Portrait de l`artiste en singe savant
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1. Et si le bouclier devient un carcan 7 On peut alors se rapporter aux analyses de Gilles Deleuze dans Pr sentation de Sacher Masoch plus pr cis ment au chapitre Qu est ce que l instinct de mort dans lequel il analyse le texte de Freud Au del du principe de plaisir et qui traite de la diff rence fondamentale entre la n vrose et la perversion ce qu il faut interroger c est le point de frottement entre la n vrose et la perversion entre la r p tition du plaisir et le plaisir de la r p tition principe mortif re du saut sur place Perec tente semble t il de manier la n vrose par le biais de la perversion face au vide il pr f re ici la fiction du plein explorant l espace circonscrit et rassurant du d j connu art mn motechnique de l ancienne rh torique espace de la biblioth que personnelle Ce n est pas tant la rh torique bien s r que son exhibition qui fige le sujet dans une immobilisation celle de la question sans r ponse Cette exhibition par Perec mat rialise dans le texte le principe de cette criture carapace cens e prot ger l intime mais cette exhibition est aussi le sympt me de l dification d une forteresse existentielle qui ne renvoie au sujet que son propre vide 7 Thid Gilles Deleuze Pr sentation de Sacher Masoch le froid et le cruel La V nus la fourrure Paris Minuit 1967 30 Au lieu de vivre la r p tition comme une conduite l g2. m taphorique celui de la biblioth que La formule est ensuite reprise par Dylan Thomas avec son Portrait of the Artist as a Young Dog en 1940 qui initie la m taphorisation animale de la formule de Joyce Le titre du texte de Michel Butor Portrait de l artiste en jeune singe paru en 1967 semble constituer le cha non manquant entre l homme et le singe Lecteur de Butor qui fait partie d une des listes de citations g n ratrices de La Vie mode d emploi Perec conna t sans doute ce texte mais ne semble pas s en servir pour l criture du sien Sauf consid rer que la parodie de la formule de Starobinski se double d une r f rence au singe de Butor en effet dans le Portait de l artiste en jeune singe l animal est un hommage la figure de l alchimiste singe de nature selon certains trait s alchimique et il est fait r f rence la figuration en singe du dieu gyptien Thot dieu de l criture La fuite en gypte de la fin de l uvre de Butor cette seconde naissance est en fait une naissance l criture D s lors pour Perec ce singe savant pourrait tre la d nomination du dieu de l criture gyptien d autant que Perec s est plu r crire l pisode de la fuite en gypte dans Je suis n Je suis n le 25 d cembre 0000 Mon p re tait dit on ouvrier charpentier Peu de temps apr s ma naissance les Gentils ne le furent pas et l on dut se r fugier en gypt
3. savant n est qu un m canisme 1l r p te un tour qu on lui a appris effectuer C est en fait un changement radical de paradigme qu effectue Perec il n y a plus d piphanie m me d risoire de l art et de l artiste puisque le singe savant est tout entier dans l immanence d une pratique celle de la r p tition de l autre D s lors l artiste Perec singe savant de l autoportrait est un auteur qui conna t par c ur les tournures les clich s les artifices de l autoportrait et peut en jouer Voil pourquoi il ne peut sinc rement se pr senter comme un clown non seulement c est un h breu cela veut dire trou en russe poivre en hongrois Budapest plus pr cis ment c est ainsi que l on d signe ce que nous appelons Bretzel W ou le souvenir d enfance Paris Gallimard coll L Imaginaire 1993 p 56 19 Jean Starobinski Portrait de l artiste en saltimbanque Gen ve Skira 1970 1 Georges Perec Les Gnocchis de lautomne op cit p 69 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 5 mod le qui ne lui convient pas et qu il d nonce comme posture mais de plus ce n est pas la sinc rit du discours qui est ici en jeu mais seulement la sinc rit comme l un des lieux rh toriques de l autoportrait Un portrait de l artiste en singe savant est un autoportrait de l criture qui exhibe le maniement de la rh torique un nou
