Mireille Ribière, « Le lieu et la forme dans La Clôture
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1. les fen tres ont t aveugl es les maisons ont t abattues laissant place des terrains vagues et des palissades de ciment plusieurs reprises au cours des derni res ann es je suis revenu rue Vilin pour tenter de d crire la fois les souvenirs qui me rattachent cette rue la maison de mes grands parents au n 1 la maison de mes parents et le magasin de coiffure de ma m re au n 24 et les vestiges chaque fois plus effac es sic de ce qui fut une rue En m me temps Christine Lipinska photographiait les traces de cette cl ture Le r sultat de ce double travail est un livre que nous vous proposons aujourd hui Cet appel de souscription rattache par ailleurs La Cl ture aux descriptions de la rue Vilin entreprises dans le cadre de Lieux projet autobiographique d crit en ces termes dans Esp ces d espaces En 1969 j ai choisi dans Paris 12 lieux ou bien dans lesquels j avais v cu ou bien auxquels me rattachaient des souvenirs particuliers J ai entrepris de faire chaque mois la description de deux de ces lieux L une de ces descriptions se fait sur le lieu m me et se veut la plus neutre possible L autre description se fait dans un endroit diff rent du lieu je m efforce alors de d crire le lieu de m moire plusieurs reprises je me suis fait accompagner sur les lieux que je d crivais par un ou une ami e photographe qui soit librement soit sur mes indications a pri2. de Vilin souvenir Ce qu il y a d extraordinaire ici ce qui en fait un lieu mod le c est que je ne fais qu y passer que j y vois les choses les choses les signes d ancrage qu elles m imposent leur nostalgie regret d un pays natal d une demeure ancestrale ma seule tradition ma seule m moire mon seul lieu est rh torique signe d encrage la diff rance la diff icile errance ici l errance 7 Georges Perec Entretiens et conf rences op cit vol IL p 171 Force est de constater que les rares journalistes qui ont salu la parution de La Cl ture et autres po mes voir la notice qui est consacr la r ception de l ouvrage dans les Entretiens et conf rences op cit vol IL p 111 et les quelques perecquiens qui se sont int ress s aux h t rogrammes ne les ont gu re re us comme le souhaitait Perec 21 Nul doute que la disparition des photos dont on a verra le caract re d ceptif puisse galement s envisager comme signe de la m fiance de Perec pour la photographie telle que l analyse Christelle Reggiani dans Perec une po tique de la photographie Litt rature n 129 mars 2003 p 77 106 et Perec Photographe Formules revue des litt ratures contraintes n 7 Paris No sis 2003 p 47 59 L un n exclut pas l autre 7 C cile De Bary L image pr texte Agora Revue d tudes litt raires n 4 Perec Au
3. 1977 et les graphisculptures de Boni ne para tront qu en 1985 soit trois ans apr s le d c s de Perec dans une dition hors commerce Quatre sonnets de M taux furent publi s en 1980 dans La Cl ture et autres po mes mais sans les matrices typographiques incluses dans l dition int grale Pour une pr sentation d taill e de M taux voir Mireille Ribi re et Bernard Magn Les Po mes h t rogrammatiques Cahiers Georges Perec n 5 Paris ditions du limon 1992 p 17 24 et 156 65 o sont reproduits les manuscrits des sept sonnets ainsi que le sonnet en F tel qu il est r alis dans l dition hors commerce Trompe l oeil six po mes franglais accompagn s de six photographies dition hors commerce 125 exemplaires sign s et num rot s Les six po mes compos s en 1978 furent repris dans La Cl ture et autres po mes 5 Peintures entomologiques 1978 1979 Ce catalogue dit en 1979 par la galerie Maeght inclut quatre textes de Perec au d part il y aurait Tentative d inventaire provisoire de quelques uns des mots voqu s par la vision des tableaux de Jacques Poli num rations et 11 x 11 11 11 po me repris dans Beaux pr sents belles absentes Paris Seuil coll La Librairie du XX si cle 1994 p 25 26 Pour plus de d tails voir Bernard Magn Jacques Poli Georges Perec une trop br ve rencontre Verso n 16 Dossier Jacques Poli 1999 6
4. Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 1 Le lieu et la forme dans La Cl ture Mireille Ribi re Une premi re version de ce texte a paru dans La M moire des lieux dans l uvre de Georges Perec Rab a Abdelk fi dir Tunis ditions Sahar 2009 pp 147 170 La Cl ture est un ensemble de dix sept po mes h t rogrammatiques dont il existe deux ditions Dans l dition originale hors commerce et limit e 100 exemplaires Georges Perec Christine Lipinska diteurs 1976 les po mes h t rogrammatiques de Georges Perec sont accompagn s de seize photographies de Christine Lipinska contrairement aux dix sept annonc es dans l appel de souscription sign G P Textes et photographies non pagin s sont inclus dans un coffret l italienne chaque po me tant pr sent selon deux dispositions diff rentes c te c te une grille ou matrice de douze lettres sur douze et une transcription libre respectant entre autres la d coupe en mots voir fig 4 par exemple La r dition La Cl ture et autres po mes Hachette 1980 p 11 27 reprend les dix sept textes h t rogrammatiques dans l ordre pr cis dans la liste d incipits incluse dans le coffret original mais dans une mise en vers ou une disposition parfois diff rente Ni les matrices visualisant la contrainte ni les photographies ne sont reproduites C est sur le passage de la premi re la seconde dition que p
5. Peter St mpfli uvres r centes Ce catalogue dit par le CNAC Georges Pompidou en 1980 inclut Alphabets pour St mpfli beau pr sent repris dans Beaux pr sents belles absentes op cit p 79 85 Pour plus de d tails voir Mireille Ribi re En Parall le rencontre Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes n 1 Miscellan es printemps 1993 d sormais consultable en ligne sur le site de la revue Un petit peu plus de quatre mille po mes en prose pour Fabrizio Clerici Action po tique septembre 1981 L ouvrage int gral permettant de combiner les huit po mes en prose de Perec et les huit dessins de Clerici n a paru qu en 1996 Paris Impressions nouvelles 8 Artet po sie le livre illustr dans Georges Perec Entretiens et conf rences op cit vol II p 329 338 La reproduction de la photographie de la fa ade du 53 rue Vilin par Lipinska incluse dans le coffret est dat e de 1970 dans le n 76 de la revue L Arc consacr Perec en 1979 10 Voir Paulette Perec Chronique de la vie de Georges Perec dans son Portraits de Georges Perec Paris Bnf 2001 p 97 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 3 J ai v cu rue Vilin de ma naissance en 1936 P t 1942 La rue Vilin dans le 20 arrondissement entre la rue des Couronnes et la rue Piat est depuis plusieurs ann es en train de dispara tre Une une les boutiques ont t ferm es
6. Rab a Abdelk fi dir La M moire des lieux dans l uvre de Georges Perec pr face de Bernard Magn Tunis ditions Sahar 2009 pp 147 170 12 L Humanit 11 novembre 1977 p 2 repris dans Georges Perec L Infra ordinaire Paris Seuil coll La Librairie du XX si cle 1989 p 15 31 Voir ce propos Jes s Camarero Tabularit et autobiographie dans Agora Revue d tudes litt raires n 4 Perec Aujourd hui textes r unis par Mireille Ribi re Editura Napoca Star Cluj Roumanie 2002 p 35 38 13 L ensemble de ce corpus est pr sent dans Les Po mes h t rogrammatiques op cit p 9 26 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 4 des nonc s dont chaque segment vers est l anagramme d un h t rogramme souche On retrouve dans cette contrainte une structure proche de la musique s rielle chaque lettre ne pouvant tre utilis e que re run r 2 14 lorsque la s rie a t puis e L h t rogramme souche en ce cas se compose des onze lettres ESARTINULOC auxquelles vient s ajouter un joker savoir une lettre qui varie d un vers l autre et d un po me l autre et qui est figur e par un dans la matrice c toyant le po me dans l dition de 1976 Ainsi pour le premier texte Tels o m incarne rictus l absent lourd ciel trop nu si calme transi ou cloqu criant secours La fin trouble sciant m
7. aison lecture du clos art inscrit l enfoui cl tur Sang TELSOUSINCAR ESARTINULOC M NEORICTUSLAS ESARTINULOC B SENTLOURSACI ESARTINULOC D ELTROS SNUSICA ESARTINULOC P L ETRANSIOUC ESARTINULOC M LOSUECRIANTS ESARTINULOC Q ECOURSLASINT ESARTINULOC F ROUSLESCIANT ESARTINULOC B AISONLECTUR ESARTINULOC M ESUCLOSARTIN ESARTINULOC D SCRITALENSOU ESARTINULOC F ICLOTURESANS ESARTINULOC G On notera que parmi les six ensembles de po mes h t rogrammatiques de Perec La Cl ture M taux et Pouce pouce sont les seuls o Perec assouplit un tant soit peu les principes de son criture h t rogrammatique en recourant des lettres libres ou jokers c est dire des s ries ouvertes On notera par ailleurs que le recours un distinctif et filiforme pour signifier la lettre joker est lourd de cons quences Il met en avant le nombre palindromique 11 dont Bernard Magn a montr le r le cl dans l criture perecquienne en tant qu l ment r current li un fragment d autobiographie et d j mis l index dans la liste des incipits dont le plus court est celui du po me en onzi me position qui donne son titre au recueil cl ture Ce constitu de deux SS enchev tr s sur laxe vertical et donc double sa fa on comme le Oulipo Atlas de litt rature potentielle Paris Gallimard 1988 p 232 15 Ulc rations r dig pour
