout communicationnel de la soci t post industrielle elles y incarnent le bruit du vivant Cette pratique artistique rel ve de ce qui est d sign par le champ s mantique de l impuret dans le sens d hybridit Cette d signation n est pas nouvelle et la cr ation contemporaine ne peut pas la revendiquer exclusivement Par contre ce qui para t plus nouveau c est la mani re dont la litt rature les arts plastiques le th tre ou la danse semblent changer des modalit s et des mat rialit s qu on supposait sp cifiques Elle rejoint Poralit m di vale qui consid rait le texte comme l occasion du geste vocal La tradition des troubadours des trouv res des Minnes ngers pla ait en effet la phon en tant 1 Bobillot
26. e n est pas parfaite elle c toie le hasard l impr visible Le po te qui souffle dans mon magn tophone ignore lui m me le message qu il d couvrira plus tard le sentiment qu il fera passer Il peut intervenir sur la bande magn tique avec une technique de d coupe et de collage Le r sultat sera inimitable car impr visible 5 o Le changement de statut du lecteur et du po te En changeant de format la po sie sonore am ne in vitablement un changement de statut du lecteur On ne parle plus de lecteur comme dans une po sie traditionnelle mais de spec tateur On assiste donc un d placement des postures du lecteur vers un lecteur auditeur et spectateur Ces peux postures se situent du c t de la r ception de l change Bernard Heidsieck utilise d ailleurs ces termes pour qualifier son public Ce que je cherche et souhaite toujours c est offrir la possibilit Pauditeur spectateur de trouver un point de focalisation et de fixation visuelle Cela me para t essentiel Sans aller jusqu au hap pening loin de l je propose toujours un minimum d action pour que le texte se pr sente comme une chose vivante et imm diate et prenne une texture quasiment physique Bernard Heidsieck parle ici d auditeur spectateur cette d signation recouvre le m me type de r ception que l expression lecteur auditeur mais fait dispara tre l op ration litt raire de lecture et appuie la notion sc nique de ses perfor
27. ement saisis et retransmis passe ou doit passer une lectri cit imm diate qui transcende les normes habituelles de la communication La po sie sonore pourquoi pourquoi Pourquoi plut t pourquoi refuser cette ouverture Au del des carcans chappes et camisoles de tous acabits dans lesquels la po sie a failli se pi ger Pourquoi Sinon pour circuler au del de l obstacle des langues qu elle transgresse de nom breuses missions radiophoniques entre autres un peu partout en t moignent et s aventurer dans un no man s land o tout reste faire Enfin Retransmis de mani re sonore les po mes et textes ne sont plus ce qu ils sont d ordinaires Bien qu ils soient du souffle du cri du rire ou de la r p tition ils sont dor navant l image que renvoie le po te C est par son corps ses gestes sa voix son comportement que le po te porte son po me l assimile physiquement avant de le transmettre Le po me au del du son et de la voix au del de l acte d tre entendu en devient visuel Le passage par la perfor mance montre une aspiration un d passement ou une int riorisation vers un au del ou un retour sur soi I n exclut pas la violence comme Artaud nous le prouve et comme Ren Girard V crit dans La violence et le sacr Par del ces multiples m diums et modes d expres sions la po sie sonore conserve l objectif de rendre le texte public
28. enforcer ces possibilit s flatter ces tendances en lui fournissant triturages et manipulations au niveau du studio et de la bande mais renversement radical de fa on centrifuge cette fois en l oxyg nant et en le rebranchant sur le monde Le po me voulait se faire entendre recouvrer son oralit perdue le magn tophone r v lera au po te sa voix la cons quence imm diate en sera l instauration de nouveaux rapports avec le texte quant sa construction quant sa conception quant sa retransmission publique Celui ci affirme la n cessit d utiliser les techniques de son poque afin de rebrancher le po me sur le monde Ainsi il ouvre mat riellement la po sie aux r seaux de diffusion de la musique par le biais du disque et des ventuelles diffusions radiophoniques Les op rations de montage effectu es sur de la bande magn tique sont diff rentes de celles effectu es sur du papier avec du scotch et des ciseaux la bande magn tique ne permet pas de manipuler du texte mais de la parole brute ou du texte perform en parole La richesse de la bande magn tique demeure dans la libert de la manipulation du texte mais galement du souffle de la voix des intonations etc Cette parole ou ce texte perform en parole est ainsi plus complexe et int ressant qu un texte crit sur lequel on effectuerait une op ration de montage Pourtant il semble qu il y ait une certaine incoh rence dans la d marche de B