4. souvenirs afin de deviner quel homme j ai t b te ou spirituel peureux ou courageux etc C est la r ponse au grand mot Gnoti seauton Ici il ny a pas de r ponse au grand mot puisque le grand mot est devenu lui m me la r ponse Cette inversion du rapport entre r ponse et question permet de caract riser le fonctionnement m me de cet autoportrait non pas r ponses quelques questions mais r ponses par des questions de la premi re question la bonne question qui n est sans doute pas la seule question en passant par l expression il devient urgent de se poser quelques questions R pondre par des questions nous allons le voir est peut tre le sympt me d un refus de l intime de la part de Georges Perec et l indice d un d tournement de l autoportrait de sa fonction heuristique qui suis je l exhibition de sa production comment cris je Il s agit donc de prendre au s rieux le c t potache de Perec que ce soit dans ses rapports au pr cepte delphique ou l essai de Jean Starobinski Portrait de l artiste en saltimbanque l intuition de d part de ce projet de recherche tait de prendre au s rieux la formule de Perec portrait de l artiste en singe savant qui parodie le titre de Starobinski et de consid rer Les Gnocchis de l automne comme une relecture de l essai de Starobinski ou plut t de consid rer que ce texte avait
5. t g n r par les analyses de Starobinski Or cette intuition s est heurt e une objection de principe bien qu ant rieur de deux ans le Portrait de l artiste en saltimbanque para t en 1970 l essai de Starobinski ne peut tre une matrice David Bellos Georges Perec une vie dans les mots Paris Seuil 1994 p 513 Georges Perec Les Gnocchis de l automne ou R ponse quelques questions me concernant Je suis n Paris Seuil 1990 z Stendhal Vie de Henry Brulard Paris Gallimard coll Folio classique 1995 p 216 Pour les amoureux des chiffres on trouve sept occurrences du substantif question et trente sept tournures interrogatives en peine sept pages Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 2 importante de l autoportrait perecquien pour la simple raison que Perec ne semble pas l avoir lu il en conna t le titre r f rence culturelle commune mais ne se sert jamais des analyses du critique ni ne semble y faire ailleurs allusion Par cons quent en partant toujours de la formule perecquienne j ai joint l tude de l autoportrait que constitue Les Gnocchis de l automne celle de Je suis n crit en 1970 et qui s apparente lui aussi un autoportrait dans le but d examiner le fait que dans ces deux tentatives de figuration de soi par l criture la m me d marche esth tique et les m mes enjeux semblent l uvre J ai toutefoi
6. 12 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 8 Une figure que Barthes avait trait e et r pertori e dans son s minaire La d nonciation de l artifice met en doute la sinc rit de la parole que l on peut tenir sur soi questionnement lui m me incertain puisque si l on trouve le th me de la g ne dans la mise en sc ne de l incertitude perecquienne je suis g n pourquoi suis je g n on pouvait lire la fin de Je suis n mon propos est clair ma g ne est feinte m canismes d criture artifices rh toriques Ainsi l autoportrait perecquien n est pas un miroir d encre mais un miroir de l encre qui ne r fl chit que l criture et ses diff rents modes de production Il ne s agit plus de la pr sence de la rh torique dans l autoportrait mais de l exhibition de la rh torique comme l ment constitutif de l autoportrait perecquien Toutefois il n est pas question ici de se faire rh toricien et d aller traquer dans les textes les diverses figures et ornements r pertori s d ailleurs signal s par Perec lui m me ni de se limiter pointer cette r flexivit de l criture mais de prendre la mesure de cette exhibition de la rh torique au sein de l criture de soi qui vient prendre la place de la parole sur soi Rh torique et existentiel En plus d une structuration topologique que nous qualifierons de m taphorique les autop