8. de Cahiers Georges Perec n 5 op cit les reproductions en fac simil de pages extraites de M taux 14 lettres sur 14 de Treize vers h t rogrammatiques pour Hans Dahlem 13 lettres sur 13 et d Alphabets o les matrices des 176 onzains font page apr s page et moins d effets typographiques particuliers 30 x 52 mm Le ph nom ne est circonscrit ma connaissance aux h t rogrammes 1 Rien de comparable ce qui se passe lors de la reprise d Ulc rations dans La Cl ture et autres po mes o la suppression de la matrice repr sentant en continu les 400 s ries de onze lettres est compens e par la division de l ensemble en onze parties Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 6 Cl ture des po mes compos s selon des syst mes aussi compliqu s sans donner la cl finalement le lecteur peut les recevoir comme un po me C est du moins ce que je voudrais Si exclure les matrices c est se refuser donner la cl il n en va gu re autrement pour les photographies Il s agit dans un cas comme dans l autre de faire l impasse sur les conditions et modalit s de production des po mes afin de les faire acc der selon Perec un statut v ritablement po tique Ce processus n est pas sans rappeler celui analys par C cile De Bary propos du dessin dans l criture de W ou le souvenir d enfance Si l laboration du texte fait dispara tre le dessin d
9. documentaire de la s rie photographique est fortement compromise par plusieurs anomalies dont la pr sence de deux occurrences de fa ades portant le num ro 55 qui pourraient la rigueur tre le m me lieu pris sous des angles diff rents mais ne peuvent pas avoir t photographi es dans la rue Vilin puisqu elles ne ressemblent absolument pas la fa ade du 53 55 rue Vilin repr sent e sans confusion possible sur un troisi me clich L int r t premier des photographies n est pas non plus dans leur capacit faire lire le titre la cl ture sur le mode r ducteur de la d notation ou de la connotation n gative Il est ailleurs La photographie et la pr sentation en coffret me paraissent li es L abandon de l une et de l autre en faveur d une dition en volume oblit re tout un ensemble de ph nom nes formels qui portent r flexion commencer par l ouverture de l uvre qui probl matise d embl e cette notion de cl ture et en permettant au lecteur de r ordonner volont les l ments qui la composent rappelle le processus d anagrammatisation constitutif de l criture h t rogrammatique et visualis dans la double disposition Ce qui s affiche galement travers la coexistence au sein du coffret des photographies et des textes accompagn s de leur matrice c est une parent formelle fondamentale entre le geste de la photographe et celui de l crivain Cela ti
10. e de photographies incluse dans la premi re dition il la fait sienne en omettant d inclure la dix septi me photo annonc e Cette intervention d cisive pour la composition du coffret rattache celui ci au r seau du manque qui parcourt l ensemble de l uvre perecquienne et se manifeste ici plus sp cifiquement dans l criture h t rogrammatique exhib e dans la matrice En effet l criture h t rogrammatique est d abord lipogrammatique c est une criture du manque puisqu elle limite le nombre de lettres disponibles aux onze lettres de l h t rogramme souche La Cl ture met toutefois en uvre une criture h t rogrammatique d un type bien particulier puisque l ajout d un joker mat rialis par le amp ayant valeur de clinamen y m nage un espace de libert et d expression Ce que la deuxi me dition de La Cl ture masque justement c est le clinamen comme l ment dynamique euphorisant qui fait la singularit du recueil et le distingue d Ulc rations par exemple et cela au profit d un flou s mantique aux effets dysphoriques Si l on applique par ailleurs la premi re dition de La Cl ture la phrase de Jules Verne qui sert d exergue La Vie mode d emploi Regarde de tous tes yeux regarde on ne peut pas ne pas remarquer les parent s d ordre plastique entre ce que donnent voir les photographies d une part et les feuillets o se c toient matrice et po me d a
