"Comment jouer le théâtre de Victor Hugo?"
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1. en r sistant un Don Carlos pourtant s duisant au terme d un corps corps ambigu ou en c linant affectueusement Don Ruy Quant aux tra tres loin d tre les repoussoirs du justicier comme dans le m lodrame ils servent le plus souvent comme Gubetta Simon Renard ou Salluste qui ont la beaut du diable d busquer les contradictions du puissant ou du h ros Vitez faisait quant lui une composition magistrale de Don Ruy en vieillard fou d amour qui relevait dialectiquement l opposition traditionnelle entre p re noble de trag die et barbon de com die COMMENT CONSTRUIRE LE D COR Une fois admise l id e selon laquelle les didascalies hugoliennes sont avant tout l uvre d un auteur qui s int ressait de pr s la mise en sc ne de ses uvres avant m me la naissance du metteur en sc ne proprement dit qui date de la fin du si cle on constate que ces didascalies peuvent tr s bien ne pas tre suivies aujourd hui la lettre loin de l et que Musset n est donc pas le seul romantique avoir anticip la sc ne moderne Hugo tout en chargeant son texte d indications pour mieux ma triser les 10 ardeurs des d corateurs de son temps n en avait pas moins pr vu qu on pouvait jouer Ruy Blas avec une table et quatre chaises Mais il faut attendre le plateau nu du T N P pour que puisse enfin se d ployer renouant avec l esth tique lisab thaine la grande sc ne de l histoire Dans le Ruy Blas de Vilar la s2. qu Aur lien Recoing clamait dans le d sert du plateau vide ou comme on peut le faire en accentuant en exhibant l indiff rence des ministres la tirade de Ruy Blas La tentation du naturel prosa que qui gomme les asp rit s et la violence du texte est une autre strat gie d vitement tout aussi f cheuse Elle fait tomber le texte dans le drame bourgeois dont ne voulait pas Vilar qui disait ses acteurs pour Ruy Blas Pas de vain lyrisme certes cependant doit tre proscrit le ton de tous les jours mais pas de pudeur Le courage consiste en la mati re lib rer les acteurs de la peur de l emphase et de la pusillanimit bourgeoise dont parle Vitez on aurait tort en effet d aplatir l histoire litt raire et de rabattre le drame romantique sur le mod le classique pourtant lire les dossiers de presse il semble que la rupture esth tique ne soit plus toujours bien per ue d s lors qu on situe la naissance de la modernit partir de Baudelaire dans un geste de refoulement qui permet de gommer toute la p riode romantique finalement assez mal accept e des Fran ais Mais il faut en prendre son parti le th tre de Hugo davantage sans doute que celui de Musset est rebelle aux biens ances et la vraisemblance C est ce qu avait compris Vilar qui dans ses notes de travail destin es aux acteurs leur demandait de jouer sans pudeur sans psychologisme en faisant confiance au texte de H
3. de tableaux de mains g antes peintes en clair obscur qui disaient la puissance du pass du souvenir le poids de l honneur la fragilit de Don Ruy A ces mains fixes s opposait la main de pierre fantastique qui sortait du tombeau de Charlemagne pour transmettre la grandeur de l empereur du pass au futur Charles Quint 11 Dans Lucr ce Borgia le plateau fortement inclin aidait les acteurs comme l op ra mieux projeter leur voix et permettait d instaurer une tension po tique entre la prof ration tragique et la diction parfois famili re de la prose Mais au dernier acte le choix de Vitez qui tait de ne pas repr senter le festin faisait retomber la tension dramatique interdisant le contraste grotesque entre la f te et la mort L une des beaut s du d cor r sidait dans le choix d un espace vide et noir qui brouillait la fronti re entre sc nes d int rieur et sc nes d ext rieur le franchissement invisible de cette fronti re rendait particuli rement pr gnante l impression d ubiquit du pouvoir Loin des pompes d corativistes le th tre de Hugo comme celui de Musset peut donc tre magnifiquement jou dans une sc nographie qui soit une aire de jeu signifiante plateaux inclin s d op ra escaliers g ants sc nes superpos es comme chez Mesguich ou plus simplement espace nu structur par quelques objets m taphoriques ou m tonymiques les silhouettes et la prox mique des corps Finalement il appar
