Raconter les métropoles J.-B. Minnaert 1 Entretiens du patrimoine et
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1. banalit architecturale cet op ra par ses usages et les repr sentations mentales qu il g n re fait progressivement advenir le grand ensemble de Massy Antony au statut de centre de ville Depuis une trentaine d ann es les experts et les planificateurs de la forme urbaine les prescripteurs du go t aussi retournent leurs foudres contre le p riurbain cette amorale patrie du Nimby Not in my backyard vase d expansion d une middle class rel gu e son tour otage consentante des hypermarch s et des zones d activit s Cette middle class d vore mi complice mi victime les terres agricoles et les paysages ruraux que les grands ensembles les villes nouvelles les autoroutes et les lignes haute tension n avaient pas recompos s Le c l bre article de T l rama consacr la France moche celle de la p riurbanisation a cependant donn mati re r futations ironiques Ainsi l anthropologue ric Chauvier et son opuscule intitul pr cis ment Contre T l rama Ainsi la photographe dith Roux qui telle une moderne Caspar David Friedrich m dite l emmurement d une gated community sise Phoenix Arizona D s les ann es 1960 Kevin Lynch a param tr sa grille d interpr tation de la ville am ricaine sa lisibilit travers un pare brise Robert Venturi basa ses analyses de Las Vegas sur les m mes chelles Arpenter en voiture donc la zone d activit s des Ullis Courtab uf a2. barres se voie reconna tre son plein statut urbain 7 Louis S bastien Mercier Tableau de Paris Neuch tel Amsterdam 1781 1790 12 vol 8 mile de la B dolli re Le Nouveau Paris Paris illustrations de Gustave Dor Paris Gustave Barba 1861 L on Paul Fargue Le pi ton de Paris Paris Gallimard 1932 1939 10 Marcel Po te Introduction l urbanisme Paris Boivin 1929 1 Water Benjamin Paris capitale du XIXe si cle Le livre des passages Francfort 1982 Paris ditions du Cerf 1989 12 Robert Venturi Denise Scott Brown Steven Izenour Learnings from Las Vegas 1972 traduction fran aise L enseignement de Las Vegas ou le symbolisme oubli de la forme architecturale Bruxelles Pierre Mardaga 1978 1987 15 ric Hazan L invention de Paris Il n y a pas de pas perdus Paris ditions du Seuil 2002 14 David Mangin La ville franchis e formes et structures de la ville contemporaine Paris ditions de la Villette 2004 15 Alo s Riegl Der moderne Denkmalkultus Vienne 1903 trad fra Le culte moderne des monuments Paris ditions du Seuil 1984 Raconter les m tropoles J B Minnaert 4 Prenons exemple du grand ensemble Massy Antony o le taux de ch mage n est pas faible et o la la cit est un combat L op ra qui t implant en son c ur au d but des ann es 1990 produit un puissant effet de centralit et recompose le paysage de tours et barres pr existant Ind pendamment de sa
3. du XVIIe si cle par une soci t secr te qui publie enfin en 1914 une encyclop die qui d finit ce monde comme une r alit alternative Pour les habitants de Tl n crit Borges le monde n est pas une r union d objets dans lespace c est une s rie h t rog ne d actes ind pendants Leur monde est successif temporel non spatial Les habitants de Tl n con oivent l univers comme une s rie de 1 Paul Ric ur La m moire l histoire l oubli Paris ditions du Seuil 2000 p 169 174 2 Nous aurions pu voquer Manhattan Transfer de John Dos Passos 1925 le Berlin Alexanderplatz d Alfred D blin 1929 les romans de Henry Miller plus tard La forme d une ville de Julien Gracq 1985 et des dizaines d autres uvres majeures 3 Voir aussi Georges P rec Tentative d puisement d un lieu parisien 1975 ou Esp ces d espaces 1974 4 Italo Calvino Les villes invisibles Turin 1972 Paris ditions du Seuil 1974 p 56 Raconter les m tropoles J B Minnaert 2 processus mentaux qui ne se d veloppent pas dans l espace mais successivement dans le temps Soit dit en d autres termes ils ne con oivent pas que le spatial dure dans le temps Citons toujours Borges la g om trie de Tl n ignore les parall les et d clare que Phomme qui se d place modifie les formes qui l entourent Dans Tl n les choses se d doublent elles ont aussi une propension s effacer et