29. ernard Heidsieck Il refuse de poser la po sie sur papier et pourtant il passe de Poralit du po me un montage sur bande magn tique En quoi le support de la bande magn tique diff re t elle tant d une page de livre puisque ces deux mediums fixent finale ment le po me Il existe une certaine tension entre deux mediums entre l lectro acoustique fixant le texte ou la partition comme nous le verrons plus loin et la performance 1 Heidsieck Bernard Nous tions bien peu en Onestar Press 2001 Dor navant le medium du po te n est plus le papier mais devient donc le magn tophone Peut on alors parler d une voix de la machine Je remplacerais plut t le terme par d ins trumentation de l organe vocale comme nous le verrons dans la derni re partie Mais cette question soul ve une autre probl matique plus g n rale Peut on parler de machine N y a vil pas une distinction entre appareil et machine Quel terme faut il associer la po sie sonore Les machines s inscrivent dans des projets de ma trise Un machinateur tente d imposer sa souverainet une mati re qu il s efforce de transformer selon un programme pr tabli une machine est pr visible calculable amp conomisable Sur l appareil une fois d clench il n y a pas de ma trise parfaite Photographier filmer c est toujours prendre une risque L appareil op re et tourne de lui m me Or la po sie sonor
30. exceptions pr s dans la musique comme dans la litt rature et singuli rement dans la po sie occidentales depuis des si cles Quand on parle de son sale on comprend que cette intrusion du bruit dans la po sie ait t vivement critiqu Certains crivains qui ont entendu des po mes sonores refusent de 1 Rousseau Jean Jacques Dictionnaire de musique Paris Duchesne 1768 p 60 61 2 Castanet Pierre Albert Tout est bruit pour qui a peur Pour une histoire sociale du son sale Michel de Maule Paris 3 Bobillot Jean Pierre La Voix r invent e Les po tes dans la technosph re d Apollinaire Bernard Heidsieck Histoires litt raires 2006 n 28 Paris leur accorder la moindre valeur po tique Par exemple pour Jean Cohen Le lettrisme s est voulu po me Par l il s est condamn lui m me Un po me qui ne signifie pas n est plus po me parce qu il n est plus langage Ou encore Les divers bruitages du lettrisme peuvent avoir un int r t historique ou anthropologique cer tain leur pouvoir d incantation peut m me tre tr s grand et provoquer des r actions motives intenses chez le lecteur Cependant ils restent en de du seuil po tique proprement dit parce que le langage qu ils utilisent n a pas de valeur communicative identifiable Dans cette derni re citation Francois Rigolot critique l apport de instrumentation de la voix contraire la
31. in un corps mat riel Il est exploit par plusieurs artistes et auteurs qui en font un objet de repr sentation Quand j aborde le corps comme outil je renvoie au corps en mouvement au geste celui l m me qui exprime une pens e ou une motion Selon Diderot le geste est quelque fois aussi sublime que le mot il existe en effet un langage l mentaire et instinctif du geste Le corps tait uniquement objet de repr sentation sujet de l uvre peinte sculpt e ou photographi e Avec le futurisme italien l artiste repr sente le mouvement en s appuyant notamment sur la recherche optique Il s appuie par exemple sur des recherches photogra phiques des ann es 1880 comme celle de Marey ou de Muybridge pour obtenir des frag mentations morcellements et d compositions 1 Isou Isidore Pr cisions sur ma po sie et moi 1950 Exils 2003 p 21 23 Dans les ann es 1950 on assiste au d tournement de la peinture pour se tourner vers l acte de peindre en lui m me Les peintres du XX si cle d veloppent un int r t pour les Works in Progress soit l uvre en train de se faire D sormais la pr sence de l artiste son geste ou son corps fait partie int grante de l uvre Les premi res Anthropom tries empreintes de Yves Klein sont pr sent es en public Paris en mars 1960 lors d une performance au cours de laquelle trois mod les f minins nus couverts de peinture bleue Klein rampent et se tr