7. 972 avoir utilis la formule est Jean Starobinski dans son essai Portrait de l artiste en saltimbanque En plus de l effet de paronomase entre saltimbanque et singe savant il est assez vident que c est ce titre que Perec se r f re puisqu il met en sc ne la substitution de saltimbanque par singe savant Portrait de l artiste en singe savant puis je dire sinc rement 11 que je suis un clown L essai de Starobinski interroge la figure du clown comme fondement de la repr sentation de l crivain de la modernit comme ce qui nourrit son imaginaire produisant des autoportraits d valoris s et sarcastiques et questionne de plus le rapport de l crivain l esth tique partir du XIX si cle cette figuration de soi est une interpr tation de soi par soi qui allie une critique de la sociabilit rang e par un int r t port la marge foire ou th tre populaire et une autocritique de l id e m me de vocation artistique De l envol de l acrobate dans les Odes funambulesques de Banville au d sespoir du Vieux saltimbangue de Baudelaire le saltimbanque est une figuration de l artiste et une m taphore de son esth tique Perec transforme par le biais de la paronomase le saltimbanque en une autre figure du cirque le singe savant Au contraire du saltimbanque qui se d valorise pour provoquer le rire ou qui se contorsionne pour lutter contre la finitude humaine le singe
8. Escalier A 3 tage Porte droite Paris 16 Seine France Europe Monde 7 Univers 5 Je suis n est le titre donn par les ditions du Seuil aux extraits du petit carnet noir dat s du 7 et du 8 septembre 1970 au sein d un recueil de textes dits autobiographiques intitul lui aussi Je suis n L op ration ditoriale fait de ces deux entr es d un carnet pr paratoire un texte homog ne ces notes crites les 7 et 8 septembre sont dit es hors de leur contexte qui est la pr paration de la r daction de la partie autobiographique de W ou le souvenir d enfance et s par es des entr es suivantes du carnet exclues des honneurs ditoriaux Georges Perec Lettre Maurice Nadeau Je suis n Paris Seuil 1990 p 57 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 3 Comme tout le monde est en fait une allusion Stephen Dedalus protagoniste du Portrait qui se livre au m me exercice Stephen Dedalus Class of Elements Clongowes Wood College Sallins County Kildare Ireland Europe The World The Universe Ici l espace de la page structur par Joyce reproduit la structure de l uvre tout enti re qui joue de l embo tement des espaces les uns dans les autres l appartement l immeuble la rue le quartier la ville le pays l Europe le monde le tout crit sur la page par le biais de l intertextualit qui inscrit l uvre dans un dernier espace
9. Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 1 Portrait de l artiste en singe savant Perec ou la rh torique de l autoportra it Raoul Delemazure Universit Paris Diderot Pourquoi les restaurants italiens ne servent ils que des p tes en novembre Parce que les gnocchis c est l automne C est ce trait d esprit d Alain Gu rin rapport par David Bellos qui sert de titre l autoportrait que Georges Perec livre la revue Cause commune pour son premier num ro en mai 1972 Les Gnocchis de l automne ou R ponse quelques questions me concernant un jeu de mots juste assez herm tique pour ne faire sourire qu un petit nombre de mes amis note Perec Comme beaucoup l ont remarqu le titre de ce texte est une traduction homophonique de la formule grecque gnothi seaut n l une des trois inscriptions que l on trouvait sur le fronton du temple de Delphes et qui signifie connais toi toi m me Personne ma connaissance n a pour autant mesur les enjeux de cette irr v rence qui transforme la recherche de l identit en farce du sacr l alimentaire le pr cepte delphique ne peut plus tre pris au s rieux et n est digne que d tre l objet d une devinette De plus celle ci transforme l injonction la r flexion en r ponse Stendhal notait dans la Vie de Henry Brulard Je ne pr tends nullement crire une histoire mais tout simplement noter mes