4. COMMENT JOUER LE TH TRE DE VICTOR HUGO article paru dans les actes de la Journ e d Etudes du Havre Le Drame romantique Editions des Quatre Vents 1999 La question ainsi pos e Comment jouer le th tre de Victor Hugo n a de sens que si l on y entend le point d interrogation final comme un programme de r flexion Il ne s agit videmment pas pour moi de donner un mode d emploi des conseils ou des consignes aux acteurs ou aux metteurs en sc ne du th tre de Hugo mais plut t de r pondre aux lecteurs sceptiques les plus nombreux qui continuent malgr le d menti de la programmation du th tre de Hugo abondante ces derni res ann es sur les sc nes fran aises de croire que ce th tre est injouable Je me propose de montrer le contraire partir d une tude de quelques repr sentations particuli rement marquantes qui ont fait date dans l histoire de la repr sentation et donc dans celle de la r ception du th tre de Hugo Force est de constater malgr tout que Hugo n est plus et n a peut tre jamais t depuis sa mort un auteur la mode il est m me encore d assez mauvais go t de dire qu on s int resse ce th tre la plupart du temps l interlocuteur fait la fine bouche ou reconna t aimer lui aussi Hugo et m me son th tre en prenant malgr tout la pr caution de s excuser du ridicule auquel il s expose avec un tel aveu Le discr dit qui continue peser sur le th tre de Hugo es
5. Kleist ou de B chner n a pas t crit uniquement pour la sc ne de son poque et ne doit donc pas tre consid r comme une raret une pi ce de mus e qu on ressortirait plus ou moins intacte pour l expliquer en la resituant aussit t dans son contexte historique Interrog sur la repr sentation contemporaine des pi ces classiques Antoine Vitez d clarait en 1976 le mot qui aujourd hui m irrite le plus est celui de d poussi rage l id e que les uvres seraient intactes luisantes polies belles sous une couche de poussi re et qu en tant cette couche de poussi re on les retrouverait dans leur int grit originelle Alors que les uvres du pass sont des architectures bris es des galions engloutis et nous les ramenons la lumi re par morceaux sans jamais les reconstituer car de toute fa on l usage en est perdu mais en fabriquant avec les morceaux d autres choses Le d poussi rage c est la restauration Notre travail nous est tout au contraire de montrer les fractures du temps Il me semble qu appliqu e au th tre de Hugo cette conception de la mise en sc ne peut d livrer les praticiens d aujourd hui de leurs r ticences ventuelles De fait on a pu assister ces derni res d cennies des mises en sc ne qui faisaient merger de l oc an du XIXe si cle de splendides galions BR VE HISTOIRE DE LA MISE EN SC NE DE HUGO AU XXE SI CLE La port e novatrice des mises en sc
6. a t qu avec ses architectures englouties ses mains de pierre ses rideaux fant mes ses miroirs magiques ses escaliers en fuite ses cachots ouverts ses ombres port es ses barbes d toupe le th tre de Hugo afin d tre le pays du vrai n est d cid ment pas le pays du r el LE SUBLIME LE GROTESQUE ET LE GO T FRAN AIS La d sacralisation du h ros si elle est op r e par les incertitudes actantielles qui permettent au metteur en sc ne de jouer sur plusieurs Sujets possibles est galement l uvre dans le travail de sape par le grotesque qui passe encore tr s mal sur les sc nes fran aises non seulement parce que le public y est fonci rement r tif mais aussi parce qu il est tr s d licat r aliser Il ne doit pas tre confondu en effet avec la parodie ou l autod rision tentation laquelle certains succombent pourtant parfois Le grotesque joue dans le th tre de Hugo plusieurs niveaux on trouve d une part le contrepoint comique shakespearien on le trouve l uvre encore dans les sc nes d inversion carnavalesque du festin de Lucr ce Borgia manqu comme on l a dit par Vitez de la noce d Hernani ou du tripot de Mille Francs de r compense mais on le trouve surtout 12 au c ur m me de chacun des personnages sublimes qui mine leurs pr tentions h ro ques et les rend encore plus mouvantes la fois Un exemple dans la mise d Hernani par Vitez Jany Gastaldi tape sur le bouchon apr s