32. is qu elle est nomm e Reading poesia en Italie Cette performance commence en po sie lorsque le po te met son corps en sc ne avec des effets de voix des manipulations d objets etc C est une sorte de mise nu du po te D Kimm parle du texte comme cadeau le po te offre une repr sentation et livre son texte avec nergie Ces nouvelles exp rimentations artistiques li es la po sie qui s opposent aux courants de l poque en montrent clairement les limites Hors de la norme elles seront vivement criti qu es qualifi es de d cadentes d art mineur ou d art festif On poursuivra afin d expliquer en quoi cette art a tant t contest Ce rejet est il d l utilisation du corps et de la voix dans une discipline apparemment pudique qu est la po sie En supprimant la distance qu impliquent le support et les outils en faisant du corps son sujet en obligeant la s paration entre l artiste et son uvre la performance peut tre com prise comme une r appropriation du corps l artiste est son uvre Cette r appropriation du corps est cependant ambig e si les artistes tentent de revaloriser le corps leurs corps cette lib ration s accompagne d une forme de d sacralisation La lib ration physique des corps est corr lative d un m pris des tabous la fois dans les repr sen tations et dans les savoirs L art et la m decine sont deux domaines o s illustre particuli rement
33. ise le mot pour sa valeur symbolique en le rendant sacr 2 Le corps corps po tique d Artaud La relation de ma lecture publique avec celle pr existant sur la bande et qui est retransmise par les enceintes varie elle aussi d un texte l autre Il peut y avoir dialogue rixe simple superposition affrontements compl mentarit antagonismes partage ou simple visualisation en tout tat de cause change ou corps corps Si je suis po te ou acteur ce n est pas pour crire ou d clamer des po sies mais pour les vivre Lorsque je r cite un po me ce n est pas pour tre applaudi mais pour sentir des corps d hommes et de femmes je dis des corps trembler et virer l unisson du mien virer comme on vire de Pobtuse contemplation du bouddha assis cuisses install es et sexe gratuit me c est dire la mat rialisation corporelle et r elle d un tre int gral de po sie 1 Donguy Jacques une g n ration po sie concr te po sie sonore po sie visuelle Paris Henri Veyrier 1985 p 77 2 Artaud Antonin 1945 lettre du 6 octobre 1945 Henri Parisot 15 28 Antonin Artaud joue l infini de la variation des techniques vocales pour faire surgir du texte une magie po tique Ses exp riences dont on a aujourd hui la trace dans la mise en ondes de Pour en finir avec le jugement de Dieu 1947 nous montrent la puissance de la dic tion et l motion qui en r
34. istrement qui se trouve sur une piste avec l oreille gauche et entend une autre piste avec l oreille droite Vaduz me semble l oeuvre la plus appropri e pour illustrer l expression d coute plastique que propose Szendy Mais l explication qu il fournit de cette expression est quelque peu embrouill e Le Petit Robert propose la d finition suivante qui a le pouvoir de donner la forme L coute plastique suppose le son mat riel Elle s int resse aux fa ons de renseigner l espace d alt rer ou modifier sa perception de cr er former sculpter des volumes sonores 1 Artaud Antonin Evelyne Grossman Pour en finir avec le jugement de Dieu Paris Galli mard 2003 p 63 2 Foucault Michel La pens e du dehors Fata Morgana Paris 1986 p 19 3 Szendy Peter coute plastique communication lors du colloque Plasticit s 4 Barthes Roland Le grain de la voix L Obvie et l obtus dans Essais critiques tom III Paris Le Seuil 1982 p 240 Bernard Heidsieck r duit son oeuvre une dimension sonore pour faire appara tre une plasticit nouvelle qui oublie Paspect visuel au profit d un processus de plastification de sa po sie L oreille droite entend autour de Vaduz il y a des suisses et l oreille gauche entend le m me texte avec un d calage de quelques secondes L oreille gauche s coute donc couter car elle est capable d appr hender le m me texte que l oreille droite de
35. ite les structurer ainsi suivent des exemples J ai trouv l une gamme assez consid rable de sons et je me suis amus faire des constructions ce que j appelais des m gapneumies soit de la po sie base du souffle Wolman appelle consonne d sint gr e ce type de consonne affranchie de la voyelle qui ac compagne d ordinaire sa prononciation phon tique I en tablit la liste dans un texte intitul Introduction a Wolman bl cl dl eJ gl aclh jlil klal ell lm n pl l qlul e r ls tl vl ilx Pai trouv tr s peu d enregistrements des performances vocales de Wolman mais tout ceux qui sont publi s pr sentent des sons nerveux des voyelles souffl es et des rales Sa po sie est toujours une recherche de d passement de la po sie phon tique C est travers celle ci que se sont exprim s les lettristes fran ais Le groupe lettriste s est galement attaqu toutes les formes de l art cin ma Trait de bave et d ternit d Isidore Isou 1952 danse chor graphie lettristes de Maurice Lemaitre et peinture Hypergraphies lettristes de Lemaitre et Isou Pour Isidore Isou le po me du futur sera purement formel d pourvu de tout contenu s mantique Par la pr minence de Poralit dans le lettrisme et l clatement du langage traditionnel ce mouvement fut lib rateur pour toute une g n ration 1 Entretien de Wolman avec Bernard Constant pour Radio
