Entre concorde et discorde
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1. d abord comme d concert c est pour exprimer qu il y a bien eu volution de la Loi S il finit par tre rass r n c est parce qu il entend que l enseignement de Rabbi Akiva s inscrit dans la filiation ou le prolongement de ce que lui m me a transmis Il pourrait en aller de m me pour le midrach cit plus haut Meguila 19b qui conclut sur l id e que le Saint b ni soit Il a montr Mo se toutes les pr cisions de la Tora celles des scribes Sages et ce que les scribes innoveront dans le futur Que pour l auteur de ce midrach Mo se ait eu ou non cette vision supra temporelle de la Loi ce qui pris la lettre induit un s rieux probl me th ologique de fatalisme le texte parle bien d innovations futures Ce paradoxe peut tre ais ment lev si l on comprend que l intention de l auteur tait de consid rer que m me des innovations tardives trouvent leur l gitimit si elles s inscrivent dans le prolongement de ce qui a t r v l au Sina De fait un autre midrach souvent occult donne une autre lecture quant la nature de la r v lation de la Loi orale Mo se Lorsque le terme de quarante jours fut r volu le Saint b ni soit Il offrit la Tora Mo se 10 Cf supra p Erreur Signet non d fini 1 Cf supra p Erreur Signet non d fini 12 Ce principe semble en contradiction avec une r gle talmudique selon laquelle Un tribunal rabbinique ne peut invalider la d cision d un2. 13b est fort audacieux en reconnaissant le bien fond des deux coles aux conceptions contradictoires en les qualifiant chacune de divr Elohim ha m paroles du Dieu vivant Toutefois comme il importait de limiter les d saccords en mati re de pratique rituelle qui seraient de nature saper les fondements de l unit du peuple juif la question fut finalement tranch e comme le rapporte le Talmud ibid Rabbi Abba enseigne au nom de Chmouel durant trois ans les coles de Chama et Hillel s oppos rent chacune pr tendant que la halakha la r gle suivre est selon elle et non selon l autre jusqu ce que retentit une voix c leste qui proclama Les dires des uns et des autres sont paroles du Dieu vivant Mais la halakha sera selon l cole de Hillel Les rabbins du Talmud s interrogent sur ce paradoxe li au fait que la voix c leste proclame l gale validit des deux coles mais d signe l cole de Hillel comme mod le pour la post rit Ils noncent alors ce qui leur para t tre la raison du choix divin C est parce que les disciples de Hillel taient d un temp rament conciliant et humble qu ils tudiaient les enseignements de leur cole mais aussi ceux de l cole de Chama Et mieux encore ils exposaient d abord les th ses de l cole de Chama avant d exposer les leurs ibid Une conception fondamentalement novatrice du processus l gislatif appara t dans cette explication Il n est p
3. Sota 47b Cf galement l usage de la m me m taphore pour d signer la traduction des paroles r v l es en soixante dix langues Chabbat 88b porter un avis clair sur les d bats de l heure Mais ce probl me n est pas neuf en soi le relativisme et le scepticisme de la modernit n ont fait que l aggraver et engendrer par l m me l acharnement de certains vouloir mettre un terme aux doutes et aux divergences en figeant de fa on p remptoire le dynamisme de la Loi et en d l gitimant son instrument la controverse En proc dant de la sorte ils en ont sans doute rass r n certains mais n ont pas pu endiguer le malaise profond qui na t du sentiment de l nad quation entre certaines r gles prescrites d clar es intangibles et la r alit douloureusement v cue L ali nation de l humain face sa propre conscience engendre un nouveau d sarroi bien plus pervers que celui occasionn par la difficult de se forger une opinion l coute d une question en d bat Les sources cit es plus bas ont ceci en commun qu elles refl tent l inqui tude que soul ve le dissensus et induisent qu il ne saurait y avoir de solution que dans le travail de maturation de la conscience qui conduit au discernement Commentaire de Rabbi El zar ben Azaria sur le verset de Eccl siaste 12 11 Les paroles des Sages sont comme des aiguillons les dires des auteurs de collection comme des clous bien plant s tous manent d un m me et seul
4. attacherai ici qu au souci g n ralement exprim dans diverses sources rabbiniques d emp cher que les interpr tations divergentes engendrent la confusion et l clatement de la communaut juive autour de doctrines ou de normes contradictoires Divers textes rabbiniques soulignent ce danger qui historiquement fut bien r el y compris au sein m me de la filiation pharisienne de la Tora Par exemple Rabban Gamliel chef du Sanh drin instance supr me politique et juridique l poque de Yavn Palestine 100 135 t moigne de ce que toutes les mesures autoritaires qu il a pu prendre n avaient qu un but ch lo yarbou mahlokot be Isra l que les dissensions ne se multiplient pas au sein du peuple d Isra l Baba Metsia 59b Mais il est significatif qu il trahit l l espoir de se voir disculp des multiples abus d autorit qui lui auront valu sa destitution et finalement la condamnation divine ibid C est que l effort d unification aussi louable fut il se heurte des r sistances et des d rives qui mettent en p ril la dynamique f conde de la controverse et touffent la plurivocit de la Tora Il nous faut revenir au paradigme de la controverse constructive pour mesurer de quelle mani re l unit du peuple juif et du juda sme peut tre articul e avec le pluralisme Comme en t moignent les sources talmudiques malgr les diff rences s rieuses qui opposaient les grands ma tres Chama et Hillel et leurs coles respe
5. autre tribunal moins d tre plus grand que ce dernier en nombre et en sagesse cf M Edouyot 1 5 Avoda zara 36a Guitin 36b etc Cependant bien que cette r gle ait jou un r le utile dans le maintien de normes tablies par les Anciens elle n induit pas un immobilisme intangible De fait cette r gle a t relativis e voire neutralis e depuis les premiers d cisionnaires m di vaux en particulier lorsque la raison suppos e d un d cret fut consid r e comme r volue Pour de plus amples d tails cf E Berkovits La Halakha op cit pp 166 198 ainsi qu il est dit t Il la donna Mo sed Mais est ce que Mo se a pu tudier toute la Tora en quarante jours N est il pas dit de la Tora fqu elle est plus tendue en longueur que la Terre plus vaste que l oc and Job 11 9 C est sous forme de principes que le Saint b ni soit Il l a enseign e Mo se Exode rabba d Vilna 41 6 Cette conception est superbement illustr e dans un midrach r dig l poque gu onique Une fois comme j tais en route un homme me rencontra et me tint des propos h r tiques Il reconnaissait l criture mais pas la Michna Loi orale Il me dit FL criture nous a t donn e au Sina mais la Michna elle ne nous vient pas du mont Sina Je lui dis Mon fils est ce que l criture et la Michna n ont pas t r v l es de la bouche de la Puissance de Dieu Quelle diff rence y a t il donc entre
