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Vieillir selon Flaubert - Dipartimento di Lingue e letterature straniere

1. la mort prennent soin de ses enfants et les l vent Flaubert 2001m 175 Deux ans plus tard en 1838 deux portraits de vieillards s ensuivent celui grotesque et repoussant du pape qui se tra ne aux pieds de la mort le pape s avance us par l ge corrompu de d bauche le dos vo t et la t te lourde Il va mourir il prie la Mort deux genoux il tra ne ses cheveux blanchis dans la poussi re Vois comme sa voix tremble Il a peur le saint vieillard Flaubert 2001c 433 et celui galement grotesque mais r jouis sant d une h tesse de cabaret qui se signale par l num ration d une foule de fins d tails et par un lexique riche vari complexe C tait une femme dont on ne datait plus l ge qu aux replis de la peau de son cou qui semblait celle d un canard incuit et aux poils gris et rudes qui se h rissaient sur son triple menton Un bonnet blanc mais dont les tuyaux lev s et empes s formaient un soleil encadraient une figure dormeuse et rouge aux lourdes paupi res au nez aplati et relev la l vre noircie jusqu aux gencives d un sillon de tabac Sa taille tapiss e de paquets de graisse tait en ferm e dans une robe bleue avec des taches blanches et dont on voyait le lacet serpenter le long du dos Flaubert 2001f 448 449 En 1839 Flaubert trace le portrait galement tr s nuanc d un vieillard phi losophe le docteur Mathurin qui tant grav
2. mon age Aucune ma jamais t aim e comme moi Non non quoi sert d tre jeune Je men moque bien 452 Et jusqu la fin de la sc ne elle garde intacte sa dignit m me si toute la sublime entre vue est tissue de dissonances d incompr hensions de contresens de men songes et d un non dit gu re reluisant Berthier 1981 12 car si l on peut rep rer des dissonances dans toute la sc ne et attribuer Mme Arnoux les incompr hensions dont parle le critique c est du c t de Fr d ric qu il faut ranger les contresens les mensonges le non dit peu reluisant Quen est il 76 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR donc de notre jeune homme Il est vrai que ce qui frappe de prime abord dans cette sc ne c est le vieillissement de Mme Arnoux et que le lecteur a la tendance oublier que Fr d ric aussi a vieilli Pierre Cogny 1975 173 un critique dont je ne partage pas toujours les propos a cependant raison quand il crit A la fin du roman Fr d ric a quarante sept ans or il reste jamais le jeune homme de dix huit ans et ne donne jamais l impression d avoir atteint l ge adulte Dans la derni re rencontre avec Mme Arnoux deux ans plus t t seule Mme Arnoux semble avoir vieilli Jacques Louis Douchin un autre critique dont les propos me semblent sou vent discutables en voulant tout prix rendre compte de la maturit de Fr d ric donne l impression
3. 96 4 VIEILLIR SELON FLAUBERT Quand l esprit ne se tourne plus naturel lement vers l avenir on est devenu un vieux C est l que j en suis Ivan Tourgueneff 3 octobre 1875 Raymonde Debray Genette dans son tude incontournable sur les Trois contes 1988 10 que j ai plusieurs fois voqu e en affirmant et en approfon dissant la diversit g n rique de ces trois textes par l analyse formelle et structurale se dissocie du jugement traditionnel concernant leur unit Tous les critiques qui ont voulu montrer l unit du recueil n ont retenu qu une th matique souvent forc e qui y voit trois vies de saints ou trois moments du christianisme 9 ro Je serais bien plus nuanc e envers les tudes th matiques et leurs m rites qui ne sont pas des moindres certes les preuves apport es par le critique sur l appartenance de chaque conte un genre multiple et diff rent l gende actualis e en forme savante pour Saint Julien tension entre roman r aliste et moralit l gendaire pour Un c ur simple r cit symbolique et r cit historique pour H rodias sont d un tr s grand int r t on ne doit pas pour autant rayer les consonances th matiques si bien expos es par exemple dans l tude de Chantal Grosse 1986 171 188 auxquelles on peut ajouter le th me qu on vient de d celer dans ces pages celui du vieillir avec ses diff rentes mo dulations en effet nous venons de le voir
4. Cogny 1975 185 mais aussi parce qu en renon ant la poss der il se dit d ailleurs quel embarras ce serait Flaubert 1952c 452 comme Rodolphe s tait demand Oui mais com ment s en d barrasser ensuite Flaubert 19514 444 Ce rapprochement Madame Bovary nous engage mettre en relief une diff rence capitale entre les deux romans d j soulign e dans quelques uns des essais que j ai cit s plusieurs fois En effet Lucette Czyba compare le rire aigu d sesp rant atroce Flaubert 1952c 278 de Mme Arnoux au rire atroce fr n tique d sesp r Flaubert 19510 623 d Emma moribonde en affirmant que ce rire dans les deux romans a la m me signification cela pr s qu Emma meurt d sesp r e tandis que Mme Arnoux doit vivre avec la conscience d sesp r e du bonheur irr vocablement impos sible Czyba 1983 180 de m me Jean Borie explique Pourquoi Flaubert est aussi indulgent avec Fr d ric qu il tait implacable avec Madame Bovary pourquoi la vie de celui ci se termine par une vieillesse presque apais e alors que celle l de vait monter au martyre C est que Madame Bovary vivait pleine ment le d sir et ses immortelles illusions tandis que Fr d ric est destin en conduire le deuil le deuil est le devoir des sur vivants Borie 1995 58 Certes la vision du monde de la vie et de la r alit chez Emma et chez Fr d ric est
5. La sc ne finale o Scahabarim offre au soleil le c ur palpitant de M tho d nonce l envi la cruaut alli e l imposture Lhumanit de la victime s accro t de la noirceur du bourreau Cependant avant ce jugement sans merci le m me critique avait reconnu dans Schahabarim le symbole m me de l homme mutil en qu te d ab solu Ibidem En effet dans son acte si monstrueux de mutilation ultime on entrevoit au del de la jalousie et de la vengeance l chec d une convoi tise immense de la nostalgie d sesp r e d un absolu despotique et des tructeur Brombert 1971 85 qui a hant son me son r ve d choit dans le trou noir du vide et du n ant et Schahabarim aboutit une vieillesse cy nique f roce et d shumanisante ternellement rong e par un vain d sir marqu e par une haine sadique et inassouvissable Il faut avoir le temp rament robuste pour monter sur les cimes du mysticisme sans y perdre la t te Je suis convaincu que les app tits les plus furieux se formulent insciemment par des lans d id alisme de m me que les extravagances charnelles les plus immondes sont engendr es par le d sir pur de l impossible Mlle Leroyer de Chantepie 18 f vrier 1859 Une atmosph re tout fait diff rente cr pusculaire et calme mais portant sur des instances mystiques analogues entoure le vieillir de la vieille F li cit la protagoniste d Un c ur simp
6. Sa bouche tait entrouverte et comme contract e par un mouvement des l vres involontaire et convulsif Flaubert 2001n 236 237 En effet explique le narrateur le malheur vieillit il est comme le temps il court vite il p se lourd et il frappe fort Les cheveux se blanchissent en une nuit Flaubert 20011 236 L autre conte de la m me ann e est Passion et vertu dans lequel la critique a toujours reconnu une sorte d ant c dent lointain de Madame Bovary Ici aussi il s agit du vieillissement d une jeune femme amoureuse et abandon n e et si le r alisme du contexte exige que cette vieillesse soudaine ne soit qu une impression du personnage les enjeux textuels et les paroles pour la dire sont peu pr s les m mes Et puis elle fut effray e de la longueur du temps elle crut avoir v cu un si cle et tre devenue vieille et avoir les cheveux blancs tant le chagrin vous ronge car il est des jours qui vous vieillissent comme des ans des pens es qui font bien des rides Flaubert 2001 291 Il semble donc que pour le jeune Flaubert l amour malheureux puisse pro voquer une vieillesse pr coce ce qui est vrai d ailleurs non seulement pour l amour mais aussi pour toute passion violente le protagoniste de Biblio manie conte de 1836 que l auteur place sous la tutelle d Hoffmann est d vor par la passion des livres ce point que pour les poss der il est dispos au crime et cette
7. sa jeunesse la crise pileptique qui a chang sa vie tant de fois comment e par la critique que je n y reviendrai pas dans ces pages Je voudrais seulement souligner comment cette crise la maladie qui s en suivit et le nouvel tat qui en est d riv ont t v cus par Flaubert comme un passage irr vocable de la jeunesse la vieillesse tout de suite apr s l attaque il crit Ernest Chevalier J ai manqu p ter dans les mains de ma famille On m a fait 3 saign es en m me temps et enfin j ai rouvert l il Je suis dans un foutu tat la moindre sensation tous mes nerfs tres saillent comme des cordes violon mes genoux mes paules et mon ventre tremblent comme la feuille Je dois joliment t emb ter n est ce pas avec le r cit de mes douleurs mais que veux tu si j ai d j la maladie des vieillards il me sera bien per mis de radoter comme eux 1 f vrier 1844 L ann e suivante en 1845 il crit des lettres o sa nouvelle situation psycho logique est bien d crite avec des allusions constantes son vieillissement survenu avec la maladie et accept cultiv presque Ne crois tu pas qu il y a bien des choses qui me manquent et que je n aurais pas t aussi magnanime que les plus opulents tout aussi tendre que les amoureux tout aussi sensuel que les plus effr n s Je ne regrette pourtant ni la richesse ni l amour ni la chair et l on s tonne de me voir si sa
8. taient 17 LIANA NISSIM irr guliers elle avait un grand nez aquilin de petits yeux noirs un menton allong et une large bouche d o sortaient deux ou trois dents longues jaunes et chancelantes r pandait sans cesse de la salive sur sa l vre inf rieure Flaubert 2001k 145 Quand Flaubert trace ce portrait de sorci re il n a que quinze ans pourtant au del de l emploi d adjectifs assez vagues et g n riques grand petit large on est frapp par l exactitude minutieuse de certains d tails tels que les dents longues jaunes chancelantes et la bouche qui r pand sans cesse de la salive sur la l vre inf rieure De m me dans le portrait qu il tra ait un an plus t t en 1835 du roi de Prusse on per oit le go t pour le menu d tail capable de fixer un caract re C tait un grand homme sec et courb cheveux poudr s et qui s appuyait toujours sur une longue canne de jonc le collet de son habit vert qu il ne brossait jamais tait encore rendu plus sale par une longue queue de cheveux qui lui tombaient au milieu du dos Flaubert 2001b 28 Ainsi depuis ses tout premiers essais d criture Flaubert n a jamais cess de portraiturer des vieillards chose rare et assez tonnante chez un enfant En 1835 d j il repr sentait en vieillard l all gorie de l absolutisme un g ant vieux courb rid et maigre s appuyant sur un long baton tortueux appel
9. tre pas la m me Flaubert 1952c 140 74 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR Comme il lui arrive souvent Fr d ric incapable de se conna tre et de s ana lyser attribue autrui la faute de sa d ception en l occurrence Mme Ar noux elle m me J tais bien bon l bas avec mes douleurs peine si elle m a reconnu quelle bourgeoise Flaubert 1952c 140 Cependant comme toujours son amour rena t plus fort que jamais immense 165 et il revient aux contemplations fascin es de son idole mais voit il au moins son regard singuli rement triste Ibidem se rend il compte qu elle souffre cause de la l g ret de son mari Il ne pense qu lui m me comment se faire valoir Ibidem et sort heureux de la maison parce quelle l a accueilli aimablement et lui a tendu la main sans s inqui ter le moins du monde de la question qu elle lui a pos e d une voix basse Il vous a men au bal l autre jour n est ce pas 166 En devenant petit petit le confident d vou de Mme Arnoux d laiss e par son mari Fr d ric conna t la seule p riode propice de son amour dans la maison de campagne Auteuil o ils s imaginaient une vie exclusive ment amoureuse assez f conde pour remplir les plus vastes solitudes en regrettant elle de ne pas tre plus jeune lui un peu plus vieux 303 C est ce moment l un des rares mome
10. Flaubert 19510 429 Flaubert le veut b te plat inepte et crasseux Louise Colet 13 avril 1853 et cest selon ces traits qu apparait en fait Emma ce vieillard soutane Flaubert 19510 429 La lueur du soleil couchant p lissait le lasting de sa soutane luisante sous les coudes effiloqu e par le bas Des taches de graisse et de tabac suivaient sur sa poitrine large la ligne des petits boutons et elles devenaient plus nombreuses en s cartant de son rabat o reposaient les plis abondants de sa peau rouge elle tait sem e de macules jaunes qui disparaissaient dans les poils rudes de sa barbe grisonnante Flaubert 1951a 427 Pour tre plus synth tique le portrait de Lheureux n est pas plus attrayant Sa figure grasse molle et sans barbe semblait teinte par une d coction de r glisse claire et sa chevelure blanche rendait plus vif encore l clat rude de ses petits yeux noirs Poli jusqu l obs quiosit il se tenait toujours les reins demi courb s dans la position de quelqu un qui salue ou qui invite Flaubert 19514 419 Les marques du caract re et de la vie coul e s impriment sur ces vieillesses m diocres et encore toutes p tries de pr occupations bien mat rielles et bien terrestres on peut le constater aussi dans le portrait de la veuve Dubuc la premi re femme de Charles Bovary La veuve tait maigre elle avait les dents longues elle porta
11. LA COMPLEXIT DU VIEILLIR Le premier chapitre et sa c l bre phrase Pendant un demi si cle les bourgeoises de Pont l Ev que envi rent Mme Au bain sa servante F licit s noncent partir de l histoire ult rieure m me si Flaubert a effac les dates De 1810 1852 ils dessinent le portrait d une servante femme en bois fonc tionnant de mani re automatique F licit y est un objet efficace enviable invariable C est un objet fini Le chapitre V au contraire voque un sujet conduit son ultime maturation et particuli rement individualis On ne peut dire que la fin accomplit le d but Elle semble plut t l ignorer ou si l on veut forcer la dissym trie le contredire L incipit multiplie les signes de cl ture l excipit ceux d ouverture Debray Genette 1984 107 3 Ainsi donc nous suivons dans Un c ur simple le parcours singulier d un tre qui a t r ifi en un objet fini qui s affranchit de cette r ification dans sa vieillesse vers une maturation qui le rend un sujet individua lis c est toutes proportions gard es le processus d un vieillir heureux Heureuse la vieillesse de F licit Le mot est bien videmment trop fort relativement Flaubert le bonheur n existe pas le bonheur est une mons truosit punis sont ceux qui le cherchent Louise Colet 8 9 ao t 1846 Le bonheur peut encore moins tre supp
12. cause de leur curiosit de leur d sir hon n te de s instruire de leur esprit critique de leur acharnement d couvrir une parcelle de certitude et qui deviennent par cette particularit plus originaux et bien moins repr sentatifs de la b tise universelle Bard che 1974 382 99 LIANA NISSIM Toujours est il que Bouvard et P cuchet sont et restent deux pantins ineptes Brombert 1971 169 deux marionnettes Douchin 1984 86 deux silhouettes caricaturales Digeon 1970 237 aux gestes durcis excessifs vite emport s Mouchard 1981 657 au point que Victor Brom bert 1971 168 peut parler de Bouvard et P cuchet comme d une uvre qui marque non seulement l mergence incontestable du roman d id es mais le d clin du roman d analyse d clin caract ris par la disparition du personnage De m me Claude Digeon 1970 241 crit Transformables merci en fonction du probl me pos les personnages principaux deviennent des fi gurants et la structure de l ouvrage leur donne une apparence m canique R duits ainsi des figurines propuls es par un m canisme qu il faut re monter chaque chapitre Bouvard et P cuchet ne connaissent pas le pro cessus du vieillir c est ce qwa bien vu Claude Digeon 1970 241 Les deux hommes sont g s de quarante sept ans au premier chapitre et d en viron quatre vingt ans la fin du liv
13. de Flaubert Paris CDU et CEDES r unis Czyba L 1983 Mythes et id ologie de la femme dans les romans de Flaubert Presses Universitaires de Lyon de Biasi P M 1986 Introduction in G Flaubert Trois contes Paris Flammarion 1999 La Galaxie Bouvard et P cuchet introduction in G Flaubert Bouvard et P cuchet Paris Le Livre de poche 111 LIANA NISSIM De Lattre A 1980 La B tise d Emma Bovary Paris Corti Debray Genette R 1981 Compte rendu Gustave Flaubert Plans notes et sc narios d Un C ur simple Fran ois Fleury d Rouen Lecerf 1977 et Georges A Wille brink The Dossier of Flaubert Un c ur simple Amsterdam Rodopi 1976 Re vue d Histoire Litt raire de la France ann e 81 4 5 Juillet Octobre 1983 Du mode narratif dans les Trois contes in Aa Vv eds Travail de Flaubert Paris Seuil 1984 Un c ur simple ou comment faire une fin in Aa Vv eds Gustave Flaubert 1 Flaubert et apr s Paris Minard 1988 M tamorphoses du r cit Paris Seuil Debray Genette R Neef J 1993 L uvre de l uvre Etudes sur la correspondance de Flaubert Saint Denis Presses Universitaires de Vincennes Demorest D L 1931 L Expression figur e et symbolique dans l uvre de Gustave Flaubert Paris Les Presses Modernes Digeon C 1970 Flaubert Paris Hatier Douchin J L 1984 Le Bourreau de soi m me Essai sur l
14. e avec de la rapure de marbre Le reste du corps disparaissait sous les toisons qui emplissaient la liti re Les soldats reconnurent dans cet homme ainsi couch le suff te Hannon la liti re s arr ta et soutenu par deux esclaves il posa ses pieds par terre en chancelant Il avait des bottines en feutre noir sem es de lunes d argent Des bandelettes comme autour d une momie s enroulaient ses jambes et la chair passait entre les linges crois s Son ventre d bordait sur la jaquette carlate qui lui couvrait les cuisses les plis de son cou tombaient jusqu a sa poitrine comme des fanons de b uf sa tunique o des fleurs taient peintes craquait aux aisselles il portait une charpe une ceinture et un large man teau noir doubles manches lac es L abondance de ses v te ments son grand collier de pierres bleues ses agrafes dor et ses lourds pendants d oreilles ne rendaient que plus hideuse sa difformit On aurait dit quelque grosse idole bauch e dans un bloc de pierre car une l pre p le tendue sur tout son corps lui donnait l apparence d une chose inerte Cependant son nez crochu comme un bec de vautour se dilatait violemment afin daspirer l air et ses petits yeux aux cils coll s brillaient d un clat dur et m tallique Il tenait la main une spatule d alo s pour se gratter la peau Flaubert 1951b 772 773 Cette grosse idole bauch e dans la pierre cette chose
15. intrigue rotique et sanglante de Biasi 1986 32 un personnage domine nettement celui d H rodias la v ritable h ro ne de l histoire Rey 2004 168 reine orgueilleuse et splendide femme magni fique et redoutable telle du moins qu elle se montre aux yeux de la foule au moment de son apparition au festin d H rode Les panneaux de la tribune d or se d ploy rent tout coup et la splendeur des cierges entre ses esclaves et des festons d an mones H rodias apparut coiff e d une mitre assyrienne 71 LIANA NISSIM qu une mentonni re attachait son front ses cheveux en spi rales s pandaient sur un p plos d carlate fendu dans la lon gueur des manches Deux monstres en pierre pareils ceux du tr sor des Atrides se dressant contre la porte elle ressemblait Cyb le accot e de ses lions Flaubert 1952b 674 La comparaison avec la terrible d esse Cyb le m re et castratrice en dit long sur le danger que repr sente cette femme sur la crainte qu elle est capable de susciter sur sa volont dominatrice Cependant au del de cette entr e d apparat derri re cette image resplen dissante un n ud de vip res s agite dans le c ur de la reine un n ud fait de peur et de haine de rancunes rentr es d envies frustr es que le lecteur a d j eu le moyen de conna tre Une autre apparition d H rodias en effet a pr c d celle du festin le matin de cette m me jou
16. rance et de son intelligence limit e do leur simplicit leur ing nuit elles restent cependant si enrichissantes qu elles donnent l humble ser vante une incontestable grandeur na ve qui investit aussi et surtout sa foi religieuse 93 LIANA NISSIM Comme l a si bien not Hans Peter Lund De ces trois aspects de l existence d un tre humain le corps la pens e l imagination elle F licit ne retient que la derni re Elle fait preuve de ses dons pour l imagination quand elle essaie de lire la g ographie comme une repr sentation par images C est exactement sa fa on de comprendre la religion Lund 1994 59 C est l opinion aussi de Chantal Grosse 1986 178 quand elle crit que la v ritable vasion F licit l obtient par le truchement des images estampes exotiques qui emm nent vers d autres mondes imagerie religieuse du ca t chisme qui lui rend sensible la pr sence divine Certes pour Flaubert la religion est une affaire d invention humaine Louise Colet 31 mars 1853 mais cette invention m rite comme pour Mallarm respect consid ration estime Ce qui m attire par dessus tout c est la religion Je veux dire toutes les religions pas plus l une que l autre Chaque dogme en particulier m est r pulsif mais je consid re le sentiment qui les a invent s comme le plus naturel et le plus po tique de l humani t Je aime point les ph
17. te les retrouvailles de Fr d ric et Deslauriers comme un plaisant tableau o tout respire le confort la bonhomie le bien tre la confiance facile l ironie l g re Les remarques de Philippe Berthier qui refuse toute interpr tation optimiste me paraissent bien plus convaincantes Tout entre les deux amis manifeste l usure l puisement de l id e qu ils se sont fait jadis d eux m mes et de leur amiti la quelle n est plus que la frileuse caricature de ce qu elle avait r v d tre Trop d incompr hensions de mensonges de jalousies de perfidies trop de temps peut tre tout simplement s est accu mul entre eux Ils ne sont plus que des estropi s de l amiti Berthier 1981 9 Comme l amour l amiti aussi peut vieillir et mal vieillir si elle n est pas convenablement entretenue et on pourrait suivre tout au long du roman le vieillissement progressif de ce lien amical la fin Fr d ric et Deslauriers ne sont plus que deux solitudes juxtapos es Berthier 1981 9 qui pas sent en revue un catalogue de noms d j p lis un album d pareill Ibi dem une liste d paves 10 dont l histoire et le destin m me quand ils sont marqu s par une apparente r ussite Mme Dambreuse remari e un Anglais Martinon s nateur Hussonnet ma tre des th tres et de la presse Pellerin photographe succ s sont confin s dans l insignifiance d u
18. Alors on vit s avancer sur l estrade une petite vieille femme de maintien craintif et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres v tements Son visage maigre entour d un b guin sans bor dure tait plus pliss de rides qu une pomme de reinette fl trie et des manches de sa camisole rouge d passaient deux longues mains articulations noueuses La poussi re des granges la potasse des lessives et le suint des laines les avaient si bien en crotit es raill es durcies qu elles semblaient sales quoiqu elles fussent rinc es d eau claire et force d avoir servi elles restaient entrouvertes comme pour pr senter d elles m mes l humble t moignage de tant de souffrances subies Quelque chose d une rigidit monacale relevait l expression de sa figure Rien de triste ou dattendri n amollissait ce regard p le Dans la fr quenta tion des animaux elle avait pris leur mutisme et leur placidit Flaubert 19514 462 On le sait ce personnage fait dans le roman cette seule apparition cette page ne constitue dans l conomie de l uvre qu un simple portrait de pauvre vieille destin e par son appartenance sociale et sa rencontre for tuite avec les bourgeois triomphants et les autorit s obtuses contribuer la structure complexe de la sc ne des Comices cependant sur son corps presque dess ch un corps devenu de bois on peut lire les marques qu un demi si cle de servitude y on