7. avoir bu la fiole de poison tout l art du metteur en sc ne consiste ici faire rire avec Hugo et non pas contre lui au moment le plus tragique Jouer Hugo avec un esprit de s rieux est donc une entreprise p rilleuse c est croire na vement au manich isme d un auteur qui brouille les contrastes au c ur m me des antith ses qui voue ses h ros l chec et cong die la transcendance de ses d nouements On peut montrer au contraire comment le th tre de Hugo d passe toujours les oppositions esth tiques dans lesquelles on tente parfois de l enfermer Il ne serait plus jouable en effet si l on s en tenait la mani re dont il fut donn voir sa cr ation Pas jouable donc dans un d cor lourdement d corativiste pas jouable non plus dans l univocit d un registre sublime comme dans la platitude de la parodie Pour qu il soit jouable il faut accepter de lever les oppositions traditionnelles entre onirique et pique symbolique et didactique qui ne r sistent pas la force de l criture hugolienne intimement travaill e par le grotesque Les meilleures mises en sc ne sont souvent celles qui n aplatissant pas les registres jouent non pas ce que le texte veut mais peut dire et font entendre en permanence par le jeu de frottement des codes th traux les contradictions intimes du texte pr tendent moins mettre au jour une int riorit du personnage que figurer les pulsions qui l animent faisant ainsi sentir la
8. c ne n est pas enti rement vide en effet on a malgr tout besoin dans le th tre de Hugo des objets dont le r le est la fois dramatique indiciel et symbolique On ne saurait se passer du n cessaire crire dans l acte I de Ruy Blas on ne saurait se passer des objets utiles l action le poignard ou symboliques la dentelle remplit ces deux fonctions Vilar avait eu aussi une trouvaille remarquable la mappemonde que fait tourner Ruy Blas devant les ministres pour leur figurer la grandeur du royaune d Espagne o jamais le soleil ne se couche citation du Dictateur de Chaplin Dans Marie Tudor les effets terrifiants d ombre et de lumi re l utilisation des leit motive musicaux de Maurice Jarre qui comme l op ra ou comme au cin ma accompagnent un th me ou annoncent l arriv e d un personnage ou d un v nement donnaient une dimension fantastique au d cor Vitez lui recr ait par la sc nographie les grandes m taphores de l imaginaire hugolien La sc nographie de Yannis Kokkos pour Hernani est une sorte de mod le de beaut signifiante au th tre l aire de jeu y tait en m me temps puissamment symbolique Un grand escalier parcouru en tous sens par les personnages y disait tour tour l autorit de Don Ruy sur sa ni ce la mont e du d sir amoureux la grandeur de Don Carlos dans la cl mence la d cadence de la vieille noblesse La galerie de portraits dans le ch teau de Silva tait constitu e
9. e par la scl rose des c l brations r publicaines qui permettent des monstres sacr s comme Sarah Bernhardt et Mounet Sully de trouver des r les leur mesure mais finissent par desservir la r putation du th tre de Hugo qui conna tra un long purgatoire pendant la premi re moiti de ce si cle cette r putation restera entach e des pr jug s dont je parlais en ouverture dont nous n avons pas fini d h riter Le th tre de Hugo est remis l honneur dans les ann es cinquante par Jean Vilar qui y est initi par Aragon d abord sceptique Vilar s enthousiasme rapidement pour ce grand pr curseur du th tre populaire que repr sente ses yeux Hugo jusqu souhaiter mettre le mot d ordre Vive Victor Hugo au fronton du T N P Ruy Blas et Marie Tudor servis par des acteurs aussi charismatiques que G rard Philipe et Maria Casar s s duisent tous les publics notamment la jeunesse au prix d un travail courageux de rupture avec le style path tique de recherche d un certain naturel la notion est toute relative car revendiqu e par maint nouveau mouvement artistique et d exhibition de la fable dans la mesure o la grande sc ne vide du T N P permet enfin au drame de se d ployer dans l espace de l histoire celle des peuples et non plus seulement celle des grands de ce monde En 1964 Lucr ce Borgia est jou e au festival du Marais dans une mise en sc ne de Bernard Jenny avec d cor et costumes de L o