6. criture et Michna On a fait la parabole suivante quoi la chose ressemble t elle un roi de chair et de sang qui avait deux serviteurs qu il aimait d un parfait amour Il donna chacun un kab de froment et une botte de tiges de lin Le plus avis des deux que fit il Il prit le lin et en tissa une nappe Il prit le froment en fit de la farine la purifia la moulut la p trit la fit cuire puis la disposa sur la table tendit la nappe par dessus et la laissa jusqu l arriv e du roi Le plus l ger des deux ne fit rien du tout Quelque temps apr s le roi vint dans sa maison et leur dit Mes fils apportez moi ce que je vous ai donn d Le premier lui montra le pain sur la table recouverte de la nappe L autre apporta le bl dans un coffre avec les tiges de lin par dessus Quelle honte pour lui et quel affront Que faut il dire Qui sera le plus aim des deux Celui qui a montr la table avec le pain dessus r pondit cet homme Je lui dis alors Mon fils si je te surprends conna tre la Michna des Sages tes propos de tout l heure n auront ils pas t vains 0 II me r pondit Mui Je lui dis alors Mon fils quand tu diriges la pri re le jour du Chabbat combien de b n dictions dis tu Il r pondit fSept Je lui dis t les autres jours Il me dit a pri re 18 19 b n dictions toute enti reQ les questions et bonnes r ponses continuent Je lui dis Mon fils est ce que ces choses nous
7. dans la cr ativit du d bat conduit la suffocation la scl rose A contrario exacerber les d bats jusqu la discorde entra ne une hyperventilation du juda sme qui conduit l clatement de la Loi et de la communaut C est ce difficile quilibre qui est garant de la survie Pour en rendre compte 1l nous faut revisiter les principes r gulateurs que nous a l gu s la tradition rabbinique et en particulier celui qui en a t le levier principal le d bat des Sages C est lui qui constitue la substance m me de la litt rature talmudique La controverse dans ses modalit s et sa finalit est ce qui aura permis d articuler conservation et innovation La l gitimit fonci re de la controverse La mythification de la Loi orale qu consiste la consid rer comme un syst me clos autosuffisant voire immuable oblit re le caract re f cond et innovateur de la controverse tel qu il s est incarn dans l histoire traditionnelle Le raisonnement halakhique ne ressemble pas la d duction math matique fond e sur des axiomes infrangibles et dont la valeur d monstrative se juge uniquement l aune de la coh rence et de la n cessit logique M me quand la Halakha se pr sente sous une forme herm neutique des textes sacr s Loi crite et m me Loi orale c est dire comme une tentative d acc der l intention fonci re des crits en se pliant une m thodologie propre elle ne peut tre consid r e comme une scie
8. dernier clata en sanglots en s exclamant Tu crois pouvoir te mesurer Reich Lakich Lorsque j avan ais un argument il me renvoyait vingt quatre objections auxquelles je devais fournir vingt quatre r pliques de sorte que nos changes taient des plus f conds Tandis que toi tu trouves toujours dire que tel ou tel enseignement confirme mes propos comme si je ne les savais pas fond s R Yohanan d chira alors ses v tements et en pleurs appela d sesp r ment son compagnon O es tu Bar Lakicha litt ralement fils du d bat jeu de mots sur Lakich o es tu Son chagrin fut si violent qu il en perdit l esprit Les rabbins pri rent pour lui et il mourut Baba Metsia 84a Qui a raison Si la controverse est aujourd hui si mal support e dans sa l gitimit et sa f condit c est aussi parce qu il n existe pas de cadre institutionnel unanimement reconnu qui labore le consensus ni suffisamment d rudition chez les fid les pour qu ils se sentent en mesure de 14 Cf pour illustration Notre Tora quand donc est elle mise en pratique Tout juge qui prononce un verdict de v rit fut ce une seule heure l criture le lui compte comme si il tait le partenaire de Dieu dans 1 uvre de la Cr ation Chabbat 10a 5 La m taphore du marteau qui fait clater la pierre pour la travailler est utilis e dans le Talmud pour d signer le travail rabbinique de l gislation cf Berakhot 28b Pessahim 80b
9. on est que m me dans ce cas de figure paradigme de la controverse malveillante la tentative de conciliation est exemplaire cf Zohar folio I 17a b texte cabalistique attribu au Tana Chimon bar Yoha mais r dig au XmM s en Castille par Mo se de Leon Cf traduction de Charles Mopsik dans Cabale et cabalistes Paris Bayard 1997 p 151 sq 13 celle de Rabba qui d s cette poque a fait force de loi L unit dans le pluralisme Ce parcours travers les sources talmudiques autorise conclure que la prosp rit spirituelle du peuple d Isra l doit se faire dans le double souci du pluralisme et de l unit Ce qui signifie la fois le respect du droit la diff rence et le devoir moral du dialogue entre les diverses factions dans la recherche du consensus maximal D autant que depuis pr s de deux mille ans il n existe plus de Sanh drin pouvant se pr valoir d une autorit spirituelle sur tout le peuple Aucune faction ne peut pr tendre l gitimement d tenir l exclusivit de l autorit supr me L argument d autorit souvent invoqu au nom des Grands de la g n ration est plus que p remptoire il est une p tition de principe Il suppose abusivement que l interlocuteur a fait acte d all geance aux dits d cisionnaires De m me le fait qu une institution ou un mouvement domine par sa majorit en un lieu ville pays ou continent ne fonde pas son droit exclure ou d nigrer les autres repr s
10. pr curseurs Quel que soit le jugement que l on puisse porter sur ses analyses critiques et sa philosophie on ne peut que s incliner devant le bon sens avec lequel il traite de l intol rance et rige en principe ce qui m riterait de figurer dans un code d ontologique de la controverse Les hommes sont ainsi faits qu ils ne supportent rien plus malais ment que de voir des opinions qu ils croient vraies tenues pour criminelles et voir imput m fait ce qui meut leurs mes la tendresse envers Dieu et les hommes par o il arrive qu ils en viennent d tester les lois tout oser contre les magistrats juger non pas honteux mais tr s beau d mouvoir des s ditions pour telle cause et tenter quelle entreprise que ce soit Puis donc que telle est la nature humaine il est vident que les lois concernant les opinions menacent non les criminels mais les hommes de caract re ind pendant qu elles sont faites moins pour contenir les m chants que pour irriter les plus honn tes et qu elles ne peuvent tre maintenues sans grand danger pour l tat Ajoutons que de telles lois condamnant des opinions sont du tout inutiles ceux qui jugent saines les opinions condamn es ne peuvent ob ir ces lois ceux qui au contraire les rejettent comme fausses ces lois paraftront conf rer un privil ge et ils en concevront un tel orgueil que plus tard m me le voulant les magistrats ne pourraient les abroger A quoi il faut joindre en