11. enfant au profit du mot elle est donc elle m me accompagn e de nouveaux dessins ensuite purement et simplement r voqu s Parall le au geste d criture pour la plupart des dessins figuratifs des manuscrits qu ils soient illustration ou expression d un imaginaire sans lien manifeste avec le texte le croquis n y sert donc directement l criture que rarement ou il l orne Il merge parfois m me des moments de blocage En tout cas il dispara t compl tement au moment de la publication si l on met part le cas de la maquette de couverture plus encore le texte publi n encourage pas toujours la repr sentation par le lecteur l image est alors vacu e Plut t que d vacuation je pr f rerais propos de La Cl ture parler de d sancrage Alors que dans la premi re dition la photo ancrait le texte un lieu et un tat de fait la rue Vilin et sa disparition progressive cependant que la matrice ancrait le texte un proc d douze permutations partir d un h t rogramme souche la disparition des matrices et de la photographie s apparente un m me geste de d sancrage lequel s exerce au profit du seul encrage c est dire du texte abouti respectant toutes les conventions de l crit Ancrage encrage si j ai choisi ces termes c est moins par r f rence l utilisation qu en fait Bernard Magn que parce qu ils figurent d s juillet 1970 dans un texte
12. ent la nature m me de l image acte photographique et de l criture h t rogrammatique qui l une comme l autre proc dent par fragmentation et mise en s rie d coupe par cadrages successifs du continuum perceptif pr l vements dans l alphabet d abord assemblage de mani re obtenir une s quence de vues de mots vers et po mes ensuite Au del des repr sent s des images d abandon et de ruine ce qui s affirme c est la force vive de l art de l criture comme conqu te sur la mort et sur le silence Les connotations positives de l explicit des po mes 11 linceul na t corps et 17 L accalmie ton s r port au silence conquis l art s en trouvent singuli rement renforc es 28 fran FE Voir Bernard Magn Quelques consid rations sur les po mes h t rogrammatiques de Georges Perec dans Les po mes h t rogrammatiques op cit p 52 29 X PESEE aai x f Il n est peut tre pas inint ressant de noter que la r flexion sur la notion de cl ture passe deux reprises par le regard de l autre Christine Lipinska dans La Cl ture et Robert Bober dans R cit d Ellis Island 30 Pour plus de d tails sur le caract re d ceptif de cette s rie de photographies voir Mireille Ribi re La photographie dans La Cl ture op cit Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 9 Bien que Perec ne soit pas l auteur de la s ri
13. er aux souscripteurs Georges Perec au Moulin d And dans L uvre de Georges Perec R ception et mythisation actes du colloque de Rabat 1 3 novembre 2000 textes r unis par Jean Luc Joly Publications de la Facult des Lettres et Sciences humaines de l Universit Mohammed V Rabat 2002 p 52 Or tous les exemplaires dont j ai v rifi la composition y compris celui de Christine Lipinska ne comportent que seize photographies Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 2 r sultat des manipulations de lecteurs souscripteurs curieux En effet si les po mes d sign s par leur incipit sont num rot s sur une liste part l ordre des photographies n est nullement pr cis aucun parcours de lecture n est de ce fait impos uvre mixte la premi re dition de la Cl ture fait partie des textes o Perec confronte sa pratique d crivain celle de photographes ou plasticiens notamment M taux avec Paolo Boni Trompe l il avec Cuchi White deux catalogues d exposition l un pour Jacques Poli et l autre pour Peter St mpfli et Un peu plus de quatre mille po mes en prose pour Fabrizio Clerici Invit commenter les uvres issues de cette confrontation dans le cadre de la table ronde sur la po sie et le livre illustr organis e en novembre 1981 Bologne Perec omet curieusement de citer La Cl ture Peut tre en raison du d calage temporel ent
14. jourd hui op cit p 116 3 Voir notamment Bernard Magn Georges Perec op cit p 26 28 Extrait d une page reproduite dans Genesis op cit p 136 avec en regard des photos de la rue Vilin prises par Pierre Getzler en juin 1970 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 7 et qu ils r apparaissent dans le passage de W ou le souvenir d enfance o Perec relate sa visite sur la tombe de son p re au cimeti re militaire de Nogent sur Seine La d couverte de la tombe de mon p re des mots PEREC ICEK JUDKO suivis d un num ro matricule inscrits au pochoir sur la croix de bois encore tout fait lisibles m a caus une sensation difficile d crire quelque chose comme une s r nit secr te li e l ancrage dans l espace l encrage sur la croix de cette mort qui cessait enfin d tre abstraite comme si la d couverte de ce minuscule espace de terre cl turait enfin cette mort que je n avais apprise jamais prouv e jamais connue ni reconnue mais qu il m avait fallu pendant des ann es et des ann es d duire hypocritement des chuchotis apitoy s et des baisers soupirants des dames C est dans W ou le souvenir d enfance que l on rencontre pour la premi re fois me semble t il chez Perec cette notion de cl ture qui r appara tra plus tard dans R cits d Ellis Island propos d un autre lieu le centre d accueil des candidats l im