10. e r criture romantique de la trag die des Atrides Ces trois spectacles nous reviendrons sur les deux derniers jouent d placer les orientations actantielles attendues et donnent d chiffrer dans la g om trie de la sc nographie m me les structures dramaturgiques fondamentales de l univers hugolien Sur les traces de Vitez Daniel Mesguich avec sa mise en sc ne de Marie Tudor en 1991 pousse la limite l esth tique de r ve de th tre labor e pour Hugo par son pr d cesseur Dans un espace baroque machin jusqu l illusionnisme il donne voir l ubiquit du pouvoir royal les ressemblances entre personnages oppos s Jane et la Reine habill es de fa on semblables Fabiano Fabiani et le juif montre la non pertinence de toute simplification manich enne met en abyme la com die du pouvoir et oriente la pi ce vers une interpr tation anthropologique qui faisant de la victime de la tyrannie un bouc missaire affaiblit la port e id ologique de la d nonciation de la peine de mort Enfin notre poque a la r v lation posthume du Th tre en libert crit par Hugo pendant l exil dans un style si novateur qu il restait impraticable au XIX me si cle mais qui s duit partir des ann es soixante de jeunes metteurs en sc ne souvent influenc s par Brecht et continue constituer un r pertoire de choix pour les jeunes troupes L Intervention cr e par Patrice Ch reau et Jean Pierre Vincent rep
11. fragilit du h ros au moment m me o il affirme sa force l enfance du puissant la beaut du monstre l alacrit du vieillard la pluralit des d sirs Florence NAUGRETTE Universit de Rouen CEREdI 13 Notes Dans le cadre de ce colloque mon but est de donner des perspectives d ensemble et non des analyses de spectacles d taill es celles ci figurent dans ma th se de doctorat La Mise en sc ne du th tre de Victor Hugo de 1870 1993 Institut d Etudes th trales de Paris II 1994 sous la direction de Anne Ubersfeld Dans l ouvrage de r f rence sur le th tre de Victor Hugo Le Roi et le bouffon Jos Corti 1974 Antoine Vitez entretien avec Danielle Kaisergr ber Th orie pratique th trale Dialectiques n 14 t 1976 pp 8 16 4 Voir Anne Ubersfeld Le Roman d Hernani iconographie r unie et comment e par No lle Guibert Com die Fran aise Mercure de France Paris 1985 5 Arnaud Laster Pleins feux sur Victor Hugo Com die Fran aise 1981 p 330 6 Voir leur pr sentation dans le livre d Arnaud Laster bid 7 Anne Ubersfeld Paroles de Hugo Messidor 1985 8 C est dire me semble t il dans le contexte non pas avec nos motions mais avec courage sans retenue Du Tableau de service au th tre Notes de service de Jean Vilar Cahiers th tre Louvain n 53 1985 pp 47 48 1 Thid p 49 ll Les Contemplations Quelques mots un autre I 26 12 A
12. i celles qui renoncent tout manich isme dans l interpr tation des personnages contrairement ce que certains critiques actuels continuent pr tendre Certes les personnages de Hugo peuvent ressembler au premier abord des personnages de m lodrame la fille perdue Jane la femme bafou e Do a Sol Marie Tudor le justicier valeureux Hernani Gilbert Ruy Blas le traitre Fabiano Fabiani Salluste Mais ces classifications ne tiennent pas car les d nouements ne sont pas providentiels et les personnages de Hugo ont des motivations des d sirs et des traits distinctifs complexes ce que confirment les meilleures compositions d acteurs A tel point que les seconds r les enthousiasment plus facilement la critique que les premiers les grotesques emportent plus facilement l adh sion que les h ros sublimes ceci ne tient pas la performance particuli re du com dien mais plut t la fragilit constitutive du h ros Les deux pi ces que la tradition scolaire a consacr es Hernani et Ruy Blas sont justement celles o le h ros est le plus vuln rable dans sa position centrale de sujet de la qu te actantielle Cette remarque s applique aux seuls personnages masculins descendants d sh rit s des grandes figures h ro ques De fait c est le statut m me du h ros romantique qui est ici en question Impossible de voir dans Ruy Blas interpr t par G rard Philipe ou dans Hernani interpr t par Aur lien Recoing des pe