11. Bartenoura trouve son prolongement extr me dans celle revendiqu e par l ultra orthodoxie tandis que celle de Rabb nou Yona s incarne de fa on radicale dans le juda sme r form La conception de l ultra orthodoxie Sur la base d un enseignement d poque talmudique qui dit que la controverse n est vraiment n e que lorsque les disciples de Chama et de Hillel ne servirent pas leurs ma tres de fa on ad quate Tossefta Haguiga 2 9 Sanh drin 88b Ma monide avait conclu que c est du fait de l affaiblissement du discernement intellectuel des disciples et des g n rations suivantes que les d bats s tendirent au point de cr er des dissensions Introduction la Michna Helek 3 Ma monide semble souscrire une conception id alis e de la Halakha dont on trouve l expression dans des midrachim anciens Celle ci suppose que tout le d veloppement de la Loi orale a t r v l comme tel Mo se au Mont Sina Ainsi lit on dans Meguila 19b Rabbi Hiya fils de Abba a dit au nom de Rabbi Yohanan Quelle est l interpr tation du verset t sur elles se trouvent toutes les paroles que Dieu vous a adress es au mont Sina Deut ronome 9 10 cela enseigne que le Saint b ni soit Il a montr Mo se toutes les pr cisions de la Tora celles des scribes Sages et ce que les scribes innoveront dans le futur Puisque le savoir halakhique est suppos avoir t totalement d ploy sa source et transmis ensu
12. Entre concorde et discorde De la f condit de la controverse d apr s les sources rabbiniques Rivon Krygier La Michna Avot Maximes des P res 5 17 21 rapporte I amp phorisme suivant Toute controverse qui a pour but de promouvoir le Nom c leste divin finira par perdurer mais celle qui n a point but le Nom c leste mais des consid rations int ress es ne perdurera pas Quel est I amp xemple d me controverse qui a pour but le Nom c leste Quelle est la controverse qui a pour but le nom des Cieux C est celle de Chama et Hillel Quelle est la controverse qui n a pas pour but le nom des Cieux Celle de Korah et de son parti contre Moi se L expression le ch m chama m que nous avons rendue par pour but le nom c leste peut s entendre divers degr s mais son sens premier est univoque Elle d signe la vis e d sint ress e dans le d bat ou l action dont la seule finalit est de servir Dieu La Michna oppose ici deux paradigmes de la controverse le premier est constructif car il traduit une intention bienveillante le second est destructif pour la raison contraire D embl e il importe de souligner que ce dicton nonce que la controverse n est pas mauvaise en soi tout d pend de la noblesse et de la puret du motif qui cr e le dissensus Quant l expression sofa lehitkay m rendue par finira par se r aliser elle a donn lieu des interpr tations de nature tr s diff rente A
13. adoxalement le d bat qui est pourtant une manifestation de la discordance est le moyen incontournable par lequel le consensus peut tre tabli Le partenariat entre l homme et Dieu entendre le discours r fractaire l id e d volution fonci re de la Loi on ne peut s emp cher de demander ses porte parole pourquoi Dieu n a pas r v l directement Mo se le contenu synth tique qu ncarnent le Choulhan roukh et ses annexes Cela aurait vit bien des contrari t s L rgument selon lequel Mo se aurait re u au Mont Sina une r v lation exhaustive et univoque de la Loi orale et que l histoire de la cette Loi n est autre que celle de sa fragmentation suivie de la vaste entreprise de sa reconstitution est non seulement d menti par les donn es v nementielles de l histoire mais abondamment contredite de principe par ce que la Tradition orale elle m me en dit Citons quelques aggadot t moignant d une conception qui entrevoit dans l volution de la Loi orale le changement dans la continuit Il en va ainsi du c l bre midrach qui d peint Mo se comme d contenanc l coute de l enseignement de Rabbi Akiva son lointain disciple dont la substance des propos lui chappent cf Menahot 29b cit supra p Erreur Signet non d fini La tournure paradoxale de ce r cit ne peut devenir intelligible que si l on admet le caract re minemment successif et progressif de la R v lation Si Mo se est pr sent
14. as toujours possible de d terminer la norme qui fait force de loi partir du seul crit re de la pertinence ni m me partir du crit re d mocratique comme nous l avons vu plus haut Les deux coles rivales ont chacune leur syst me de pens e propre de sorte que 17 Exemples Selon l cole de Hillel un acte de mariage scell par le don d un objet ayant valeur de prouta valeur minimale est valide tandis que pour l cole de Chama il faut la valeur d un dinar plus consistante Il s ensuit que si une femme a fait deux mariages cons cutifs par exemple en n ayant pas divorc l galement du premier mariage le premier par la prouta le second par le dinar et qu amp lle ait eu ensuite des enfants des deux maris l enfant issu du premier acte de mariage sera mamzer selon l cole de Chama et l autre cacher Mais ce sera l inverse pour l cole de Hillel l enfant du premier mariage est cacher et celui du second mariage mamzer cf Talmud de J rusalem Yevamot 1 6 Ou autre exemple les enfants issus d un mariage entre la seconde femme d un mari d c d et le fr re du d funt sont mamz rim selon l cole de Hillel car ceux ci consid rent que le l virat cf Deut ronome 25 5 n a pas lieu d tre pour la seconde femme de sorte qu une telle union transgresse l interdit pour une femme d pouser le fr re de son poux cf L vitique 18 16 Tandis que l cole de Chama consid rant que le l virat a ici force de loi si cett
15. aux rabbiniques de conception diff rente dans un m me lieu ou une m me ville Il y a d bat dans la Guemara Yevamot 14a le point de vue d Abay ma tre babylonien du IV si cle est que la divergence sur la r gle suivre est admise pour des tribunaux de localit s diff rentes mais qu au sein d une m me agglom ration on ne peut admettre la pr sence d un tribunal qui jugerait selon Chama et d un autre selon Hillel sans enfreindre la r gle de lo titgodedou A contrario le point de vue de Rabba ma tre babylonien m me poque est de consid rer que l on enfreint cette injonction seulement quand au sein du m me tribunal rabbinique existe une faction qui jugerait selon Hillel et l autre selon Chama et que la minorit ne se plierait pas la majorit Mais si les deux tribunaux sont distincts par leur m thode bien que si geant dans la m me ville il ne faut y voir aucune entrave l unit du peuple d Isra l Les deux voies sont l gitimes Sans entrer dans les d tails de l argumentation juridique trop pointus pour qu on s y attarde on a toutes les raisons de penser que c est la seconde opinion 2 Ceci contrairement la Michna qui parle d une v ritable convivialit en d pit du fait que certains actes religieux tombaient sous l interdiction pour les uns ou pour les autres 1 Dans le Zohar Mo se est pr sent comme s effor ant de r soudre la controverse soulev e par Korah contre Aharon La le
16. core ces conclusions tir es de l Histoire des H breux combien des schismes enfin sont n s surtout de ce que les magistrats ont voulu mettre fin par des lois aux controverses des docteurs Trait th ologico politique trad de Ch Appuhn Garnier Flammarion 1977 ch XX pp 332 333 Du risque de la fragmentation communautaire La litt rature rabbinique met en garde contre le risque de division et de querelle que pourraient induire les controverses Elle nonce un principe qui en est l antidote Il est tir de fa on m taphorique de l injonction biblique lo titgodedou ne vous tailladez point Deut ronome 14 1 Originellement elle est l interdiction de s infliger des s vices corporels en situation de deuil pratique consid r e comme idol tre Les Sages de l poque talmudique ont largi le sens de cet interdit selon un proc d herm neutique traditionnel en portant leur attention sur la racine du verbe et sur le redoublement du daleth lo ta ssou agoudot agoudot la h you koulkh m agouda ahat Ne formez pas des factions distinctes mais constituez ensemble une seule entit Sifr Tsav p 158 et Yevamot 13b Toute la question est de savoir ce que signifie ce terme p joratif de factions et sous quelle forme l unit d Isra l peut tre pr serv e L expression lo titgodedou a eu une fonction op ratoire dans le droit juif dont l usage s est d velopp au cours de l histoire Je ne m