4. Lagos de Mexico de Bogota de Johannesburg de la Courneuve ou du campement de Roms sous un changeur du p riph rique cinq cents m tres d ici n annule pas le r ve Bien au contraire le cauchemar nourrit le r ve Comme Fran ois Schuiten et Beno t Peeters Pont illustr d s leur premier album des Cit s obscures Les murailles de Samaris 1984 les principaux mat riaux de nos villes sont le r ve et l oubli 5 Jorge Luis Borges Fictions Buenos Aires 1956 Paris Gallimard 1965 nouvelle dition augment e 1983 Folio p 18 19 23 26 6 Dans La domination masculine Pierre Bourdieu a montr comment la suppos e inf riorit naturelle des femmes sur les hommes n tait que l escamotage souvent sous couvert d atemporalit divine des circonstances historiques de leur asservissement Pierre Bourdieu La domination masculine Paris ditions du Seuil 1998 Raconter les m tropoles J B Minnaert 3 L op ration historiographique vise d mythifier ces enchantements les replacer dans une trame assez rigide pour n tre pas trop facilement escamotable ne serait ce que parce que la rudesse m thodologique des textes historiens leur terminologie aride n ont pas la somptueuse fluidit de oubli Mais cela reste d montrer Comme Tl n ce sont nos id es nos amn sies et nos r ves collectifs qui configurent les villes et leur inventent un sens Nous ne parlons pas ici seulement des id es d
5. Raconter les m tropoles J B Minnaert 1 Entretiens du pattimoine et de l architecture Paris 9 et 10 novembre 2011 Raconter les m tropoles Communication de Jean Baptiste Minnaert professeur d histoire de l art contemporain universit de Tours Telle que la d finit Paul Ric ur l op ration historiographique consiste notamment rabattre les quatre dimensions d un objet d histoire sur les deux dimensions de la page d un livre Raconter au sens livresque du terme l un des ph nom nes les plus multidimensionnels qui soient la m tropole est un exercice qui impose de ramener les temporalit s et spatialit s du fait urbain la lin arit du texte lu Les livres sont multidimensionnels par leur structure et par leurs sens v hicul s et suscit s Mais il y a une unit du temps de l criture et du temps de la lecture Cette unit est aussi bien technique que m taphorique Chaque livre lu n est il pas l cho plus ou moins lointain du chant univoque diachronique qu est l Odyss e Dans son Ulysse 1922 justement James Joyce con oit une Odyss e de onze cents pages qui voque non pas la M diterran e o le roi d Ithaque erra dix ann es mais un Dublin parcouru en la seule journ e du jeudi 16 juin 1904 par un T l maque et un Ulysse modernes Stephen Dedalus et Leopold Bloom On pourrait longuement s tendre sur les p r grinations urbaines du Ferdinand Bardamu du Voyage au bout de la nuit
6. aires avec enfants et jardinet en cette jeune contr e du GPS et de la noire conscience carbone du mauvais go t touchant et de l effritement hypoth tique du contrat social Les historiens de l architecture et tout particuli rement les chercheurs des services r gionaux de lInventaire g n ral du patrimoine culturel s int ressent ces contr es certes avec le souci patrimonial conscient ou non de ce qui y a disparu ou y est menac Il s y int ressent surtout pour l infinie vari t des chelles des paysages et des objets qui s y juxtaposent pour les multiples intentions usages et pratiques qui ici plus qu ailleurs y sont lisibles et disons le expressifs L exercice de l histoire r v le et paissit le sens de ces paysages qu on dirait sur lisibles parce que 16 AO2A architectes 1993 17 Xavier de Jarcy et Vincent R my Comment la France est devenue moche T l rama n 3135 16 f vrier 2010 18 ric Chauvier Contre T l rama Paris Allia 2011 19 Kevin Lynch L image de la ville Lynch Kevin The Image of the city Cambridge Mass MIT Press 1960 tr fr J L Venard Paris Dunod 1976 1999 Raconter les m tropoles J B Minnaert 5 contrairement la ville dense les couches historiques ne s dimentent pas sur les couches historiques en situation p riurbaine au contraire elles tendent se juxtaposer rendant q J p i paradoxalement l oubli plus difficile Fils naturel d
