Du refus de l`acharnement thérapeutique à la demande d`euthanasie
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1. des patients atteints de maladies graves mortelles savent que les informations re ues sont souvent mal comprises transform es effac es Un puissant processus de d ni s installe souvent d pass et remplac par une acceptation ou une r signation mais pas dans tous les cas Comme l a dit un groupe de m decins am ricains qui ont r dig un article sur la responsabilit du m decin vis vis du patient incurable le probl me est le moins p nible lorsqu un patient inform et un m decin dou d empathie affrontent ensemble une perspective clairement d finie 2 Toutes ces conditions ne sont pas toujours r unies Nous avons vu qu il est difficile d informer le patient le m decin n est pas toujours la hauteur de son r le les perspectives d avenir ne sont pas n cessairement bien d finies et le malade n a pas exprim ou est incapable d exprimer ses volont s Les associations pour le droit de mourir dans la dignit s efforcent de r duire ces difficult s Elles proposent leurs membres un mod le de d clarations relatives la mort une sorte de testament qui doit avoir ses effets avant la mort living will comme disent les Anglo Saxons Ce testament est reconnu l galement dans plus de 30 Etats am ricains et dans ce cas les m decins sont donc tenus de le respecter Chez nous il n a qu une valeur morale mais celle ci est singuli rement renforc e si comme nous le recommandons2. deux membres oppos s toute forme d euthanasie ont r dig une note minoritaire appartenant un pays Voisin comme nous de tradition chr tienne et de r gime d mocratique ont r pondu affirmativement la question de savoir si dans certaines circonstances et certaines conditions l euthanasie pouvait tre pratiqu e sans entra ner de sanctions p nales Les conditions qui devraient tre remplies sont une demande expresse et r p t e du patient et une situation de d tresse sans issue pour quatre membres de la commission une condition suppl mentaire est la proximit d une issue fatale Les rapporteurs sont unanimes pour exiger que l euthanasie soit pratiqu e en milieu m dical Il faudra sans doute encore attendre longtemps avant que ces recommandations aboutissent un changement de la loi mais depuis 1984 la Cour supr me des Pays Bas a d cid qu il fallait tenir compte de consid rations thiques et m dicales pour juger des cas d euthanasie On peut penser que notre pays est encore tr s loin d une telle prise de position Le nombre croissant de personnes qui s adressent lA D M D et qui y adh rent montre n anmoins que quelque chose est en train de changer Pour revenir la question que je me posais au d but de cet expos l apparition des associations pour le droit de mourir dans la dignit est elle un retour la tradition de la mort accept e j aurais plut t tendance
3. y r pondre par la n gative On pourrait consid rer le refus de l acharnement th rapeutique comme la cons quence de la perte d un double espoir l homme de la fin du XXe si cle a perdu l espoir de m riter le paradis par une mort douloureuse ango issante mais peut tre r demptrice in ne croit plus la victoire de la m decine sur la mort La demande d euthanasie active ou d aide au suicide pourrait aussi tre interpr t e comme une fa on d occulter la mort de refuser le tr pas Escamotons ce passage douloureux prenons les pilules qui nous endormiront calmement pour toujours demandons au m decin de nous faire la piq re qui en douceur et rapidement nous vitera l agonie inacceptable QUELQUES REPERES BIBLIOGRAPHIQUES Philippe ARIES Essais sur l histoire de la mort en Occident du Moyen Age nos jours Paris Editions du Seuil 1975 Philippe ARIES L homme devant la mort Paris Editions du Seuil 1977 Pierre CHAUNU La mort Paris 16 17 18 si cle Paris Fayard 1978 Pierre Philippe DRUET Pour vivre sa mort Paris et Namur Editions Lethielleux 1981 Claude GUILLON et Yves LE BONNIEC Suicide mode d emploi Paris Alain Moreau 1982 Derek HUMPHRY Let me die before I wake Hemlock s book of self deliverance for the dying Los Angeles Hemlock 1982 Richard LAMERTON Care of the dying Penguin Books 1980 Paul Louis LANDSBERG Essai sur l exp r