17. ctives les divergences ne d g n raient 16 Cf l article de Yitshak Gilat lo titgodedou dans tudes sur le d veloppement de la Halakha en h breu d Bar Ilan 1992 pp 161 180 10 que rarement en discorde Mais plus encore enseigne la Guemara de Yevamot 14b ils taient capables d amour du prochain selon l tat d esprit du proph te Zacharie 8 19 illustr par le verset ha m t ve ha chalom havou ch rissez la fois la paix et la v rit Cela pour signifier que des convictions oppos es doivent tre temp r es par la tol rance malgr la tension que g n re la coexistence de codes de conduite contradictoires Ni les disciples de Chama ni ceux d Hillel ne renonc rent leurs convictions Ils taient suffisamment p n tr s de la n cessit de ne pas diviser le peuple de sorte qu ils consentaient contracter entre eux des mariages ou manger la m me table alors que leur interpr tation de la Loi tait fondamentalement divergente pr cis ment sur des aspects de la vie courante et commune la cachrout les mariages les divorces et m me les conversions cf Chabbat 31a Ces profonds d saccords risquaient pourtant d entra ner de graves complications au point m me de provoquer des situations o pour un parti tel enfant devait tre qualifi de mamzer statut qui ne permet pas le mariage avec un autre Juif tandis que pour l autre cole il ne l tait pas Le Talmud Erouvin
18. d cisions ant rieures m me quand dans certains cas un large consensus a t obtenu De nombreux rabbins et non des moindres ont contest que le Choulhan roukh et ses annexes devaient d sormais tre consid r s comme infrangibles Ceci tant les d cisionnaires n ont jamais innov en faisant tabula rasa du pass Ils sont les h ritiers de principes juridiques et d un patrimoine l gal cristallis dans les livres de Loi et dans la conscience du peuple C est dans cette filiation l ensemble des sources traditionnelles depuis la Michna jusqu aux derniers crits rabbiniques malgr toute la complexit et l laboration inachev e du syst me que s inscrit la d marche de l homme de la Halakha qui doit statuer Mais c est aussi dans la tentative toujours renouvel e d allier la puissance de cet h ritage avec le devoir d ajuster la Loi aux situations nouvelles que le d cisionnaire soutenu par un coll ge rabbinique qui lui accorde sa confiance peut pr tendre l gitimement continuer l gif rer En somme la p rennit du juda sme a t rendue possible par un double mouvement qui peut tre qualifi de respiratoire temps d inspiration o les poumons se d ploient et s enrichissent d oxyg ne d opinions qui font l objet de controverses puis temps d expiration o la codification op re une r traction en r sorbant la divergence pour pr server l unit normative du juda sme et du peuple juif radiquer le d ploiement
19. de la puret d une situation et quarante neuf arguments en faveur de l impuret de la m me situation Il est significatif que m me argument e la recherche du consensus normatif ne trouve son aboutissement l gitime que par d cision d mocratique L intelligibilit de la Loi ne fait pas 13 C est ainsi que le rabbin Yossef Albo 1380 1444 comprend la nature de la r v lation de la Loi orale cf Sefer halkarim 3 2 elle seule sa validit Elle doit tre corrobor e par une d cision majoritaire m rie par l investigation et la discussion Loin d tre marginale cette prise de position nonce un principe r current et fondamental chez les Sages du Talmud il existe un partenariat entre Dieu et les hommes dans le processus d laboration de la Loil La Tora crite est sacr e car min ha chama m d origine c leste M Sanh drin 99a Dans sa forme son fondement elle doit rester intouchable inviolable Mais r v l e aux hommes sa signification et sa mise en pratique deviennent terrestres lo ba chama m hi la Tora n est pas dans les cieux cf Baba Metsia 59ab en ce sens que les rabbins en deviennent non seulement les d positaires mais aussi les protagonistes La Loi se fait orale d bat Les controverses sont autant de coups de marteau qui percutent la Loi crite et l ouvrent ainsi l interpr tation l cole de Rabbi Yichmael on a enseign Est ce que Ma parole ne ressemble pas a
20. e seconde femme pouse un autre homme que le fr re elle transgresse l interdit d pouser un autre que le fr re du d funt et si elle pouse le fr re du d funt elle accomplit le commandement du l virat 11 le nombre de protagonistes d un camp ou de l autre ne peut constituer un crit re valable pour trancher le d bat et obtenir le consensus La victoire de l cole de Hillel n est pas celle de la v rit ni du nombre mais de la vertu C est cette dimension infra halakhique la capacit de tol rance et d humilit supportant la plurivocit de la Loi qui d signe la pr s ance Ce qui fait son pouvoir de conviction tient pr cis ment au fait qu elle n touffe pas la l gitimit de la controverse Elle induit que la recherche opini tre du consensus ne doit pas impliquer l exclusion ou le m pris de la diff rence Elle int gre le principe qu il faut permettre aux diff rents syst mes de se confronter voire de se critiquer en respectant au mieux les diff rences dans un esprit de fraternit Le pluralisme est rig en condition infrangible du processus l gislatif Il est significatif que le Talmud Yevamot 14a pr cise que m me lorsque la Loi fut tranch e en faveur de l cole de Hillel pour la post rit et l ensemble d Isra l les disciples de l cole de Chama furent autoris s agir selon leurs normes On consid ra que l intervention de la voix c leste ne pouvait contraindre les disciples de Chama du fait que c
21. effectuaient des changements sans penser cr er une rupture avec le pass alors que nous lib raux en sommes tout fait conscients ibid p 54 Selon cette conception l aspiration m me une codification de la loi semble fonci rement inappropri e au b n fice du pluralisme et du choix que dicte 1 ntime conviction du rabbin tout la fois d positaire du patrimoine religieux et autonome Le mod le organique Pour ma part je soutiens que la Halakha telle que nous la connaissons aujourd hui est la Cf la conception que se fait de la Halakha le rav Yossef Dov Soloveichik 1903 1993 La m thode d enseignement de Rabbi Hayim de Brisk dans L homme de la Halakha trad de l h breu par Benjamin Gross J rusalem OSM 1981 L auteur distingue deux modalit s de la Halakha L une purement sp culative est la doctrine fond e sur des principes a priori selon de pures donn es axiomatiques p 157 Comme telle elle est ind pendante des v nements des changements et des avatars du destin Elle a donc toujours exist p 162 La seconde est pratique et conna t des turbulences in vitables mais s efforce de pr server la correspondance entre le monde id al et le monde r el Le lien entre ses deux modalit s est comme celui du monde concret perceptible et celui du monde formel tel que la conception scientifique math matique p 162 La d cision halakhique doit s op rer de fa on auto