7. de C line qui narre en langage parl la premi re personne donc ses errances sur le front de la Grande Guerre puis en Afrique New York et Detroit enfin du c t de la Garenne Rancy Beaucoup a t dit et crit sur la vertigineuse structure de La vie mode d emploi de Georges P rec 1978 o la narration spatialis e dans un immeuble de la rue Simon Crubellier suit les principes de POulipo et certaines r gles de la kabbale Dans Les villes invisibles Italo Calvino donne voix Marco Polo contant au grand Khan ses voyages travers les cit s de son empire Les villes comme les r ves dit Marco Polo sont faites de d sirs et de peurs m me si le fil de leur discours est secret leurs r gles absurdes leurs perspectives trompeuses Tu ne jouis pas d une ville dit encore Marco Polo cause de ses sept ou soixante dix sept merveilles mais de la r ponse qu elle apporte l une de tes questions Ou r pond le Grand Khan de la question qu elle te pose t obligeant r pondre comme Th bes par la bouche du Sphinx Jorge Luis Borges dans l une de ses Fictions intitul e T n Ugbar Orbis Tertius parle de trois pays incertains La trace du premier pays Uqbar ne se retrouve que dans quatre pages ajout es la fin d un seul exemplaire d une improbable encyclop die Cet univers en engendre un deuxi me celui de Tl n L trange civilisation de Tl n aurait t labor e partir
8. es r ves et des amn sies de ceux qui nous d cident Mais aussi de ceux des obscurs des disparus des sans voix des escamot s du pr sent et de l histoire tous ceux qui fabriquent et ont fabriqu la ville leur micro chelle Comme l crivait Patrick Geddes nous ne sommes que les polypes d un r cif corallien La lin arit livresque de la narration des villes est elle une limite la compr hension de celles ci Certes non Car elle redouble une autre lin arit celle du parcours Les arpenteurs des villes en sont souvent les meilleurs crivains Louis S bastien Mercier mile de la B dolli re L on Paul Fargue Marcel Po te Walter Benjamin plus pr s de nous Robert Venturi ric Hazan avec son Invention de Paris David Mangin aussi d une certaine mani re avec La ville franchis tous ces arpenteurs de villes d crivent celles ci hauteur d il la cadence de la main affair e au croquis ou au cadrage photographique la vitesse du pas du train ou de l automobile la vitesse de leur rem moration et de leurs associations de pens e L arpenteur crivain et l arpenteur lecteur v rifient physiquement le fait que les m tropoles sont la fusion des pas et des pages qu elles ne sont pas seulement la somme de nos r ves et de nos oublis qu elles ne se r duisent pas nos repr sentations mentales qu elles ne sont pas lamn sique anamorphose des soci t s pr sentes Le
9. perdre leurs d tails quand les gens les oublient Classique est l exemple d un seuil qui subsista tant qu un mendiant s y rendit et que l on perdit de vue apr s la mort de celui ci Parfois des oiseaux un cheval ont sauv les ruines d un amphith tre C est dans la langue Tl n qu est crite la seconde encyclop die d finitive de Tl n et qui constitue la troisi me phase de la conspiration d nomm e Orbis Tertius Voil qu un nombre croissant d objets en provenance de Tl n envahit notre monde Nos m moires sont progressivement effac es par l admiration que nous vouons cette civilisation et bient t nous ne conservons aucun souvenir de notre monde d origine ni m me de sa substitution Voil en quoi consiste la conspiration d Orbis Tertius Borges l rige en m taphore des totalitarismes de tout poil qui s emparent du monde en r inventant la m moire des hommes cela avec leur consentement Nous savons combien il est difficile de se rem morer l aspect d un b timent r cemment d moli d s lors que les pelleteuses s affairent sur ses d combres comme si le champ de notre conscience tait d j aveugl par l attente de l difice venir Comme si l difice d truit n avait t qu un r ve que l aurore efface Les livres proc dent de m me et l histoire s crit elle aussi suivant la figure de l oubli Personnellement nous concevons une certaine circonspection vis vi