13. it faire clater l espace et le temps comme s y autorisera Musset partir du moment o ce dernier renoncera la repr sentation de son th tre sur la sc ne de son temps Cette premi re attitude consiste finalement juger Hugo l aune de cette norme paradoxale du th tre romantique que seraient les pi ces de Musset dont l clatement spatio temporel s accorde si bien avec l espace vide de la sc ne contemporaine qui use elle aussi davantage de la m tonymie que du r alisme mim tique On se sent alors g n par des questions esth tiques apparemment insolubles que chaque metteur en sc ne est pourtant amen r soudre dans sa pratique comment jouer le sublime sans ridicule comment jouer le grotesque sans parodie comment dire le vers de Hugo sans grandiloquence mais sans prosa sme Y a t il sup riorit des pi ces en vers sur les pi ces en prose Faut il un d cor simple ou un d cor machin Le caract re adversatif des questions ainsi pos es traduit me semble t il l enfermement du go t fran ais encore tr s globalement r fractaire au m lange des genres La deuxi me attitude consiste ne pas poser les questions esth tiques en termes d opposition simple mais faire confiance aux potentialit s artistiques du texte Je ne veux pas dire videmment que le sens y serait d j comme tout naturellement constitu bien au contraire Je veux dire que le th tre de Hugo comme celui de Musset comme celui de
14. lamme Il faut jouer si ce mot a un sens romantique Pas de pudeur Oui pas de pudeur On retrouve une pr occupation analogue chez Vitez qui d joue volontiers les attentes du spectateur pusillanime ainsi la fameuse sc ne du Vous tes mon lion superbe et g n reux est jou e chez lui dans un slow La redondance amoureuse du discours et du geste cr e magiquement un effet d une grande simplicit La diction du vers hugolien et sans doute aussi de la prose n cessite de se laisser aller au rythme travaill de l alexandrin Celui ci n est pas comme on le croit trop souvent disloqu ce n est pas parce qu il emploie l expression dans un po me des Contemplations et dans un contexte pol mique qu il faut y adh rer aveugl ment Au contraire le rythme tr s travaill du vers hugolien comme l a montr Meschonnic ne demande qu tre suivi pour donner toute sa puissance po tique au phras Vitez indique ainsi qu il faut respecter les enjambements c est dire ne pas les faire pour maintenir la tension instaur e par l application d un parler familier sur la grille alexandrine La diction des acteurs de Vitez tait d ailleurs extr mement chant e d o un effet po tique qui excluant le r alisme cartait aussi la question de la vraisemblance en mettant l accent sur l tranget du texte COMMENT DISTRIBUER ET INTERPR TER LES PERSONNAGES Les mises en sc ne les plus r ussies sont auss
15. ne de l apr s guerre nos jours se mesure par contraste avec le style de jeu dans lequel s tait enlis le th tre de Hugo la fin du si cle dernier A son retour d exil le grand homme l gende vivante de son si cle est f t par la nation r concili e Mais de mani re tonnante au lieu de donner entendre le Th tre en Libert crit en exil et dont l esth tique est tout fait nouvelle les institutions de la R publique vont c l brer l uvre de la p riode romantique qui a cess de provoquer et autour de laquelle s tablit un consensus double tranchant La tradition va en effet figer son th tre dans un style de jeu ampoul et d corativiste certes tr s s duisant pour l il les d cors sont applaudis pour leur beaut intrins que et le ph nom ne s aggrave la fin du si cle certains spectateurs ne venant que pour les d cors applaudis jusqu dix minutes mais qui nuira gravement son interpr tation parce qu il op re un d crochage complet de ce th tre avec le monde r el Zola dans son combat pour le naturalisme publie alors quelques articles d non ant l inad quation de la th matique de Hugo avec les pr occupations contemporaine ce th tre lui semble terriblement dat parce que la mani re ampoul e dont on le joue rend creuses ou insignifiantes ces intrigues de cour entre une reine et son laquais entre un roi et un grand d Espagne La fin de la vie du grand homme est marqu