36. ls compositeurs parmi les artistes se livrant ce genre d activit cr atrice figurent en effet une proportion non n gligeable de plasticiens Mais malgr ces diff rences r v latrices d une grande diversit de pens e cr atrice chez ces artistes toutes ces uvres pr sentent certains points communs Au niveau du mode de communication la diff rence des partitions conventionnelles qui visent transmettre l information de mani re aussi pr cise que possible l objet de la parti tion graphique se transforme puisque la fonction de code ferm est remplac e par celle d initiateur ou de mode d emploi d un nonc Le lecteur se trouve ainsi confront la difficult de d chiffrer une partition qui se refuse la lecture La plupart des partitions graphiques s accompagnent d un mode d emploi qui permettra aux musiciens de d chiffrer et d interpr ter un corpus dans le sens d une inten tion premi re Ces notices engagent un discours l o premi re vue et en rupture avec la tradition r gne une opacit po tique le mode d emploi et la liste des symboles constituent un a priori de la lecture c est dire de l interpr tation Il s agit d s lors et travers le signe d chapper la directivit de la lecture pour atteindre un d chiffrage dimensions multiples Au niveau visuel les partitions graphiques se caract risent principalement par le fait qu elles
37. mances On peut associer cette volont de focalisation et de fixation visuelle un proc d de plastification de la po sie la plasticit du sonore fait cho l id e d coute plastique 1 Citton Yves Le retour de l objectivit article publi dans La Revue des Livres n 9 Janvier F vrier 2013 2 Entretien de Heidsieck Bernard par Lemaire G rard Georges Gen ve L apparition d un po te qui est aussi un auteur et interpr te est un point important dans le changements des pratiques de la po sie Jusqu a maintenant le po me pouvait tre lu mais essentiellement dans un cadre priv intime entre amis Ou bien si il tait lu dans un endroit public il devait tre lu par une autre personne et non plus par le po te Cette r citation est d ailleurs une pratique noble qui cherche mettre en valeur les motions du po me Etre po te et interpr te entacherait le role du po te et surtout son respect La pudeur avec laquelle le po me a t cr e serait salie partir du moment o le po te d voile son uvre devant un public Certains po tes pr tendailen t contraire toute dignit professionnelle de jeter soi m me la foule ses rimes pudiques Emile Goudeau r pond aux critiques de la po sie sonore qui associe cette pratique une exhibition de l intimit celui ci r pond que cr ation pudique et r citation publique ne sont pas incompatible dans l
38. mat Son support modifierait il la relation de la po sie avec le monde 1 Heidsieck Bernard Poemes partitions Al Dante p 37 2 Heidsieck Bernard Po sie action et magnetophone mars 1967 mars 1968 paru dans les revues AXE et AXE2 Belgique 1975 Le magn tophone devient plus tard un produit commercialis Pour la premi re fois tout un chacun peut enregistrer du son et faire des montages C est cette technique qu exploite Henri Chopin pour r p ter le m me mot l identique donnant l impression d une parole d automate Bernard Heidsieck s en sert pour moduler la vitesse d une phrase et Fran ois Dufr ne pour superposer et synchroniser les sons Dans la lecture du texte Vaduz de Heid sieck usage du magn tophone qui r p te les mots du po te d une mani re plus ou moins rapide permet de cr er une v ritable uvre po tique sonore qui ne se limite plus au sup port du livre Dans Nous tions bien peu en Bernard Heidsieck d crit le lien entre la naissance de la po sie sonore et son acquisition d un magn tophone Le po me difficultueusement ou violemment cherchait s extraire du papier se projeter hors de la page la bande magn tique est donc arriv e point nomm pour le recueillir en guise de support d enregistrement et de retransmission Le po me tout ses pr occupations centrip tes se triturait nombrilistiquement en tous sens le magn tophone va r