19. Biasi ed Paris Le Livre de poche 20014 Bibliomanie in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 2001b Chevrin et le roi de Prusse in uvres de jeunesse uvres compl tes C Go thot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 2001c La Danse des morts in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 2001d Les Fun railles du docteur Mathurin in uvres dejeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 112 BIBLIOGRAPHIE 2001e La Grande dame et le joueur de vielle in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 2oo1f Ivre et mort in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 2001g L ducation sentimentale 1843 1845 in uvres de jeunesse uvres com pl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 2001h M moires d un fou in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 zoori Novembr
20. Duquette 1972 51 le roman de la d molition de l croulement des r ves de l inad quation entre les ambitions et la r alit Mais proc dons par ordre Nous avons d j analys fond le personnage de Jacques Arnoux en tant qu exemple tr s frappant du vieillissement phy sique mais chez Flaubert nous le savons d sormais la d ch ance du corps n est pas le seul aspect du vieillir ni le plus important Dans L ducation sentimentale bien que le roman ne soit qu un processus biologique du d p rissement Berthier 1981 10 toutes les gammes du vieillir sont repr sent es commencer par celles si poignantes du couple protago niste Mme Arnoux et Fr d ric Le vieillissement de Mme Arnoux aux yeux de Fr d ric mais peut tre aus si ses propres yeux commence au moment o le jeune homme revenu Paris apr s l h ritage inesp r ne retrouve plus le m nage Arnoux rue du Choiseul mais dans le d cor modeste de rue Paradis Poissonni re dont le nom ambivalent selon l expression de Pierre Marc de Biasi annonce les d sillusions de Fr d ric Flaubert 2002 186 n 2 en effet Fr d ric s tait attendu des spasmes de joie mais les pas sions s tiolent quand on les d payse et ne retrouvant plus Mme Arnoux dans le milieu o il l avait connue elle lui semblait avoir perdu quelque chose porter confus ment comme une d gradation enfin n
21. Emma retrouvait dans l adult re toutes les platitudes du mariage 429 C est le moment d une troisi me prise de conscience pr c d e cette fois aussi par ces visions hallucinatoires qui r sument une vie et qui devraient en pr parer une autre Un jour elle aper ut les murs de son couvent alors elle s as sit sur un banc l ombre des ormes Quel calme dans ce temps l comme elle enviait les ineffables sentiments damour qu elle t chait d apr s les livres de se figurer Les premiers mois de son mariage ses promenades cheval dans la for t le Vicomte qui valsait et Lagardy chantant tout re passa devant ses yeux Et L on lui parut soudain dans le m me loignement que les autres elle n tait pas heureuse ne lavait jamais t D o venait donc cette insuffisance de la vie cette pourriture instantan e des choses o elle s appuyait gt Flaubert 19510 420 421 ce point de la m ditation Emma s efforce de faire recours l habituel mouvement de compensation nourri par ses r ves mais cette fois ci le m canisme ne r pond plus et la laideur du Vrai est l devant elle dans toute sa nudit Mais s il y avait quelque part un tre fort et beau une nature va leureuse pleine la fois d exaltation et de raffinements un c ur de po te sous une forme d ange pourquoi par hasard ne le trouverait elle pas Oh quelle impossibilit Rien d ailleu
22. Le livret demeure aux mains du patron et le salari m me devant la justice reste l inf rieur de son ma tre puisque sa parole n est pas crue Enfin la R publique me para t vieille Qui sait Le Progr s peut tre n est r alisable que par une aristocratie ou par un homme L initiative vient toujours den haut le peuple est mineur quoi qu on pr tende Flaubert 19520 400 ce qu crit Pierre Cogny 1981 29 Rosanette vieillira elle a vieilli et Deslauriers ternel transmetteur du pas dr le apprend Fr d ric que de petites taches jaunes maculaient sa peau qui tait singuli rement bouffe Les taches jaunes et la peau bouffie existent dans le texte bien s r mais ce n est pas Deslauriers qui en parle Fr d ric c est Fr d ric lui m me qui en constate la pr sence sur le visage de Rosanette la lumi re d un flambeau quand elle lui avoue d tre enceinte cfr Flaubert 1952c 531 80 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR Ce jugement qui est peu pr s celui que l Histoire a retenu Borie 1995 237 est le m me que reprennent les autres personnages chacun sa mani re jusqu Dussardier accabl par la crainte d avoir choisi le mauvais camp et par la conscience de la d gradation de la d t rioration des id aux pour lesquels il a combattu de toutes ses forces Est ce que tout n est pas fini d ailleurs J avais cru quand la r volution
23. MocxBa Patrick J Parrinder Emeritus University of Reading UK Comitato di redazione Nicoletta Brazzelli Cinzia Scarpino Simone Cattaneo Mauro Spicci Laura Scarabelli Sara Sullam Table INTRODUCTION san i ea 3 1 FIGURES DEVIEILLARDS spiare 17 Tits Porta mn di dada 17 tz Jouer le vieillatd sis princi tcs 23 2 LE VIEUX ET LE VIEILLARD LA DEGRADATION DU CORPS ss 29 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR cree 49 3 1 Vieillir quand on est jeune e 53 3 2 Vieilir a VASE MO Hunt didier 68 3 3 Vieillir quand on est vieux ie 82 4 VIEILLIR SELON FLAUBERT nn 97 BIBLIOGRAPHIE sccssccsscvassacsnssosseteapcasdccoesscesccbs anc cbscsesdscevecbasscasscsastnoss sessssgencassqnsessessecs III Cette tude a pu tre r alis e gr ce la bourse de recherche offerte par la R gion Auvergne et l Universit Blaise Pascal pour le s jour d un professeur universitaire de Fran ais l tranger au Centre de Recherches sur les Litt ratures Modernes et Contemporaines de la Maison des Sciences de l Homme de Clermont Ferrand Je d sire t moigner ma plus vive reconnaissance pour cette occasion d excellence au Pr sident de la R gion Auvergne et Monsieur le Professeur Alain Montandon Directeur du Centre de Recherches INTRODUCTION Je n ai jamais vu un enfant sans penser qu il deviendrait un vieillard Louise Colet 6 ou 7 ao t 1846 Avant d entreprendre une nouvelle tude sur Flaubert il est peut
24. UNIVERSIT DEGLI STUDI DI MILANO Ledizioniccipa 9 788867 050529 gt
25. amour et dans les lettres qu Emma lui envoyait il tait question de fleurs de vers de la lune et des toiles ressources na ves d une passion affaiblie qui essayait de s aviver tous les secours ext rieurs Elle se promettait continuellement pour son prochain voyage une f licit profonde puis elle s avouait ne rien sentir dextraordinaire Cette d ception s effagait vite sous un espoir nouveau et Emma revenait lui plus enflamm e plus avide Flaubert 1951a 582 Emma est prise d sormais son propre pi ge son aveuglement se trans forme dans un m canisme de compulsion de force pulsionnelle qui l oblige recommencer aller plus loin toujours plus loin sans pouvoir trouver ni le bonheur ni l apaisement Elle s acharne fouetter un sentiment ext nu d j elle avive un feu presque mourant par le d cha nement des sens par l chauffement de la chair jusqu effrayer le faible L on Il y avait sur ce front couvert de gouttes froides sur ces l vres balbutiantes dans ces prunelles gar es dans l treinte de ces bras quelque chose d extr me de vague et de lugubre qui semblait L on se glisser entre eux subtilement comme pour les s parer Flaubert 19514 582 Ce quelque chose d extr me de vague et de lugubre est le d sespoir d Emma est la vieillesse d Emma 66 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR Elle tait aussi d go t e de lui qu il tait fatigu delle
26. c est de cette mat rialit de la vision que surgit ensuite la r flexion bilan l valuation de sa faute insouciante la comparaison entre la r alit et le r ve son mariage versus la passion absolue le regret pour sa jeunesse perdue et g ch e puis le franchissement de sa propre exp rience particuli re pour une consid ration d ordre g n ral le passage du r el au vrai les passions tant r v es ne sont qu un mensonge Cette fois encore la voie est ouverte au changement qui a sauv Jules dans la premi re du cation sentimentale qui a sauv Flaubert qui pourrait sauver Emma cette fois encore elle regarde ailleurs en se d tachant de sa vision int rieure elle tourne les yeux vers la sc ne vers le t nor Lagardy en se laissant envahir par la po sie du r le Flaubert 19514 532 et en retombant dans ses r ves habituels de passion Emma est pr te pour retrouver L on Et l amour re commence il s agit cependant d un amour avec bien plus de r serves et de circonspections d une part et d autre part bien plus d cha n effr n furieux l exp rience acquise avec Rodolphe les refoulements continuels de la r alit des choses la peur de rater cette occasion ultime ont transform Emma Bovary en une femme mire elle s tonnait d tre si vieille 540 dit le texte endurcie qui sait les dangers implicites de cette relation et qui les dit quoique dans l espoir d tre d ment
27. ce n est qu une illusion de plus et le lecteur comprend bien que le regard de la jeune femme est fauss par ses pr jug s favorables mais elle en souffre d autant plus qu elle croit avoir vu de ses propres yeux une r alit objective si magnifique qu elle rend par comparaison sa vie quotidienne intol rable au point qu Emma en devient malade Elle poussetait son tag re se regardait dans sa glace prenait un livre puis r vant entre les lignes le laissait tomber sur ses 59 LIANA NISSIM genoux Elle avait envie de faire des voyages ou de retourner vi vre son couvent Elle souhaitait la fois mourir et habiter Paris Mais pour elle rien n arrivait Dieu l avait voulu L avenir tait un corridor tout noir et qui avait au fond sa porte bien ferm e Elle abandonna la musique Elle laissa dans l armoire ses cartons dessin et la tapisserie quoi bon quoi bon La couture l irritait J ai tout lu se disait elle Et elle restait faire rougir les pincettes ou regardant la pluie tomber Est ce que cette mis re durerait toujours est ce quelle n en sor tirait pas Elle valait bien cependant toutes celles qui vivaient heureuses Elle avait vu des duchesses la Vaubyessard qui avaient la taille plus lourde et les fa ons plus communes et elle ex crait l injustice de Dieu elle s appuyait la t te au mur pour pleurer Elle p lissait et avait des battem
28. che Louise Colet 14 d cembre 1853 108 4 VIEILLIR SELON FLAUBERT La vie est une chose tellement hideuse que le seul moyen de la supporter cest de l viter Mlle Leroyer de Chantepie 18 mai 1857 La vie est hideuse la vie qui n est qu un processus incessant allant de d ch ances en checs la vie qui est la n gation de l absolu qui est toujours l histoire d un r ve d u dont le vieillir le vieillir des hommes et des choses le vieillir des sentiments est la preuve la plus vidente et doulou reuse En analysant le chapitre des Comices dans Madame Bovary Sergio Cigada a parfaitement synth tis le chiasme moral qui se produit dans l esprit de Flaubert en co ncidence avec celle que nous avons appel la cassure Flaubert m prise la r alit du point de vue du r ve romantique parce que la r alit est sordide si on la compare la splendeur du r ve mais il m prise le r ve du point de vue de la r alit parce qu il est vell itaire et illusoire irr alisable dans le monde concret de l exp rience Cigada 1989 127 De cette dynamique chiasmatique qu est la vie aucune issue possible aucun sens ne se manifeste sinon celui envahissant absolu du n ant Alors il ne reste qu escamoter la vie qu en viter les illusions et leur vieillissement il faut se r fugier dans la seule valeur qui s l ve au des sus de la vanit du monde des efforts
29. configure comme une spirale descendante chaque anneau franchi l illusion sera de plus en plus extr me l amertume d sesp r e de plus en plus profonde ainsi rejoindra t elle la fin du parcours les jeunes vieux des premi res uvres de Flaubert Suivons ensemble par grandes tapes le parcours d Emma et son vieillir peine mari e elle se rend compte qu elle a commis une faute irr parable et son m pris pour Charles se fixe une fois pour toutes ainsi que le regret pour son pass de jeune fille La conversation de Charles tait plate comme un trottoir de rue et les id es de tout le monde y d filaient dans leur costume ordi naire sans exciter d motion de rire ou de r verie Il n ensei gnait rien celui l ne savait rien ne souhaitait rien Il la croyait heureuse et elle lui en voulait de ce calme si bien assis de cette pesanteur sereine Mais elle sa vie tait froide comme un grenier dont la lucarne est au nord et l ennui araign e silencieuse filait sa toile dans l ombre tous les coins de son c ur Elle se rappelait les jours de distribution de prix o elle montait sur l estrade pour aller chercher ses petites couronnes Comme c tait loin tout cela comme c tait loin Flaubert 19510 362 366 Ensuite au bal de la Vaubyessard Emma acqui re la certitude qu une autre vie est possible une vie o toutes ses id es de bonheur se trouvent r alis es Certes
30. d avoir mal lu le roman qu il afirme pourtant admirer il attribue Fr d ric quarante sept ans au moment de l entrevue avec Mme Arnoux au contraire c est l ge de Fr d ric au dernier chapitre et il lui invente des cheveux gris tandis que jamais Flaubert ne donne un portrait physique de son protagoniste C est plut t Jean Borie 1995 267 qui a raison en donnant de Fr d ric vieillissant un portrait moral rappelant qu il n a pas r ussi atteindre la maturit il a simplement vieilli or Cest exactement selon ces consid rations que Flaubert en 1852 jugeait Alfred de Musset en tant qu individu et en tant que repr sentant de la g n ration romantique Ton long r cit de la visite de Musset m a fait une trange impres sion En somme c est un malheureux gar on On ne vit pas sans religion Ces gens l n en ont aucune pas de boussole pas de but On flotte au jour le jour tiraill par toutes les passions et les va nit s de la rue Je trouve l origine de cette d cadence dans la ma nie commune qu il avait de prendre le sentiment pour la po sie Il suffit de souffrir pour chanter etc Voil des axiomes de cette cole Musset aura t un charmant jeune homme et puis un vieillard mais rien de plant de rassis de carr de se rein dans son talent ni sa personne Louise Colet 26 juin 1852 Les analogies entre ce portrait et le personnage de Fr d ri
31. dans La l gende de Saint Julien l Hospitalier Flaubert a repr sent le vieillir quand on est jeune dans H rodias le vieillir l ge m r dans Un c ur simple le vieillir quand on est vieux Il y a cependant un autre l ment tr s remarquable pour notre propos et il ne s agit pas d un l ment th matique qui uvre l unit des Trois contes une nouvelle mani re de concevoir le personnage 97 LIANA NISSIM Dans son introduction l dition de poche Flammarion Pierre Marc de Biasi 1986 8 crit que tout en prenant la dimension singuli re d une sorte de testament esth tique en tant que derni re ceuvre publi e du vivant de l auteur le triptyque des Trois contes para t s ouvrir de plu sieurs mani res sur la totalit de l uvre ant rieure ainsi Un c ur simple se rapproche de Madame Bovary Saint Julien laisse apercevoir beaucoup de points communs avec La Tentation de Saint Antoine H rodias entretient d vidents rapports d affinit avec Salammb Ibidem Or dans cette sorte de retour m ditatif sur la totalit de son ceuvre 9 on ne peut pas ne pas relever dans les Trois contes ce que j appellerais volontiers le vieillissement de la conception du personnage Dans son analyse exemplaire du mode narratif dans les Trois contes Ray monde Debray Genette en se r f rant l uvre de Flaubert en g n ral mais plus sp cialemen
32. dans le tiroir de la commode et je ne les ai pas trouv s car j aime de temps autre revoir ces objets et r ver dessus Chez moi rien ne s efface sa ni ce Caroline y d cembre 1876 En effet les objets pour Flaubert comme pour F licit constituent une source concr te et continuelle de souvenirs pourvu qu ils soient us s et vieillis qu on en puisse jouir en tant que m tonymie des tres aim s et en tant que symboles du temps r volu auquel on revient comme dans une n cropole lisa Schl singer 16 janvier 1859 104 4 VIEILLIR SELON FLAUBERT Moi je me r tis les tibias devant ma chemin e en ruminant un tas de vieilles choses Cette poque de distribution de prix me remet toujours en m moire mon temps de coll ge J ai un grand respect pour ce que j tais alors bien que je fusse parfai tement ridicule et si je vaux quelque chose c est peut tre cause de cela Madame Jules Sandeau 5 ao t 1860 mesure que l on vieillit on se reporte vers les jours anciens vers le temps de la jeunesse Jamais je ne vais Rouen chez mon fr re sans regarder la maison du p re Mignot dont je me rappelle encore tout l int rieur L autre jour j ai t au col l ge voir un gamin que l on m avait recommand Paris tout le temps du coll ge m est revenu la pens e Je t ai revu battant la semelle contre le mur par un temps de neige dans la cou
33. dans leur peau Quand j crivais Pem poisonnement de Mme Bovary j avais si bien le go t d arsenic dans la bouche j tais si bien empoisonn moi m me que je me suis donn deux indigestions coup sur coup Hyppolite Taine 20 novembre 1866 Si on relit Un c ur simple du point de vue de cette capacit de ne plus tre soi et d entrer dans l me et dans la peau de l autre on se rend compte que F licit poss de cette qualit au plus haut degr m me si le style volontai rement temp r qui convient l humilit du personnage met la sourdine cette vertu extraordinaire en effet c est ainsi qu elle revit en imagination le voyage p rilleux de Victor Les jours de soleil elle se tourmentait de la soif quand il faisait de l orage craignait pour lui la foudre En coutant le vent qui grondait dans la chemin e et emportait les ardoises elle le voyait battu par cette m me temp te au sommet d un mat fracass tout le corps en arri re sous une nappe d cume Flaubert 19524 605 De m me quand on lui annonce que le bateau de Victor est arriv la Havane nouveau l imagination de F licit lui offre une vive repr senta tion cause des cigares elle imaginait la Havane un pays o l on ne fait pas autre chose que de fumer et Victor circulait parmi des n gres dans un nuage de tabac Flaubert 19524 606 Certes les visions de F licit ne peuvent pas ne pas se ressentir de son igno
34. doute dans une autre si gnature ch re Flaubert celle de saint Polycarpe qu il choisit dans ses moments de grandes fureurs envers ses contemporains la figure de cet obscur v que de Smyrne qui fut martyris juste temps quatre vingt quinze ans et qui annon a Flaubert car il avait l habitude de se boucher les oreilles en s criant Dans quel si cle mon Dieu m avez vous fait na tre Barnes 2000 223 a tellement plu l crivain qu il s identifie lui de plus en plus et avec un tr s grand plaisir il crit par exemple L onie Brainne en 1872 car plus je vais et plus je suis r barbatif indign intol rant n vropathe et saint Polycarpe que jamais 23 septembre 1872 et sa ni ce l ann e suivante Je suis plus que jamais irascible intol rant insociable exag r saint Polycarpien 2 d cembre 1873 aussi ses amis rouennais aux derni res ann es de sa vie avaient eu l id e de c l brer sa f te le 27 avril 1879 et avec le concours tr s actif de Maupassant en 1880 quelques jours seulement avant sa mort Les Lapierre crit il sa ni ce se sont surpass s J ai recu pr s de trente lettres envoy es de diff rentes parties du monde et trois t l grammes pendant le d ner Larchev que de Rouen des cardinaux italiens des vidangeurs la corporation des frotteurs d appartements un marchand d objets de saintet etc m ont adress leur
35. encore une fois elle d tourne le regard refuse la r alit se blottit dans 64 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR un r ve mystique tout plein de saintet enjeu de compensation bient t d laiss gr ce aux fastes de l op ra et au path tique de Lucie de Lammermoor Pourtant juste pendant le spectacle si attachant pour elle Emma conna t un deuxi me moment privil gi de vision conscience analogue celui qu elle avait exp riment apr s la premi re crise de son rapport avec Rodolphe Emma r vait au jour de son mariage et elle se revoyait l bas au milieu des bl s sur le petit sentier quand on marchait vers l glise Pourquoi donc n avait elle pas comme celle l Lucie de Lammermoor r sist suppli Elle tait joyeuse au contraire sans s apercevoir de l ab me o elle se pr cipitait Ah Si dans la fra cheur de sa beaut avant les souillures du mariage et la d sillusion de l adult re elle avait pu placer sa vie sur quelque grand coeur solide alors jamais elle ne serait descendue d une f licit si haute Mais ce bonheur l sans doute tait un men songe imagin pour le d sespoir de tout d sir Elle connaissait pr sent la petitesse des passions que l art exag rait Flaubert 19514 531 Examinons de pr s ce passage que je viens de citer il y a d abord la vision elle se revoyait qui donne au souvenir toute la consistance sensorielle de la r alit
36. est arriv e qu on serait heureux Vous rappelez vous comme c tait beau comme on respirait bien Mais nous voil retomb s pire que jamais Maintenant ils tuent notre R pu blique Si on t chait cependant Si on tait de bonne foi on pourrait s entendre Mais non Les ouvriers ne valent pas mieux que les bourgeois voyez vous Tout le monde est contre nous Jen deviendrai fou si a continue J ai envie de me faire tuer Flaubert 1952c 428 429 Face au vieillissement de tous ses id aux de tout son monde amen se tourner vers une commune solution celle de la dictature droiti re Borie 1995 235 239 Dussardier le seul personnage de L ducation qui ne vieillit pas doit dispara tre doit se faire tuer et ce sera la vision sinistre qui frappera Fr d ric bahi le 4 d cembre 1851 Sur les marches de Tortoni un homme Dussardier remar quable de loin sa haute taille restait sans plus bouger qu une cariatide Un des agents qui marchait en t te le tricorne sur les yeux le mena a de son p e L autre alors s avancant d un pas se mit crier Vive la R publique Il tomba sur le dos les bras en croix Un hurlement d horreur s leva de la foule L agent fit un cercle autour de lui avec son regard et Fr d ric b ant reconnut S n cal Flaubert 1952c 448 C est au moment de cette vision horrifiante c est avec le meurt