16. nor Fini en plein air selon la tradition d Avignon dans la cour de l h tel de Soubise On appr cie la magie des couleurs la somptuosit des l ments sc niques qui r utilisent la solennit de l architecture du lieu th tral Arnaud Laster se souvient du style incisif du langage clair de l action rapide et mouvement e Un d bat est organis l occasion de ces repr sentations o Vilar prend la d fense de Hugo Toujours dans la m me mouvance 1968 est une ann e faste trois spectacles sont consacr s Hugo dont on red couvre la force contestataire Dans les ann es 1970 1980 Antoine Vitez inscrit son tour Hugo son r pertoire sa longue fr quentation du th tre de Hugo se concr tise dans trois mises en sc ne retentissantes celle des Burgraves en 1977 est d routante mais propose un travail de d construction du texte par la diction partag e entre cinq personnages qui se partagent et changent les r les cette d construction brouille certes totalement l intrigue mais permet trangement de faire entendre la puissance po tique du texte La mise en sc ne d Hernani en 1985 pour le centenaire de la mort de Hugo fait date en orientant l intrigue vers la qu te de pouvoir de Don Carlos interpr t par Redjep Mitrovitsa et en affaiblissant du m me coup la figure du h ros Celle de Lucr ce Borgia l ann e suivante exhibe la schize du monstre sublime et le trucage du destin dans cett
17. ntoine Vitez Pr face Hernani dition comment e par Anne Ubersfeld Livre de Poche 1987 1 Sur le sens du monologue de Don Carlos voir les analyses d cisives de Franck Laurent dans sa th se Le Territoire et l oc an Europe et Civilisation espace et politique dans l uvre de Victor Hugo des Orientales au Rhin 1829 1845 janvier 1996 Universit de Lille II sous la direction de Jean Delabroy 14 Dans L interpr tation des r ves Freud fait du motif de l escalier qu on gravit un symbole de l acte sexuel 14
18. ous l chons trop les vers et les sentiments a donne l impression que l on s coute parler Rien de plus n faste Hugo qu un interpr te qui l che surl che ses alexandrins crits en pleine inspiration et de plein jet A notre tour avec Hugo nous devons blouir cette assembl e d enfants que sont des spectateurs D Le principe du refus des num ros d acteurs et de la simplicit du style de jeu fait partie de l esth tique et m me de l thique artistique de Jean Vilar ne pas en rajouter donc mais ne pas se d filer non plus devant la violence du style en somme les com diens craignent d tre mi vres ou de mauvais go t Ces atermoiements peut tre s agit il pr cis ment de ces arri re pens es non identifi es dont parle Vilar ne sont pas fortuits Ils correspondent la difficult de cerner pr cis ment ou d accepter tout simplement le style de Hugo et au del le romantisme tout entier comme le montre cette mise au point de Vilar ses com diens deux jours apr s la premi re repr sentation JEUDI SOIR 25 f vrier Dans l ensemble tout va bien Mais cela manque de violence de temp rament de chaleur Ruy Blas est une pi ce bien faite et intense Je demande aux ministres d tre pres durs rapaces Aux amoureux d aimer comme des fous Aux dr les d tre tonitruants ou vifs Aux r les d autorit d tre autoritaires vifs nets forts Nous manquons encore de f
19. rise par Ewa Lewinson Mille Francs de r compense d couverte par Hubert Gignoux en 1960 et reprise plus r cemment par la Compagnie Meyrand Tephany Ren Loyon et Benno Besson Mangeront ils jou notamment en 1968 sont des d couvertes posthumes de qui invitent reconsid rer les probl mes d interpr tation id ologique et apportent des solutions esth tiques r trospectives au th tre de la p riode romantique Le peuple est ici directement repr sent et acc de une parole propre qui n en reste pas moins r cup r e dans L Intervention et marginalis e dans Mille Francs de r compense Ces mises en sc ne piques permettent au grotesque de d ployer sa force subversive COMMENT DIRE LE TH TRE DE HUGO Ni grandiloquence ni prosa sme Si l on se fige dans la premi re attitude voqu e tout l heure on a l impression d avoir choisir ou ne pas choisir entre la grandiloquence apparente du texte li e non seulement l expression des passions mais surtout une caract ristique de la parole hugolienne analys e par Anne Ubersfeld les discours o se formule la plainte l gitime o s expriment les revendications justes contre un ordre inique sont dites qui ne peut les entendre telle est l une des caract ristiques des h ros hugoliens qui une fois prise en consid ration permet d chapper tout ridicule si on la met en sc ne comme le faisait Vitez avec le fameux je suis une force qui va