39. n cette volont de sortir la po sie de son support papier on peut galement associer Bernard Heidsieck pr sident de la Commission Po sie du Centre national du Livre et po te sonore qui parle de la lib ration des mots et du passage de la po sie sur papier une po sie orale La po sie agonisait il ne s agissait pas moins de la r oxyg ner Pour ce faire il m est apparu que de passive qu elle tait sur le papier il fallait la rendre active l en extraire donc et lui restituer son nergie et son potentiel de communication dans l oralit red couverte Ce n tait l qu une r volution qu un total renversement de sa trajectoire Sortir le po me de la page n est pas une m taphore Bernard Heidsieck sort litt ralement et physiquement la po sie de la page en ayant recours la lecture comme performance Il va m me plus loin en utiliser le terme plus violent qu est arracher Or donc mais or donc soit et bien eh bien LARRACHER A LA PAGE voila d lib r ment sinon d finitivement LE d visser LE d raciner LE d boulonner il n est que temps grand temps La po sie crite est faite pour rester couch e C est son destin Qu elle s y tienne Passive Patiente aussi Dans l attente du client une po sie couch e il propose de substituer une po sie verticale ascendante Mais la po sie existe t elle travers son for
40. nous privons pas du plaisir de la transgression BIBLIOGRAPHIE Livres amp articles ARTAUD Antonin Lettre du 6 octobre 1945 Henri Parisot Pour en finir avec le jugement de Dieu Paris Gallimard 2003 BARTHES Roland Le grain de la voix LObvie et Pobtus dans Essais critiques tom III Paris Le Seuil 1982 BLANCHOT Maurice L Entretien Infini Gallimard 1969 BOSSEUR Jean Yves Monographie L Harmattan Paris La Voix r invent e Les po tes dans la technos ph re d Apollinaire Bernard Heidsieck His toires litt raires 2006 n 28 Paris CASTANET Pierre Albert Tout est bruit pour qui a peur Pour une histoire sociale du son sale Michel de Maule Paris COHEN Jean Structure du langage po tique Flammarion coll Champs 1966 DETREZ Christine La construction sociale du corps Paris Points 2002 DONGUY Jacques Une g n ration po sie concr te po sie sonore po sie visuelle Paris FOUCAULT Michel La pens e du dehors Fata Morgana Paris 1986 GIRARD Ren La violence et le sacr Grasset 1972 ISOU Isidore Pr cisions sur ma po sie et moi 1950 Exils 2003 LONGPR H l ne Probleme du sacr dans l art contemporain dans la revue Crit re n 32 automne 1981 RIGOLOT Fran ois S mantique de la po sie Seuil coll Points 1979 ROUSSEAU Jean Jacques Dictionnaire de musique Paris Duchesne 1768 SE
41. on trois ordres de consid rations l volution spirituelle de la po sie l volution de son mat riel et la sensibilit technique dans la po sie Parmi les premiers po tes lettristes avec Isou Gabriel Pomerand Fran ois Dufr ne Maurice Lemaitre Jean Louis Brau Gil Joseph Wolman Isidore Isou cherche valoriser la force premi re de la lettre pour sa mati re sonore ou graphique et en la rendant ind pendante du mot en fait 1 Coran Pierre Lemaitre Pascal L Atelier de po sie Carsterman 1999 p 9 2 Le Petit LAROUSSE illustr 2005 p 836 3 Miccini Eugenio Une s miologie de la transgression article paru dans la revue INTER juin 1991 la seule d tentrice de sens Ces nouveaux po tes apportent la lettrie ce qu ils appellent des lettres a alphab tique un lexique de sons corporels tels que des claquements de langue des r les des toussotements ternuements etc Gil Joseph Wolman quand lui enre gistres des po sies soupir es ou souffl es qu il nomme m gapneumes Je me suis aper u que les lettres taient faites surtout du souffle Prenez la lettre b la lettre b n existe pas La lettre b est form de b et de e du souffle e J ai donc dissoci le b du e Tout cela pour vous dire que la m gapneumie est une chose tr s simple Vous prenez les lettres vous les r duisez leur v ritable l ment leur souffle vous pouvez ensu
42. oralit s litt rature Gallimard Paris 1941 p 222 Comment d finir le terme po sie quand il fait l objet de tant de malentendus Malgr son accessibilit la po sie a tant de visages qu il n est pas ais de la d finir Citons par exemple quelques crivains La po sie consiste passer la ligne avant la fin d une phrase ou encore Comme un caillou jet dans l eau le mot provoque des images mouvantes suscite des r sonances engendre la fascination Elle semble inatteignable on devrait l observer de loin pour mieux la comprendre car c est de son myst re que na t toute sa puissance Essayer de l expliquer de d m ler son fonction nement d truirait tout le charme quelle exerce Ni l objet propre de la po sie ni les m thodes pour le joindre n tant lucid s toute nettet sur ces questions demeure individuelle et la plus grande contradiction dans les opinions est permise La po sie est d abord une mani re de travailler le texte un art du langage Son tymologie provient d une pratique qui consiste utiliser le langage pour fabriquer un po me de la m me mani re que l on cr e un objet Le terme po sie vient de Poiein qui signifie cr er en grec L activit po tique trouve son origine dans le d sir de briser les signes langagiers d aller l inverse des lois litt raires Refusant la langue commune la po sie s oppose la prose elle s