15. le toute relative on le verra du recueil qui s estompe Le nom m me de la rue Vilin clairement visible sur une plaque appos e au mur sur deux des clich s est oblit r tandis que l absence de r f rences explicites la signification du lieu pour Perec obscurcit la dimension autobiographique du recueil Avec la disparition de la matrice le chiffre 11 cesse d tre mis en avant Plus fondamentalement c est tout l chafaudage h t rogrammatique qui est retir puisque dans les intertitres et la table des mati res de l dition de 1980 les po mes ne sont m me plus qualifi s d h t rogrammatiques le terme ne figurant que dans les r f rences bibliographiques Perec ne s est pas expliqu sur la suppression des photographies Il a par contre pr cis la raison pour laquelle aucune matrice n est incluse dans la seconde dition L ennui quand on voit la contrainte c est qu on ne voit plus que la contrainte J ai fait un recueil de po mes appel Alphabets ce sont des onzains labor s selon une contrainte extr mement dure que j ai fait appara tre typographiquement dans le livre C est tr s compliqu Je pense que certains de ces textes m riteraient peut tre une telle pr sentation typographique Mais on risque en ce cas de n en lire que l exploit le record Je me rends compte que lorsque je publie comme je l ai fait tout r cemment dans La 18 Voir en annexe
16. les voeux de 1974 La Cl ture compos en 1975 pub 1976 Alphabets compos entre 1974 et 1976 pub 1976 M taux compos en 1976 1977 pub posth 1985 Hans Dahlem 1978 et Pouce pouce compos en 1979 et publi en 1984 partir d un tapuscrit in dit 16 Je rappelle que le 11 2 et le 43 font r f rence au 11 f vrier 1943 date laquelle la m re de Perec fut d port e en direction d Auschwitz et par la suite d clar e officiellement d c d e W ou le souvenir d enfance op cit p 57 Selon la terminologie de Bernard Magn il s agit l d un ncrage savoir un l ment r current li un fragment d autobiographie qui constitue la base d une contrainte formelle Bernard Magn Georges Perec Paris Nathan 1999 p 29 31 et 57 68 17 On rappellera ce propos le passage de W ou le souvenir d enfance consacr au X point de d part d une g om trie fantasmatique dont le V d doubl constitue la figure de base et dont les enchev trements multiples tracent les symboles majeurs de l histoire de mon enfance notamment la croix gamm e nazie et l insigne des SS Georges Perec W ou le souvenir d enfance Paris Deno l 1975 r ed Gallimard coll L Imaginaire p 105 106 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 5 chiffre 11 conf re en outre ce qui aurait d avoir l apparence d un carr de 12 lettres sur 12 ou du
17. migration aux tats Unis de 1892 1924 Ce qui se trouve ici ce ne sont en rien des rep res des racines ou des traces mais le contraire quelque chose d informe la limite du dicible quelque chose que je peux nommer cl ture ou scission ou coupure et qui est pour moi tr s intimement et tr s confus ment li au fait m me d tre juif je ne sais pas tr s pr cis ment ce que c est qu tre juif ce que a me fait d tre juif ce n est pas un signe d appartenance EH ce serai plut t un silence une absence une question une mise en question un flottement une inqui tude la lumi re de ces passages on comprend peut tre mieux le geste qui consiste isoler les textes de La Cl ture des photographies Avec la disparition des photographies l isotopie s mantique du lieu se fait plus diffuse les mots notionnels susceptibles d tre lus sur le mode descriptif abri bastion cadastre ciment construit cour cr pis cul de sac granit lieux maison mur rues perdent de leur pr gnance au profit des trois mots notionnels les plus fr quents dans le recueil mort cl ture modul en cl tur clos et cl t et art 7 Ce faisant le titre m me du recueil La Cl ture perd de sa valeur descriptive pour devenir une esp ce de m taphore in absentia de l absence justement L opacit s mantique qui en r sulte est celle l 25 George