22. entants religieux de la communaut juive Pour tre explicite c amp st avec amertume que je d plore l attitude actuelle des rabbins du Consistoire de France qui sont hostiles toute tentative de f d rer les divers courants religieux Cette attitude autoritariste nuit gravement la coh sion communautaire et enfreint le principe de lo titgodedou L ironie veut que ce soit eux qui accusent les autres mouvances de faire s cession du fait qu elles refusent de se soumettre l interpr tation de la Halakha dict e par les d cisionnaires consistoriaux au pr texte douteux d tre majoritairement repr sentatifs de la communaut juive de France Il convient de rappeler que le rabbin S R Hirsch chef de file de la n o orthodoxie se battit au XIX si cle pour la reconnaissance civile de son organisation dissidente et minoritaire par rapport au rabbinat officiel la Kehila en Allemagne alors majorit lib rale et ce sans le moindre scrupule li l injonction de lo titgodedou De m me les orthodoxes qui sont minoritaires aux tats Unis et dans d autres tats sans parler des ultra orthodoxes et de toutes leurs dissensions internes n ont jamais estim devoir renoncer leurs principes et r gles de conduite du fait de la repr sentation officielle ou majoritaire d un rabbinat d une autre ob dience Malgr les s rieuses divergences l unit religieuse de la communaut pourrait tre r alis e si les diverses fac
23. eux ci s appuyaient sur le principe l gitime selon lequel e n machegihin be vat kol on ne tient pas compte d une voix c leste ibid Par ailleurs admet le Talmud m me apr s le triomphe de l cole de Hillel le principe de majorit ne pouvait l gitimement faire plier les tenants de l cole de Chama aux r gles de leurs rivaux du fait que les premiers se consid raient comme tant plus pointilleux mehaded tef Ceci souligne de fa on patente le droit l autonomie du Sage mis en minorit mais d positaire d une v rit non moins clair e Qui plus est la conservation dans la m moire collective de l opinion mise en minorit devait garantir que la Loi ne soit jamais d finitivement fig e et arr t e cf Rachi Ketouvot 57a Dans la michna du trait Edouyot 1 5 ce principe est pos de fa on difiante apr s avoir repouss trois reprises tant l opinion de Chama que celle de Hillel au profit d une troisi me deux questions sont pos es qui donnent lieu des r ponses cinglantes Pourquoi rapporte t on les paroles de Chama et Hillel en vain puisqu elles peuvent avoir t repouss es C est pour donner une le on aux g n rations futures pour qu un individu ne s obstine pas imposer son opinion car il pourra constater que les P res du monde les Sages n ont pas obstin ment impos celles de Chama ou de Hillel Et pourquoi rapporte t on les paroles d un individu mis en minori
24. fois de pr tendre faire autorit pour tout le peuple d Isra l Ainsi rapporte t on qu l endroit o Rabbi Yossi ha guelili Palestine n si cle tait ma tre il tait autoris de consommer des repas faits de volaille m l e au laitage Son opinion minoritaire devait tre respect e l endroit o son autorit s exer ait cf Yevamot 14a Le Trait de Chabbat 130a rapporte ainsi l histoire d n homme d nomm L vi qui fut invit d ner chez Rabbi Yossef Richba et fut d concert en constatant que le ma tre de maison m lait all grement volaille et laitages contrairement la d cision du Sanh drin Lorsque Levi se rendit aupr s de Rabbi Yehouda ha Nassi fin du n si cle chef du Sanh drin et lui demanda comment un tel comportement tait admissible celui ci lui r pliqua que son h te tait sous le district de Rabbi Yehouda ben Betira lui m me disciple de Rabbi Yossi ha guelili En d autres termes Rabbi Yehouda ha Nassi qui consid rait comme interdit par d cret des Sages de m ler volaille et laitage reconnaissait le droit aux disciples de Rabbi Yossi ha guelili de continuer se comporter selon l enseignement de leur ma tre du moment qu ils reconnaissaient que le d cret d cid majorit par le Sanh drin avait force de loi pour l ensemble d Isra l L exception est possible mais elle appelle une justification La seconde concerne la question pineuse de la l gitimit de la pr sence de deux tribun
25. insi selon le commentateur Rabbi Ovadia Mi Bartenoura Italie Isra l 1450 1510 la r alisation de la controverse constructive c est la possibilit par la vertu du d bat sa dialectique et sa ma eutique d acc der la v rit la controverse donnera historiquement raison un parti ou l autre pour la conduite suivre Au demeurant la probit du d bat fera que ce triomphe sera sans disgr ce pour le point de vue oppos Mais pour le commentateur Rab nou Yona Espagne XM si cle la r alisation de la controverse est son maintien dans la p rennit Le d saccord est consid r en soi comme g n rateur d un d bat constructif qui confronte des approches oppos es et apporte de ce fait vitalit et f condit la pens e Plus encore qu une m thodologie se trouve ici pos e la l gitimit de la concomitance de th ories contraires dans l angle d approche de la v rit Si l intention de controverse est pure elle m rite de perdurer et sera source de long vit pour les protagonistes Tandis que la controverse destructive se verra interrompue par la perte du protagoniste mal intentionn Ces deux interpr tations sont contraires La premi re souhaite le d nouement consensuel et juste de la controverse La seconde rige le pluralisme en valeur religieuse sans Les traductions propos es dans cet article se veulent les plus litt rales possibles Le cas ch ant des ajouts entre crochets tentent de restitue
26. ite de g n ration en g n ration Ma monide idem pp 9 13 ce sont selon cette conception des accidents de transmission qui rendent compte du r le historique de grandes figures du juda sme post exilique comme semble l indiquer un midrach Soucca 20a Au d but lorsque la Tora tomba dans l oubli en Isra l Ezra monta de Babylone et la r tablit Lorsqu elle tomba nouveau dans l oubli ce fut Hillel le Babylonien qui la r tablit Lorsqu elle tomba une troisi me fois dans l oubli ce fut Rabbi Hiya et ses fils qui la r tablirent De l a germ l id e que le travail de codification labor au cours de l histoire partir de la m moire traditionnelle de l interpr tation selon des r gles herm neutiques d finies mais aussi par le biais des multiples controverses ayant pour but le nom des Cieux aurait permis la restauration progressive d une sorte d ge d or halakhique dont l expression est la synth se p rennis e dans le Choulhan roukh crit par Rabbi Yossef Caro au XVI si cle tentes susceptibles de communiquer l impuret On envoya chercher Rabba bar Nahmani gt Baba metsia 86a CE Ma monide Introduction la Michna d M D Rabinovitz J rusalem Mossad ha rav Kook 1980 p 11 Il cite un enseignement des Sages Sifra behar qui suppose que tous les d tails de la Loi orale m me dans ses d veloppements futurs ont t r v l s Mo se Cf une formulation parall