10. ard d un plaisir obtenu ou obtenir au lieu que la r p tition soit command e par l id e d un plaisir retrouver ou obtenir voil que la r p tition se d cha ne est devenue ind pendante de tout plaisir pr alable C est elle qui est devenue id e id al Et c est le plaisir qui est devenu conduite l gard de la r p tition c est lui qui accompagne et suit maintenant la r p tition comme terrible puissance ind pendante ibid
11. c dit tra ner avec lui depuis longtemps car il l avait plac e en conclusion de son premier ouvrage publi Les Choses et qu il s agit sans doute d un h ritage de la p riode de la Ligne g n rale au d but des ann es 60 Puis une liste de citations qualifi e de stock c est dire de fonds dans lequel on peut venir puiser qui s apparente ainsi une grille rh torique Larvatus prodeo J cris pour me parcourir Open the door and see all the people etc etc 12 L crivain devrait avoir un statut reconnu et ne plus tre consid r comme un clown un saltimbanque un pitre Georges Perec Entretiens et conf rences Nantes Joseph K 2003 t I p 253 Mont e au Parnasse cela d signe un dictionnaire latin ou grec dans lequel est indiqu e la quantit vocalique de chaque voyelle ce type d ouvrage rassemblait aussi pour chaque entr e les synonymes les pith tes et les expressions po tiques ainsi que des extraits d uvres c l bres dans une vis e p dagogique qui envisage l criture dans sa dimension pragmatique Il s agit du titre envisag par Perec pour son deuxi me projet de roman autobiographique Je suis n op cit p 9 14 Georges Perec Les Gnocchis de l automne op cit p 70 pour la r f rence et le statut exact de la citation de Marx voir David Bellos op cit p 325 13 Georges Perec Les Choses Paris Julliard 1965 16 La Ligne g
12. deau op cit p 56 1 Roland Barthes L ancienne rh torique aide m moire L Aventure s miologique Paris Seuil 1985 p 137 sq Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 7 projet L Age dont le premier titre tait Les Lieux de la trentaine projet autobiographique autour des sentiments li s au fait d avoir trente ans La double grille constitu e par deux s ries de mots une contenant des allit rations en m l autre des allit rations en p aurait organis le discours travers cette double grille la totalit de ce que je voulais dire prenait place le vieillissement la m re la peur le pire la mort le projet trop lointain la mire l parpillement l pars la protection l amarre le port la lassitude lamer la brillance du confort la moire etc Ici c est bien la grille rh torique constitu e par les listes de mots qui permet au discours autobiographique de se d ployer On retrouve alors les analyses que Michel Beaujour a d velopp es dix ans plus tard dans son essai Miroir d encre dont Perec est absent L autoportrait renoue avec les localisations de la m moire rh torique Ces lieux et images dispos s dans un espace imaginaire lui fournissent une topologie qui se substitue la chronologie autobiographique Pour qualifier l autoportrait Michel Beaujour trouve cette heureuse formule le miroir d encre qui vient caract r
13. e C est ainsi que j appris que j tais juif et c est dans ces conditions dramatiques qu il faut voir l origine de ma ferme d cision de ne pas le rester Vous connaissez la suite En revanche si je peux me permettre cette digression on pourrait mettre l hypoth se que le Portrait de l artiste en jeune singe ait servi de matrice W ou le souvenir d enfance Entre les brumes et les min raux germaniques on y trouve en effet un comte W un fleuve W une r flexion sur la signification du signifiant Butor en hongrois qui voque de fa on Georges Perec Esp ces d espaces Paris Galil e 1974 p 166 8 Georges Perec Je suis n op cit p 10 il ma demand comme bien des personnes apr s lui si je n tais pas d origine hongroise parce que mon nom lequel venant de l autre c t n a rien voir avec cette histoire couvre les rues de Budapest o il signifie mobilier Michel Butor Portrait de l artiste en jeune singe cappricio Paris Gallimard 1967 p 22 comparer avec le texte perecquien Le nom de ma famille est Peretz Il se trouve dans la Bible En Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 4 peut tre tout fait fortuite la note 8 du chapitre VIII de W dans lequel le signifiant Perec ne signifie pas mobilier mais Bretzel et enfin surtout une structuration analogue avec dans la partie Voyage le Saint Empire une alter