4. le testateur demande son m decin traitant de signer ce document et de se d clarer ainsi le garant de ses volont s au cas o il ne serait plus en tat de s exprimer Une telle d marche de la part du testateur est une excellente occasion d tablir un dialogue sinc re et approfondi avec le m decin Il est bien vident que tant que le sujet est conscient et capable de s exprimer c est sa volont au moment m me qui compte et qu il doit pouvoir changer les termes de sa d claration tout moment et sans aucune formalit juridique L A D MD est pr te intervenir aupr s des m decins ou des institutions de soins pour faire respecter le cas ch ant les volont s de ses membres Je dois dire que jusqu ici je n ai pas eu connaissance de cas que l on pourrait qualifier d acharnement th rapeutique abusif Des conseils donn s aux proches pour les encourager parler aux m decins un entretien de moi m me avec un membre de l quipe soignante ont t suffisants pour apaiser les craintes de la famille et surtout pour dissiper un malentendu Il faut insister ici sur le fait que souvent des soins qui paraissent fort b nins pour le m decin sont per us par les proches comme une agression insupportable en particulier lorsque le d c s survient peu de temps apr s alors que ces actes sont bien tol r s par le malade et accomplis dans le seul but de soulager ses souffrances et d am liorer son confort Je pense
5. on les soulage ou qu on les d livre On doit dans certaines circonstances substituer au respect absolu de la vie le respect de la volont de l individu On peut se sentir oblig de sacrifier la dur e de la vie sa qualit Aujourd hui pourtant dans la plupart des pays dits civilis s l euthanasie active est consid r e comme un crime et en Belgique le code de d ontologie m dicale la proscrit explicitement Provoquer d lib r ment la mort d un malade qu elle qu en soit la motivation est un acte criminel article 95 Je suis persuad que la conscience de beaucoup de nos confr res les oblige enfreindre cet article du code de 1975 sur ce point sans doute d j obsol te il y a 10 ans Mais je dois ajouter que je crois aussi que la majorit des m decins belges reste hostile une l galisation de l euthanasie active selon ces m decins ce probl me minemment d licat doit rester une affaire de conscience l gif rer dans ce domaine risque d ouvrir la porte tous les exc s Je ne partage pas ce pessimisme Il me semble que le droit doit voluer avec les usages et que les abus et les d viations sont le mieux maftris s dans le cadre d une loi C est dans ce sens qu ont conclu r cemment les membres de la commission d Etat hollandaise charg e de remettre au Ministre du bien tre de la sant publique et de la culture un rapport sur l euthanasie Treize hommes et femmes responsables
6. pondre aujourd hui cette question les historiens ne disposant pas d un recul suffisant les philosophes et les sociologues tant peut tre encore incapables de discerner s il s agit d un ph nom ne durable et de signification g n rale Je voudrais n anmoins avec la na vet d un profane aborder cette question en retra ant de fa on sch matique l volution du sentiment de l homme devant la mort comme l on fait si loquemment en France Philippe Ari s Pierre Chaunu et Marcel Vovelle Les pr historiens nous disent que la premi re trace de l hominisation des primates est mieux encore que l outil ou le feu la conscience de la mort attest e par la disposition du cadavre Ce souci des d pouilles a souvent t interpr t comme une manifestation religieuse et il n est pas douteux que pendant des mill naires la religion a t le moyen que les hommes ont trouv pour lutter contre l angoisse et pour rendre la vie supportable malgr la conscience de sa fin certaine L incertitude de l heure de la mort mors certa hora incerta a par ailleurs t un motif puissant de se pr parer la mort La mort brutale accidentelle si valoris e de nos jours a toujours t dans la civilisation chr tienne la plus redout e le croyant devait tout moment tre pr t se pr senter devant Dieu Une bonne vie pr pare une bonne mort passage vers la vie ternelle passage difficile certes