37. est d j bien pr sent et se cristallise autour de la sensation d une d cadence et d une s nilit incontes tables qui ne quittera plus Flaubert et dont le fantasme ultime est celui de la pourriture comme dans ces lettres des correspondants divers Louis Bouilhet Me voil moiti de la vie Flaubert a 31 ans si tu savais pauvre vieux la quantit de poils blancs que je me suis d couvert ce matin sur la poitrine 24 ao t 1852 Ernest Chevalier Je suis devenu sage parce que je suis devenu vieux Beaucoup de cheveux de moins vous refroidis sent la cervelle or me voil chauve 1853 Louise Colet Je vieillis voil les dents qui s en vont et les cheveux qui bient t seront en all s Comme le n ant nous envahit peine n s la pourriture commence sur vous de sorte que toute la vie n est qu un long combat qu elle nous livre et toujours de plus en plus triomphant de sa part jusqu la conclusion la mort 31 mars 1853 videmment Flaubert cherche se r signer aux effets de son change ment pr coce et d sastreux de beau jeune homme en bourgeois ventru et chauve Barnes 2000 21 pourvu que la cervelle reste c est le princi pal crit il Louise Colet 31 mars 1853 Cependant il n arr te d enregistrer tout ce qu il inscrit dans la cat gorie des d cadences physiques Comme je te plains de tes douleurs de dents crit il par
38. et capable tr s hautain mais rigoureux qui s efforce de r soudre honn tement le grave probl me des Bar bares en essayant de r gler leur solde et de les faire partir de Carthage Hannon au contraire est un tr s mauvais combattant c est cause de lui que la guerre contre les Romains a t perdue ses int r ts personnels et sa cupidit insatiable priment toujours sur le bien collectif imbu de sa per sonne et de ses pr jug s jamais il n arrive vraiment comprendre la gravit des situations qu il devrait pourtant g rer et r soudre L honorabilit de Giscon transpara t de toute sa personne il est grand tr s digne tr s maigre son regard est froid et percant pris en otage par les Bar bares il deviendra de plus en plus maigre il sera tu d une mani re atroce par les Mercenaires Hannon malade de l pre et d l phantiasis a un aspect vulgaire et repous sant il est capable de toutes les bassesses il hurle et d blat re il est tr s gras ses yeux sont petits et son regard est vide au cours de la narration il devient de plus en plus gras et r pugnant il sera tu d une mani re atroce par les Mercenaires L criture que choisit Flaubert pour chacun de ces deux personnages est en quelque sorte ad quate leur aspect physique qui son tour est ad quat leur caract re moral Car les pages consacr es Giscon sont peu nom breuses les descriptions qui concernent sa personne ainsi que l
39. et des destins humains 153 Art qui est la V rit m me Louise Colet 15 16 mai 1852 Reprenons la citation tir e de la lettre Mlle Leroyer de Chantepie concer nant la vie hideuse voici comment elle se compl te La vie est une chose tellement hideuse que le seul moyen de la supporter c est de l viter Et on l vite en vivant dans l Art dans la recherche incessante du Vrai rendu par le Beau 18 mai 1857 Ainsi Flaubert a choisi d observer avec acharnement la vie et le vieillir qui lui est consubstantiel mais en se tenant en m me temps loign le plus possible de l humanit vieillard perp tuel et de la d cr pitude uni verselle Louise Colet 1 septembre 1852 Il s est seulement accord de vivre comme il le d sirait encore pendant trois ou quatre livres Louise Colet 13 janvier 1854 en se tenant toujours dispos accueillir la mort sereinement Je n aime pas la vie et je wai point peur de la mort L hypoth se du n ant absolu n a m me rien qui me terrifie Je suis pr t me jeter dans le grand trou noir avec placidit Mlle Leroyer de Chantepie 30 mars 1857 109 Bibliographie Bard che M 1974 L uvre de Flaubert Paris Les Sept Couleurs Bargues Rollin Y 1998 Le Pas de Flaubert une danse macabre Paris Champion Barnes J 2000 Le Perroquet de Flaubert Paris Stock Benedetto L F 1929 Le origini di Salammb St
40. itin raire intellectuel de Gus tave Flaubert Paris Lettres Modernes Dufour P 1988 Entendre des voix in B Masson ed Gustave Flaubert 3 mythes et religions Paris Minard Duquette J P 1972 Flaubert ou l architecture du vide Les Presses de l Universit de Montr al Flaubert G 19514 Madame Bovary in uvres A Thibaudet R Dumesnil eds Pa ris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 36 19515 Salammb in uvres A Thibaudet R Dumesnil eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 36 19520 Un c ur simple in uvres A Thibaudet R Dumesnil eds Paris Galli mard Biblioth que de la Pl iade 37 1952b H rodias in uvres A Thibaudet R Dumesnil eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 37 1952c L Education sentimentale in uvres A Thibaudet R Dumesnil eds Pa ris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 37 1952d La L gende de Saint Julien l Hospitalier in uvres A Thibaudet R Dumes nil eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 37 1964 Voyage en Orient in uvres compl tes Paris Seuil L int grale 1973 2007 Correspondance J Bruneau ed Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 244 5 voll 1986 Trois contes P M de Biasi ed Paris Flammarion 1988 Carnets de travail P M de Biasi ed Paris Balland 1999 Bouvard et P cuchet P M de
41. l homme depuis ses commencements sans jamais s interrompre de sorte que le vieillir constitue une condition fondamentale peut tre la condition la plus vraie de chaque tape de la vie 3 1 VIEILLIR QUAND ON EST JEUNE Les n uds les plus solidement faits se d nouent d eux m mes parce que la corde s use Tout s en va Louise Colet 2 septembre 1846 Nous avons pu tablir dans les pages pr c dentes l int r t tr s vif et inusit de Flaubert depuis ses premi res tentatives d criture pour la vieillesse et le vieillir aussi bien pour ce qu ils pr sentent de tragique et de lugubre que pour leurs aspects grotesques ou r jouissants davantage loin de se borner aux progressives d gradations biologiques que provoque le vieillir nous verrons qu il prend en compte toutes les nuances de ses r percussions psychologiques Par ailleurs nous venons de constater que pour Flaubert le vieillir est per u avant tout comme un processus et non comme un aboutissement il s agit d un processus essentiel de la condition humaine inh rent toute son ten due qui concerne donc tous les ges selon une rigoureuse perspective dia chronique C est pourquoi dans ses ouvrages on rep re des r flexions des analyses et des repr sentations du vieillir non seulement dans la vieillesse mais aussi l ge m r et dans la jeunesse chez Flaubert le parcours du vieillir se manifeste d j quand on est jeune Il y
42. l une des capacit s fondamentales de son esprit qui lui consent d avoir des visions d entrer dans des r alit s autres que celle du moment pr sent d y entrer en disposant d une percep tion sensorielle ce qui donne corps aux plus belles pages de ses uvres Emma dans cette page jouit de ces visions privil gi es moments de gr ce qui tout naturellement laissent surgir les r flexions les plus p n trantes qui engagent au bilan de toute une vie et le bilan d Emma est aussi intense que les bilans des h ros des uvres de jeunesse que celui de Jules Flaubert la fin de la premi re ducation sentimentale un bilan en m me temps amer lucide f roce ne laissant d autre issue que le changement radical C est ce changement exig par son esprit qu Emma n est pas capable de se soumettre Elle a bien vu pourtant qu il ne reste plus d illusions elle a bien compris elle qui ne cherchait pas une simple aventure dans l adult re mais la passion absolue qu une telle passion n existe pas Mais elle ne peut pas accomplir le pas suivant qui pourtant la guiderait vers sa d livrance sa b tise consiste en ce renoncement ou plut t en son refus d aller jusqu au bout elle rel ve la t te elle cherche autour d elle elle voit autre chose elle regarde ailleurs comme l crit Alain de Lattre 1980 16 18 elle a le regard d tourn Emma ne veut pas voir et quand elle voit ne voit pas ce quelle vo
43. les tres qu on ch rit se d grader peu peu George Sand 30 avril 1871 Si l observation du vieillir de la m re s arr te au seuil de la pietas filiale en s abstenant de trop approfondir les d tails de la d ch ance physique en d autres cas l analyse est plus explicite la maladie de Sainte Beuve et son chagrin de ne plus pouvoir hanter les bosquets de Cypris George Sand 23 janvier 1867 l imb cillit de Jules de Goncourt la paralysie d Ernest Feydeau sont brutalement voqu s dans la correspondance au m me titre d ailleurs que sa propre d ch ance physique souvent implaca blement repr sent e 32 2 LE VIEUX ET LE VIELLIARD LA D GRADATION DU CORPS Mon cher Ami crit il par exemple au docteur Dumont en 1870 je te remercie de ton invitation Mais j ai r la grippe 2 un ecz ma la figure 3 des clous diff rents endroits du corps 1 mars 1870 Et L onie Brainne deux ans plus tard J ai une angine assez violente et l int rieur de la gorge dans un tat horriblement malpropre J ai beaucoup de mal parler J ai des glandes autour du cou Je suis ignoble 9 f vrier 1872 Mais c est surtout dans ses uvres que le vieillir physique conna t une im pitoyable amplification Deux images de d ch ance biologique restent inou bliables dans Madame Bovary la premi re est celle de la pauvre servante prim e aux Comices agricoles de Yonville
44. monstre marin qui cume et se tord il ne restera presque plus rien seulement quelques d bris pareils des fragments d animaux Au faite de la plus grande croix un large ruban d or brillait il pendait sur l paule le bras manquait de ce c t l et Hamil car eut de la peine reconna tre Hannon Ses os spongieux ne tenant pas sous les fiches de fer des portions de ses membres s taient d tach es et il ne restait la croix que d informes d bris pareils 4 ces fragments d animaux suspendus contre la porte des chasseurs Flaubert 1951b 1009 En quelque sorte m me si comme l crit Th ophile Gautier jamais l art n a rendu une figure plus terriblement repoussante et d une laideur plus sinistre que celle du suff te Hannon 1862 cette pourriture vivante avec sa progressive dissolution jusqu la disparition finale repr sente bien le destin des civilisations disparues et le destin de l humanit tout enti re ainsi que son indubitable appartenance au royaume animal Nous ne sommes pendant notre vie crit Flaubert il a 25 ans Louise Colet que corruptions et putr factions successives alternatives envahissantes l une sur l autre Aujourd hui on perd une dent demain un cheveu une plaie s ouvre un abc s se Selon Victor Brombert 1971 78 le suff te Hannon incarne si l on peut dire le th me de la pourriture 46 2 LE VIEUX ET LE VIELLIARD LA D G
45. p dantisme Flaubert 2001p 15 ou celle de la V rit Et un homme un pauvre homme en guenilles la t te blanche un homme charg de mis re d infamie d opprobre un de ceux dont le front rid de soucis renferme les maux d un si cle s assit l au pied d une colonne Et il regarda les hommes longtemps tous le regard rent en d dain et en piti et il les maudit tous car ce vieillard c tait la V rit Flaubert 2001p 15 16 L ann e suivante en 1836 voici para tre le premier avatar d une figure appel e devenir un type celui de la servante au grand coeur Czyba 1983 35 qui n est pas sans rappeler l admirable portrait de Catherine Ni caise lisabeth Leroux de Madame Bovary ou celui de F licit d Un c ur simple dont nous reparlerons Cette lumi re seule et isol e clairait une chambre basse o tait assise une femme d environ soixante et quelques ann es Elle tait vo t e et couverte de rides elle cousait mais la fatigue souvent surmontant son courage lui faisait fermer les yeux et pencher la t te puis elle se r veillait de son assoupissement tournait ses petits yeux creux sur la chandelle frissonnait rappro 18 1 FIGURES DE VIEILLARDS chait son fauteuil de la chemin e puis faisait un signe de croix C tait une de ces bonnes et honn tes filles qui naissent et meu rent dans les familles qui servent leur ma tre jusqu
46. passe des journ es enti res enferm e dans sa chambre engourdie peine v tue elle lit jusqu au matin des livres extravagants o il y avait des tableaux orgiaques avec des situations sanglantes 588 Emma est d sormais afflig e par une courbature incessante 590 mais elle ne s arr te pas elle ne peut pas s arr ter elle se laisse tomber le long de la spirale infernale jusqu la d gradation du bal de la mi car me jusqu la honte de la saisie jusqu l pouvante de la folie jusqu la poign e d ar senic Si Emma n avait pas succomb aux d sastres provoqu s par les circons tances de la r alit qu elle n a jamais voulu regarder bien en face elle aurait pu signer cette lettre que Flaubert crit sa ma tresse Louise Colet en 1846 vingt quatre ans Tu was pas voulu me croire quand je t ai dit que j tais vieux H las oui Si tu savais toutes les forces internes qui m ont puis toutes les folies qui m ont pass par la t te tout ce que j ai essay et exp riment en fait de sentiments et de passions tu verrais que je ne suis pas si jeune 6 ou 7 ao t 1846 Il est vrai que Padieu au monde qu Emma jamais n osera prononcer que du bout des l vres avec l espoir blotti que quelque chose appara tra qui len lib rera Flaubert le dit et le redit jusqu au bout d une vie de Lattre 1980 78 mais il est vrai aussi que cet adieu au monde exi
47. passion br lante fait de lui un satanique jeune vieux C tait Giacomo le libraire il avait trente ans et il passait d j pour vieux et us Sa taille tait haute mais courb e comme celle d un vieillard ses cheveux taient longs mais blancs ses mains taient fortes et nerveuses mais dess ch es et couvertes de rides Flaubert 20014 161 Encore il y a des passions rentr es des passions vagues et orageuses qui 2 Cfr par exemple Lucette Czyba 1983 39 54 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR n ont pas un objet bien d fini mais qui consument l me et le c ur de jeunes hommes malheureux ils d sirent d une mani re extr me sans m me sa voir ce qu ils d sirent au juste et ils vieillissent pr matur ment sans jamais arriver tancher leur soif d infini Tel est le cas de Djalioh le protagoniste de Quidquid volueris 1837 Sa jeunesse tait fra che et pure il avait dix sept ans ou plut t soixante cent et des si cles entiers tant il tait vieux et cass us et battu par tous les vents du c ur par tous les orages de l me Il avait v cu longtemps bien longtemps il avait v cu et grandi de l me il tait d j vieux par le c ur Pourtant ses affections ne s taient tourn es sur personne car il avait en lui un chaos des sentiments les plus tranges des sensations les plus tranges Flaubert 2001 250 Une situation analogue concerne le je autodi g ti
48. pour des r alit s elle acceptait comme vrais en eux m mes de purs symboles et jusqu des mani res de langage Flaubert 1951b 906 95 LIANA NISSIM Signe de son atrophie intellectuelle Debray Genette 1988 168 sans doute de sa pens e proprement magique 182 d un mysticisme qui toujours selon Raymonde Debray Genette vire la pathologie tant mentale que physique 186 signe surtout mon avis d une vieillesse de plus en plus renferm e sur elle m me de plus en plus solitaire et re tranch e de la r alit cette confusion mentale entre le perroquet et le Saint Esprit consent la vision finale r compense offerte l imagination et la fid lit au souvenir de F licit Cependant rien ne peut arr ter le processus impitoyable du vieillir m me pas la foi simple et inconditionnelle de la vieille femme elle aura seulement la consolation combien illusoire et navrante de ne pas s en rendre compte Car je l ai soulign dans les premi res pages de cette tude les objets aussi sont expos s l usure du temps Le vermine qui mange le petit chapeau de Virginie la d ch ance de la maison aux lattes pourries et expos e aux infil trations de la pluie la d cr pitude du perroquet les vers le d voraient une de ses ailes tait cass e l toupe lui sortait du ventre Flaubert 19524 620 sont le t moignage amer et in luctable du vieillir universel
49. qu il couve pour Salammb De la position du soleil au dessus de la lune il concluait la pr dominance de Baal d ailleurs tout ce qu il voyait des choses 85 LIANA NISSIM terrestres le for ait reconna tre pour supr me le principe m le exterminateur Puis il accusait secr tement la Rabbet de l infor tune de sa vie N tait ce pas pour elle qu autrefois le grand pon tife lui avait pris sa virilit future Et il suivait d un il m lancolique des hommes qui se perdaient avec les pr tresses au fond des t n bres Flaubert 1951b 905 906 Est ce cause de cette m lancolie incurable du vide st rile de sa vie qu il prendra la d cision fatale d envoyer Salammb chez M tho ou cause de son envie pour la puret de la jeune fille ou enfin pour la gu rir de sa maladie pour laquelle lui p re et eunuque ne peut rien Le texte rigou reusement focalis justifie cette r solution par une culpabilit religieuse Mais plus Schahabarim se sentait douter de Tanit plus il voulait y croire Au fond de son me un remord l arr tait Il lui aurait fallu quelque preuve une manifestation des Dieux et dans l es poir de l obtenir le pr tre imagina une entreprise qui pouvait la fois sauver sa patrie et sa croyance Flaubert 1951b 907 Toujours est il que Schahabarim n explique pas clairement et honn tement cette entreprise Salammb au contraire pour
50. qui am nera la brouille d finitive avec son fils bien aim et sa vieillesse st rile et solitaire La saisie devint imminente Alors il Charles eut recours sa m re qui consentit lui laisser prendre une hypoth que sur ses biens mais en lui envoyant force r criminations contre Emma et elle demandait en retour de son sacrifice un ch le chapp aux ravages de F licit Charles le lui refusa Ils se brouill rent Elle fit les premi res ouvertures de raccommodement en lui proposant de prendre chez elle la petite qui la soulagerait dans sa maison Charles y consentit Mais au moment du d part tout courage l abandonna Alors ce fut une rupture d finitive com pl te Flaubert 1951a 642 Si les parents de Charles constituent un bon exemple du vieillissement qui peut se produire l ge m r il s agit cependant de personnages qui restent l arri re plan de l intrigue d autres uvres de Flaubert traitent cet aspect du processus d une mani re bien autrement significative et nous en trou vons un exemple clatant dans H rodias le conte qui claire d une lumi re impitoyable un monde d opulence de fatigue d attente selon Brombert 1971 162 o selon Hans Peter Lund 1994 87 partout ce sont des si tuations chaotiques des disputes confuses des expressions hyperboliques qui caract risent un univers en pleine d b cle Au centre de cet univers vieillissant de cette
51. re Flaubert 1951a 364 En r alit il y a des causes pour cette antipathie invincible et irr parable que rien ni personne surtout pas Charles si impliqu si maladroit ne pour ront att nuer aux yeux d Emma madame Bovary m re n est qu une repr sentante de ce milieu qui l enferme et qu elle ex cre la m re de celui qu elle m prise et consid re comme la cause principale de son malheur par des sus le march c est la femme qui pr tendrait rabaisser sa vie son me au niveau mesquin et d testable qui est le sien celui de son fils et de leur milieu Quant madame Bovary m re qui dans l isolement de sa vie avait report sur son enfant toutes ses vanit s parses bris es Flaubert 19514 331 elle se voit irr m diablement cart e de la vie de Charles elle se rend compte de n tre plus pour lui la femme la plus importante et ceci elle ne peut pas l accepter souffrant de la sorte d une jalousie qu elle sait sans issue et qui la d sesp re Flaubert en expose par quelques phrases les enjeux psychologiques ainsi que les piteuses tentatives de la femme pour d tourner Charles de son amour en faisant recours avec l habilet que d sormais nous lui connaissons au glissement de la focalisation du point de vue objectif du narrateur celui du personnage nourri d aversion et de dol ance Du temps de madame Dubuc la premi re femme de Charles la vieille femme se sentait
52. refait pas sa vie 18 ao t 1875 107 LIANA NISSIM Et bien non Flaubert ne va pas refaire sa vie cependant c est un peu comme si une fois le malheur arriv il puisse trouver la force de sortir de la delectatio morosa dans laquelle il s tait plong depuis la mort de Bouilhet et de sa m re Certes il n arr te pas ses lamentations sur la gravit des malheurs qui l ont frapp il n arr te non plus de parler de sa vieillesse LAvenir ne m offre rien de bon et le Pass me d vore et je ne pense qu aux jours coul s et aux gens qui ne peuvent revenir Signe de vieillesse et de d cadence Edma Roger des Genettes 3 octobre 1875 Pourtant il reprend travailler avec enthousiasme pendant qu il compose les Trois contes il crit la m me correspondante Les choses ne sont pas superbes mais enfin elles sont to l rables Je me suis rem t j ai envie d crire J esp re en une p riode assez longue de paix 19 juin 1876 Et sa ni ce moins de deux mois plus tard Je crois que sans le savoir j avais t malade profond ment et secr tement depuis la mort de notre pauvre vieille Si je me trompe d o vient cette esp ce d claircissement qui s est fait en moi depuis quelque temps C est comme si des brouillards se dissipaient Physiquement je me sens rajeuni 10 ao t 1876 C est que Flaubert a enfin assimil son long son in puisable vieillissement devenu enfin la vra
53. sa femme dans La L gende de Saint Julien l Hospitalier portrait qui n est pas trop diff rent de ceux qu imaginait Flaubert enfant sauf pour la merveilleuse concentration de l criture Et bient t entr rent dans la chambre un vieil homme et une vieille femme courb s poudreux en habit de toile et s ap puyant chacun sur un baton Ils avaient d tre tr s beaux dans leur jeunesse La m re avait encore tous ses cheveux dont les bandeaux fins pareils des plaques de neiges pendaient jusqu au bas de ses joues et le p re avec sa taille haute et sa grande barbe ressemblait une statue d glise Flaubert 19524 637 638 Si les vieux parents de Julien renvoient par leur aspect aust re et hi ratique l atmosph re l gendaire du conte la r alit avec toutes ses implications grotesques prend le dessus dans Madame Bovary L criture de Flaubert ayant d sormais atteint le degr de perfection que l on sait le portrait n est 20 1 FIGURES DE VIEILLARDS que rarement isolable de l ensemble du texte des actions des paysages des milieux dans lesquels le personnage volue cependant on peut rep rer dans le roman quelques portraits tr s significatifs du point de vue qui nous int resse ici celui de l abb Bournisien par exemple gros gras vieillis sant marchant pas lourds la t te un peu pench e sur l paule et avec ses deux mains entrouvertes qu il portait en dehors
54. terrible comme un fant me Ibidem Transform en cet tre immonde contraint de ramper comme une larve hideuse qui n a plus rien d humain sinon sa longue barbe blanche le d tail m tonymique qui le particularise dans toutes ses apparitions Giscon n a pourtant rien perdu de sa dignit ni de son impitoyable duret comme le sugg re la derni re comparaison qui surgit dans l esprit de la jeune fille terrible comme un fant me et il d verse sur elle sa haine caus e par sa trahison suppos e qui le fait d sesp rer de Carthage et lui sugg re sa der ni re d marche de chef int gre la mal diction de Salammb Le mouve ment de sa bouche dent e remuait sa barbe tout du long ses yeux tendus sur elle la d voraient et il r p tait en haletant dans la poussi re Ah sacril ge Maudite sois tu maudite maudite Ibidem Salammb ne parvient rien r pliquer et s enfuit vers le camp de son p re pour lui confier le zaimph reconquis Sans rien comprendre sans rien sa voir de ce qui se passe r ellement Giscon restera l tout jamais plong dans son d sespoir corps inerte impuissant d form par une d cr pitude douloureuse et rebutante jusqu ce que les Mercenaires battus et humili s par Hamilcar suppriment dans une vengeance inutile cette impuissante vieillesse cet homme qui est d j comme mort vou pourtant dans une ultime r ification tre transform en une ch