18. moins s en rapprocher l apparence d un rectangle de 34 x 75 mm Loin d tre anodin le ph nom ne se r p tera d sormais chaque fois que Perec publiera des textes h t rogrammatiques accompagn s de leur matrice typographique Seule exception mais cet ensemble date de deux ans auparavant Ulc rations dont la matrice est reproduite en continu sur 400 lignes en deux colonnes Qu il s agisse d Alphabets matrice de 11 lettres sur 11 de Treize vers h t rogrammatiques pour Hans Dahlem 13 lettres sur 13 ou de M taux 14 lettres sur 14 le soi disant carr de lettres pour reprendre la formule qu utilise Perec en quatri me de couverture d Alphabets aura toujours de mani re plus ou moins marqu e la forme d un rectangle La seconde dition Dans la reprise en volume les caract ristiques que je viens d voquer disparaissent il n y a plus ni double travail ni uvre ouverte ou cessent d tre affich es la dimension autobiographique et le proc d h t rogrammatique sont reconstituer Par rapport l dition en coffret en effet l dition en volume se d finit essentiellement par d faut suppression du paratexte l appel de souscription n ayant plus lieu d tre suppression des photographies suppression des matrices Avec la disparition des photographies et du paratexte expliquant la gen se du double travail c est la dimension r f rentiel
19. orte le num ro 17 dans la liste des po mes Le po me est repris par ailleurs en quatri me de couverture de La Cl ture et autres po mes
20. ortera mon intervention La premi re dition Pour commencer rappelons donc certaines particularit s de l dition de 1976 et la mani re dont y est voqu un lieu tr s pr cis la rue Vilin o Perec a pass sa petite enfance dans le 20 arrondissement de Paris Il ne retournera pas y vivre la Lib ration puisqu entre temps alors qu il tait lui m me en relative s curit Villard de Lans sa m re rest e Paris a t arr t e comme juive emprisonn e Drancy puis en f vrier 1943 d port e Auschwitz o sa trace s est perdue L dition de 1976 fait de La Cl ture une uvre ouverte dont les l ments sont r ordonnables volont Ainsi la composition des coffrets que j ai pu consulter varie d un exemplaire l autre sans que l on puisse affirmer s il s agisse l de l ordre originel ou du Pour une description d taill e du contenu de ce coffret voir Mireille Ribi re La photographie dans La Cl ture Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes Toulouse n 7 8 d cembre 1998 p 107 119 Suzanne Lipinska affirmait encore r cemment C est avec ma fille Christine Lipinska cin aste qu e Georges Perec publia en 1976 La Cl ture po mes h t rogrammatiques accompagn s de dix sept photographies de la rue Vilin prises par Christine Tous deux ont couru les papetiers imprimeurs relieurs pour produire les cent exemplaires num rot s les emballer et les envoy
21. re le moment o les photographies ont t prises 1970 et celui de la r daction des po mes 1975 peut tre aussi on le verra en raison de la dimension autobiographique du recueil Il n en reste pas moins que l appel de souscription de la premi re dition qui explicite le titre du recueil et sert de d claration d intention d crit bien La Cl ture comme le r sultat d un double travail Ce mode de pr sentation t moignant du souci de favoriser une lecture active est manifeste de diverses fa ons dans l uvre de Perec qui d clare propos de la lecture de La Vie mode d emploi en 1978 la limite mon r ve serait que les lecteurs jouent avec le livre qu ils se servent de l index qu ils reconstruisent en se promenant dans les chapitres les histoires dispers es qu ils voient comment tous les personnages s accrochent les uns aux autres comment tout cela circule comment se construit le puzzle La maison des romans entretien avec Jean Jacques Brochier 1978 dans Georges Perec Entretiens et conf rences dition critique tablie par Dominique Bertelli et Mireille Ribi re Nantes Joseph K 2003 vol I p 244 et dans En dialogue avec l poque et autres entretiens Nantes Joseph K 2011 p 85 86 M taux en collaboration avec Paolo Boni sept sonnets h t rogrammatiques sept graphisculptures Les sept po mes compos s par Perec en d cembre 1976 et janvier