14. ion d un moyen de production d j utilis qui fait plut t appara tre le sur place du r emploi sinon de l autocitation que la productivit du lieu rh torique La notion de lieu rh torique est voqu e par Perec lui m me dans sa Lettre Maurice Nadeau dat e du 7 juillet 1969 et publi e dans le recueil Je suis n propos d un projet qui n a jamais abouti intitul L Age labor autour de deux s ries de termes qui auraient fourni une grille pour que le discours puisse se construire Perec note une grille travers laquelle le discours pouvait se constituer un peu comme ces catalogues de Lieux communs que dressaient les rh toriqueurs cette notion de lieux rh toriques qui me vient de Barthes est au centre de la repr sentation que je me fais de mon criture En effet Perec tudiant de Barthes l cole pratique des hautes tudes a assist au s minaire sur l ancienne rh torique en 1964 1965 On peut donc se reporter l uvre de Barthes pour y trouver l laboration de la notion de lieu laquelle il se r f re Roland Barthes en donne une d finition dans la transcription du s minaire parue dans L Aventure s miologique Le lieu rh torique ou topos tente de r soudre le probl me auquel a toujours t confront e la rh torique savoir quoi dire ou plut t il tente de r pondre la question comment inventer des contenus une fois que l
15. iser la mani re dont la mim sis du moi est brouill e par les cat gories de la culture Alors on peut consid rer Perec comme un lecteur anachronique de Beaujour ce n est pas que l autoportrait perecquien poss de une structuration topologique souterraine mais qu il exhibe la rh torique comme structuration possible Ainsi de Je suis n o apr s plusieurs pages consacr es l impossibilit pour l auteur de continuer la phrase je suis n le 7 3 36 on peut lire apr s un saut de paragraphe Tapons dans la topique Quoi Qui Quand O Comment Pourquoi Mais dans un premier temps avant que la parole ne se lib re et que le contenu n affleure ce que montre le texte c est que la rh torique ne produit rien d autre qu elle m me Quoi Je suis n Qui Je Quand Le 7 mars 1936 Dans Les Gnocchis de l automne nous l avons not en introduction c est la mise en question qui est le principe g n rateur de l autoportrait principe d nonc par Perec comme artifice rh torique Puis je arriver la sinc rit en d pit d un attirail rh torique au sein duquel la succession de points d interrogation qui jalonne les paragraphes qui pr c dent est une figure dubitation depuis longtemps r pertori e 20 Lettre Maurice Nadeau loc cit 21 Michel Beaujour Miroirs d encre rh torique de l autoportrait Paris Seuil 1980 7 Je suis n op cit p
16. n rale du titre du film d Eisenstein tait un projet de revue r volutionnaire qui voulait repenser l esth tique marxiste la lumi re notamment des th ories de Luk cs sur le r alisme critique et ce en dehors du PCF et contre Les Lettres fran aises Voir Georges Perec L G une aventure des ann es soixante Paris Seuil 1992 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 6 Larvatus prodeo est la devise de Ren Descartes utilis e par Perec comme titre d un de ses premiers romans J avance masqu et cit e dans Je suis n J cris pour me parcourir est une formule de Michaux dans Passages que Perec inscrit en pigraphe du chapitre La page d Esp ces d espaces Cette liste non exhaustive se termine par un d doublement de la formule non conclusive et cetera qui pourrait passer pour une marque d oralit mais fait plut t signe vers une profusion de citations consomm es La citation ne joue pas son r le d embrayeur de l criture elle ne produit pas de texte mais elle exhibe une m moire intertextuelle cat gorie propre l homme de lettres qui se r v le en fait une m moire autotextuelle et fait appara tre au sein de l autoportrait l uvre de l crivain comme une part constitutive de son identit et d nonce comme artifice le recours la citation en tant qu embrayeur de l criture Il ne s agit pas en soi d un moyen de production mais de l exhibit