27. le dans Berakhot Sa Le rabbin Ernest Gugenheim pour illustration souscrit explicitement cette conception cf Les Portes de la Loi op cit p 85 sq L ironie veut que Ma monide ne la consid rait probablement pas comme v rit prendre la lettre car il consid rait g n ralement le langage du Midrach comme all gorique cf sont nroduction au perek Helek Mais ce n est pas le lieu ici d tayer cette th se La codification de la loi consiste produire un ouvrage syst matique qui nonce les prescriptions pratiques faisant autorit tout en escamotant l exposition des principes et la teneur des d bats justifiant la conclusion prescriptive Safed et dans la glose de Rabbi Moch Isserles de Cracow qui est l adjonction achk naze ce code Cette r sultante incarnerait avec quelques pr cisions mineures intervenues ult rieurement la Loi orale divine r tablie dans sa quasi v rit la plus rapproch e de la r v lation originelle du mont Sinai Il va de soi que dans une telle acception de la Loi orale et de son histoire toute modification ult rieure envisag e partir de consid rations extrins ques sociologiques morales etc sera jug e comme une immixtion ill gitime provoquant nouveau d viations et dissensions Selon cette conception cet interventionnisme qui falsifie la volont divine et la brade bas prix est l exemple m me de la controverse qui n a pas pour but le nom des Cieux D autant que po
28. nce exacte La litt rature rabbinique est parsem e d exemples qui attestent mais aussi justifient que des facteurs extral gaux tels que l influence de l environnement socio historique ou des facteurs m ta l gaux tels que le jugement autonome des d cisionnaires le charisme et la notori t que ceux ci tiennent de leur rudition et de leur sagesse ou tout simplement l autorit d coulant de leur statut social conditionnent la d cision qui valide ou invalide la pertinence des normes De fait rien ne permet de pr voir si la r gle prescriptive controvers e ira dans le sens de la conservation ou de l innovation dans celui du durcissement ou de I ll gement En effet l valuation humaine des circonstances est de jure partie int grante de la prise de d cision comme le souligne une expression talmudique qui s applique bien des situations et toutes les poques Le juge n a que ses yeux pour voir Comme le souligne le Maharal de Prague 1522 1609 le d bat et le d saccord sont in vitables car les diff rences dans la subjectivit la hi rarchie des valeurs l rudition ou le degr de sagesse font qu m vitablement la dissension s installe m me quand le but est d obtenir le consensus pr tendu refl ter la v rit divine originelle Toutefois ce constat n induit pas n cessairement l anarchie Ainsi le c l bre rabbin Abraham Isaac Kook 1865 1935 n y voyait aucune contrari t Au contraire le pluralisme tait
29. nions recens es dans la tradition rabbinique depuis le Talmud Il crit notamment Il est impossible que l avis des Sages soit unanime et qu il n y ait pas entre eux de diff rences d opinions puisqu aussi bien leur intellect diff re Puits de l Exil Puits 1 H enig p 19 sq Cf Sanh drin 38a Rabbi M ir souligne l importance thique de la singularit de chaque conscience humaine cr e par Dieu Par trois caract ristiques l homme se distingue de son prochain par sa voix son apparence et sa conscience Par sa conscience pour se pr munir des voleurs et des hommes violents faire face sont parfois si diff rentes qu elles interdisent que la r gle appliquer soit identique C est ce qu crit explicitement le c l bre rabbin Yaakov Emden Allemagne 1697 1776 Selon la Tradition talmudique c est la Tora crite elle m me qui pose comme principe m thodologique que la v rit pratique ne peut tre une valeur immuable et d sincarn e mais qu elle doit tre subordonn e l autorit des Sages comme il est dit dans le Deut ronome 17 8 9 Si tu es impuissant te prononcer sur un cas tu iras trouver le pr tre ou le juge qui si gera cette poque ach r yih y ba yamim ha h m On s aper oit donc qu il revient aux rabbins de chaque g n ration quel que soit leur niveau au regard d une autre g n ration d tablir la r gle suivre pour leurs contemporains et que par
30. nome sans d pendre de facteurs psychologiques ou historiques sous peine de perdre toute validit pp 155 157 r sultante d un long processus historique qui est toujours 1 uvre Il n a t ni purement d ductif ni de l ordre de la simple r miniscence La Loi orale est n e avec la R v lation ou la canonisation de la Loi crite pour en constituer son mode d emploi pratique Elle a t forg e progressivement par les rabbins pour permettre l ad quation entre les valeurs consign es dans la Tora et la r alit socioculturelle sp cifique laquelle ils ont t confront s chaque poque et en tout lieu Loin d avoir constitu originellement une entit id ale r v l e dans son plein d ploiement la Halakha n est pas non plus au final une simple th saurisation chaotique de propensions subjectives diverses et diffuses des rabbins qui auront l gif r au cours de l histoire En effet l tude philologique de la Loi orale montre que s est op r e progressivement une laboration tendant vers une syst matisation des commentaires pars ont t recueillis une s lection s est ensuite op r e et des r gles herm neutiques se sont impos es aux commentaires pour finalement cristalliser des r gles de conduite communes L organisation des Sages en tribunaux souvent dirig s par une autorit centralis e aura permis qu un syst me l gal commun ment reconnu se mette en place Bien que ce d veloppement n ait jamais c
31. or int rieur la force de discernement qui lui permettra de d cider de l all geance l une ou l autre des autorit s qu l jugera la plus avis e L intime conviction comme r sultat non d une simple soumission au principe d autorit mais d une recherche laborieuse et sinc re de la v rit a t ce point valoris e qu elle a donn lieu une relecture remarquable du paradigme de la controverse qui n a pas pour but le nom des Cieux celle de Korah et son assembl e contre Mo se Ainsi Rabbi M ir Simha ha cohen de Gdansk Mechekh Hokhma XIX si cle op re une distinction qui enjoint mieux circonscrire le caract re malveillant des rebelles Si r ellement il avait subsist dans leur c ur des contestataires le moindre soup on que Mo se eut invent que la Tora lui avait t r v l e comme ils le pr tendirent ils n auraient pas t punis si s v rement car ils auraient eu le statut de ceux qui sont sous la contrainte de leur erreur Selon cette interpr tation c est l intention n faste et funeste en l occurrence la lutte de pouvoir qui est en cause dans ce paradigme et non la revendication d tablir la v rit qui elle se voit l gitim e malgr la d sh rence Il importe de souligner combien cette analyse exprime un tournant id ologique Elle intime une didactique qui devrait pr sider la modernit C est Baroukh Spinoza 1632 1677 lui m me victime de l excommunication qui en fut 1m des
32. pasteurd les dires des auteurs de collection ce sont les disciples des Sages qui se r unissent en diverses assembl es et tudient la Tora Les uns d clarent une chose impure les autres la d clarent pure Les uns d clarent une chose interdite les autres la d clarent permise Les uns d clarent une chose invalide les autres la d clarent valide L homme pourrait alors s inqui ter comment dans de telles conditions pourrai je apprendre la Tora La suite du verset le lui enseigne ous manent d un m me et seul pasteur Un seul Dieu les leur a donn s un seul ma tre les a transmis de la bouche du Ma tre de toutes les uvres ainsi qu il est crit Dieu adressa toutes ces paroles Exode 20 1 On lui r pond De m me applique tes oreilles un cornet auditif acquiers un coeur qui discerne et comprend les paroles de ceux qui d clarent une chose impure et celles de ceux qui la d clarent pure celles de ceux qui la d clarent interdite et celles de ceux qui la d clarent permise celles de ceux qui d clarent une chose invalide et celles de ceux qui la d clarent valide Haguiga 3b Cette interpr tation non seulement responsabilise le fid le dans son jugement mais l claire malgr sa situation d impuissance A d faut de se sentir apte prendre lui m me parti par manque d rudition ou de maturation 1l peut surmonter cette carence en s impr gnant du sens de la controverse et en puisant dans son f