22. rque Christelle Reggiani les polaro ds sont caract ris s par leur g om trie tr s marqu e o revient la forme de la grille et pr sentent deux exceptions pr s trois motifs seulement les containers des portions de bastingages le ciel et la mer dans des configurations vari es ils apparaissent ainsi comme une mise en sc ne photographique sp cifique de l absence Perec une po tique de la photographie Litt rature op cit p 78 81 formule qui convient remarquablement bien aux clich s de Lipinska 32 Celle qui correspondrait par exemple au n 1 de la rue Vilin dont il est dit dans l appel de souscription que s y trouvait la maison de s es grands parents et qui n est pas identifiable comme telle dans la s rie 3 Voir Alphabets d chiffr dans Les po mes h t rogrammatiques op cit p 115 124 4 Ainsi la position respective du texte en bas droite et de la matrice en haut en gauche dans le premier et le dernier po mes de la liste n 1 et 17 est sinon rigoureusement semblable du moins comparable voir les reproduction en facsimile en annexe du num ro 5 des Cahiers Georges Perec ibid p 154 155 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 10 Parfois le rectangle prolif re c UUCHERIE josepr Figure 1 Figure 2 35 Tous les feuillets qu ils portent textes ou photographies sont de dimension 18 x 24 cm Comme seules nou
23. s importent les formes esquiss es les images pr sent es ici ont t d natur es de diverses mani res pour pr venir toute reproduction abusive Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 11 Parfois le rectangle se fait singulier C est le cas notamment de la photographie du n 24 o vivaient les parents de Perec et o sa m re tenait son magasin de coiffure qui pr sente le lieu sous la forme d une unique porte close surmont e d un Coiffure Dames encore d chiffrable Figure 3 Cette photographie voqu e par Perec dans l appel de souscription figure sous sa forme la plus pur e la configuration rectangle inscription Or cette configuration particuli re se trouve refl t e dans la mise en page de la matrice et du texte des po mes n 12 ar on futile sous le granit croulant et n 13 coulent gris tres au loin et surtout n 4 lit sourd a n est ni la cour Figure 4 o l une et l autre sont non seulement superpos s mais centr s Le parall le qui s instaure entre la photo du n 24 o il faut deviner la valeur des lettres demi effac es pour d chiffrer l inscription Coiffure Dames et la matrice o la valeur du joker est galement reconstituer partir de la mise en mots se double d une opposition nette entre d une part l esth tique de la d r liction manifeste dans la photo et d autre part l esth tique de la constr
24. s Perec W ou le souvenir d enfance op cit p 54 26 Georges Perec et Rober Bober R cits d Ellis Island histoires d errance et d espoir Paris ditions du Sorbier 1980 p 42 43 7 Pour une analyse s mantique plus pouss e voir Mireille Ribi re La photographie dans La Cl ture op cit p 116 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 8 m me qui caract rise la plupart des po mes h t rogrammatiques impression g n rale demeure d une relative obscurit et d une approche difficile les h t rogrammes sont sans conteste des textes dysphoriques au moins de prime abord En tant qu ils posent un d fi herm neutique les textes de La Cl ture se lisent alors pour reprendre les termes de Perec dans Ellis Island comme une mise en question un flottement une inqui tude dont l objet reste vanescent Les enjeux Malgr le profit que l on peut tirer d une lecture intertextuelle j ai n anmoins la nostalgie de cette premi re dition o loin de se limiter au r le habituellement d volu l illustration savoir la seule mise en images de certains aspects privil gi s du texte la photographie par sa pr sence m me donne voir des fonctionnements que la seconde dition ne permet d envisager que partiellement ou de mani re tr s indirecte Ce n est pas la repr sentation indicielle de la rue Vilin en train de dispara tre qui est en cause La valeur
25. s des photos Publi es par Perec en 1977 sous le titre La rue Vilin les descriptions r alis es sur place au cours de six visites successives jeudi 27 f vrier 1969 jeudi 25 juin 1970 en compagnie de Pierre Getzler qui r alise alors une cinquantaine de clich s mercredi 13 janvier 1971 dimanche 5 novembre 1972 jeudi 21 novembre 1974 et enfin 27 septembre 1975 permettent de suivre la d gradation progressive de la rue et s ach vent sur cette inscription relev e sur une palissade TRAVAIL TORTURE Les souvenirs li s la rue Vilin in dits du vivant de l crivain ont t publi s en 1992 sous le titre Vilin souvenirs dans le premier num ro de la revue Genesis par Philippe Lejeune dont la pr sentation nous dit que ces souvenirs ont nourri le chapitre X de W ou le souvenir d enfance o Perec rappelle entre autres qu il a tourn la derni re s quence d Un homme qui dort dans la rue Vilin La Cl ture appartient enfin bien videmment au corpus des textes h t rogrammatiques dont le principe de composition est d fini dans l Atlas de litt rature potentielle 11 Georges Perec Esp ces d espaces Paris Galil e 1974 p 76 Pour une description d taill e de l ensemble du projet voir Philippe Lejeune La M moire et l oblique Paris P O L 1991 p 141 209 et l article de Danielle Constantin Autobiographie vesp rale et lieux du sommeil tunisiens dans