10. s de l histoire de linnovation figure sur laquelle se construit majoritairement l histoire de l architecture et de lurbanisme cette histoire de l innovation ressemble trop nos yeux cette philosophie de l tonnement et de oubli qui gouverne la civilisation de Tl n Quoi qu on en pense une civilisation volue autant par ce qu elle invente que par ce qu elle oublie Les choses oubli es ne disparaissent pas n cessairement elles deviennent seulement invisibles parce qu impens es c est dire d shistoricis es Dans les m tropoles satur es de spatialit s de temporalit s de signes et de sens nos m moires se transforment silencieusement sur elles m mes engourdis que nous sommes par les sortil ges de la nouveaut Comme Pavait expos Pierre Nora dans les Lieux de m moire ce n est qu au moment souvent fortuit d un d chirement du voile d oubli que se r veille et cristallise la m moire et que peut se construire la figure du patrimoine Comme dans la conspiration d Orbis Tertius les villes changent insensiblement de langage et de m moire Sans que nous le sentions nous devenons autres Nous en prenons rarement conscience ou seulement de mani re erratique par de brusques d chirements menant parfois la violence ou ce qui est un peu mieux au combat politique Le reste du temps nous dormons et nous r vons Et le cauchemar quotidien tout fait veill des habitants du Caire de
11. s villes nous imposent leurs inerties de pierre et de papier leurs r manences auxquelles nous associons de la m moire Les difices et les espaces urbains survivent souvent la p remption de leurs fonctions initiales En ce sens les villes nous conforment plus que nous les conformons Les espaces et les objets qui configurent les villes et que nous recevons en h ritage nous imposent des sens que nous ne souhaitons pas tous lire et certains desquels nous nous rendons par cons quent aveugles et sourds Les espaces urbains et les objets b tis peuvent l inverse nous imposer des sens que nous revendiquerons et auxquels nous vouerons peut tre une forme de culte ce culte moderne des monuments dont parlait Alo s Riegl il y a plus d un si cle Des centres m di vaux jusqu aux espaces haussmanniens tous aujourd hui ont droit de cit patrimonial sont vecteurs de tourisme et de plus values immobili res et abondent comme pr vu le Produit int rieur brut L urbanisme de la reconstruction devient son tour regalia comme le Havre inscrit en 2005 au patrimoine mondial Un peu moins vendeur l urbanisme des grands ensembles lui sert encore de bouc missaire aux rhumatismes de la R publique int gratrice Cependant l histoire des grands ensembles s crit intensivement depuis plus de vingt ans La patrimonialisation y passe parfois mais ce n est peut tre pas le plus important L essentiel est que l urbanisme tours et
12. u XXe si cle le p riurbain n aurait plus sa place au XXIe en raison des probl mes incontestables graves et de long terme que soul ve l talement des m tropoles Le p riurbain est une forme de ville ancr e son territoire mais en quelque sorte d territorialis e car on n en arr te pas le d placement ni culturellement ni juridiquement ni techniquement C est une forme de ville plus labile que toute autre Mais paradoxalement cette tache d huile semble aussi lin aire que les images et significations que cadence le d roulement historien et citoyen de notre narration des villes
13. u sud de Paris soul ve le souffle discret d une po sie du banal de l tirement de l espace et des sentiments Nous aimons l esseulement des charrettes de pacotille sur les grands ronds points Nous aimons la m lancolie d un solitaire d jeuner par un pluvieux samedi d octobre la caf t ria de hypermarch Cora de Massy face l Euromaster o l on change les pneus et les plaquettes de freins Un peu plus loin le site du centre commercial Villebon 2 est une apocalypse bucolique Nichent flanc de coteau des Darty Fnac Mac Donald s Car Wash et autres Halle aux chaussures le long de la sortie de tunnel du TGV Atlantique sous huit faisceaux parall les de lignes 225 000 volts Survol toutes les deux minutes par les avions qui d collent d Orly moteurs plein r gime poignant spectacle qui rappelle Hong Kong aux temps de l ancien a roport du centre ville le centre commercial de Villebon 2 nous appara t comme la tardive et p le d clinaison des r ves futuristes d Antonio Sant Elia ou de Mario Chiattone Si cette po sie nous lasse il nous est loisible d extraire notre v lo du gros coffre de notre vieille voiture su doise 12 litres au 100 km et de nous lancer en une balade le long des berges ravissantes de l Yvette La petite rivi re serpente paisiblement par dessous les couches d infrastructures entre les plaques de p riurbanisation Sy pr lassent canards h rons et primo acc dants quadrag n
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