33. pour lui la voie d acc s la concorde La multiplicit des opinions qui proc de des ant c dents psychologiques et ducatifs est pr cis ment ce qui permet l enrichissement de la sagesse et provoque son d ploiement Car finalement il en r sultera que les choses seront comprises comme il se doit Il appara tra alors tous qu il n tait pas possible d acc der cette dification de la paix sans I amp xpression de toutes ces tendances conflictuelles Olat Raya I J rusalem Mossad ha rav Kook 1978 p 330 C est en ce sens qu il faut entendre que la Loi crite est indissociable de la Loi orale L oralit d signe cette fluidit dont l instrument est I rictique la discussion la dialectique la confrontation des opinions Les hommes sont ainsi faits qu ils n ont pas la m me perception de la signification des textes ni la m me valuation des situations qui demandent trancher le d bat comme l exige la Tora orale Qui plus est les r alit s sociologiques auxquelles 1ls ont 1 Voir pour exemples Sanh drin 6b Nida 20b Baba batra 130b Cf l analyse de Eliezer Berkovits dans La Halakha sa force et sa fonction en h breu J rusalem Mossad haRav Kook 1981 pp 164 166 8 Le Maharal est connu pour avoir t un des opposants farouches la prise de d cision selon la seule codification qui par son caract re p remptoire lude le cheminement qui passe par l examen m thodique du d veloppement des opi
34. que ce d cisionnaire va plus loin que Rabba dans le droit d autonomie qu il reconna t la minorit Cf supra note 18 23 Cf Judith Bleich Rabbinic Responses to Nonobservance in the Modern Era dans Jewish Tradition and the Non traditional Jew dit par J J Schacter Londres 1992 pp 81 92 14 Cependant m me dans ce domaine un climat de fraternit et une culture du d bat devraient g n rer une compr hension qui permettrait de rallier les cellules communautaires et viter qu elles ne se d tachent les unes des autres sous des formes de pratique de plus en plus h t rog nes Enfin 1l ne faudrait pas laisser pour compte tous les Juifs qui se revendiquent comme tels bien que d partis de toute all geance ou pratique religieuse L id al de l unit dans la diversit devrait permettre un enrichissement mutuel et de renouer les liens qui doivent imp rativement se tisser entre toutes les tendances Si la communaut juive de France se donnait les moyens de r aliser ce projet elle pourrait servir de r f rence exemplaire l ensemble du peuple juif qui conna t les m mes d chirures Il y va de notre survie en tant qu entit diasporique menac e par l assimilation et l antis mitisme mais aussi de notre avenir en tant qu entit d positaire d une identit f conde int gr e dans la cit assum e dans la dignit et le bonheur heureuse comme Dieu en France 15
35. r ce que le style concis et allusif lude Selon une belle interpr tation que j ai entendue de Michel Prince l expression le ch m chama m ferait allusion la paix c leste que l homme doit chercher instaurer ici bas cf Job 25 2 Cette l gitimit fonci re est magnifiquement illustr e par un midrach aram en aux couleurs surnaturelles il place Dieu au rang de protagoniste Je n en citerai ici qu un extrait et sans commentaire tant il parle de lui m me Pendant que Rabba bar Nahmani tudiait assis sur un tronc de palmier se d roulait une controverse au sein de la Yechiva acad mie c leste sur la question des sympt mes de la l pre qui communique l impuret on sait que si une tache sur la peau d un individu pr c de l apparition d un poil blanc c est un cas d impuret mais dans le cas inverse l individu est consid r comme pur Mais qu en est il en cas de doute sur l ordre d apparition Le Saint b ni soit Il tait d vis de conclure la puret tandis que toute l acad mie c leste opinait pour l impuret Qui nous d partagera se demand rent ils Rabba bar Nahmani Car il a dit Ge suis le seul sp cialiste sur la question des plaies et des chercher dissoudre la tension du d bat Sans vouloir opposer ces deux interpr tations en une dichotomie r ductrice elles sont toutefois la racine d un d bat contemporain qui en est la figure exacerb e En effet l approche de Rabbi Ovadia mi
36. t parmi celles de la majorit C est pour le cas o un tribunal ult rieur verrait d un bon il les propos de l individu et s appuierait sur ceux ci pour contrevenir l opinion jadis majoritaire La premi re question et sa r ponse comportent un double message Il demande tout protagoniste d accepter que la Halakha soit fix e selon la majorit du tribunal m me si le premier est convaincu de d tenir la v rit ou d tre plus qualifi Ceci pour pr venir les fractures Mais il ressort aussi de cette consigne qu une autre g n ration de d cisionnaires peut se pr valoir d une autorit qui contredirait l gitimement les interpr tations de grands Sages tels que Chama ou Hillel La seconde question et sa r ponse renforcent ce dernier principe en soulignant que la th saurisation d une opinion jadis mise en minorit constitue une forme d ancrage dans la filiation talmudique qui la rend l gitime pour un tribunal ult rieur au point que la majorit obtenue d antan ne peut tre contraignante et r dhibitoire Dans les deux cas filiation et innovation trouvent une articulation possible Pour en revenir au paradigme de la controverse opposant Chama et Hillel la Guemara Yevamot 14a se demande si 1 n n enfreint pas le principe de lo titgodedou vous ne ferez 18 Cf la prise de position halakhique de Rabbi Menahem Ha M iri France 1249 1316 si la minorit dans un tribunal l gislateur est compos e de Sages pl
37. tions acceptaient de se plier l thique du pluralisme que j ai tent de d gager dans l analyse des sources rabbiniques Il faudrait dans un premier temps initier un dialogue jud o juif afin que les pr jug s et les calomnies s estompent et qu un climat fraternel de controverse au nom des Cieux s instaure On pourrait esp rer alors dans un second temps qu une r flexion commune permette de d finir un consensus f t il minimal sur les diverses questions qui concernent la d finition m me de l identit religieuse proc dures de conversion de mariage et de divorce Ce consensus et certains rabbins consistoriaux en conviennent est une n cessit si l on ne veut pas voir la communaut juive de France continuer s atomiser en factions rivales de sorte que de plus en plus de Juifs en viennent d consid rer la jud it d autres Juifs ou d nigrer la qualification d autres rabbins dans le m pris et la confusion la plus totale Pour les autres divergences qui tiennent au d bat d coles il y a lieu de faire preuve ici non seulement de tol rance mais de v ritable pluralisme en renon ant l id e qu il n existe qu une forme l gitime de pratique religieuse David Dichon montre que la majorit des d cisionnaires l exception notoire de Ma monide souscrivent l opinion de Rabba Cf La culture du d bat en Isra l Tel Aviv Choken 1984 p 97 Pour exemple cf Hidouch HaMe ri Pessahim 54b A noter