17. nance entre des chapitres dits autobiographiques et des chapitres relevant du r cit de r ve qui pourrait tre le mod le de la structure bipartite d finitive de W Tous ces l ments pourraient nous permettre de relire l illumination de Venise pisode de la r miniscence du fantasme adolescent de l le W dat e de 1967 relat dans le deuxi me chapitre de W Cette datation permet certes Perec d inscrire dans le texte un jeu palindromique puisque qu en 1967 lorsque Perec se souvient de l histoire qu il a imagin e treize ans il a 31 ans Le cryptage num rologique fr quent dans l uvre pourrait masquer ici l inscription de la date de parution et de lecture du portrait de Butor ma connaissance Perec n utilise jamais Dylan Thomas mais en bon lecteur de Joyce et de Butor on pourrait s attendre ce que celui ci s en serve pour son portrait de l artiste Toutefois dans ces trois cas Joyce Thomas et Butor il s agit d un portrait de l artiste avant que celui ci ne soit pr cis ment un artiste La jeunesse comme motif th matique y a toujours une g n alogie comme enjeu Or ici Perec fait le portrait de l crivain Perec de son statut d crivain c est peut tre la raison pour laquelle il n utilise pas ces mod les pour la r daction de son texte et c est sans doute pourquoi la question se d place de l identit l criture Le dernier en date avant 1
18. nt encha n s de mes chapitres astucieusement programm s Je ne manque pas d ing niosit 5 Le doute la dubitation nom d une figure correspond la torture des incertitudes de conduite que faire ceci cela Roland Barthes op cit p 162 26 La rue Vilin est la rue dans laquelle Perec a v cu enfant dans le quartier de Belleville avant de partir pour Villard de Lans Apr s une r organisation urbanistique la rue est totalement d truite comme en t moigne le plan final de l adaptation au cin ma d Un homme qui dort par Georges Perec et Bernard Queysanne Voir Georges Perec La rue Vilin L Infra ordinaire Paris Seuil 1989 pour plus de pr cisions voir les travaux de Philippe Lejeune dans La M moire et l Oblique Paris P O L 1991 ainsi que le film de Robert Bober En remontant la rue Vilin Les Gnocchis de l automne op cit p 73 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 9 L autoportrait devient un portrait de l criture par elle m me qui t moigne du r ve d un monde fig dans lequel le sujet parlant serait l abri de sa propre parole Il faut alors noter cette tension interne la rh torique entre principe de vie l espace rassurant qui permet de tenir la parole de l intime distance et principe destructeur l espace fig L ambivalence de ce rapport l criture est soulign e par Perec Ai je encore besoin d tre prot g
19. on poss de les formes Originellement les topoi ne d signent pas les arguments eux m mes mais les compartiments dans lesquels on les range ils sont le point de croisement d une pluralit de raisonnements oratoires que l on peut apprendre manier et que l on peut retenir Les fopo ne sont pas des arguments mais des encha nements des questions soulever des strates logiques d velopper qui mises bout bout formeront un raisonnement Il ne faut pourtant pas confondre la notion de lieu rh torique ave celle de lieu commun telle que nous l entendons aujourd hui le lieu commun est une forme pleine coextensive d un contenu alors que le lieu rh torique est une forme vide sans contenu lui pr existant Les lieux rh toriques avant d tre rigidifi s sont une grille une s rie de formes organis es en r seau Pour trouver des arguments l orateur prom ne son sujet le long d une grille de formes vides et du contact de son sujet avec chaque case de la grille surgit une id e possible Dans sa lettre Maurice Nadeau Perec entend par lieu rh torique le lieu commun ceux de la soci t de consommation ceux de l indiff rence mais aussi la grille ainsi du 17 Perec l utilise aussi dans Pouvoirs et limites du romancier fran ais contemporain et l entretien accord Bernard Milluy en 1981 Entretiens et conf rences op cit t I p 84 et t II p 305 18 Lettre Maurice Na