26. te image au sein du coffret c est donc bien le lien inextricable entre lieu et forme qui s affirme Dans ce contexte toutefois on l a vu la photographie est du c t du moins du d ficit r f rentiel du manque le coffret ne comprend que seize clich s il en est de m me pour la matrice typographique qui met en valeur la nature essentiellement lipogrammatique de la contrainte Le texte abouti par contre se situerait du c t du plus de la fluidit s mantique de l affirmation du sujet voqu e dans le dix septi me et ultime po me Car plus en toi s unit l arch ologue criant son cart plus il saigne court La porte s incurve ni sa cl ture ni blocus ton d sir tu L accalmie ton s r port au silence conquis l art Dans ces conditions le passage de la premi re la seconde dition o le texte s mancipe la fois des repr sentations du lieu et de celles de la contrainte h t rogrammatique correspondrait une progression logique permettant au texte po tique de s instaurer enfin comme lieu rh torique 38 Constatation n ayant pas valeur de d monstration mais int ressante en raison de l identit des souscripteurs dans trois des six des exemplaires consult s le n 9 de Marcel B nabou le n 26 d Ela Bienenfeld et le n 49 de Bernard Queysanne la derni re photographie incluse dans le coffret est celle du Coiffure dames et le dernier texte est celui qui p
27. uction manifeste dans l criture h t rogrammatique et le soin apport la mise en page et la typographie des textes Il suffit par ailleurs de faire figurer en respectant scrupuleusement les proportions de chacun la matrice d un des po mes le quatri me en l occurrence l emplacement de la porte close du n 24 de la rue Vilin particuli rement embl matique pour entrevoir une justification possible au fait que les matrices typographiques soient franchement rectangulaires voir Figure 5 36 J emprunte l expression Christelle Reggiani Perec une po tique de la photographie op cit p 105 37 Une variante de cette photographie e la porte du n 24 de la rue Vilin est reproduite sur la jaquette de la premi re dition de W ou le souvenir d enfance op cit Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 12 lit sourd a n est ni la cour d molie scrutant l cho ni sa rupture ni sa cl ture ni la chose la mort ni succube l os riant mais l encro t l anticorpus destin cru Figure 4 alors c lant quoi LITSOURSCANE STNILACOURSE SOUESCRUTAN TLECSONISARU STURENISACLO TURENILACSOS ELASORTNISUC CUXELOSRIANT AISLENCROUT ELANTICORSUS SESTINCRUALO RSCELANTSUOI Figure 5 LA ou ae E E CUXELOSRIANT LEE MA ii SAISLENCROUT TE mo E ELANTICORSUS p Eos Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 13 Avec la confrontation matrice tex
28. utre part Aux multiples grilles repr sent es sur les clich s font cho les matrices sous forme de grilles typographiques Sur certains clich s la double configuration texte grille trouve son quivalent dans la repr sentation d ouvertures ferm es par des grilles et surmont es ou flanqu es d inscriptions de toutes sortes enseignes affiches graffiti Cela est d autant plus sensible que contrairement ce qui se passe dans Alphabets o la position des matrices sur chaque feuillet est r gl e par un syst me de permutations complexes la place respective des textes et de leur matrice change d un feuillet l autre sans qu il soit possible de d tecter des constantes l exception de quelques r currences Quant la configuration grille inscription sur les clich s elle varie au gr des repr sent s et c est plut t la pr gnance du rectangle dans les images et les matrices qui permet de faire le lien entre les deux pratiques 31 Curieusement les seules photographies notre connaissance dont Perec soit l auteur sont les 39 polaro ds pris en avril 1979 durant sa travers e de l Atlantique destination de New York sur un porte containers pour le tournage de R cits d Ellis Island avec Robert Bober Ces clich s reproduits dans Texte en main n 12 Perec Polaroids Grenoble printemps t 1997 et ceux de Christine Lipinska ont maintes caract ristiques communes Comme le rema
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