55. trouve le mieux Paris rest plus Paris tous mes amis sont morts ceux qui restent comptent peu ou bien sont tellement chang s que je ne les reconnais plus 106 4 VIEILLIR SELON FLAUBERT On m a donn un chien je me prom ne avec lui en regardant l effet du soleil sur les feuilles qui jaunissent et comme un vieux je r ve le pass Car je suis un Vieux L avenir pour moi n a plus de r ves Mais les jours d autrefois se repr sentent comme bai gn s dans une vapeur d or Sur ce fond lumineux o de chers fant mes me tendent les bras la figure qui se d tache le plus splendidement c est la v tre Oui la v tre pauvre Trouville 5 octobre 1872 Le ton mu mesur poignant mais infiniment digne de cette lettre change avec les autres correspondants surtout quand il crit Georges Sand et devient de plus en plus morne sombre acrimonieux Maux d estomac et de ventre angoisses nerveuses et humeur archi noire voil mon bilan Georges Sand 4 novembre 1874 Je suis triste crever Quand je ne me torture pas sur ma besogne je g mis sur moi m me Voil le vrai Dans mes loisirs je ne fais pas autre chose que songer ceux qui sont morts Et personne ne me comprend J appartiens un autre monde Georges Sand 2 d cembre 1874 Il se passe dans mon individu des choses anormales Mon affaissement psychique doit tenir quelque cause cach e Je me sen
56. vrai sans doute Mais dans le sentiment qui lie F licit son perroquet j aper ois plut t une attitude mentale qui est bien flaubertienne celle qui met tous les tres sur le m me plan de valeur tous dignes du m me amour en refusant toute sorte de hi rarchie Les oiseaux en cage me font tout autant de piti que les peuples en esclavage Louise Colet 6 ou 7 ao t 1846 J estime autant le for at que moi autant les vierges que les catins et les chiens que les hommes Louise Colet 21 janvier 1847 Diable mem porte si je ne me sens pas aussi sympathique pour les poux qui rongent un gueux que pour le gueux Louise Colet 26 mai 1853 Je suis le fr re en Dieu de tout ce qui vit de la girafe et du crocodile comme de l homme et le concitoyen de tout ce qui habite le grand h tel de l univers Louise Colet 26 ao t 1846 Mais F licit est dou e d autres qualit s encore qui aux yeux de Flaubert sont d une importance d cisive je pense avant tout l imagination mot voqu explicitement deux fois et deux moments particuli rement signi ficatifs de la vie de F licit propos de l arriv e dans la maison du perro quet qui occupait depuis longtemps l imagination de F licit car il venait d Am rique et ce mot lui rappelait Victor Flaubert 19524 612 et surtout au moment de la premi re communion de Virginie Les filles se lev rent Pas pas et l
57. 425 Fr d ric se rend tout de suite son nouvel tablissement Aux arts gothiques et tout au fond son comptoir parmi les statues bariol es des saints les groupes en pl tre de sujets pieux des cr ches des m dailles des chapelets des b nitiers il d couvre Jacques Arnoux Arnoux son comptoir sommeillait la t te basse Il tait prodi gieusement vieilli avait m me autour des tempes une couronne de boutons roses et le reflet des croix d or frapp es par le soleil tombait dessus Fr d ric devant cette d cadence fut pris de tristesse Au fond de la boutique Mme Arnoux parut alors il tourna les ta lons Flaubert 1952c 425 426 Pierre Marc de Biasi en rappelant que les boutons roses sont l indice de la corona veneris ruption cutan e sympt me de la syphilis souligne juste titre la complexit de cette vision qui associe luxure maladie or et divini t Flaubert 2002 584 n 1 Quant ce qui nous occupe ici nous ne pou vons que constater qu en une dizaine d ann es le vieillissement d Arnoux est accompli et il est difficile de reconna tre dans le vieil homme sommeillant le gaillard nergique et tapageur que nous connaissions de mani re que la tristesse de Fr d ric est aussi la tristesse du lecteur oblig avec le person nage de tourner les talons Cette image de la s nilit irr versible de l irr vocable d ch ance physique est la derni re que donne le
58. 988 La voix de Saint Jean magie d un discours lecture d un pisode de H rodias in B Masson ed Gustave Flaubert 3 mythes et religions Paris Minard Gautier T 1862 compte rendu Salammb Le Moniteur 22 d cembre Giorgi G 1970 Salammb tra esotismo e storia contemporanea Belfagor 4 31 luglio Gothot Mersch C 1989 Notes sur l invention dans Salammb in F Lecercle S Mes sina eds Flaubert l autre Pour Jean Bruneau Presses Universitaires de Lyon 1993 Salammb et les proc d s du r alisme flaubertien in Aa Vv eds Parcours et rencontres M langes de langue d histoire et de litt rature fran aise offerts Enea Balmas Paris Klincksieck Grauby F 1994 La cr ation mythique l poque du Symbolisme Paris Nizet Grosse C 1986 Champs de lecture in G Flaubert Trois contes P M de Biasi ed Paris Flammarion Leclerc Y 2000 Pr face in G Flaubert A Le Poittevin M Du Camp Correspon dances Paris Flammarion Lund H P 1994 Gustave Flaubert Trois contes Paris PUF Mallarm S 1959 Correspondance I H Mondor J P Richard eds Paris Galli mard 113 LIANA NISSIM Martinez M 2002 Flaubert le Sphinx et la Chim re Paris L Harmattan Masson B 1981 Salammb ou la barbarie au visage humain Revue d Histoire Litt raire de la France 4 5 juillet octobre de Maupassant G 1890 Flau
59. L autre aussi pleurait Sans reconna tre son image Julien se rappelait confus ment une figure ressemblant celle R Il poussa un cri c tait son p re et il ne pensa plus se tuer Flaubert 1952d 644 57 LIANA NISSIM Dans cette image bouleversante qui cache derri re la surface d une criture l gante volontairement simple et presque d pouill e des sous entendus psychologiques d une affolante complexit l identification au p re et l ali nation de Julien qui n est pas capable de reconna tre son image nous retrouvons repr sent e dans toute sa gravit et dans toute sa profondeur l id e du jeune Flaubert que le malheur fait vieillir qu il est des jours qui vous vieillissent comme des ans Flaubert 2001 291 Emma Bovary Flaubert r serve plut t l autre exp rience du vieillissement dans la jeunesse celle d un ennui d mesur d un d senchantement amer apr s des d sirs passionnels et furieux d infini bref l exp rience des jeunes h ros de Quidquid volueris des M moires d un fou de Novembre qui comme nous l avons remarqu sont des avatars de l auteur lui m me Emma est comme eux ou bien elle croit tre comme eux c est dire comme nombre de h ros et d h roines romantiques qu elle a rencontr s le long de ses lec tures Et s il est vrai qu elle est une jeune femme pleine de d fauts et bien limit e une femme de fausse po sie et de faux sentim
60. M moires d un fou mais chez elle ce n est qu une impression subjective qui fait un peu sou rire c est une attitude une pose que se donne la jeune fille l instar de ses lectures tout de suite apr s d mentie par une illusion oppos e mais ga lement superficielle et imit e Mais l anxi t d un tat nouveau avait suffi lui faire croire qu elle poss dait enfin cette passion merveilleuse qui jusqu alors s tait tenue comme un grand oiseau au plumage rose planant dans la splendeur des ciels po tiques Ibidem Il ny a aucun commen 58 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR taire du narrateur et d ailleurs la virtuosit stylistique de l crivain le rend parfaitement inutile car l expression avait suffi lui faire croire contient d j en elle m me un lourd jugement sur la superficialit d Emma ga lement l image de la passion en oiseau rose dict e par le point de vue du personnage en prouve toute la niaiserie sentimentale Cependant au del de cette distanciation le mouvement constant de l esprit d Emma est d j parfaitement esquiss une soif toujours inassouvie de passions absolues dune part et d autre part le d senchantement amer qui suit chaque d cep tion chaque illusion perdue Aussi suivra t elle incessamment ce mouve ment ondulatoire mais chaque fois en descendant d un pas vers son enfer vers un ab me qui finira par l engloutir Le parcours d Emma se
61. Mallarm 1959 207 94 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR Des fois le mouvement de la m moire peut tre involontaire et tr s doulou reux Alors une faiblesse l arr ta et la mis re de son enfance la d ception du premier amour le d part de son neveu la mort de Virginie comme les flots d une mar e revinrent la fois et lui montant la gorge l touf faient Flaubert 19524 616 Mais la plupart du temps le souvenir est volontairement recherch et pieu sement entretenu souvent l aide des objets qui s affirment comme ga rants d une fid lit au pass Brombert 1971 104 En relation la vente des meubles de la maison apr s la mort de Mme Au bain Raymonde Debray Genette 1988 166 rappelle que nous retrouvons cette circulation des objets qui sont pour ainsi dire les paves d un grand naufrage affectif en reliant ce sch ma narratif une hantise personnelle de l auteur sur laquelle il nous faudra revenir dans le prochain chapitre Pour le moment en revenant au conte et la maison de Mme Aubain on constate que cest surtout la chambre de F licit qui s rige en haut lieu de la m moire o la vie de la vieille femme se transforme petit petit d existence v cue en existence souvenir 9 C est pour que la chambre de F licit puisse atteindre pleinement son sens et sa fonction que la description en a t si longtemps renvoy e comme l a si bien re
62. RADATION DU CORPS forme on vous met des v sicatoires ou on vous pose des s tons Qu on ajoute cela les cors aux pieds les mauvaises odeurs na turelles les s cr tions de toute esp ce et de toute saveur a ne laisse pas que de faire un tableau fort excitant de la personne humaine 13 d cembre 1846 47 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR Cette question que seras tu jet e de vant l homme est un gouffre ouvert devant lui qui s avance toujours mesure qu il marche Ernest Chevalier 24 avril 1839 Fix e dans son imaginaire depuis l enfance l id e du vieillir chez Flaubert ne cesse pas d tre pr sente tout au long de sa vie cest une sorte de pen s e constante et incontournable qui ne peut ne pas informer la vision de la vie et du destin de l homme puisque son processus est inh rent la nature m me de l humanit in luctablement soumise l coulement de l inf me r tiaire le temps Flaubert n a que dix sept ans quand il crit dans une lettre Mon existence que j avais r v e si belle si po tique si large si amoureuse sera comme les autres monotone sens e b te Ce que le monde a de plus beau modestement je me l tais donn d avance Mais tu n auras comme les autres que de l ennui pendant ta vie et une tombe apr s la mort et la pourriture pour ternit Ernest Chevalier 24 f vrier 1939 Certes on reconna t dans ces paroles les proc d s b
63. VIEILLIR SELON FLAUBERT Liana Nissim NN e AM 4 y g wh LD Ata ua o a rol 0 D v tI i DA tuSos 1p VIEILLIR SELON FLAUBERT Liana Nissim di segni Dipartimento di Lingue e Letterature Straniere Facolta di Studi Umanistici Universita degli Studi di Milano Ledizioni Liana Nissim ISBN 978 88 6705 052 9 ILLUSTRAZIONE DI COPERTINA Orizzonte 2012 di Ugo Pierri di segni n 1 Collana sottoposta a double blind peer review Grafica e composizione Ra l D az Rosales Disegno del logo Paola Turino STAMPATO A MILANO www ledizioni it www ledipublishing com info ledizioni it Via Alamanni 11 20141 Milano Tutti i diritti d autore e connessi sulla presente opera appartengono all autore L opera per volont dell autore e dell editore rilasciata nei termini della licenza Creative Commons 3 0 il cui testo integrale disponibile alla pagina web http creativecommons org licenses by sa 3 0 it legalcode di segni Direttore Emilia Perassi Comitato scientifico Monica Barsi Francesca Orestano Marco Castellari Carlo Pagetti Danilo Manera Nicoletta Vallorani Andrea Meregalli Raffaella Vassena Comitato scientifico internazionale Albert Meier Sabine Lardon Christian Albrechts Universit t zu Kiel Universit Jean Moulin Lyon 3 Luis Beltr n Almer a Aleksandr Ospovat Amekcanap OcrroBar Universidad de Zaragoza Bsicmaa kona IkoHomHKH
64. a progres sion de son vieillissement sont tr s mesur es tr s essentielles sa premi re apparition figure rayonnante en noir et blanc cheval dans ses fonctions de g n ral et de suff te tr s respect on ne voit de lui que sa barbe blanche et quelques gestes autoritaires et m prisants Giscon bient t apparut au fond du jardin dans une escorte de la L gion sacr e Son ample manteau noir retenu sur sa t te une mitre dor constell e de pierres pr cieuses et qui pendait tout lentour jusqu aux sabots de son cheval se confondait de loin avec la couleur de la nuit On n apercevait que sa barbe blanche les rayonnements de sa coiffure et son triple collier larges plaques bleues qui lui battait la poitrine Tout coup un Gaulois courut droit Giscon qu il mena ait en gesticulant avec deux p es nues 40 2 LE VIEUX ET LE VIELLIARD LA D GRADATION DU CORPS Le g n ral sans s interrompre le frappa sur la t te de son lourd b ton d ivoire le Barbare tomba Les Gaulois hurlaient et leur fureur se communiquant aux autres allait emporter les l gion naires Giscon haussa les paules en les voyant p lir Il songeait que son courage serait inutile contre ces b tes brutes exasp r es Il valait mieux plus tard sen venger dans quelque ruse donc il fit signe ses soldats et s loigna lentement Flaubert 1951b 748 749 Giscon r appara t au moment o il
65. a une id e qu il r p te souvent dans ses premi res uvres le cha grin change un homme plus vite que des si cles entiers Flaubert 2001e 74 Ainsi dans La peste Florence conte d un romantisme effr n crit en 1836 quinze ans Garcia le fils de Cosme II de M dicis qui souffre d une envie d vastatrice envers son fr re lui dit avant de le tuer il y a des jours qui laissent le soir plus d une ride au front Flaubert 2001k 153 et nous retrouvons la m me id e dans deux contes de 1837 qui anticipent 53 LIANA NISSIM dune certaine mani re les deux bonshommes de la lettre de 1852 que j ai d j voqu e celui pris de gueulades et de lyrisme celui qui fouille et creuse le vrai tant qu il peut il s agit d abord du conte fantastique R ve d enfer o la belle berg re Julietta tombe perdument amoureuse du duc dAlmaro s une variante de l homme fatal t n breux et maudit condamn vivre ternellement sans me et sans conna tre d autre sentiment que l ennui Or Julietta attend pendant quatre ans sur la falaise l arriv e du duc et le jeune Flaubert pour expliquer la souffrance de la fille construit l image dune jeune vieille Ses cheveux taient blancs ses habits d chir s Ses mains taient crevass es par le froid Et puis elle tait p le amaigrie avait les yeux creux et ternes que vivifiaient encore un rayon d amour
66. adre qu il faut classer la repr sentation du monde bourgeois mais aussi le plaisir du jeu du 23 LIANA NISSIM paradoxe de l invention burlesque qui n a jamais cess de marquer l ima ginaire de Flaubert sous la double caution de Rabelais et de Cervantes Ce plaisir tr s sensuel du jeu mystifiant d borde souvent sur la vie quotidienne de Flaubert et tous ses biographes ne manquent jamais de le souligner il aime exag rer sa personnalit d bordante scandaliser par ses fureurs les raffin s et les d licats tels les Goncourt pater les amis et les admirateurs comme ce bon Zola qui ne comprend rien ses tirades furibondes en ra contant ses premi res rencontres avec le Ma tre Zola exprime avec un petit air de condescendance assez ridicule son tonnement l g rement obtus J allais chercher l homme de ses livres et je tombais sur un terrible vieillard esprit paradoxal romantique imp nitent qui m tourdissait pendant des heures sous un d luge de th ories stup fiantes Le soir je rentrais malade chez moi moulu ahuri en me disant que l homme tait chez Flaubert inf rieur l cri vain Zola 1989 206 Un peu moins impliqu s que Zola gr ce notre recul et disposant de toute la correspondance de Flaubert nous sommes capables d imaginer les raisons de l incompr hension du romancier naturaliste face aux th ories esth tiques de Flaubert combien raffin es et complexes et si loign e
67. aisir les pincettes Comme il y avait longtemps qu elle n tait plus aupr s de lui sur l escabeau dans la chemin e Elle se rappela des soirs d t tout pleins de soleil Il y avait sous sa fen tre une ruche miel et quelquefois les abeilles tournoyant dans la lumi re frappaient contre les carreaux comme des balles dor rebondissantes Quel bonheur dans ce temps l quelle li bert quel espoir quelle abondance d illusions Il men restait plus maintenant Elle en avait d pens toutes les aventures de son me par toutes les conditions successives dans la virginit dans le mariage et dans l amour les perdant ainsi continuel lement le long de sa vie comme un voyageur qui laisse quelque chose de sa richesse toutes les auberges de la route Mais qui donc la rendait si malheureuse o tait la catastrophe extraordinaire qui l avait boulevers e Et elle releva la t te re gardant autour d elle comme pour chercher la cause de ce qui la faisait souffrir Flaubert 19514 482 483 Nous voyons s taler dans cette page la m me complexion psychologique des h ros jeunes vieux de Flaubert et de Flaubert lui m me La capacit de se replonger dans le pass non seulement travers un simple et vague souvenir mais en le revivant comme dans une r alit concr te riche en sen sations minutieusement ressenties constitue l une des mouvances psycho logiques les plus voyantes de Flaubert
68. anc e les deux vieux scheiks ne font que progresser dans leur d ch ance physique jusqu l ultime d cr pitude Ce n est plus la figure fig e du vieillard son portrait qui est au centre de l attention mais le processus du vieillir 2 Carnet de notes 20 f 4 avril 1870 Flaubert 1988 542 27 2 LE VIEUX ET LE VIEILLARD LA D GRADATION DU CORPS Nous ne sommes pendant notre vie que corruptions et putr factions successives alter natives envahissantes lune sur l autre Louise Colet 13 d cembre 1846 En tudiant quelques uns des portraits de Flaubert en rappelant quelques uns des principes expos s dans ses lettres nous avons d j eu l occasion de souligner combien l aspect mat riel concret des choses et des per sonnes constitue ses yeux Pun des l ments fondamentaux de la r alit qui touche profond ment sa sensibilit et donne substance son criture litt raire Ainsi pour Flaubert le vieillir est avant tout un fait physique et en observant avec soin les transformations du corps humain il ne laisse pour compte aucun des l ments d non ant les progressions les plus mi nutieuses du vieillir Flaubert a commenc tr s t t pier avec d sarroi les signes du vieillisse ment sur sa propre personne Je wai eu que deux ou trois ann es crit il Louise Colet en 1853 quand il n a pas encore 32 ans o j ai t entier de dix sept dix neuf ans enviro
69. anchement pu nique Flaubert 1951b 939 940 Si les pages concernant Giscon sont donc d une sobri t remarquable tranchantes comme son regard nettes comme sa maigreur dess ch e es sentielles comme la parabole d crite par sa t te tranch e celles qui sont consacr es Hannon s av rent au contraire d bordantes comme ses chairs malades abondantes comme les oripeaux clinquants et criards qui les re couvrent sonores comme sa voix toujours hurlante Incapable de marcher il vit constamment couch dans une grande liti re de pourpre orn e comme lui jusqu l invraisemblable sa premi re appari tion on voit de lui une main d abord puis le visage puis le corps dont les parties vivantes se m lent aux parties artificielles en formant un ensemble inou et composite qui n est pas trop loign des objets hideux que Flaubert se complaisait d crire dans Madame Bovary Claudine Gothot Mersch 1989 80 crit ce propos Le composite tant raill dans Madame Bovary casquette g teau de mariage mairie d Yonville ne semble pas g ner Flaubert dans Salammb C est vrai bien s r si l on pense l ensemble du roman ou la reconstruc tion du temple de Tanit qui en serait l embl me cit e par Gothot Mersch cependant Flaubert ne m nage pas la raillerie de ce m me composite dans certaines pages de l uvre et plus particuli rement dans toutes les descrip tions concernant Hannon sur l
70. ations de la Correspondance sont tir es de l dition de Jean Bruneau Flaubert 1973 2007 13 LIANA NISSIM estun embarras Quand la seule personne qu on aime va partir sur la mer si Pon est une femme on court m me la nuit apr s son bateau c est pourquoi F licit courra apr s Victor comme Maz za apr s le bateau qui emporte Ernest quitte ne plus voir qu un navire qui s en va De sorte que Flaubert ne reprend pas ce qu il a crit mais il le rencontre Car par suite de la fatalit ironique des choses c est toujours la m me histoire Sagnes 2001 1301 Nous aurons le moyen de constater au cours des chapitres suivants com bien l affirmation de Guy Sagnes une vie est toujours l histoire d un r ve d cu synth tise pleinement la vision du monde de Flaubert pour le mo ment ce que je tiens mettre en vidence c est la coh rence profonde de l uvre flaubertienne reconnue par les critiques qui ne manquent pas d y relier la Correspondance peut tre la plus belle correspondance litt raire du XIX si cle Pierrot 1993 28 consid r e d sormais non seulement comme le compl ment biographique de l uvre mais plut t comme une uvre elle m me davantage comme l uvre de l uvre selon le titre donn par Raymonde Debray Genette et Jacques Neef au recueil d tudes sur la Correspondance qu ils ont dirig 1993 L ensemble des lettres constitue une sorte d uvr
71. bert et sa maison Gil Blas 24 novembre Mouchard C 1981 La Consistance des savoirs dans Bouvard et P cuchet Revue d Histoire Litt raire de la France 4 5 juillet octobre Pierrot R 1993 diter une correspondance in R Debray Genette Neef eds L uvre de l uvre Etudes sur la correspondance de Flaubert Saint Denis Presses Univer sitaires de Vincennes Rey P L 2004 Gustave Flaubert Analyse de l uvre Paris Pocket Richard J P 1954 Stendhal et Flaubert Litt rature et sensation Paris Seuil Sagnes G 2001 Passion et Vertu Notice in G Flaubert uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 Schor N 1983 Salammb encha n e ou femme et ville dans Salammb in Aa Vv eds Flaubert la femme la ville Paris PUF S ginger G 1999 Mythes et religions dans les sc narios in D Fauvel Y Leclerc eds Salammb de Flaubert Histoire fiction Paris Champion Toffano P 2000 Un interpretazione di Salammb Padova Unipress Biblioteca francese Troyat H 1988 Flaubert Paris Flammarion Zola 1989 Du roman Paris Complexe 114 TITOLI DELLA COLLANA Liana Nissim Vieillir selon Flaubert 2 Simone Cattaneo La cultura X Mercato pop e tradizione Juan Bonilla Ray Loriga e Juan Manuel de Prada 131 Oleg Rumyantsev and Giovanna Brogi B