7. KENIS Y Dans Naissance vie mort quelles libert s La Pens e et les Hommes 1986 29 ann e nouvelles s ries 3 60 67 Du refus de l acharnement th rapeutique la demande d euthanasie Il y a environ vingt ans des m decins et des sociologues aux Etats Unis des historiens en France nous ont montr quel point l attitude de l homme devant la mort vers le milieu du XXe si cle tait diff rente de l attitude traditionnelle On a parl de mort escamot e par opposition la mort apprivois e des si cles pr c dents Un des premiers livres sur ce sujet par Gorer tait intitul Pornography of death voulant dire par l que l on en tait arriv consid rer la mort comme un sujet obsc ne dont il n tait pas convenable de parler Depuis lors la situation a bien chang Le nombre de publications articles de journaux ou de revues livres scientifiques ou de vulgarisation est devenu norme La mort est le sujet de conf rences de colloques de s minaires de d bats de tables rondes On en fait des missions de radio ou de t l vision des expositions Des m moires des th ses voire des travaux scolaires de l enseignement secondaire lui sont consacr s Comme le dit l historien Pierre Chaunu la mort interdite allait succ der la mort bavarde Cela signifie t 11 que nous retournions la tradition mill naire de la mort apprivois e Il est difficile de r
8. d lai impos entre la demande et la livraison de la brochure doit tre suffisant pour viter les suicides impulsifs dus une d pression passag re le suicide n tant pas un d lit l aide au suicide n en est pas un non plus les difficult s rencontr es pour se procurer les moyens sont aussi une garantie contre le coup de t te mais ne sont pas insurmontables la longue pour quelqu un de vraiment d cid Quoi qu il en soit la preuve du r le incitatif d une telle publication n a pas t apport e Le d sir de pouvoir mettre fin ses jours a souvent pour motif la peur de la souffrance ou de la d ch ance la crainte d tre charge d autrui Le fait de poss der ce guide m me si on ne l utilise jamais procurera un grand soulagement et une s r nit en sachant qu on peut viter quand on le veut ces souffrances ou cette d ch ance L euthanasie enfin est le probl me le plus grave auquel puisse tre confront un m decin Sa vocation sa formation et ses activit s professionnelles sont dirig es contre la mort Il a appris se repr senter celle ci comme l chec absolu de son action Comment se fait il alors que des m decins puissent tre amen s poser un tel acte h ter la mort d un malade C est je crois parce que le m decin n a pas affaire des principes des entit s philosophiques mais bien des individus des individus qui souffrent et qui demandent qu
9. ience de la mort Paris Editions du Seuil 1951 Edgar MORIN L homme et la mort Paris Editions du Seuil 1976 Jacques POHIER et Dietmar MIETH Edit Suicide et droit la mort dans Concilium n 199 Paris 1985 Jo ROMAN J ai choisi l heure de ma mort Paris Pygmalion 1981 L on SCHWARTZENBERG et Pierre VIANSSON PONTE Changer la mort Paris Livre de Poche 1980 Paul SPORKEN Le droit de mourir Descl e De Brouwer 1974 Odette THIBAULT Ma trise de la mort Paris Editions Universitaires et Editions T moignage Chr tien 1975 Louis Vincent THOMAS Anthropologie de la mort Paris Payot 1975 Michel VOVELLE La mort et l Occident de 1300 nos jours Paris Gallimard 1983 Jean ZIEGLER Les vivants et la mort Paris Editions du Seuil 1975 NOTES 1 En Belgique l Association pour le Droit de Mourir dans la Dignit A D M D 15 rue des Pr tres 1000 Bruxelles 2 WANZER et al The physician s responsibility towards hopelessly ill patients dans New Engl J Med 1984 pp 955 950
10. la mise en place d une perfusion intraveineuse ou d une sonde gastrique pour viter la d shydratation et la sensation de soif ou pour emp cher des vomissements sympt mes qui seraient p nibles pour un malade conscient mais incapable de s exprimer Le m decin et l quipe soignante doivent tre conscients de ce fait et doivent prendre le temps d expliquer la raison des actes m dicaux entrepris Le traitement de la douleur doit tre ce stade le souci majeur du m decin Des moyens efficaces existent qui permettent dans la plupart des cas de soulager la souffrance sans supprimer la conscience Beaucoup d associations pour le droit de mourir fournissent leurs membres uniquement sur demande et en g n ral apr s un intervalle de temps de 3 6 mois une brochure d crivant les techniques de la mort douce ou des moyens d autod livrance en d autres termes des recettes de suicides raisonnablement s res c est dire efficaces non violentes et si possible rapides Les objections une telle information sont assez videntes risque d encourager les suicides pathologiques ou impulsifs des jeunes en particulier crainte de poursuites civiles ou p nales contre les diteurs et distributeurs de la brochure inutilit des informations donn es en raison de la difficult de se procurer en quantit suffisante les m dicaments recommand s Un certain nombre d arguments r futent ces objections le