20. rsonnages positifs le jeu des acteurs suit la logique d un d nouement qui ruine toute efficacit de leur praxis changer le monde en d non ant le caract re fondamentalement individuel de leur d marche Quand les personnages secondaires le disputent au personnage principal la dimension critique de la pi ce appara t plus nettement c tait le cas dans Hernani de Vitez qui donnait le beau r le Don Carlos interpr t par Redjep Mitrovitsa la positivit inattendue et toute relative de sa qu te du pouvoir inscrite dans l chec de la conspiration son geste de cl mence et sa renonciation Do a Sol rendent son projet politique plus convaincant que la qu te personnelle du proscrit Don Carlos est d ailleurs le seul sortir vivant de la pi ce apr s les suicides en cha ne du dernier acte dont il est absent Il en va de m me pour les personnages f minins Maria Casar s dans le r le de Marie Tudor pouvait tre la fois tonitruante et fragile nergique et nerveuse sid rante ou lectrique Vitez aussi savait montrer par son art de la distribution et sa direction d acteurs la complexit des personnages f minins qui ne sont en aucun cas h ro nes de m lodrame ainsi Nada Strancar interpr te de Lucr ce Borgia par la grande souplesse et l tendue de son registre montrait la beaut du monstre et Jany Gastaldi interpr te de Do a Sol donnait tout son sens au sous titre d Hernani tres para una
21. t profond les grandes pi ces connues Hernani Ruy Blas Marie Tudor Lucr ce Borgia Marion Delorme parce qu elles ne seraient finalement que des m lodrames am lior s les grandes pi ces piques Cromwell Les Burgraves cause de leur d mesure temporelle les autres sont pratiquement inconnues du public le Th tre en Libert quant lui reste largement ignor ou passe au mieux pour une curiosit du spectacle dans un fauteuil Pourtant apr s avoir t largement absent de la sc ne pendant la premi re moiti de ce si cle le th tre de Hugo est r apparu l affiche gr ce Jean Vilar qui mit en sc ne Ruy Blas en 1954 et Marie Tudor en 1955 avec un grand succ s public qui ne s est quasiment pas d menti depuis Si cette affirmation peut surprendre c est que nous sommes en pr sence d un paradoxe on constate r guli rement la sortie des repr sentations du th tre de Hugo que le public aime puis en lisant les revues de presse que les critiques font les difficiles Comment rendre compte de ce paradoxe Comment expliquer les pr jug s qui condamnent a priori le th tre d un crivain reconnu d abord pour son uvre po tique et romanesque Mon hypoth se est qu il y a deux fa ons de consid rer cette dramaturgie la premi re consiste buter sur l esth tique du compromis qui fut la sienne la cr ation Anne Ubersfeld a montr que pour tre jouable dans les ann es 1830 Hugo ne pouva
22. ugo Dans l ensemble nous jouons comme si nous avions des arri res pens es profondes Erreur s il y a des arri res pens es dans cette uvre elles sont toutes simples et Hugo nous les livre enti rement Vous donc interpr tes de Hugo vous devez les livrer enti rement Ne gardez rien sur le c ur Sinon Hugo ce gaillard populaire vous balance vertement un bon petit coup d paule En effet le vers de Hugo parvient notre oreille un peu trop touff par vous et nous vous en voulons d avoir att nu les g n rosit s verbales du po te Nous jouons un peu trop comme des gens compliqu s ou profonds Eh non un peu moins de profondeur et un peu plus en surface Le ton changera je crois le jour o dans le dialogue dans le cliquetis du dialogue nous jouerons avec le c ur Aisance articulation nette respect des effets Voil en deux ou trois mots les n cessit s techniques R alisme donc et aussi po sie Ces deux n cessit s contradictoires d apparence il faut tout prix les marier Et dans une union heureuse Il faut colorer l une et l autre Avec videmment beaucoup de go t N enroulez pas autour du vers ou des r pliques de Hugo des jeux ou des intonations ou des phrases d acteurs trop particuliers vous m mes trop personnels chapeau bas devant le po te Et verbe haut Restez des interpr tes n imposez pas votre nature celle du po te N
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