72. c sont impression nantes au point qu il peut en sembler le mod le Toujours est il que le vieillis sement de Fr d ric avance au hasard des v nements par lesquels il se laisse porter aucune fermet aucune constance Fr d ric est l instable n sans cesse rejet d un sentiment au sentiment contraire avec une disposition d concertante jouer perdant Duquette 1972 66 62 63 3 Il crit que L ducation sentimentale est le chef d uvre de Flaubert pour beaucoup dont je suis Douchin 1984 69 4 Encore convient il d observer que Fr d ric l avant dernier chapitre du roman a qua rante sept ans et les cheveux gris Douchin 1984 109 n 77 LIANA NISSIM Claude Digeon 1970 170 rappelle comment l ducation sentimentale de Fr d ric s ach ve avec l usure d un coeur qui ne r ve plus d avenir cest ainsi qu au moment de la derni re rencontre avec Mme Arnoux son grand amour n est plus qu un amour d sormais vieilli prudent satisfait d avoir exist Ibidem sa conduite t moigne du tortueux goisme du c libataire accompli qu est maintenant Fr d ric Borie 1995 265 au point qu il finit par foncer dans le m me cynisme insensible de Rodolphe et non seulement parce qu apr s avoir poss d Mme Arnoux par la pens e il allume une cigarette comme Rodolphe apr s avoir fait d Emma sa ma tresse rajuste la bride de son cheval
73. ces videntes Debray Genette 1988 10 14 Raymonde Debray Genette parle de technique narrative tonnante qui pr sente un personnage ferm pour ainsi dire bouch au d but du r cit puis lentement volutif 1988 158 89 LIANA NISSIM bule 617 puis avec la mort de Mme Aubain l annonce que la maison est vendre F licit tombe dans un tourdissement apr s lequel elle tra ne une jambe ses forces diminuent e sa vue s affaiblit Elle vit longtemps dans cet tat de d clin bien des ann es se pass rent 619 5 jusqu au mo ment o enfin une pneumonie se d clare crachements de sang oppres sions fi vre qui tra ne de P ques la F te Dieu jour de son agonie minu tieusement d crite et de sa mort Dans ce long processus du vieillir lent progressif et uniforme en appa rence les tapes fondamentales sont toutefois marqu es par des afflictions morales comme s il s agissait de la descente par degr s d un escalier plut t que d un trac homog ne et continuel Un tout premier signe appara t au moment o Virginie entre chez les Ursu lines Dans son d sceuvrement elle F licit essaya de faire de la dentelle Ses doigts trop lourds cassaient les fils elle n entendait rien avait perdu le sommeil suivant son mot tait min e 603 C est la fuite du perroquet infligeant F licit un affolement une angoisse terribles qui pro
74. cette lettre qu il adresse sa ni ce au moment o il r ve d un voyage en Gr ce pour son projet d un roman sur la bataille des Thermopyles Mais cette poque l c est dire dans dix huit mois 24 1 FIGURES DE VIEILLARDS Vieux ne sera t il pas trop vieux sa ni ce Caroline 18 novembre 1879 Pour George Sand il est presque toujours son vieux troubadour dans cette signature il n y a rien d autre qu un aveu d appartenance au m me romantisme de sa correspondante d sormais oubli ou refus par leurs contemporains et c est en ce sens que Deslauriers l emploie pour d signer Fr d ric dans L Education sentimentale Fr d ric souffrait des nerfs Deslauriers n en crut rien Il le r conforta Un homme comme lui se laisser abattre quelle sot tise Passe encore dans la jeunesse mais plus tard c est perdre son temps Ah vieux troubadour je sais bien ce qui t afflige le petit coeur Avoue le Bah une de perdue quatre de trouv es On se console des femmes vertueuses avec les autres Flaubert 19520 IOI 102 Si le fait d tre un vieux troubadour est un signe ambigu en m me temps de vieillesse puisqu il signale l appartenance une cole r volue et de jeunesse puisque aux jeunes seulement on peut conc der d tre de vieux troubadours au moins selon les clich s dont Deslauriers ne se prive pas le trait de la vieillesse ne laisse aucun
75. comprendre Louise Colet qui s attendait une passion perdue pourtant et nous avons eu le moyen de le constater en parlant des jeunes vieux de son uvre Flaubert est pass travers des exp riences traumatisantes qui lont vieilli par cons quent comme le rappelle Jean 103 LIANA NISSIM Bruneau 1962 580 582 il s est radicalement transform il a appris une le on fondamentale l artiste ne peut pas la fois repr senter et vivre Flaubert va consacrer son uvre repr senter il perdra sa vie pour gagner celle des autres Cette transformation cette d cision de se retrancher de la vie active le pous sent cultiver presque pieusement deux dispositions d esprit qui avaient t toujours les siennes d s la premi re jeunesse ne jamais oublier le processus du vieillir qui est ins parable de l existence humaine en s y sou mettant avec s r nit d une part et d autre part ne jamais oublier les ann es de son adolescence de sa jeunesse pendant lesquelles il a v cu activement et intens ment car il n y a pas de repr sentation profonde de la vie sans souvenir 582 Le culte du souvenir cette m me disposition qu il donnera F licit comme nous l avons vu est peut tre le trait le plus puissant de la person nalit de Flaubert d j ses lettres de jeunesse Ernest Chevalier sont rem plies d vocations des jours pass s ensemble de leurs causeries
76. cques Arnoux dont on ne conna t qu travers les paroles des autres personnages les d convenues financi res qui n arr tent pas de le frapper Puis Fr d ric est oblig par l en cha nement des circonstances de le chercher encore une fois et de le ren contrer D sormais Arnoux n est plus marchand de fa ences il est n gociant en objets pieux comme l explique scandalis son ancien ami Regimbart Fr d ric lui demanda s il voyait quelquefois Arnoux Non Tiens pourquoi Un imb cile Fr d ric apr s un long silence reprit Il a donc chang de logement Qui Arnoux Oui rue de Fleurus Quel num ro Est ce que je fr quente les j suites Comment j suites Avec l argent d un patriote que je lui avais fait conna tre ce cochon la s est tabli marchand de chapelets Pas possible Allez y voir Flaubert 1952c 424 425 38 2 LE VIEUX ET LE VIELLIARD LA D GRADATION DU CORPS Puis en passant du discours direct au discours indirect libre et au discours narratif le texte poursuit Rien de plus vrai Arnoux affaibli par une attaque avait tourn la religion d ailleurs il avait toujours eu un fond de religion et avec l alliage de mercantilisme et d ing nuit qui lui tait na turel pour faire son salut et sa fortune il s tait mis dans le commerce des objets religieux Flaubert 1952c
77. crise profonde Salammb qui a vu le manteau de Tanit et M tho son voleur tombe dans un tat de prostration que le pr tre malgr ses soins empress s n arrive pas gu rir Pourtant personne Carthage n tait savant comme lui dit le texte Flaubert 1951b 905 et toute sa longue vie studieuse et tourment e la recherche infatigable de la v rit ultime est pass e en revue jusqu sa vieillesse marqu e d sormais par l incertitude l angoisse et une aridit que l amour impossible pour Salammb n arrive pas estomper Mais sur l aridit de sa vie Salammb faisait comme une fleur dans la fente d un s pulcre Cependant il tait dur pour elle et ne lui pargnait point les p nitences ni les paroles am res Il en voulait moins la jeune fille de ne pouvoir la poss der que de la trouver si belle et surtout si pure Souvent il voyait bien quelle se fatiguait suivre sa pens e Alors il s en retournait plus triste il se sentait plus abandonn plus seul plus vide Flaubert 1951b 906 Abandonn seul vide triste vieillesse celle de Schahabarim que son transport pour Salammb frustre encore plus car le sien est un amour haineux plein d envie pour sa beaut pour sa jeunesse pour sa puret que depuis longtemps il a perdues puisque sa foi m me chancelle sa confiance dans l h g monie de Tanit s est affaiblie et il prouve envers la d esse le m me ressentiment
78. de cassonade du savon de l eau de vie parfois m me de l argent Il apportait ses nippes raccommoder et elle acceptait cette besogne heureuse d une occasion qui le for ait revenir Flaubert 19524 603 De m me la mort de Virginie tandis que des religieuses emportent Mme Aubain en proie au d sespoir cest F licit qui s occupe de tout Pendant deux nuits F licit ne quitta pas la morte Elle r p tait les m mes pri res jetait de l eau b nite sur les draps revenait s asseoir et la contemplait Elle fit sa toilette l enveloppa dans son linceul la descendit dans sa bi re lui posa une cou ronne tala ses cheveux Flaubert 19524 609 Tout en occupant le dernier rang du cort ge qui am ne Virginie au cime ti re c est F licit qui s y rendra ensuite tous les jours le cimeti re ayant t d fendu Mme Aubain en se vouant avec soin au jardinet de la tombe Les plates bandes disparaissaient sous une couverture de fleurs Elle arrosait leurs feuilles renouvelait le sable se mettait genoux pour mieux labourer la terre Mme Aubain quand elle put y venir en prouva un soulagement une esp ce de consolation Flaubert 19524 610 Cette capacit damour et de d vouement tant totalement d sint ress e s largit et s approfondit avec l ge la bont de son c ur se d veloppa 612 en se r pandant sur tous ceux qui peuvent en avoir besoin Mme Aubai
79. des ann es de coll ge un seul exemple J ai repens nos bonnes promenades tant de pipes fum es amicalement tant de douces causeries de blagues de folies de v rit s tout notre pass Cela vous fait sourire comme si l on revoyait ses habits de petit enfant 14 mars 1840 Si les habits sont ici pr sents en tant que terme de comparaison ils feront toujours partie des objets d put s faire d clencher et entretenir le souve nir en voici quelques exemples en vrac J aime m entourer de souvenirs je ne vends pas mes vieux habits Je vais les revoir quelquefois dans le grenier o ils sont et je songe au temps o ils taient neufs et tout ce que j ai fait en les portant Louise Colet 8 9 ao t 1846 Vous tes m l s tant de choses de ma vie intime Je vous ai connus Trouville dans le temps que nous y tions tous J ai gard pour moi le ch le bariol de rouge et de bleu que portait Henriette et qu elle avait donn Caroline Gertrude Collier d but de novembre 1846 Comme c tait au cimeti re o sont mon p re et ma s ur l id e ma pris d aller voir leurs tombes Cette vue m a peu mu eux ils sont en moi dans mon souvenir La vue d un v tement qui leur a appartenu me fait plus d effet que celle de leurs tombeaux Louise Colet 1 2 octobre 1852 Qu as tu fait du ch le et du chapeau de jardin de ma pauvre maman Je les ai cherch s
80. e Malgr ses airs vapor s c tait le mot des bourgeoises d Yon ville Emma pourtant ne paraissait pas joyeuse et d habitude elle gardait aux coins de la bouche cette immobile contraction qui plisse la figure des vieilles filles et celle des ambitieux d chus Elle tait p le partout blanche comme du linge la peau du nez se tirait vers les narines ses yeux vous regardaient d une mani re vague Pour s tre d couverte trois cheveux gris sur les tempes elle parla beaucoup de sa vieillesse Flaubert 19510 439 Dans ce passage focalisation multiple qui m le le point de vue des gens d Yonville celui probable de Charles du narrateur et d Emma elle m me Flaubert offre l un des plus beaux exemples du m lange inextricable entre l aspect physique la contraction de la bouche la peau du nez tir e le regard vague et l aspect psychologique qui provoque et manifeste le vieillir Pour tant Emma est encore bien jeune elle n a pas encore rencontr Rodolphe Mais voici qu enfin comme le dit le texte ils arriv rent en effet ces fameux Comices Flaubert 19514 445 alors la vie d Emma change du tout au tout elle conna t ou croit conna tre l exp rience de la passion ab solue tant r v e tant d sir e son corps et son me se trouvent transform s transfigur s selon l expression du texte par une exaltation immense dans laquelle elle se plonge tout enti re dans l assurance co
81. e in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 2001 Passion et vertu in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 2001k La peste Florence in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 20011 Quidquid volueris in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mers ch G Sagnes G eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 2001m Rage et impuissance in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 2001n R ve d enfer in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 20010 Un secret de Philippe le Prudent roi d Espagne in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mersch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 2001p Voyage en Enfer in uvres de jeunesse uvres compl tes C Gothot Mers ch G Sagnes eds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 79 2002 L ducation sentimentale P M De Biasi ed Paris Librairie G n rale Frangaise Le livre de poche Fr lich J 1
82. e Arnoux avait trop pr sum de lui m me cette phrase qui est un mod le de synth se elliptique prouve que le rajeunissement d Arnoux 37 LIANA NISSIM n tait qu une illusion subjective ce que du reste confirme impitoyablement le grand repas qu il s offre tout de suite apr s au restaurant chez Parly Comme il avait besoin de se refaire il se commanda deux plats de viande un homard une omelette au rhum une salade etc le tout arros d un sauternes 1819 avec un roman e 42 sans comp ter le champagne au dessert et les liqueurs Flaubert 1952c 347 Les plaisirs de la table le comblent mieux d sormais que les plaisirs sexuels la gourmandise t moigne selon la tradition du vieillissement d Arnoux D ailleurs quelque temps apr s la notion de s nilit est ouvertement d cla r e propos de cet homme qui s abandonnant aux go ts qu il avait nonc pour la jeunesse les ouvri res s attache la Bordelaise l une de ses salari es et l tablit en la dotant d un magasin de blanc Flaubert 1952c 385 pendant qu il laisse aller vau l eau son usine de faiences Arnoux en effet se laissait exploiter par la Bordelaise avec l indulgence des amours s niles Ibidem La vie confuse et agit e de Fr d ric sa rupture avec Madame Arnoux provo qu e par Rosanette sa liaison avec Madame Dambreuse gardent le lecteur loign pendant quelque temps de la personne de Ja
83. e Biasi 1999 10 donne une lecture diff rente de la dur e temporelle du roman apr s une vingtaine d ann es de recherches sans r sultats dans les disciplines les plus diverses d go t s de tout les deux comparses ne retrouvent leur joie de vivre qu en revenant leur premi re occupation copier Les deux bonshommes n auraient donc pas quatre vingts ans la fin de l uvre ils iraient vers la septantaine cependant ceci ne change rien notre propos Bouvard et P cuchet quel que soit leur ge ne vieillissent pas 4 Je cite de cette dition et non pas de celle de la Biblioth que de la Pl iade qui publie la version du roman revue et corrig e par la ni ce de Flaubert IOO 4 VIEILLIR SELON FLAUBERT lugubre c est qu en effet il y a chez Flaubert ce que Jean Pierre Richard 1954 171 appelle par une heureuse formulation une adolescence ind finiment prolong e Flaubert est le premier grand crivain fran ais cultiver d lib r ment en lui le pouvoir qu a la jeunesse de sauvegarder tous les possibles et consid rer la vie comme une adolescence continu e 172 Cette adolescence continu e est aux yeux de Flaubert le seul moyen de garder intacte sa disponibilit la cr ation litt raire de cultiver soigneusement la monstruosit de l artiste qui doit tre capable de rester l cart de la vie pratique et de ses attraits engageants c est le r
84. e autonome crivent ils dans leur Avant propos 8 avant eux Victor Brombert 1971 27 affirmait les lettres de Flaubert suffiraient pour lui assurer une place dans l histoire litt raire et Claude Digeon 1970 263 dans sa Correspondance Flaubert travaillait sans le savoir un autre chef d uvre ainsi la Correspondance est une partie int grante de l uvre et entretient avec elle des liens d une troite conso nance ce qui nous autorise puiser aussi bien dans les textes que dans les lettres comme le souligne Claude Burgelin On aurait envie d opposer le Flaubert cru avec cette vivacit pro lixe cette spontan it stylistique cette libert d expression des mimiques et des poses telles que les offre la Correspondance et le Flaubert cuit avec cette ceuvre si longuement labor e concer t e t nue Mais il suffit de superposer les textes de ces deux Flaubert pour voir comment ils consonnent comment ils vi brent de la m me fa on Burgelin 1989 171 2 Raymonde Debray Genette 1981 804 affirmait d j en 1981 La Correspondance de Flaubert se lit comme un roman comme un essai plus encore que comme un document 3 Henri Troyat 1988 394 affirme que certains critiques vont m me jusqu placer l pis tolier au dessus du romancier pour sa part Michel Martinez 2002 37 crit que non seu lement la Correspondance est un monument qui a t
85. e forment l on vieillit ensemble presque d accord sans s en douter sans le voir ni s en apercevoir et l on arrive ainsi la plus douce et la plus compl te des d cr pi tudes Flaubert 2001h 1010 Plus qu une r flexion cette page se veut une simple constatation sur l usure que provoque le temps aussi bien sur les choses que sur les hommes et leurs sentiments tout vieillit le velours qui se r pe le visage qui se ride le sentiment qui s use selon un rythme lent presque inaper u mais inexo rable devant lequel il ne reste qu s incliner galement calme et pond r e est la page concernant les diff rentes tapes de la vie et les retomb es du vieillir sur le sentiment de l amiti Deux choses arrivent ou l homme s absorbe dans la soci t en prend les id es et les passions et dispara t alors dans la couleur commune ou bien il se replie sur lui m me en lui m me et rien ne sort plus Des diff rences profondes s tablissent entre lui et ses semblables C est pour cela qu on voit tant d amiti s 52 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR chez les enfants que l on en rencontre d j moins dans la jeu nesse presque pas chez les hommes m rs point du tout entre les vieillards Flaubert 2001h 1047 Ce que d sormais Flaubert a d finitivement mis au clair dans ces pages cest que le processus du vieillir n investit pas seulement le moment de la vieillesse mais la vie enti re de
86. e note cette lettre cfr Flaubert 1973 1126 Flaubert avait crit des consid rations analogues dans ses notes de voyage Aux alentours de la salle du tr ne le nain costum leurop enne et quelques anciens eunuques blancs figures de vieilles femmes rid es La vue d un eunuque blanc fait une impression d sagr able nerveusement parlant c est un singulier produit on ne peut d tacher ses yeux de dessus eux Flaubert 1964 648 83 LIANA NISSIM rise la rivalit entre Tanit et Moloch et c est donc lui qui pousse Salammb vers M tho comme s il tait Moloch Gr ce au pr tre la sc ne sous la tente devient donc une hi rogamie La cr ation de Schahabarim permet d articuler d finitivement les v nements priv s la relation M tho Salammb et histo riques la guerre avec le dualisme religieux qui a d sormais une productivit fictionnelle S ginger 1999 67 68 Si c est lui qui m ne l action comme le soutient Yvonne Bargues Rollins 1998 210 il faut cependant reconna tre que Schahabarim est beaucoup plus qu un simple m canisme d clencheur Relisons ce fameux portrait sa premi re apparition Ses yeux enfonc s brillaient comme les lampes d un s pulcre son long corps maigre flottait dans une robe de lin alourdie par les grelots qui s alternaient sur ses talons avec des pommes d meraude Il avait les membres d biles le cr ne oblique le menton
87. e plus en plus tourdie vers une sorte de compulsion de r p tition qui se montre au travers de ses d marches physiques se vulgarisant de plus en plus il prenait des habitudes gros si res et dispendieuses 201 dit de lui sa femme dans un de ces discours indirects libres qui constituent le style dominant de l uvre il est pris de fringale Il avait besoin de manger une omelette ou des pommes cuites 203 et nous le voyons qui d une voix monotone et avec un regard un peu ivre contait d incroyables anecdotes o il avait toujours brill gr ce son aplomb 203 Cette d ch ance progressive ne manque pas d influencer ses go ts sexuels comme il le reconna t lui m me dans un dialogue avec son ami Regimbart en pr sence de Fr d ric Arnoux fumait d un air hilare Il leva les yeux vers les portes des cabinets du restaurant de Madrid donnant toutes sur le jar din et dit qu il tait venu l autrefois bien souvent Pas seul sans doute r pliqua le Citoyen Parbleu Quel polisson vous faites un homme mari Eh bien et vous donc reprit Arnoux et avec un sourire indul gent Je suis m me s r que ce gredin l poss de quelque part une chambre o il re oit des petites filles Le Citoyen confessa que c tait vrai par un simple haussement de sourcils Alors ces deux messieurs expos rent leurs go ts Arnoux pr f rait maintenant la jeunesse les ouvri r
88. ecteur normal d apr s les estimations d intr pides calcu lateurs plusieurs milliers d ann es Jacques Louis Douchin 1984 3 crit en 1984 que la bibliographie de Flaubert compte ce jour plus de cinq mille titres 15 I FIGURES DE VIEILLARDS J ai souvent caus avec les vieillards des plaisirs d ici bas Et j ai toujours t tonn de l enthousiasme qui ranimait alors leurs yeux ternes Louise Colet 8 9 ao t 1846 Le th me du vieillir nous aurons le moyen de nous en rendre compte se configure dans l uvre de Flaubert selon des motifs tr s divers et tr s complexes dont les inflexions infiniment nuanc es nous permettront de l envisager comme l un des vecteurs m taphoriques capables de traduire quelques uns des aspects les plus poignants de sa vision du monde Cepen dant pour en cueillir toute l tendue il nous faut commencer par la confi guration qui pour tre la plus voyante n est pas n cessairement celle qui va retenir le plus notre attention mais qui m rite pourtant un court apergu la mise en sc ne de figures de vieillards I I PORTRAITS Je me vois avec des cheveux blancs cass et toussant dans mon fauteuil Louise Colet 11 d cembre 1846 Il y avait autrefois Florence une femme d environ soixante ans Elle avait d tre grande dans sa jeunesse Mais alors elle tait si vo t e qu on lui voyait peine la figure Les traits
89. efus de devenir quelqu un pour pouvoir tre constamment tous les autres C est ce qui explique le ton grincheux de la lettre sa m re que j ai d j cit e et que je vais reprendre tout l heure pour d autres passages au moment du mariage de son ami Ernest Chevalier c est ce qui explique aussi les posi tions extr mes et d cid es qu il assume si souvent dans sa Correspondance Pour faire bref je n voquerai que deux lettres parmi les plus c l bres d abord celle qu il crivait sa m re en 1850 pendant son voyage en Orient Quand on veut petit ou grand se m ler des uvres du bon Dieu il faut commencer par se mettre dans une position ren tre pas dupe Tu peindras le vin l amour les femmes la gloire condition mon bonhomme que tu ne seras ni ivrogne ni amant ni mari ni tourlourou M l la vie on la voit mal on en souffre ou on en jouit trop L artiste selon moi est une monstruosit quelque chose de hors nature Or je suis r sign vivre comme j ai v cu seul avec ma foule de grands hommes qui me tiennent lieu de cercle avec ma peau d ours tant un ours moi m me etc Je me fous du monde de l ave nir du qu en dira t on d un tablissement quelconque Voil comme je suis tel est mon caract re mon caract re est tel 15 d cembre 1850 Vingt ans apr s Flaubert crivait Georges Sand Je ne demanderais pas mieux que de me rejet