38. u feu dit l ternel et au marteau qui fait voler la roche en clats J r mie 23 29 de m me un seul texte biblique donne naissance des interpr tations multiples Sanh drin 34a Dans chaque nouvelle situation la norme consensuelle peut tre si n cessaire remise sur l enclume pour tre remodel e mise jour C est sur ce mode par la controverse men e conjointement avec cr ativit et fid lit la Tradition ancestrale que la parole divine renoue avec son origine tendue vers sa finalit au nom du Ciel le chem chama m La Tradition talmudique nous a l gu un r cit embl matique tout fait poignant des modalit s de ce partenariat Le docteur de la Loi doit lui m me avoir pour renouer avec la volont divine un partenaire humain le haver bin me de la controverse Rabbi Yohanan avait humili son compagnon d tude Reich Lakich en lui rappelant sont pass de brigand En cons quence R Yohanan eut l esprit affaibli tandis que Reich Lakich tomba gravement malade Mais Rabbi Yohanan s obstina ne pas pr senter ses excuses nonobstant les implorations de l pouse de Reich Lakich soeur de R Yohanan Reich Lakich en mourut R Yohanan fut rong de remords Les ma tres choisirent R Elazar ben Pedat reconnu pour l tendue de son savoir pour devenir le nouveau compagnon d tude de R Yohanan En discutant R Elazar renfor ait syst matiquement les th ses de R Yohanan jusqu au jour o ce
39. ulmin en une syst matisation compl te et que tensions et oppositions conceptuelles continuent sous tendre la mani re d aborder la r gulation de Halakha les modalit s de son application selon des conventions des d nominateurs communs tant sur le plan des principes que des normes fondamentales ont t admis et ont permis qu une relative coh sion soit obtenue En particulier on observe que dans le processus d volution de la Loi juive les deux approches oppos es recherche du consensus et recherche de la congruence actualis e par le biais de l innovation ont coexist en provoquant un effet b n fique de compl mentarit L une vise arr ter pessak la Loi la fixer en norme universelle pour maintenir sa coh sion et celle du peuple Ce fut l oeuvre des multiples codifications op r es par de grands ma tres de la tradition rabbinique tels que Ma monide Michn Tora Rabbi Yaakov bar Acher Tour Rabbi Yossef Caro Choulhan roukh le Hafets Ha m Michna beroura et bien d autres encore la plupart m connues du grand public La seconde approche vise non codifier mais l gif rer innover Elle consid re comme inh rent au devoir du d cisionnaire le fait de faire face aux nouvelles situations en produisant si besoin est de nouvelles prescriptions en fid lit l esprit de la Loi Par d finition cette attitude suppose que pour rester pertinente la Loi doit tre faite mais aussi d faite de certaines
40. ur les tenants de cette approche la restauration essentielle de la Loi est d sormais finalis e boucl e de sorte que toute innovation sensible ne peut tre que fonci rement perverse La conception du juda sme lib ral J esp re ne pas trahir ce mouvement de pens e en affirmant que pour ses rabbins il n existe pas de doctrine originelle de la Halakha constitu e d une armature intangible axiomatique et contraignante Loin de chercher r tablir la v rit originelle la fonction de la controverse pour le nom des Cieux consiste si le rabbin le juge opportun se d marquer des traditions jug es caduques ou les adapter aux nouvelles r alit s sociales Le rabbin Pauline Bebe crit Le professeur Guilat affirme qu l poque du second Temple fchaque sage pouvait prendre des d cisions pour sa ville et son foyer selon sa propre tradition et en accord avec le jugement qu il tirait lui m me des d lib rations dans les sources rabbiniques Le pluralisme est donc intrins que au juda sme et chaque tendance du juda sme pouvait se r clamer de Dieu pour faire le bien Le choix du bien n est pas toujours unique ni vident il s exprime sous plusieurs formes Le juda sme lib ral Paris Grancher 1993 p 37 Ou encore La nature des r formes du juda sme qui ont eu lieu dans le pass n est pas si diff rente de celle de la r forme moderne mais le degr de conscience du processus est plus avanc Nos anc tres
41. us experts et plus avis s dans leur raisonnement on ne tranchera pas selon la majorit mais on consid rera les deux factions comme des instances distinctes Hidouch Ha Me ri Yevamot 14a 1 Ma traduction est fond e sur la lecture qu en fait Ma monide Elle est la plus coh rente au regard des michnayot qui pr c dent 12 pas de factions en acceptant que subsiste la contradiction S ensuit alors une discussion complexe sur la mani re dont les uns pouvaient vivre en bonne intelligence avec les autres compte tenu de leurs divergences fondamentales La Guemara tente d amp tablir les mesures pratiques que tant les disciples de Chama que de Hillel taient susceptibles de s imposer pour viter les d chirements C est l un pr c dent exemplaire qui m riterait d tre pris en consid ration pour permettre la convivialit voire la f d ration des factions actuelles du juda sme La l gitimit de la divergence Au demeurant il importe de mettre en exergue les deux voies par lesquelles pour le Talmud le travers de la discorde peut tre vit La premi re se base sur le fait que divers rabbins post rieurs aux temps de Chama et Hillel conserv rent leur pr rogative d agir et d instruire leurs disciples selon leur conviction dans la localit o ils exer aient leur autorit bien que la norme suivre ait t tranch e pr alablement selon une majorit de Sages Ces rabbins mis en minorit s abstenaient toute
42. viennent du Sina Ne viennent elles pas uniquement de la Michna des Sages Mais quand le Saint b ni soit Il a donn la Tora Isra l Il la leur donna seulement comme le froment pour en faire sortir de la farine et comme du lin pour en tirer un v tement 0 Eliahou zouta I Selon ces diverses le ons ce sont les fondements de la Loi orale qui ont t r v l s et rien donc d exhaustif ou de pr d termin Un autre midrach Talmud de J rusalem Sanh drin 4 h 2 insiste sur l apport p dagogique li au fait que la R v lation de la Loi orale ne se soit pas op r e sous le mode finalis L laboration humaine sous le mode dialectique du contenu de la r v lation la rend plus p n trante C est d lib r ment que Dieu livre aux hommes une Loi qu l reste parachever Rabbi Y ana enseigne Si la Tora avait t r v l e tranch e avec des normes fig es elle n aurait pas eu de pied pour se tenir debout se maintenir Que cela signifie t 1l Mo se avait exprim un souhait Ma tre du monde r v le moi la ligne de conduite adopterd Dieu lui r pondit Al faudra trancher selon la majorit du coll ge rabbinique fond sur Exode 23 2 Si ceux qui disent innocent ou autoris sont majoritaires la r gle est selon eux Si ceux qui disent coupable ou interdit sont majoritaires la r gle est selon eux La Tora a t donn e de sorte qu elle puisse tre interpr t e par quarante neuf arguments en faveur
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