11. mais rendu plus ais gr ce au viatique Loin de vouloir effacer ce passage la religion valorise et magnifie le tr pas jusqu en faire certaines poques et pour les personnages importants une impressionnante c r monie publique dont les diff rents actes sont soigneusement r gl s confession messe dans la chambre adieu aux domestiques et la famille extr me onction etc Pensez l admirable description de la mort de Louis XIV par Saint Simon Toutes proportions gard es le m me c r monial tait de r gle dans les familles bourgeoises encore au XIXe si cle comme le montre Ari s dans les passages qu il cite du journal et des lettres de Pauline de la Ferronays propos de la mort de plusieurs de ses proches La mort pr sente dans la famille est une r alit constante au XIXe si cle Prenons l exemple d un couple jeune d une trentaine d ann es le mari est remari veuf de sa premi re femme morte en couches plusieurs enfants tant du premier lit que du second sont morts les parents survivants des conjoints mourront au domicile de leurs enfants Aujourd hui dans notre soci t le m me couple a toutes les chances de n avoir jamais rencontr la mort chaque conjoint a encore ses deux parents l enfant ou les deux enfants sont bien en vie les grands parents sont dans une s niorie dans un home pour personnes du troisi me ge ou dans un asile de vieillards selon le statut
12. omme une recherche de l exploit aux d pens de la qualit de la vie de l tre humain dans sa phase ultime De plus en plus de gens veulent avoir le droit de refuser une telle fin veulent pouvoir s opposer cet acharnement th rapeutique C est principalement pour cette raison que se sont cr es dans une trentaine de pays des associations pour le droit de mourir dans la dignit qui groupent aujourd hui des centaines de milliers de membres 1 Ces associations revendiquent pour chacun le droit d accepter ou de refuser un traitement m me si ce refus doit entra ner la mort Elles veulent que chacun puisse assumer la responsabilit de ses actes jusqu l ultime limite de la vie Une telle responsabilit qui devrait tre partag e avec le s m decin s implique pour le malade le droit d tre inform de son tat Ai je une maladie incurable Vivrai je encore dans un mois dans un an Pourra t on soulager mes souffrances Resterai je lucide jusqu au bout aucune de ces questions on ne peut r pondre de fa on absolument s re La marge d erreur peut tre tr s petite mais elle n est jamais nulle De plus m me s il tait possible de disposer compl tement de l information et si on d sirait la communiquer sans aucune quivoque il n est pas certain que le message re u soit intact pleinement intelligible et garde une signification univoque et constante Les m decins qui ont affaire
13. social de la famille d o ils partiront vers l h pital pour y mourir Ce tableau est une fa on d illustrer les changements intervenus depuis la fin du XIXe si cle l extraordinaire allongement de la dur e de vie l esp rance de vie la naissance est pass e de 30 ans en 1800 50 ans en 1900 et pr s de 80 ans aujourd hui un peu plus de 80 ans chez la femme la r duction de la famille son noyau l mentaire la m dicalisation de la mort Le recul de la croyance religieuse s ajoute aux facteurs que je viens de citer On peut aussi se demander si dans l imm diat apr s guerre le simple souci d oublier la plus effroyable h catombe de l histoire n a pas jou un r le Vers la m me poque les progr s de la m decine de la r animation en particulier ont permis au sens propre de reculer les limites de la mort Tout le monde sait qu on peut aujourd hui maintenir en vie par des moyens artificiels m caniques et pharmacologiques un organisme qui sans ces moyens cesserait quasi instantan ment de vivre Ces mesures de r animation qui constituent un progr s merveilleux lorsqu elles permettent de franchir un cap difficile rendant possible le retour du malade ou du bless une vie normale sont par contre ressenties par beaucoup comme un abus intol rable lorsqu elles ont comme seul r sultat la prolongation de l agonie Une telle attitude est d nonc e comme un jusqu au boutisme aveugle c
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