90. elle Flaubert 1952b 654 655 En actrice et politicienne consomm e H rodias arrive jusqu essayer de ranimer la passion qui les avait unis et c est ce moment que Flaubert met en pleine lumi re les signes du vieillir qui marquent aussi bien le T trarque que la femme autrefois ador e 72 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR Puis elle dit qu elle se trouvait heureuse et elle lui rappela leurs causeries l bas dans l atrium les rencontres aux tuves leurs promenades le long de la voie Sacr e et les soirs dans les grandes villas au murmure des jets d eau sous des arcs de fleurs devant la campagne romaine Elle le regardait comme au trefois en se fr lant contre sa poitrine avec des gestes c lins Il la repoussa Lamour qu elle tachait de ranimer tait si loin main tenant Et tous ses malheurs en d coulaient car depuis douze ans bient t la guerre continuait Elle avait vieilli le T trarque Ses paules se vo taient dans une toge sombre bordure vio lette ses cheveux blancs se m laient sa barbe et le soleil qui traversait le voile baignait de lumi re son front chagrin Celui d H rodias galement avait des plis et l un en face de l autre ils se consid raient d une mani re farouche Flaubert 19525 653 Ce regard crois des deux conjoints est l impitoyable et r ciproque constat d une r alit incontournable le vieillissement de deux personnes m res et aig
91. elle Quarafon Ce nom de Quarafon est su blime sa m re 24 juin 1850 Il y a en moi litt rairement parlant deux bonshommes dis tincts un qui est pris de gueulades de lyrisme de grands vols daigle de toutes les sonorit s de la phrase et des sommets de l id e un autre qui fouille et creuse le vrai tant qu il peut qui aime accuser le petit fait aussi puissamment que le grand qui voudrait vous faire sentir presque mat riellement les choses qu il reproduit celui l aime rire et se pla t dans les animalit s de l homme Louise Colet 16 janvier 1852 De cette lettre tr s c l bre de Flaubert qui met en lumi re une structure constitutive de son esprit en r v lant en m me temps les cat gories fonda mentales qui r glent toute sa production litt raire je voudrais extraire en tant que particuli rement importants pour nous certains concepts le be soin de faire sentir mat riellement les choses le plaisir du rire l int r t pour les animalit s de l homme savoir pour son c t charnel sensuel instinc tuel C est dans ce cadre que s inscrit tout le filon du grotesque flaubertien depuis le Gar on de sa jeunesse ce h ros du grotesque et de la b tise incarnation autodestructrice du Bourgeois Leclerc 2000 15 jusqu aux figurines comiques de Bouvard et P cuchet de v rit probl matique et de vraisemblance douteuse Digeon 1970 241 Cest dans ce c
92. ement malade d cide de de vancer la mort en se tuant par la boisson plaisir auquel il s abandonne en compagnie de ses disciples Se sentant vieux Mathurin voulut mourir pensant bien que la grappe trop m re n a plus de saveur Il avait bien soixante dix ans environ et solide encore malgr ses cheveux blancs son dos vo t et son nez rouge En somme c tait une belle t te de vieillard Son il bleu tait singuli rement pur et limpide et des dents blanches et fines sous de petites l vres minces et bien cisel es annon aient une vigueur gastronomique rare cet ge o l on pense plus souvent dire ses pri res et avoir peur qu bien vivre Flaubert 2001d 621 On le voit la plume du jeune Flaubert qui n a pas encore dix huit ans s exerce varier de plus en plus ses portraits de vieillards en m lant le s rieux et le grotesque en multipliant les notations minutieuses et r alistes comme dans le portrait de M Renaud le type m me du mari cocu de la premi re ducation sentimentale crite entre 1843 et 1845 19 LIANA NISSIM Les tudiants l aimaient tous non point qu il e t cette raison ardente qui s duit la jeunesse et qui l attire vers les vieillards mais c tait un bonhomme facile leur rendant la vie douce et tranquille passablement jovial assez bon bouffon et amateur de calembours Il paraissait malin la premi re entrevue et b te la seconde Il sour
93. encore la pr f r e mais pr sent l amour de Charles pour Emma lui semblait une d sertion de sa tendresse un envahissement sur ce qui lui appartenait et elle observait le bonheur de son fils avec un silence triste comme quelqu un de ruin qui regarde travers les carreaux des gens attabl s dans son ancienne maison Elle lui rappelait en mani re de souvenirs ses peines et ses sacrifices et les comparant aux n gligences d Emma concluait qu il n tait point raisonnable de l adorer d une fa on si exclusive Flaubert 19514 364 70 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR Ainsi d ue dans son amour maternel possessif et chagrin la m re de Charles guettera le m nage d un regard malveillant et per ant quoique incapable de pr venir la ruine de son fils qui la vieillit pr matur ment D j dans le passage que je viens de rappeler Flaubert la d signe comme une vieille femme ce quelle n est pas encore si on lui attribue peu pr s le m me ge que son mari qui vers la fin du roman donc beaucoup plus tard par rapport au texte cit mourra comme Flaubert d une attaque d apoplexie cinquante huit ans Mais la rancune vieillit et madame Bovary m re ne sera jamais capable de revenir en arri re personne ne l est selon Flaubert puisque ceci signifierait admettre la possibilit de rajeunir de dominer sa jalousie de s adapter des sentiments moins haineux m me apr s la mort d Emma ce
94. endant ce qui domine chez lui c est son c t instinctuel sensuel physique ce n est pas un cas si on souligne dans cet homme pourtant si citadin son besoin de grand air 112 auquel quand il arrive le printemps il ne peut pas r sister Chaque ann e aux premi res feuilles durant plusieurs jours de suite il d campait le matin faisait de longues courses travers champs buvait du lait dans les fermes batifolait avec les villa 34 2 LE VIEUX ET LE VIELLIARD LA D GRADATION DU CORPS geoises s informant des r coltes et rapportait des pieds de sa lade dans son mouchoir Flaubert 1952c 112 Ainsi c est surtout du point de vue physique charnel que le lecteur peut suivre l volution du personnage le processus de son vieillissement de sa lente progressive catastrophique d cadence Borie 1995 194 Au commencement du roman il est un gaillard d une quarantaine d an n es cheveux cr pus Flaubert 1952c 34 la taille robuste habill d une mani re trange et voyante dou d une gaiet et d une sociabilit d bor dantes C est toujours ainsi en pleine activit bruyant et envahissant que nous le rencontrerons le long de son parcours pendant qu il organise son travail de commer ant dans L Art industriel il ne manque pas d arranger ses rencontres amoureuses clandestines en soignant en m me temps son aspect physique Arnoux rentra vivement dans le cabinet crasa d
95. ents dit Flaubert Mlle Leroyer de Chantepie 30 mars 1857 elle a cependant la m me configuration psychologique des h ros narrateurs des uvres de jeunesse avec toutefois trois diff rences fondamentales l une concerne sa bien plus vaste volution dans le temps la deuxi me qui en d pend touche son approfondissement tr s articul la troisi me enfin marque l norme dis tance que Flaubert a acquise par rapport ses premi res uvres l il y avait une consonance totale entre l crivain et ses h ros dans Madame Bovary au contraire l cart entre le narrateur et le personnage est d finitivement d marqu de mani re que le personnage est vu de l ext rieur et travers l entremise d une distanciation consid rable Mais examinons de pr s le fonctionnement du texte par rapport la struc ture psychologique d Emma Bovary Quand Charles vint aux Bertaux pour la premi re fois lit on vers la fin du chapitre VI de la premi re par tie qui est la c l bre analepse sur l enfance et l adolescence d Emma elle se consid rait comme fort d sillusionn e n ayant plus rien apprendre ne devant plus rien sentir Flaubert 1951a 361 Toute l ironie toute la distan ciation du narrateur se concentre dans ce verbe elle se consid rait elle se consid rait d sillusionn e c est dire plong e dans cet tat d me amer et irr versiblement blas des h ros de Novembre et des
96. ents de c ur En de certains jours elle bavardait avec une abondance f brile ces exalta tions succ daient tout coup des torpeurs ou elle restait sans parler sans bouger Flaubert 19514 380 382 383 386 Puis le d m nagement Yonville rajeunit Emma elle gu rit tout fait dans un vague espoir qui lui vient sans qu elle s en rende compte de la rencontre avec L on mais sa d cision de jouer le r le de la madone intouchable et la faiblesse du jeune homme interdisant une issue leurs sentiments r ci proques elle retombe dans ses envies confuses dans ses d sirs ind termi n s et contradictoires mais de plus en plus vastes et douloureux Alors les app tits de la chair les convoitises d argent et les m lancolies de la passion tout se confondit dans une m me souf france La m diocrit domestique la poussait des fantaisies luxueuses la tendresse matrimoniale en des d sirs adult res Elle s ton nait parfois des conjectures atroces qui lui arrivaient la pen s e et il fallait continuer sourire s entendre r p ter qu elle tait heureuse faire semblant de l tre le laisser croire Elle avait des d gotits cependant de cette hypocrisie Des tenta tions la prenaient de s enfuir avec L on mais aussit t il s ou vrait dans son me un gouffre vague plein d obscurit Flaubert 19514 423 424 On le voit Emma n est plus la jeune fille peine s
97. equel il n arr te pas d exercer avec un vident plaisir son c l bre coup de pouce et il suffit d voquer pour s en rendre compte la fuite honteuse d Hannon d un grotesque in gal au dos dun ne avec son grand collier qui lui saute jusqu aux oreilles A grand peine Hannon put monter sur un ne il senfuyait en se cramponnant aux poils hurlant pleurant secou meurtri et appelant sur l arm e la mal diction de tous les Dieux Son large collier de pierreries rebondissait jusqu ses oreilles Il re tenait avec ses dents son manteau trop long qui tra nait et de loin les Barbares lui criaient Va t en l che pourceau gout de Moloch sue ton or et ta peste plus vite plus vite Les corte en d route galopait ses c t s Flaubert 1951b 778 779 43 LIANA NISSIM Mais revenons la premi re apparition du vieux suff te Flaubert 1951b 773 Quelquefois une main grasse charg e de bagues entr ouvrait la liti re une voix rauque criait des injures alors les porteurs s arr taient puis ils prenaient une autre route travers le camp Mais les courtines de pourpre se relev rent et l on d couvrit sur un large oreiller une t te humaine tout impassible et bour soufl e les sourcils formaient deux arcs d b ne se rejoignant par les pointes des paillettes d or tincelaient dans les cheveux cr pus et la face tait si bl me qu elle semblait saupoudr
98. er sur une affec tion nouvelle Mais comment Presque tous mes vieux amis sont mari s officiels pensent leur petit commerce tout le long de l ann e la chasse pendant les vacances et au whist apr s leur diner Je n en connais pas un seul qui soit capable de passer avec moi un apr s midi lire un po te Ils ont leurs affaires moi je wai pas d affaires Notez que je suis dans la m me posi tion sociale o je me trouvais 18 ans 21 mai 1870 Le tour d escamoter la vie a parfaitement r ussi Flaubert ne s est pas ta bli ne s est pas mari wa pas eu d enfants il est rest c libataire et soli IOI LIANA NISSIM taire Mile Leroyer de Chantepie 18 mars 1857 en gardant tout prix la m me position sociale o il se trouvait 18 ans en choisissant cette adolescence continu e qui lui permettra d crire des chefs d oeuvre mais qu il paiera ch rement il se retrouve au dernier jour seul et vide comme la vingti me ann e ayant vit le durcissement mais aussi la maturit brusquement pass de la jeunesse la vieillesse Richard 1954 173 Car si Bouvard et P cuchet ne vieillissent pas Flaubert lui vieillit et vieillit mal J ai assez r p t au fil des chapitres pr c dents que Flaubert avait d j d cid d tre vieux avant l ge Barnes 2000 267 Cette r solution d pend en tr s grande partie de la cassure 5 qui a marqu
99. ercoff eds The Battle of Konotop 1659 Exploring Alternatives in East European History 4 Irina Bajini Luisa Campuzano y Emilia Perassi eds Mujeres y emancipaci n de la Am rica Latina y el Caribe en los siglos XIX y XX CETTE TUDE qui a t r alis e gr ce une bourse de recherche of ferte par la R gion Auvergne et l Universit Blaise Pascal de Clermont Ferrand analyse le th me du vieillir dans l uvre de Flaubert Le pro cessus du vieillir s y configure selon plusieurs motifs complexes ca pables de traduire des aspects tr s poignants de la vision du monde de l auteur L id e du vieillir est chez Flaubert une pens e constante et incontournable consubstantielle la vie soumise la loi implacable de l inf me r tiaire le Temps Il ne reste donc qu prendre ses dis tances de la vie de ce processus de d ch ances et d checs de l in pui sable vieillissement au fond duquel il wy a que le N ant il ne reste qu escamoter la vie en se r fugiant dans l Art en se contentant de vivre encore pendant trois ou quatre livres EN LIANA NISSIM est professeur de litt rature fran aise et de litt ratures francophones l Universit degli Studi di Milano elle est sp cialiste de la litt rature fran aise de la seconde moiti du XIX si cle et des litt ra tures francophones de l Afrique subsaharienne et du Qu bec di segni Dipartimento di Lingue e Letterature Straniere
100. ersonnels Flaubert 19514 330 qui tait bel homme h bleur faisant sonner haut ses perons portant des favoris re joints aux moustaches Ibidem viveur de province aimant les femmes et la vie joyeuse mais incapable de gagner assez d argent pour se les permettre finit par se renfermer dans une vieillesse pr matur e et hargneuse Et chagrin rong de regrets accusant le ciel jaloux contre tout le monde il senferma d s l ge de quarante cinq ans d go t des hommes disait il et d cid vivre en paix Sans s inqui ter de rien Monsieur continuellement engourdi dans une somno lence boudeuse dont il ne se r veillait que pour lui sa femme dire des choses d sobligeantes restait fumer au coin du feu en crachant dans les cendres Flaubert 19510 330 331 Par contraste et par n cessit sa femme est hyperactive et infatigable elle s occupe de tout dans le m nage en jouant en m me temps son propre r le et celui du mari d missionnaire Elle tait sans cesse en courses en af faires Elle allait chez les avou s chez le pr sident se rappelait l ch ance des billets obtenait des retards et la maison repassait cousait blanchis sait surveillait les ouvriers soldait les m moires 331 Mais sa d ception et sa hargne ne diff rent gu re de celles de son mari et elles marquent sa personnalit dont les transformations sont admirable ment synth tis es dans quelq
101. es Regim bart d testait les mijaur es La conclusion fournie par le marchand de fa ences fut qu on ne devait pas traiter les femmes s rieusement Flaubert 1952c 262 263 Pendant les journ es d insurrection Arnoux semble et se croit rajeuni en gag dans la Garde Nationale il se bat courageusement avec toute l ardeur de sa nature 36 2 LE VIEUX ET LE VIELLIARD LA D GRADATION DU CORPS Pendant l assaut au palais royal le grand vestibule tait rem pli par un tourbillon de gens furieux des hommes voulaient monter aux tages sup rieurs pour achever de d truire tout des gardes nationaux sur les marches s effor aient de les retenir Le plus intr pide tait un chasseur nu t te la chevelure h riss e les buffleteries en pi ces Sa chemise faisait un bourrelet entre son pantalon et son habit et il se d battait au milieu des autres avec acharnement Hussonnet reconnut Jacques Arnoux Flaubert 1952c 322 C est pendant ces m mes journ es que Fr d ric est devenu l amant officiel de Rosanette et son entreteneur ce qui n emp che pas celle ci de continuer rencontrer Arnoux Les relations de Fr d ric et de la Mar chale ne l avaient point attrist car cette d couverte l autorisa dans sa conscience supprimer la pension qu il lui faisait Il all gua l embarras des circonstances g mit beaucoup et Rosanette fut g n reuse Alors M Arnoux se consid ra co
102. es mains jointes elles al laient vers l autel tout illumin s agenouillaient sur la premi re marche recevaient l hostie successivement et dans le m me ordre revenaient leurs prie Dieu Quand ce fut le tour de Vir ginie F licit se pencha pour la voir et avec l imagination que donnent les vraies tendresses il lui sembla qu elle tait elle m me cette enfant sa figure devenait la sienne sa robe l ha billait son c ur lui battait dans la poitrine au moment d ouvrir la bouche en fermant les paupi res elle manqua s vanouir Flaubert 19524 602 92 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR Dans ces notations concernant le fonctionnement de l imagination de F licit nous retrouvons les proc d s qui ont toujours marqu l me m me de Flaubert et toute sa cr ation comme le prouve ce passage c l bre de sa correspondance crit quand il composait Madame Bovary Aujourd hui homme et femme tout ensemble amant et ma tresse la fois je me suis promen cheval dans une for t par un apr s midi d automne sous des feuilles jaunes et j tais les chevaux les feuilles le vent les paroles qu ils se disaient et le soleil rouge qui faisait s entre fermer leurs paupi res noy es d amour Louise Colet 23 d cembre 1853 J voquerai encore la lettre galement c l bre Hyppolite Taine Les personnages imaginaires m affolent me poursuivent ou plut t c est moi qui suis
103. et couvrant un il bleu d oiseau de mer tach au milieu d une toute petite pupille noire toujours mobile et qui regardait fixement Mau passant 1890 Au commencement Flaubert a observ avec angoisse la progression du vieillir sur son corps et ses lettres r sonnent de cris alarm s sur ces chan gements qui le troublent fortement comme on peut le constater dans ces deux lettres crites Louis Bouilhet en 1850 et en 1851 Je crois n avoir rien perdu de cette belle voix qui me caract rise En revanche j ai bougrement perdu de cheveux Le voyage m a culott la figure Je n embellis pas tant sen faut Le jeune homme sen va Je ne voudrais pas vieillir davantage 19 d cembre 1850 Quelque chose qui s en va ce sont mes cheveux Tu me rever ras avec la calotte J aurais la calvitie de l homme de bureau celle du notaire us tout ce qu il y a de plus couillon en fait de s nilit pr coce J en suis attrist sic Maxime se fout de moi Il peut avoir raison C est un sentiment f minin indigne d un homme et d un r publicain je le sais mais j prouve par l le premier sympt me d une d cadence qui m humilie et que je sens bien Je grossis je deviens bedaine et commun faire vomir Oui je vieillis il me semble que je ne peux plus rien foutre de bon 10 f vrier 1851 30 2 LE VIEUX ET LE VIELLIARD LA D GRADATION DU CORPS L observation est minutieuse le lexique du vieillir
104. evenu le vieux tremblotant cousu d infirmit s et parlant sans cesse de ses repas et de ses digestions Ici il s est d velopp chez Maxime un grand talent mimique Je l appelle p re tienne moi il m appelle Quarafon Nous nous promenons en nous sou tenant r ciproquement et en bavachant Le soir pour nous coucher ca dure une demi heure Nous beuglons en geignant et en nous retournant pesamment comme des gens ab m s de rhumatismes sa m re 24 juin 1850 Le lecteur peut facilement concevoir tout l amusement des deux jeunes hommes la fleur de l ge capables de se transformer en donnant vie tout le grotesque psychologique d une vieillesse r tr cie go ste toute renfer m e sur elle m me qui s accompagne galement de l analyse impitoyable de la d ch ance physique Ce qui plus est le jeu continue pendant long temps et on peut cueillir dans la Correspondance les traces de ses d veloppe ments dont celle ci six mois plus tard Le p re tienne est compl tement d cr pit Il ne marche plus quen boitant les genoux ploy s les mains retourn es en de hors Il est r duit au plus complet tat de rachitisme et dit d une voix navrante Je suis pr t compara tre devant mon cr ateur Je lui apporte une conscience pure Ah Quarafon je vais rendre ma d pouille aux l ments sa m re 26 d cembre 1850 26 1 FIGURES DE VIEILLARDS Le voyage en Orient pe
105. exemple Louise Colet et que j admire ton courage de m avoir crit tran quillement chez Toirac le dentiste en attendant l op ration Du reste puisque cest une du fond il wy a que demi mal Je trouve qu en toutes ces d cadences physiques les moindres sont les dissimul es Aussi la perte de mes cheveux m a t elle r elle ment emb t Mon parti en est pris maintenant Dieu merci et je fais bien car d ici deux ans je ne sais s il m en restera de quoi m me avoir un cr ne Louise Colet 7 septembre 1853 Analys e constamment sur lui m me la d ch ance physique n arr tera pas de retenir son attention quand elle se manifeste chez les autres alors il en rel vera les marques avec un m lange de piti profonde et d inflexible rigueur il en est ainsi par exemple lors de sa visite aux parents d un ami mort Alger en 1852 Le p re pauvre bonhomme de pr s de 80 ans m a embrass en pleurant sanglotant crachant r lant C tait un sale et lamen table spectacle Louise Colet 13 juin 1852 L ann e suivante c est le tour de son oncle Parain Il m arrive dans mon int rieur une chose triste qui me chagrine le p re Parain tombe en enfance et par moments il d raisonne 31 LIANA NISSIM compl tement Ce brave homme dont un entrain un peu fou et juv nile faisait tout le charme est maintenant un vieillard Son bon naturel perce il pleure en parlant de nous de moi surtout Lo
106. g par la r alit ne vient que de l usure fatale du sentiment Digeon 1970 78 du temps qui passe et d fait une vie Ibidem de l in luctabilit du vieillir 3 2 VIEILLIR LAGE MUR mesure qu on vieillit le c ur se d pouille comme les arbres rien ne r siste certains coups de vent Chaque jour qui vient nous arrache quelques feuilles Henriette Collier 24 f vrier 1852 Les premi res uvres de Flaubert si abondantes et souvent autobiogra phiques en mettant en sc ne tr s fr quemment des jeunes vieux nous ont permis de percer jusqu aux motivations les plus profondes le processus du 68 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR vieillir quand on est jeune qui informe la construction et l volution d Em ma Bovary dont on vient d analyser le poignant et parfait accomplissement Cependant une progression analogue investit galement des personnages qui ont rejoint l ge m r puisque Flaubert n arr te jamais de scruter minu tieusement les effets du vieillir souvent m me relativement des figures de deuxi me plan comme il arrive aussi dans Madame Bovary quoique le roman se focalise principalement sur la protagoniste Je choisirai comme exemple les parents de Charles qui ont droit dans le roman une analyse synth tique mais assez approfondie montrant le pro cessus p nible de leur vieillissement Le p re qui dans sa jeunesse n tait pas d pourvu d avantages p
107. ge J ai dit la vie pratique un irr vocable adieu Ma maladie de nerfs a t la transition entre ces deux tats Je ne demande d ici longtemps que cinq ou six heures de tranquillit dans ma chambre un grand feu l hiver et deux bougies chaque soir pour m clairer Alfred Le Poittevin 13 mai 1845 5 C est le titre choisi par Henry Troyat 1988 57 pour le chapitre consacr la crise qui a frapp Flaubert 102 4 VIEILLIR SELON FLAUBERT Mon pli est peu pr s pris Je vis d une fa on r gl e calme r guli re M occupant exclusivement de litt rature et d histoire Je wai jamais pass d ann es meilleures que les deux qui vien nent de s couler parce qu elles ont t les plus libres J y ai sacrifi beaucoup cette libert J y sacrifierais plus encore Ma sant n est ni pire ni meilleure C est long long bien long Ah cher ami la maison n est plus gaie comme par le pass ma s ur est mari e mes parents se font vieux et moi aussi tout cela s use Ernest Chevalier 13 ao t 1845 Pour moi je ne sens plus ni les emportements chaleureux de la jeunesse ni ces grandes amertumes d autrefois Ils se sont m l s ensemble et cela fait une teinte universelle ou tout se trouve broy et confondu J observe que je ne ris plus gu re et que je ne suis plus triste Je suis m r Alfred Le Poittevin 16 septembre 1845 Pendant toute l ann e 1846 il essaie inut