43. oute ceux qui voquaient la guerre de Troie et le retour de ses h ros Appara t alors le rhapsode un artiste qui r cite les uvres crites par un autre principalement des pop es Hom re lui m me en pr sente deux dans l Odyss e D modocos et Ph mios La po sie est une vidence car elle est reconnaissable mais elle est aussi myst re car il est difficile de lui donner une d finition comme nous avons pu le voir pr c demment 1 Terzieff Laurent lors de la conf rence de presse du Printemps des Po tes en d cembre 2001 la Com die Fran aise Elle est myst rieuse car elle a son propre langage un langage diff rent du registre de la langue courante Pourtant comme le note le po te Jacques Charpentreau On utilise les m mes mots pour acheter du pain faire une d claration d amour crire un po me Simplement ils sont agenc s d une autre fa on Mais ce sont bien les m mes mots tant donn les difficult s d finir la po sie citons le Petit Larousse Illustr Art de com biner les sonorit s les rythmes les mots d une langue pour voquer des images sugg rer des sensations des motions Cette d finition montre que la po sie joue avec les mots Elle les associe selon un besoin musical esth tique Toutefois il s agit d un art donc d une cr ation qui propose des r gles et qui a pour objectif de produire des effets sensibles sur le lecteur Et c est sans
44. pr cis ment de s en remettre la partition La notation se r f re galement chez Cage l attitude qu il sugg re l interpr te d adopter Que les notations se r f rent ce qui doit tre fait et non pas ce qui doit tre entendu 1 Mussat 1983 2 Bosseur 1993 23 40 Aria 1958 une uvre de John Cage qui m a particuli rement interpell e se pr sente comme un portrait vocal de la cantatrice Cathy Berberian Il y explore les possibilit s de la voix et notamment en utilisant les cing langues que parle Cathy Berberian Parm nien le russe l italien le fran ais et l anglais Prenant des bribes de textes il juxtapose des styles vocaux et des modes d missions sonores associ s librement 4 une gamme de couleurs par l interpr te Cathy Berberian choisit les associations suivantes Noir dramatique Pourpre Marlene Dietrich Jaune colatura et colorature lyrique Vert populaire Orange couleur orientale Brun son nasillard Bleu fonc jazz Bleu clair baby voice John Cage choisit une notation musicale graphique chaque geste vocal est associ une courbe en ligne continue ou pointill e Dans l espace de la partition le registre est indiqu par l emplacement de cette courbe dans le plan vertical la dur e dans le plan horizontal Outre ces juxtapositions de voix totalement diff rentes sans texte signifiant John Cage indique des carr s noirs correspondant
45. rdes vocales Cependant cette distinction qui oppose avec ou sans appareillage me para t r ductrice Ces diff rences de proc dures composition nelles sont une infime opposition qui m me si elles doivent tre voqu es ne suffisent pas faire une r elle division entre po sie orale et po sie sonore La po sie orale sera donc trait e dans ce m moire comme une appartenance la pratique de la po sie sonore Je ferai ainsi le choix de comprendre dans la notion de po sie sonore les quatre composants suivants Po sie sc nique que l on peut dater de 1878 avec le club des Hydropathes fond par Emile Goudeau Paris et auquel succ da le Chat noir de Rodolphe Salis en 1881 Po sie enregistr e que l on peut faire remonter aux s ances phonographiques dirig es par Ferdinand Brunot aux Archives de la Parole comme nous le verrons plus loin avec l apparition du magn tophone Po sie simultan e a plusieurs voix o se croise les deux pr c dentes po sie enregis tr e et sc nique Po sie phon tique ou allaient galement se croiser les deux premi res et que l on peut dater de 1908 avec l Incantation par le rire de Velimir Khlebnikov qui est enti rement com pos e de d rives plus ou moins fantaisistes du mot rire 4 Un nouveau support du papier au magn tophone La premi re trace de l usage d un phonographe des fins de conservation de la voix remonte 1898