20. ortraits prennent galement appui sur une topologie r elle de la biblioth que de Montaigne la g ographie du Bardadrac de Genette du chez soi la somme de l espace parcouru qui forment une odyss e du sujet pour tenter de le ressaisir Mais le trajet perecquien est une odyss e sans Ithaque La tentative de figuration de soi se heurte l absence de sol la rue Vilin est en fait une impasse On pourrait alors interpr ter ce recours aux lieux de la rh torique comme un palliatif textuel pour celui qui ne peut habiter un espace propre Habitat d risoire mais rassurant de la culture dans lequel on peut ais ment venir s inscrire la maison au grenier ou la cave Perec substitue le monde clos de l ancienne rh torique espace rassurant et cartographi mais espace mortif re de l h ritage de la tradition Ainsi l emploi de la rh torique chez Perec ne peut se comprendre en partant d une approche formaliste puisqu il s y joue quelque chose de l ordre de la figuration de l existentiel la mani re du chapitre VIII de W ou le souvenir d enfance dans lequel l panorthose semble tre le seul moyen pour figurer textuellement la mort des parents ici la dubitation qui permet de mettre des questions la place des r ponses vient figurer la fois l incertitude identitaire et le refus de l intime L criture me prot ge J avance sous le rempart de mes mots de mes phrases de mes paragraphes habileme
21. s conscience du statut particulier de Je suis n extrait du petit carnet noir que nous ne lisons comme un texte qu en raison d une op ration ditoriale des ditions du Seuil et texte pr paratoire W ou le souvenir d enfance qui nous le fait lire comme un autoportrait par d faut en raison de la faillite de l entreprise autobiographique Portrait de l artiste une formule palimpseste Pour d gager le sens et les enjeux de la formule de Perec portrait de l artiste en singe savant on se doit de faire la g n alogie de cette s quence et de ses chos dans le corpus perecquien La formule vient du titre d un texte de Joyce Portrait of the Artist as a Young Man paru en 1917 C est Joyce vraisemblablement que Perec pense quand il utilise cette formule dans sa lettre Maurice Nadeau du 7 juillet 1969 pour parler de son projet L Age qui la mani re du texte joycien semblait devoir tre une autobiographie romanc e j ai int gr L Age un plan beaucoup plus vaste dans lequel il tait comme une sorte de remise jour un portrait de l artiste compl tant celui trac par Un homme qui dort Il y a bien une r f rence explicite au Portrait de l artiste de Joyce mais elle se trouve dans Esp ces d espaces Au chapitre L espace l auteur se souvient avoir une fois crit ainsi son adresse comme tout le monde Georges Perec 18 rue de l Assomption
22. veau Gradus ad Parnassum La rh torique de l autoportrait Singe savant de l autoportrait Perec semble vider l criture de soi de ses enjeux moraux ou ontologique pour en mettre en avant la dimension pragmatique ou pratique Ainsi son interrogation sur la sinc rit dans Les Gnocchis n est ni une exigence du sujet crivant ni un d au lecteur attentif mais une r flexion sur les conditions de possibilit d une sinc rit par l criture Ce n est pas une question de morale mais une question de pratique Et quand il r fl chit sur la matrice du texte autobiographique il note selon une perspective mat rialiste dans Je suis n La question n est pas pourquoi continuer ni pourquoi n arriv je pas continuer mais comment continuer Il faut alors tudier dans ces deux textes les matrices textuelles perecquiennes la citation et la rh torique La citation est une matrice textuelle abondamment utilis e par Georges Perec qu on pense au r le de L ducation sentimentale dans l criture des Choses son premier roman publi ou celui de La Chartreuse de Parme dans l criture de 53 jours son roman inachev Dans Les Gnocchis on trouve galement toute une s rie de citations Tout d abord Le moyen fait partie de la v rit aussi bien que le r sultat Il y a longtemps que je tra ne cette phrase derri re moi Citation de Marx que Pere
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