108. i il se pr cipite au lieu du ren dez vous et en voyant l ami sauf il tenait Fr d ric pleins bras le palpait lui couvrait le visage de baisers Il le contemplait et versait de larmes tout en ricanant de bonheur 261 Son insouciance sa facilit sa mani re de d penser largent pleines mains attirent sur lui une longue suite de revers de fortune de commer ant d art il devient marchand de fa ences sa famille est oblig e de baisser 35 LIANA NISSIM son niveau de vie de se contenter d un d cor assez modeste comme le signale Pierre Marc de Biasi en note la page o Fr d ric apr s trois ans d absence retrouve les Arnoux ce d cor modeste et terne s oppose aux in t rieurs d crits dans la premi re partie du r cit En trois ans les Arnoux ont chang de statut social Flaubert 2002 187 n 2 Si le statut social de Jacques Arnoux a chang son attitude envers la vie et sa posture psychologique restent toujours les m mes ainsi de sp culations hasardeuses en emprunts de proc s en d penses d passant les devis de pertes normes en billets sign s de traites en ch ances les probl mes d argent s accumulent sur la t te d Arnoux de telle mani re que dit le texte le bourgeois s enfongait Flaubert 1952c 225 il se ruinait 226 mais la ruine conomique au lieu de rendre plus responsable son comportement social le pousse vers une conduite d
109. i dur pendant des si cles et que mon tre renferme les d bris de mille existences pass es Flaubert zoori 760 Cette longue citation prouve d une part la grande qualit atteinte d sormais par l criture de Flaubert et d autre part la permanence du motif du vieillis sement pr matur de jeunes personnes afflig es par des d sirs immenses 55 LIANA NISSIM en m me temps ind termin s et inassouvissables Et dans ces pages si mouvantes au fond nous reconnaissons la marque autobiographique que le jeune Flaubert y a laiss e et certaines de ses lettres nous remontent la m moire comme celle ci par exemple crite Louise Colet en 1846 il vient de prendre vingt cinq ans J ai pass l ge o l on aime comme tu voudrais Sous mon enveloppe de jeunesse g t une vieillesse singuli re Qu est ce donc qui m a fait si vieux au sortir du berceau et si d go t du bonheur avant m me d y avoir bu Tout ce qui est de la vie me r pugne tout ce qui m entra ne et m y replonge m pouvante J ai en moi au fond de moi un emb tement radical intime acre et incessant qui m emp che de rien go ter et qui me remplit T me la faire crever 20 d cembre 1846 Une dizaine d ann es plus tard en 1857 il explique cette structure psycholo gique qui est la sienne Mlle Leroyer de Chantepie Ma jeunesse a t fort belle int rieurement J avais des enthou siasmes que je ne retrouve p
110. iait souvent d une mani re ironique aux choses les plus insignifiantes et quand on lui parlait s rieusement il vous regar dait sous ses lunettes d or avec une intensit si profonde qu elle pouvait passer pour de la finesse Sa t te d garnie sur le devant et couverte seulement sur la nuque de cheveux blonds grison nants et fris s qu il laissait pousser assez longs et qu il ramenait sur les tempes ne manquait d intelligence ni de candeur Toutes les lignes saillantes de sa stature qui tait petite et ramass e en elle m me se perdaient dans une chair flasque et blanch tre il avait le ventre gros les mains faibles et potel es comme celles des vieilles femmes de cinquante ans Flaubert 2001g 844 L il de Flaubert et sa plume paraissent d j bien pr ts ce regard myope qui fait l un des prix de son criture il est capable de d celer et d amalga mer couche sur couche les plus menus d tails en cr ant un personnage et une psychologie par la seule force de la repr sentation sans besoin de commentaire ou de jugement explicite d sormais Flaubert est pr t pour les portraits de ses grandes uvres Certes il devient de plus en plus difficile de rep rer dans ses pages des portraits trac s tout d un coup en formant un ensemble donn une fois pour toutes comme ceux que nous avons rencontr s dans les uvres de jeunesse et pourtant voici le portrait des parents de Julien tels qu ils ap paraissent
111. ie Qui nous emp che de recommencer cest L on qui parle au moment o il essaie de convaincre Emma l aimer 65 LIANA NISSIM Non mon ami Je suis trop vieille vous tes trop jeune oubliez moi D autres vous aimeront vous les aimerez Pas comme vous s cria t il Enfant que vous tes Flaubert 19510 541 Enfant que vous tes C est toujours en enfant qu Emma va traiter L on les ordres se sont invers s par rapport la relation avec Rodolphe L on ne discutait pas ses id es il acceptait tous ses go ts il devenait sa ma tresse plut t qu elle n tait la sienne Elle avait des paroles tendres avec des baisers qui lui emportaient l me O donc avait elle appris cette corruption presque immat rielle force d tre profonde et dissimul e Flaubert 19514 578 Ainsi Emma s en va femme m re d sormais vers son Rouen Babylone cach e sous son voile noir baiss Flaubert 19514 565 d vor e par des envies toujours plus grandes des extravagances 571 dit le texte t moign es par la diversit de son humeur tour tour mystique ou joyeuse babillarde taciturne emport e nonchalante 567 tout pourvu que la d ception que l chec ne reviennent pas Mais l chec revient pourtant et la lassitude l puisement la fatigue l ennui Ils en vinrent parler plus souvent de choses indiff rentes leur
112. ie vieillesse peut tre m me la composition des Trois contes o comme on l a vu tout le processus du vieillir est repr sent et m dit l a aid dans ce pas difficile il accepte d sormais cinquante cinq ans de se voir en vieillard mais un vieillard encore capable de se r fugier dans l Art son ternel salut un vieillard de plus en plus entour et consi d r comme un maitre par la nouvelle g n ration d crivains un vieillard li d un amour paternel son cher disciple Guy de Maupassant Il est vrai qu ce moment de sa vie les souvenirs deviennent encore plus envahissants et Flaubert incarne tout fait ce po te du posthume dont parle Victor Brombert 1971 24 Mais somme toute il ne refuse plus que le pass le d vore et il se pr pare ainsi la mort qu au fond il a toujours sou hait e Ce n est pas ce n a jamais t la mort qui lui faisait horreur c est la vie car la vie n est tol rable qu la condition de n y jamais tre Louise Colet 5 mars 1853 Mais moi je la d teste la Vie Je suis un catholique J ai au coeur quelque chose du suintement vert des cath drales normandes Mes tendresses d esprit sont pour les inactifs pour les asc tes pour les r veurs Je suis emb t de m habiller de me d sha biller de manger et si j ai encore trente ans vivre je les passerais ainsi couch sur le dos inerte et l tat de b
113. ien st r otyp s du ro mantisme flamboyant qui caract rise la premi re jeunesse de Flaubert ainsi que les uvres de ses d buts mais cette r flexion sur la caducit de la na ture humaine s largit et s approfondit au fur et mesure en assumant toutes les possibles implications m taphysiques et toutes les nuances de la complexit de l esprit humain confront l agencement de son destin Il n a pas encore quinze ans quand il essaie de montrer dans une uvre inache v e le mouvement psychologique de Charles Quint apr s son abdication 49 LIANA NISSIM devenu un pauvre moine malade et vieillissant qui r fl chit sur la vanit de la vie de la gloire du bonheur sur la progression de la vieillesse et sur sa d r liction Le bonheur jy pense encore quelquefois comme un de ces r ves d enfance oubli s plus tard quand par une belle nuit d t je regarde la campagne travers les barreaux de ma cellule plon g dans des r veries du pass et la je me reporte sur mon tr ne et puis je pense ce que j tais ce que J ai fait ce que j ai dit dans mes jours de puissance et d orgueil Puis j abaisse un regard sur moi m me je contemple mes mains sillonn es de cicatrices je mets la main sur mon coeur je touche ma barbe blanche et je me dis le voil donc ce Charles Quint roi d Es pagne empereur d Autriche la terreur de Francois I celui dont un bras faisait trembler la Fra
114. ilement de convaincre Louise Co let ma tresse bouillonnante aux sentiments fougueux et tr s emport s que le temps des passions est fini pour lui qu il est vieux vieux irr m diable ment et irr vocablement je choisis deux lettres qui me paraissent particu li rement loquentes Ma jeunesse est pass e La maladie de nerfs qui m a dur deux ans en a t la conclusion la fermeture le r sultat logique Pour avoir eu ce que j ai eu il a fallu que quelque chose ant rieure ment se soit pass d une fa on assez tragique dans la bo te de mon cerveau Puis tout s tait r tabli Je marchais avec la rectitude d un syst me particulier fait pour un cas sp cial Tu es venue du bout de ton doigt remuer tout cela Mais c est pour l oc an que la temp te est faite Des tangs quand on les trouble il ne s exhale que des odeurs malsaines Tu m as cru jeune et je suis vieux 8 9 ao t 1846 Si tu avais compt trouver en moi les aigreurs des passions ado lescentes et leurs fougues d lirantes il fallait fuir cet homme qui s est d clar vieux d abord et qui avant de demander tre aim a montr sa l pre J ai beaucoup v cu Louise beaucoup Ceux qui me connaissent un peu intimement s tonnent de me trouver si m r et je le suis plus encore qu ils ne le pensent 21 octobre 1846 Il ne faut pas oublier qu cette date Flaubert n a pas encore vingt cinq ans comment ne pas
115. ilosophes qui n ont vu l que jonglerie et sottise J y d couvre moi n cessit et instinct aussi je respecte le n gre baisant son f tiche autant que le catholique aux pieds du Sacr C ur Mlle Leroyer de Chantepie 30 mars 1857 Quant aux dogmes si r pulsifs Flaubert F licit n y comprenait rien ne t cha m me pas de comprendre Flaubert 19524 601 mais pour le reste pour le sentiment naturel et po tique elle est si dou e gr ce surtout son imagination quelle arrive int rioriser profond ment la religion et la vivre avec une adh sion totale comme les mystiques car comme l a remarqu Raymonde Debray Genette 1984 125 le double aspect sensuel et l autre sublimant de la religion a toujours t uni dans la pens e de Flaubert sur le mysticisme Enfin une derni re attitude psychologique fondamentale li e d une cer taine mani re l exercice de l imagination rapproche encore plus F licit son auteur la fid lit embellissante de la m moire Brombert 1971 155 qui nourrit sa vie sa volont de faire durer les choses Lund 1994 51 7 Nous venons de voir qu en r alit les dons d imagination de F licit vont bien au del de cette tentative 18 Oui je le sais nous ne sommes que de vaines formes de la mati re mais bien sublimes pour avoir invent Dieu et notre me St phane Mallarm lettre Henri Cazalis 28 avril 1866
116. inerte est destin e d une certaine mani re un processus inverse celui de Giscon celui ci qui tait un homme g mais entier et vigoureux est contraint une vieillesse affreuse qui le r ifie progressivement Hannon lui n est d s l abord presque plus un homme il est une chose au fil de la narration il est soumis lui aussi au processus du vieillir mais un processus qui cette fois anime ses chairs sans pour autant les humaniser il s animalise plut t et si dans cette premi re description on voque d j le b uf et le vautour plus tard il se transforme dans une b te immonde dans un hippopotame recouvert d cailles roses 44 2 LE VIEUX ET LE VIELLIARD LA D GRADATION DU CORPS Hannon tait enfonc dans l huile de cinnamome dont on avait rempli la vasque Il soufflait comme un hippopotame en roulant ses yeux L huile parfum e d bordait sous la masse de son corps et se collant contre les cailles de sa peau la lueur des torches la faisait para tre rose Flaubert 1951b 831 833 Un peu plus loin ne trouvant peut tre pas le nom de l animal qui il ressemble Flaubert le compare une vague b te farouche une sorte d hybride entre l l phant et le lion De ses l vres violac es s chappait une haleine plus naus a bonde que l exhalaison d un cadavre Deux charbons semblaient br ler la place de ses yeux qui n avaient plus de sourcils u
117. it 63 LIANA NISSIM Incapable de renoncer ses r ves tout en sachant qu ils ne sont qu illu sion Emma refoule son moment de lucidit et choisit de s enfermer dans son inintelligence dans la r p tition des m mes d marches des m mes recherches signe incontestable de son vieillir C est ainsi qu apr s la d ception irrit e que provoque Charles par l chec de l op ration du pied bot Emma se jette nouveau dans les bras de Rodolphe et celui ci peut s abandonner sans r ticences aux plaisirs de la chair en exer ant sur Emma sa facult de corruption Rodolphe aper ut en cet amour d autres jouissances exploiter Il jugea toute pudeur incommode Il la trai ta sans fa on Il en fit quelque chose de souple et de corrompu Flaubert 19514 500 Emma accepte passivement de s abandonner cette b atitude qui l engourdissait elle laisse son me s enfoncer en cette ivresse et s y noyer Ibidem et son aspect physique change en cons quence Par l effet seul de ses habitudes amoureuses madame Bovary changea d allures Ses regards devinrent plus hardis ses dis cours plus libres Jamais elle ne fut aussi belle qu cette poque elle avait cette ind finissable beaut qui r sulte de la joie de l enthousiasme du succ s et qui n est que l harmonie du temp rament avec les circonstances Ses paupi res semblaient taill es expr s pour ses longs regards a
118. it en toute saison un petit ch le noir dont la pointe lui descen dait entre les omoplates sa taille dure tait engain e dans des robes en fagon de fourreau trop courtes qui d couvraient ses chevilles avec les rubans de ses souliers larges s entrecroisant sur des bas gris Flaubert 19514 342 Cette femme laide s che comme un cotret et bourgeonn e comme un printemps Flaubert r951a 335 cette femme dont les pieds dans le lit taient froids comme des gla ons 356 n a que quarante cinq ans mais elle est bien vieille 21 LIANA NISSIM Il lui fallait son chocolat tous les matins des gards n en plus finir Elle se plaignait sans cesse de ses nerfs de sa poitrine de ses humeurs Le bruit des pas lui faisait mal on s en allait la solitude lui devenait odieuse revenait on pr s delle c tait pour la voir mourir sans doute Flaubert 19514 335 Mais le portrait le plus frappant de Madame Bovary celui qui repr sente la vieillesse dans tout ce qu elle peut avoir de repoussant et de bouleversant est constitu par l image du duc de Lavardi re Cependant au haut bout de la table seul parmi toutes ces femmes courb sur son assiette remplie et la serviette nou e dans le dos comme un enfant un vieillard mangeait laissant tomber de sa bouche des gouttes de sauce Il avait les yeux raill s et portait une petite queue enroul e d un ruban noir C tait le beau p re du marquis
119. jours aussi incertaines le vieil Hannon quitte et reprend le commandement selon les d cisions intermittentes de Carthage mais sa d ch ance physique n arr te pas de progresser d sormais son mal en rongeant ses l vres et ses na rines avait creus dans sa face un large trou dix pas on lui voyait le fond 45 LIANA NISSIM de sa gorge 941 Puis les Barbares arrivent mettre la main sur lui peu de temps avant la victoire finale de Carthage et il est condamn comme tant d autres d ailleurs mourir sur la croix Alors le vieux Suff te comprenant qu il fallait mourir pleura Ils arrach rent ce qui lui restait de v tements et l horreur de sa personne apparut Des ulc res couvraient cette masse sans nom la graisse de ses jambes lui cachait les ongles des pieds il pendait ses doigts comme des lambeaux verdatres et les larmes qui ruisselaient entre les tubercules de ses joues don naient son visage quelque chose d effroyablement triste ayant Pair d occuper plus de place que sur un autre visage humain Son bandeau royal demi d nou tra nait avec ses cheveux blancs dans la poussi re Ils crurent n avoir pas de cordes assez fortes pour le grimper jusqu au haut de la croix et ils le clou rent dessus avant quelle f t dress e la mode punique Il cumait et se tordait comme un monstre marin que l on gorge sur un rivage Flaubert 1951b 1007 1008 la fin de ce
120. la convaincre il emploie toutes sortes d argumentations dissimul es et sournoises tel vraiment une vieille femme m chante peut tre en d sirant secr tement la mort de Salammb la mort qui frappe tous ceux qui touchent au zaimph qui le lib rerait de son tourment Mais si Rabbetna triomphait si le za mph tait rendu et Carthage d livr e qu importe la vie d une femme pensait Scha habarim D ailleurs elle obtiendrait peut tre le voile et ne p rirait pas Flaubert 1951b 908 L hypocrisie m chante et go ste du vieux pr tre sera punie bien autrement que par la mort de la jeune fille Sans que la d esse puisse triompher sur son rival Moloch poss dait Carthage il treignait les remparts il se roulait dans les rues il d vorait jusqu aux cadavres 958 dit le texte Sa lammb est revenue saine et sauve gu rie de sa maladie ce qui approfondit le malheur de l eunuque et d cha ne sa fureur Il venait chez Salammb Mais il restait tout silencieux la contemplant les prunelles fixes ou bien lui prodiguait les pa roles et les reproches qu il lui faisait taient plus durs que ja mais Par une contradiction inconcevable il ne pardonnait pas la jeune fille d avoir suivi ses ordres Schahabarim avait tout de vin et l obsession de cette id e avivait les jalousies de son impuissance Flaubert 1951b 959 86 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR Mais c est en vai
121. la m me cependant Flaubert vieillissant ses personnages vieillis sent avec lui ils deviennent plus superficiels plus inactifs par rapport Emma leurs r ves sont encore plus vell itaires plus faibles et ils ne sont m me pas capables de se suicider ou y renoncent par mollesse par lassi tude on ne peut pas oublier la vague tentative de Fr d ric Des nu es sombres couraient sur la face de la lune Il la contem pla en r vant la grandeur des espaces la mis re de la vie au n ant de tout et moiti endormi mouill par le brouillard et tout plein de larmes il se demanda pourquoi n en pas finir Rien qu un mouvement faire Le poids de son front l entra 78 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR nait il voyait son cadavre flottant sur l eau Fr d ric se pencha Le parapet tait un peu large et ce fut par lassitude qu il n essaya pas de le franchir Flaubert 1952c 109 Voici ce que signifie au fond vieillir l ge m r se r signer au d sespoir ou n en tre plus capable en exprimant de la sorte en dehors et au del des personnages une vision du monde encore plus sombre celle d un n ant tranquille antidramatique gal qui finit par tout absorber Du quette 1972 128 C est dans cette perspective qu on peut lire le dernier chapitre du roman cette mani re d appendice de codicille ou d pilogue Berthier 1981 8 Jean Borie 1995 266 interpr
122. le Comme le rappelle Pierre Marc de Biasi 1986 25 les deux premiers tiers du r cit sont consacr s l histoire de la servante au demi si cle de ser vitude ce qui marque le conte par une structuration simple de la vie sociale et morale d une servante r gl e par la r p tition et la continuit Lund 1994 36 scand e selon les trois grandes tapes de sa vie jeunesse Th odore les enfants maturit mort de Victor et de Virginie vieillesse le perroquet 38 Cependant au del de cette apparente simplicit Un c ur simple pr sente une structuration et un parcours bien autrement consid rables que Ray monde Debray Genette en mettant en relation l incipit et l excipit du conte a parfaitement synth tis s lammb Yvonne Bargues Rollin 1998 256 attribue l offrande du c ur palpitant de M tho l un des pr tres de m me Pierre Louis Rey 2004 112 dans son r sum du roman crit Un pr tre de Moloch ouvre la poitrine de M tho pour donner son c ur Schahabarim qui l offre au soleil Pourtant le texte est explicite et les critiques avaient tr s bien envisag l auteur du geste cfr par exemple la communication de Naomi Schor 1983 102 105 106 aux journ es d tudes organis es par l Institut de Francais de l Universit de Paris X et le d bat qui s ensuivit Cfr aussi Toffano 2000 72 2 Cfr Benedetto 1929 177 88 3
123. le vieux duc de Lavardi re l ancien fa vori du comte d Artois et qui avait t disait on l amant de la reine Marie Antoinette Il avait men une vie bruyante de d bauches pleine de duels de paris de femmes enlev es avait d vor sa fortune et effray toute sa famille Un domestique derri re sa chaise lui nommait tout haut dans l oreille les plats qu il d signait du doigt en b gayant et sans cesse les yeux d Em ma revenaient d eux m mes sur ce vieil homme l vres pen dantes comme sur quelque chose d extraordinaire et d auguste Flaubert 19514 369 370 Parce qu il a v cu la Cour et couch dans le lit des reines Flaubert 19514 370 les yeux d Emma obnubil s par ses r ves et ses illusions pen dant tout le bal de la Vaubyessard ne voient dans ce personnage que ce qu il peut sugg rer d auguste et d extraordinaire elle ne voit que la l gende et de vieux souvenirs crit Alain de Lattre 1980 22 mais le lecteur clair par la repr sentation du portrait d taill e et impitoyable quoique sobre et essentielle y saisit la mis re de la d cr pitude la pr carit de l existence la vanit de tout Quant L Education sentimentale puisque ce roman est avant tout la fresque d une soci t tout enti re Flaubert y multiplie n cessairement les portraits de vieillards mais son style ne cesse de devenir plus synth tique et de plus en plus souvent le po
124. lheurs angoissants et doulou reux qui ont frapp ses derni res ann es et il s amuse entrer en comp tition avec Part du vitrail en s exercant le d passer par une criture d une 56 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR perfection absolue qui cr e son tour un joyau resplendissant de lumi res et denchantement Julien h ros l gendaire au gr d une Providence nigmatique et inson dable conna t dans les deux premi res parties du conte une enfance choy e et heureuse ensuite une jeunesse d abord insouciante puis audacieuse et combl e menac es toutefois l une et l autre par une cruaut inexplicable et la proph tie atroce du cerf noir dont il a extermin la famille Un jour c ur f roce tu assassineras ton p re et ta m re Flaubert 19524 632 L horreur qu il ressent pour une telle ventualit sa fuite du chateau natal et l loignement extr me de ses parents ne pourront rien contre la fatalit providentielle jeune prince riche et heureux quoique souffrant de m lan colie cause d un vague pressentiment p nible et apparemment injustifi Julien finira dans un moment de fureur et sans savoir qui il est en train de tuer par accomplir la proph tie in luctable C est alors que commence la troisi me partie du conte qui narre toute l horreur de Julien pour son forfait abominable sa vie de mendiant la recherche d une expiation impossible ses errances dans un monde o il