46. sulte Antonin Artaud nous a laiss un document majeur qui n est rien d autre qu un Art Po tique Je reconnais qu il y parle du th tre mais ce qui est en cause c est l exigence de la po sie telle qu elle ne peut s accomplir qu en refusant les genres limit s et en affirmant un langage plus originel dont la source sera prise un point encore plus enfoui et plus recul de la pens e Pour en finir avec le jugement de Dieu la pi ce radiophonique d Artaud revendique une po sie dans l espace La pi ce programm e pour le 2 f vrier 1948 fut finalement censur e et diffus e le 6 mars 1973 soit pr s de 30 ans apr s sa cr ation Les mots seront pris dans un sens incantatoire vraiment magique pour leur forme leurs man cipations sensibles et non plus seulement pour leur sens Il utilise d une fa on surprenante des possibilit vocale et sonore afin de surprendre l auditeur ou spectateur et faire pression sur les sens Emettre c est construire un dehors incarner son sujet et ainsi donner voir la mate rialisation corporelle et r elle d un tre integral de po sie comme l Ecrit Artaud Henri Parisot je sais que l espace le temps la dimension le devenir le futur le moi le pas moi ne sont rien pour moi mais il y a une chose la pr sence de ma douleur de corps 1 Blanchot Maurice L Entretien Infini Gallimard 1969 p 43
47. suppos e de communication et de dissocier la po sie de sa fonction de po tique du langage Or la voix n est donc plus un simple outil de r citation harmonieuse comme nous l avons vu pr c demment c est un organe utilis pour choquer par exemple en gueulant comme dans la civilisation du papier de Chopin Or de gueuler ou jouer des notes criardes faire du bruit la fronti re est mince Une fronti re que les po tes franchissent tr s souvent Le bruit est consid r par certains auteurs comme Hu gues Dufourt dans sa pr face de Tout est bruit pour qui a peur comme le bas degr de l chelle de la musique L oreille a cette facult de distinguer les divers sons comme tant des bruits ou des sons musicaux Les soupirs les grondements les clapotis de l eau sont des bruits l inverse les sons de tous les instruments appartiennent harmonie de la musique Aussi Part du bruit galement qualifi de son sale fait il l loge Du bruit dans la langue voire de la langue elle m me comme bruit au double sens com municationnel et esth tique de bruit parasite et son laid ou sale Communica tionnel c est dire linguistique et social civilisationnel esth tique ou si l on veut po tique en ce qu il s agit de rompre brutalement avec Pid al d Euphonie si unanimement partag soit re u et transmis de rares mais clatantes
48. t nergie materielle souffrance de la chair pers cution et d chirement du sujet lui m me Chez Artaud le hors de la po sie se d finit comme un d placement un change li une exp rimentation des corps 3 Le d doublement J entends double comme on dit je vois double et la faveur de cette distance qui se glisse au creux de mon coute je me sens un peu comme un personnage de dessin anim qui tranch en deux par la chute d un objet coupant se mettrait courir de ses deux moiti s l une regardant l autre s adressant l autre pour lui dire de se regarder c est dire ici de s couter couter Le d doublement fait ici allusion la voix d doubl e Cette notion de pluriel de la voix est soulign par Rolan Barthes Est ce que j entends des voix dans la voix Mais n est ce pas la v rit de la voix d tre hallucin e L espace entier de la voix n est il pas un espace infini Cette d multiplication de la voix interroge doit on parler de voix sans corps de d cor vocal On parle des voix d un po te quand sa parole se fait polyphonique C est le cas de la performance Vaduz de Bernard Heidsieck Lauditeur a la sensation d entendre double Une sensation qui rappel le son st r ophonique un son enregistr ou reproduit l aide de deux canaux s par s droite et gauche L auditeur devant Vaduz est confront ce ph nom ne Il entend l enreg
49. uand on parle de ce myst re que peut tre une partition graphique cela me renvoie aux nombreuses exp rimentations d Artaud qui cherchait inventer un nouveau langage J ajoute au langage parl un autre langage et j essaie de rendre sa vieille efficacit magique son efficacit envo tante int grale au langage de la parole dont on a oubli les myst rieuses possibi lit s Artaud veut cr er un nouveau langage une langue universelle pour les d ficients de la langue les analphab tes Il pr tendra d ailleurs avoir d j cr e un livre intitul Letura d Eprahi Falli Tetar Fendi Photia o Fotre Indi et j ai en 1934 crit tout un livre dans ce sens dans une langue qui n tait pas le fran ais mais que tout le monde pouvait lire quelque nationalit qu il appartint Ce livre malheureusement a disparu C est lors de son internement psychiatrique que ses travaux graphiques se multiplieront Il n criera plus sans dessiner Tout comme une partition graphique la langue d Artaud est compos de signes et de sens cach s d crypter Ses partitions ne cache pas une oeuvre sonore mais refl te plut t une imagination po tique Pour lui son langage est un chantonnement scand la que non liturgique non rituel non grec entre n gre chinois indien et fran ais Villon une d fini tion complexe qui soul ve n anmoins une dimension vocale par le m lange des langues Les dessins fascinants q
50. ue Artaud r alis en 1937 nous montrent tout l aspect sacr et magique que peuvent r v ler l association criture et dessin Ce sont des sorts porteurs de pouvoirs magiques et qui prot geaient ou d truisaient le destinataire Certaines de ces lettres sont trou es ou partiellement br l es pour donner une r alit la douleur Elles t moignent chez Artaud de sa croyance en une dimension magique de l criture et du dessin 1 Artaud Antonin Lettre sur le langage 1932 3 o L exploitation du bruit Bruit s m C est en g n ral toute motion de l air qui se rend sensible l organe auditif Mais en Musique le mot Bruit est oppos au mot Son amp s entend de toute sensation de l ou e qui n est pas sonore amp appr ciable On donne aussi par m pris le nom de Bruit une Musique tourdissante amp confuse o Pon entend plus de fracas que d Harmonie amp plus de clameurs que de Chant Ce n est plus que du Bruit Cet op ra fait beaucoup de Bruit amp peu d effet En 1913 Luigi Russolo publia un manifeste appel Art des Bruits Ce manifeste est consi d r comme l un des textes les plus importants innovateurs et influents de l esth tique mu sicale du XX si cle Il y exposa sa th orie des bruits qui provoqua un renouveau musical et influencera fortement la po sie Le stade de d sacralisation de la po sie tient au fait de s pa rer la voix de sa fonction primaire
51. ui lie orateur et auditeur Ce po te orateur construit avec des mots d abord puis avec sa sensibilit sa perception du monde et sa connaissance Mais il peut mettre galement ses sens contribution pour d tourner en quelques sortes son travail et en faire une po sie sonore ou visuelle Th odore de Banville crit dans son Petit Trait de po sie fran aise De notre temps dans l artiste et le po te on n a voulu voir que le penseur mais il doit contenir aussi un ouvrier qui comme tous les ouvriers doit avoir appris son m tier par imitation et en conna tre la tradition compl te Il touche ainsi le lien qui existe entre la part intellectuelle et la part manuelle du travail du po te Il devient difficile aujourd hui de qualifier ce qui pourrait tre un objet po tique Nelson Goodman apporte quelques l ments de r ponse en montrant l importance du contexte Qu est ce que l art Qu est ce qu un po me Quand y a t il art po me Cette notion de contexte prend en compte le lieu o se d roule l uvre et le temps comment s ex cute l uvre Certains se font de la po sie une id e si vague qu ils prennent ce vague pour l id e m me de la po sie 1 Del Prado Javier Teor a y pr ctica de la funci n po tica Madrid C tedra 1993 p 15 2 Banville Th odore de Petit Trait de po sie fran aise A Le Cl re Paris 1872 3 Val ry Paul Tel quel choses tues m
52. y adh rent Ainsi les r gles donnent corps au jeu Un jeu qui aurait comme plateau le support qu est cette partition 1 Val ry 1977 24 31 Quand on parle de messages crypt s il serait int ressant de nommer Guy de Cointet un artiste performeur fran ais et d voquer notamment son travail intitul Tell me Compos e de dispositifs et d uvres dans de nombreux domaines du livres de po sie vi suelle du dessins ou d une vingtaine de pi ces de th atre son uvre se situe pr cise Ma rie de Brugerolle entre la tradition europ enne de la transgression du langage qu illustre notamment le surr alisme et l art conceptuel am ricain Selon Guy de Cointet Tell me est un spectacle mis en sc ne sur l abstraction et le langage et la fa on dont ils sont per us par l esprit et les sens Les relations entre ce qui est vu et entendu interrogent les perceptions de la r alit Mais ce qui interpelle ce sont ses dessins d chiffrer Trac s l encre avec pr ci sion des boucles des vastes zigzags biseaut s de petits formes g om triques et color es ils sont de v ritables devinettes des nigmes pour l il et l esprit Certains cachent un message crypt par un alphabet invent d autre sont purement abstraits De ses dessins cod s Guy de Cointet a fait des livres d artistes mais surtout des performances dans lesquelles des acteurs d chiffrent des tableaux textes devant un public Q
Download Pdf Manuals
Related Search