125. lus h las Une grande confiance en moi des bonds d me superbes quelque chose d imp tueux dans toute la personne Je r vais l amour la gloire le Beau J avais le coeur large comme le monde et j aspirais tous les vents du ciel Et puis peu peu je me suis racorni us fl tri Ah je n accuse personne que moi m me Je me suis ab m dans des gymnastiques sentimentales insens es J ai pris plaisir combattre mes sens et me torturer le coeur J ai repouss les ivresses humaines qui soffraient Voil pourquoi je me trouve trente six ans si vide et parfois si fatigu 30 mars 1857 Le ton somme toute r sign et r fl chi de cette lettre prouve que Flaubert a d sormais fait le tour de sa propre structure psychologique qu il sait ma triser calmement cependant il n oubliera pas il n oublie jamais rien d ailleurs les particuli res connotations du vieillir quand on est jeune qu il avait si bien envisag es dans ses premi res tentatives litt raires et nous retrouverons dans quelques uns de ses chefs d uvre cette m me donn e repr sent e avec une prodigieuse force de suggestion ou avec une profon deur psychologique ind passable je pense plus sp cialement saint Julien et Emma Bovary Dans La L gende de saint Julien l Hospitalier Flaubert d ploie tout son amour pour le merveilleux chr tien et pour les atmosph res d un Moyen ge ma gique et l gendaire qui le distraient des ma
126. marqu Raymonde Debray Genette 1988 77 La description de la maison au premier chapitre s arr tera au seuil de cette chambre qui ne sera d crite qu au chapitre IV afin que viennent s y amasser tous les d bris des naufrages sentimentaux sous l il vitreux par instant rayonnant de Loulou Deux ordres diff rents d objets s accumulent dans cette chambre qui a l air tout la fois d une chapelle et d un bazar Flaubert 19524 617 ceux que Flaubert d finit comme choses h t roclites mais qui r sument la vie de F licit et de sa ma tresse et les objets religieux garants de la foi simple et imag e de la servante C est au milieu de cette double s rie l une affective et l autre religieuse que s installe le perroquet empaill en en r alisant en quelque sorte la parfaite synth se tre aim entre tous presque un fils un amoureux 615 aux yeux de F licit Loulou se transforme petit petit dans le symbole du Saint Esprit mais puisque le symbole devenait pour elle toute la r alit 2 Loulou se confond d sormais avec l entit divine elle m me 19 J ai emprunt ce terme d existence souvenir Hans Peter Lund 1994 57 2 Ce passage du manuscrit f 398vo est cit par Raymonde Debray Genette 1988 182 Je rappelle qu on retrouve cette m me confusion entre le sens litt ral et le sens figur dans l esprit de Salammb elle prenait ces conceptions
127. me ayant soixante ans Louise Colet 31 janvier 1852 On l aura compris chaque ann e de sa jeunesse puis de son ge m r Flaubert ne manque jamais d insister sur son vieillissement pr matur et progressif en arrivant jusqu s exercer quand il n a pas encore trente et un ans aux horreurs extr mes que pourrait entra ner ce processus selon le m me proc d du grotesque triste mais cette fois bien plus lugubre que nous lui avons vu exercer avec Du Camp l poque du voyage en Orient 105 LIANA NISSIM B ouilhet et moi nous avons pass toute notre soir e de di manche nous faire des tableaux anticip s de notre d cr pitude Nous nous voyions vieux mis rables l hospice des incurables balayant les rues et dans nos habits tach s parlant du temps daujourd hui Nous nous sommes d abord fait rire puis presque pleurer Louise Colet 16 novembre 1852 Cependant comme je l annoncais plus haut au moment venu Flaubert vieillit pr matur ment et vieillit mal Il est vrai que les circonstances ext rieures ont t crasantes en contribuant pour beaucoup son tat d acca blement qui semble irr parable la mort de Louis Bouilhet en 1869 celle de Sainte Beuve la m me ann e celle de Jules Duplan en 1870 et celle de Jules de Goncourt puis la guerre l occupation de Croisset le d sastre de la d faite la Commune qui donnent Flaubert la conviction de la fin d un m
128. mme l amant de coeur ce qui le rehaussait dans son estime et le rajeunit Flaubert 1952c 344 345 Comme on peut le constater par la citation le rajeunissement d Arnoux est donn dans le texte selon cette focalisation incertaine qui fait l une des qua lit s fondamentales de l criture de Flaubert ce qui le rajeunit peut constituer une donn e objective point de vue du narrateur omniscient et impersonnel aussi bien qu une impression du personnage lui m me po int de vue d Arnoux Si dans la phrase qu on vient de citer la v rit reste ind cidable les pages qui suivent vont apporter la r ponse objective Pour rester seul avec Rosa nette Arnoux imagine de faire une bonne farce Flaubert 1952c 345 aux d pens de Fr d ric il le prie de monter la garde sa place puisqu une affaire urgente l attirait pour vingt quatre heures en province Ibidem la grande surprise g n rale Arnoux se pr sente au poste de garde onze heures du soir plein d entrain tout joyeux choy par ses compagnons bien d cid offrir souper Fr d ric En r alit Il n avait pas eu d affaire C tait une invention pour passer vingt quatre heures seul avec Rosanette Mais le brave Arnoux avait trop pr sum de lui m me si bien que dans sa lassitude un remords l avait pris Il venait faire des remerciements Fr d ric et lui offrir souper Flaubert 1952c 345 346 Le brav
129. moureux o la prunelle se perdait tandis qu un souffle fort cartait ses narines minces et relevait le coin charnu de ses l vres On e t dit qu un artiste habile en cor ruption avait dispos sur sa nuque la torsade de ses cheveux ils s enroulaient en une masse lourde n gligemment et selon les hasards de l adult re qui les d nouait tous les jours Flaubert 19514 500 503 Vieille Emma Bovary Tout au contraire nous sommes en pr sence du portrait d une femme magnifique qui s panoulit enfin dans la pl nitude de sa nature 503 mais quel cart entre cette femme sensuelle corrom pue la chair triomphante et la jeune fille fra che et r veuse des Bertaux D ailleurs si elle est au sommet d une sorte de pl nitude clatante Emma est loin de s en contenter c est encore la passion absolue qu avec ent tement elle r ve de vivre elle a trop peur de rencontrer encore sur son chemin l ennui d un amour banal et elle veut fuir avec Rodolphe vers un ailleurs vague et merveilleux qui seul garantirait un in puisable bonheur Et ce sera in vitablement le choc brutal contre le mur de la hideuse r alit l abandon de Rodolphe la longue et morne maladie d Emma Qui pourrait reconna tre la femme splendide effront e magnifique dont nous venons de relire le portrait dans la val tudinaire affaiblie engourdie confin e entre le lit et le fauteuil qu est devenue Emma apr s Rodolphe Mais
130. n J tais splendide je peux le dire mainte nant Mais depuis je me suis furieusement d t rior Il y a des matins o je me fais peur moi m me tant j ai de rides et Pair us Louise Colet 31 mars 1853 De m me deux ans plus t t il crivait sa m re 29 LIANA NISSIM Attends toi me retrouver aux trois quarts chauve avec une mine culott e beaucoup de barbe et de ventre D cid ment j en laidis j en suis afflig Ah je ne suis plus ce magnifique jouven cel d il y a dix ans Dans onze mois j aurai 30 ans 30 ans c est l ge de la raison Je ren ai gu re pourtant sa m re 20 gt janvier 1851 En effet d s son voyage en Orient les premiers sympt mes d un vieillisse ment pr matur apparaissent dans son physique qui le transforment petit petit dans le grand et gros g ant aux moustaches tombantes la voix tonnante au teint rougeaud aux lourdes paupi res que la tradition nous a transmis comme dans cette page c l bre de Guy de Maupassant Le jeune Gustave grand et mince gar on de seize ans aux che veux boucl s tombant sur les paules tait beau para t il d une beaut olympienne de jeune dieu grec Cette beaut physique dura peu Un voyage en Orient le fatigua et l alourdit et il devint alors l homme que nous avons connu un grand un fort un superbe Gaulois aux normes mous taches au nez puissant aux sourcils pais abritant
131. n les soldats les chol riques les r fugi s polonais le p re Colmiche enfin ce vieillard horriblement malade et abandonn dans les d combres je ne crois pas que ce soit cause de son appartenance au peuple la s ur de F licit et sa famille les fermiers de Mme Aubain la servante et la nourrice d Emma Bovary beaucoup de personnages dans Bouvard et P cuchet sont aussi du peuple mais tous me semble t il pensent tr s bassement 9I LIANA NISSIM dune porcherie sa capacit invincible damour Brombert 1971 157 devient un exemple in gal de la vertu th ologale de la Charit Quoi d ton nant si apr s la mort du pauvre clochard le jour m me o elle fit dire une messe pour le repos de son me Flaubert 19524 612 il lui advint un grand bonheur Ibidem en mani re de r compense ou plut t comme une sorte de Gr ce soit l arriv e du perroquet dans la maison Comme le rappelle Maurice Bard che 1974 345 les pauvres les humbles objets aux quels elle applique son aveugle et disponible amour le r fugi polonais le p re Colmiche toutes ces paves pr parent l entr e radieuse du perroquet dans son c ur Raymonde Debray Genette 1988 72 en tudiant la gen se du conte af firme entre autre la donn e fondamentale est un amour doublement d vi ou d voy la b te supplante l homme elle supplante aussi Dieu C est
132. n amas de peau rugueuse lui pendait sur le front ses deux oreilles en s cartant de sa t te commen aient grandir et les rides profondes qui formaient des demi cercles autour de ses narines lui donnaient un aspect trange et effrayant lair d une b te farouche Sa voix d natur e ressemblait un rugissement Flaubert 1951b 833 Au retour d Hamilcar pendant la r union des Anciens o les destins de Carthage doivent se d cider Hannon para t encore plus malade et mons trueux Il avait peint avec du fard les ulc res de sa figure Mais la poudre dor de ses cheveux lui tait tomb e sur les paules o elle fai sait deux plaques brillantes et ils paraissaient blanch tres fins et cr pus comme de la laine Des linges imbib s d un parfum gras qui d gouttelait sur les dalles enveloppaient ses mains et sa maladie sans doute avait consid rablement augment car ses yeux disparaissaient sous les plis de ses paupi res Pour voir il lui fallait se renverser la t te Flaubert 1951b 846 Le narrateur ne le rapproche ici aucun animal mais cest Hamilcar lui m me qui quelques lignes apr s cette description se charge de le comparer au rhinoc ros Tu fais comme le rhinoc ros qui pi tine dans sa fiente tu tales ta sottise tais toi Flaubert 1951b 847 Cependant le temps passe les batailles se succ dent aux batailles les vic toires aux checs et les fortunes des deux arm es restent tou
133. n qu il rudoie la jeune fille en l accusant d tre la cause de la guerre et en lan ant ses impr cations contre Matho ce Barbare qui pr tendait poss der des choses saintes Flaubert 1951b 959 Salammb pour laquelle comme l a si bien montr Luigi Foscolo Benedetto 1929 132 Schahabarim tait un tre sup rieur qu elle v n rait presque un m le a connu d sormais un homme vrai et pr sent elle n prouvait pour lui aucune terreur Les angoisses dont elle souffrait l avaient abandonn e Flaubert 1951b 959 D lit irr missible aux yeux du pr tre d lit qui avive les jalousies de son im puissance Ibidem et le pr cipite dans la d ch ance marquant son vieillis sement ac r de p re incestueux 9 et d laiss la haine d cha n e l envie d chirante la jalousie furieuse envers M tho seront d sormais le lot du vieux pr tre comme le prouve la seule rencontre distance entre lui et son rival Un homme en robe blanche se promenait au bord du rempart M tho vint passer sous lui Tout coup ses prunelles flamboy rent sa face livide se crispa et en levant ses deux bras maigres il lui criait des injures M tho ne les entendit pas mais il sentit entrer dans son coeur un regard si cruel et furieux qu il en poussa un rugissement Flaubert 1951b 968 Cette haine cette jalousie aveugles pour le guerrier barbare et le m pris acharn envers soi m me e
134. nce et l autre le monde Le voil donc moine obscur ignor dans un couvent Flaubert 20010 137 138 Le temps lui m me d ailleurs le temps qui est la cause de la d ch ance de l homme et de sa fin est repr sent dans un conte de 1837 comme un vieillard pire comme une horrible vieille chose cheveux blancs Le temps passe vite dans la joie vite aussi dans les larmes et ce vieillard court toujours sans perdre haleine Cours vite marche sans rel che fauche et abats sans piti vieille chose cheveux blancs Marche et cours toujours tra ne ta mi s re toi qui es condamn vivre et m ne nous bien vite dans la fosse commune o tu jettes ainsi ce qui barre ton chemin Flaubert 20011 263 Lamour surtout est au centre de la r flexion du jeune Flaubert l amour soumis lui aussi aux plus horribles transformations du vieillir qu il d crit dans M moires d un fou Il y a tant damour de la vie pour l homme A quatre ans amour des chevaux dix amour de la petite fille qui joue avec vous treize amour d une grande femme la gorge replete Enfin quatorze ou quinze amour d une jeune fille qui vient chez vous Puis seize amour d une autre femme jusqu vingt cinq Puis on aime peut tre la femme avec qui on se mariera Cinq ans plus tard on aime la danseuse qui fait sauter sa robe de gaze sur ses cuisses charnues Enfin trente six amour de la d p
135. ndant lequel se multiplient les signes de m sentente et d agacement mutuels Leclerc 2000 16 prendra fin l ann e suivante en 1851 et les deux amis en reviendront beaucoup moins amis qu leur d part Lesrelationsentrelesdeuxhommessesontrefroidies DuCamp ne voit plus en Flaubert qu un amateur fougueux et brouillon et Flaubert d couvre en Du Camp un arriviste Troyat 1988 125 En effet d s leur retour Maxime Du Camp ne pensera qu a se pousser dans le monde et il se transformera en l homme s rieux en l acad micien que l on sait en renfermant le souvenir du p re Etienne et de son ami Qua rafon dans le fond de quelque tiroir oubli de sa m moire Flaubert lui l homme qui ne change jamais n oubliera pas son c t de vieux scheik comme le prouve toute sa correspondance jusqu cette lettre Maupassant de 1878 o Flaubert exhorte son disciple se d fendre du vice de la tristesse en concluant Croyez en l exp rience d un scheik qui aucune extravagance n est trang re 15 ao t 1878 Mais ce qui nous importe le plus dans cette invention grotesque et bouffonne des deux voyageurs est l volution laquelle ils soumettent leurs vieillards n s comme imitation comique des autorit s mesquines et ridicules rencon tr es dans les milieux arabes si proches des milieux bourgeois d Europe dou s au commencement du jeu d une vieillesse verte quoique av
136. ne r ussite sociale d risoire liquid e par une simple phrase banale d o poin tent des fois les signes d un vieillissement d sormais accompli ainsi pour R gimbart qui vit peine et se tra ne devant les caf s affaibli courb en deux vid un spectre Flaubert 1952c 454 ainsi pour Rosanette veuve de M Oudry tr s grosse maintenant norme Quelle d cadence Elle qui avait autrefois la taille si mince 454 5 C est Deslauriers qui prononce ce jugement sur Rosanette qu il a rencontr e l autre jour tenant par la main un petit gar on qu elle a adopt c est tout ce qu il dit contrairement 79 LIANA NISSIM Oui Fr d ric Deslauriers et tout leur monde ont subi un processus biolo gique de d p rissement qui a travaill la p te du vivant us les tissus fait prolif rer les globules blancs pour aboutir cet tat neutre leuc mique o ne reste plus qu une survie petit feu petit bruit Berthier 1981 10 Or ce vieillir maladif est provoqu certes par le manque de franchise et de hardiesse par l insignifiance m diocre des personnages mais aussi par Pair m me que respirent ces personnages le climat profond qui impr gne toute la trame du roman Duquette 1972 85 car c t du vieillissement individuel cest celui de toute une soci t qu envisage Flaubert dans L Edu cation sentimentale L histoire n a pas cess de suivre son cou
137. nent chaque mot un poids accablant en passant de quelques gestes qu elle tol re mal mais somme toute assez innocents aux menus traits de son visage qui prend les marques de l ge nous saisissons dans la bouffissure des pommettes et dans ces petits yeux qui remontent vers les tempes toute la b ance d une stupidit sans rem de et avec Emma avec sa m me irritation nerveuse nous nous sentons autoris s penser Quel pauvre homme quel pauvre homme Flaubert 19514 381 Jacques Arnoux lui west pas du tout stupide au contraire il est dou d une vive intelligence il est hyperactif toujours en mouvement toujours aux prises avec quelque nouvelle entreprise hasardeuse bien qu exhibant une ing nuit de corruption divertissante Flaubert 1952c 35 il est aimable et g n reux spontan tr s affectueux Tout le monde l aime et il aime tout le monde ceux qui travaillent pour lui tous ses amis y compris Fr d ric toutes les jeunes femmes qu il courtise sa ma tresse sa femme ses en fants En m me temps il est tr s go ste et superficiel il prend et il quitte sans jamais se g ner il triche et il ment en toute s r nit il d pense son argent et celui des autres sans le plus petit scrupule si bien qu il finira par se ruiner et par ruiner sa propre famille Nous sommes donc en pr sence dune personnalit riche et complexe destin e dans le roman un d ve loppement tr s articul Cep
138. nfiante de 61 LIANA NISSIM poss der enfin et pour toujours le bonheur dont le manque l avait tant fait souffrir dont la privation l avait vieillie on entre plein dans une phase heureuse crit Alain de Lattre 1980 25 o la r alit le r ve semblent se concilier En s apercevant dans la glace elle s tonna de son visage Jamais elle n avait eu les yeux si grands si noirs ni d une telle profon deur Quelque chose de subtil pandu sur sa personne la trans figurait Elle allait donc poss der enfin ces joies de l amour cette fi vre du bonheur dont elle avait d sesp r Elle entrait dans quelque chose de merveilleux o tout serait passion extase d lire une immensit bleu tre l entourait les sommets du sentiment tin celaient dans sa pens e Flaubert 19514 473 Elle r alisait la longue r verie de sa jeunesse dit le texte tout de suite apr s le passage que j ai cit mais cette r alisation n est son tour qu une longue r verie o rayonnent tous les mots lumineux signifiant les valeurs que le romantisme avait mises aux premi res places de l chelle axiolo gique amour bonheur passion extase d lire cependant le long de cette r verie un indice est pr sent comme une sorte de mise en garde pour le lecteur le futur hypoth tique des deux verbes elle allait poss der ces joies de l amour tout
139. nne propre en 1870 1988 155 16 Pierre Marc de Biasi attribue la positivit de F licit des raisons d appartenance sociale elle se distingue comme Catherine Leroux et on pourrait ajouter comme Dussardier de tous les autres personnages par son origine qui fait une diff rence radicale elle est du peuple Elle ne partage pas avec les bourgeois petits ou grands cette fatuit qui patauge dans les id es re ues cette compromission permanente de l esprit aux prises avec l obsession du profit elle ne pense pas bassement 1986 155 C est vrai que F licit ne pense pas bassement mais 90 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR et sans r serves qui wa rien voir ni avec le sentimentalisme larmoyant ni avec la passion orageuse de la tradition romantique ou de la mentalit bourgeoise un amour qui n attend rien en change mais qui agit dans la simplicit silencieuse du geste humble et quotidien Ainsi par exemple avec son neveu ch ri elle remplit sa fonction maternelle sans mot dire en le nourrissant en lui donnant tout ce qu elle peut en ayant soin de sa per sonne D s qu il arrive chez elle Tout de suite elle dressait son couvert Ils mangeaient l un en face de l autre et mangeant elle m me le moins possible pour pargner la d pense elle le bourrait tellement de nourriture qu il finissait par s endormir Ses parents le chargeaient toujours d en tirer quelque chose soit un paquet
140. nts heureux de Mme Arnoux qu une intervention du narrateur rel ve son m r panouissement qui marque cependant le progr s de l ge par rapport la premi re apparition sept ans plus t t Elle touchait au mois d ao t des femmes poque tout la fois de r flexion et de tendresse o la maturit qui commence colore le regard d une flamme plus profonde quand la force du c ur se m le l exp rience de la vie et que sur la fin de ses panouisse ments l tre complet d borde de richesses dans l harmonie de sa beaut Flaubert 1952c 303 304 Jamais loge plus mouvant ma t tiss de la femme au faite de sa matu rit en m me temps la m taphore d un t avanc et l expression sur la fin disent sans h sitation possible le commencement d un in luctable d clin et ce sera le rendez vous manqu l angoisse pour la maladie de son enfant quand les heures se succ d rent lourdes mornes interminables d sesp rantes Flaubert 1952c 313 puis son renoncement elle offrit Dieu comme un holocauste le sacrifice de sa premi re passion de sa seule faiblesse 313 le d ner si frustrant chez les Dambreuse pendant lequel pour Fr d ric se r veille le vieil amour 372 mais elle d couvre toutes les relations amoureuses du jeune homme ce sera encore le vieillisse ment aigri de son m nage Il Jacques Arnoux n tait pas heureux dans son int
141. onde de son monde que la mort de sa m re en 1872 vient achever cin quante ans Flaubert vit dans la sensation qu un d sert est en train de se faire autour de lui qu une partie de sa vie est r volue qu il entre maintenant dans la vieillesse de Biasi 1986 13 D j en 1870 il crivait Georges Sand J ai beau travailler a ne va pas a ne va pas Tout m irrite et me blesse et comme je me contiens devant le monde je suis pris de temps autre par des crises de larmes o il me semble que je vais crever Je sens enfin une chose toute nouvelle les approches de la vieillesse L ombre m envahit comme dirait le p re Hugo 17 mars 1870 tonnant Flaubert qui a toujours parl de sa vieillesse bien acquise et qui maintenant en ressent les approches comme d une chose toute nou velle C est que sa solitude devient effectivement totale il ne se reconna t plus dans le monde o pourtant il faut continuer vivre il se sent un Fos sile un individu qui n a plus de raison d tre dans le monde maintenant la Princesse Mathilde 30 mars 1872 La tr s c l bre lettre crite lisa Schl singer en 1872 r sume clairement cet tat des choses en insistant en m me temps sur toute la m lancolique grandeur de ses souvenirs les plus chers Ma vieille Amie ma vieille Tendresse Je ne peux pas voir votre criture sans tre remu C est dans la solitude que je me
142. ortie du couvent avec ses r veries sentimentales toutes colori es d azur et de rose Les app tits de la chair les d sires adult res les conjectures atroces sont d sormais ressen 60 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR ties et nomm s ouvertement et pourtant Emma ne conna t rien encore de ce qu elle r ve et de ce qu elle d sire Puis apr s le d part de L on c est la retomb e dans un tat de prostration et d ennui malade Comme au retour de la Vaubyessard elle avait une m lanco lie morne un d sespoir engourdi Mais comme l ouragan soufflait toujours et que la passion se consuma jusqu aux cendres et qu aucun secours ne vint qu au cun soleil ne parut il fut de tous c t s nuit compl te et elle demeura perdue dans un froid terrible qui la traversait Alors les mauvais jours de Tostes recommenc rent Elle s esti mait pr sent beaucoup plus malheureuse car elle avait l exp rience du chagrin avec la certitude qu il ne finirait pas Flaubert 19514 437 438 C est ce moment de son parcours que pour Emma commence explicite ment le processus du vieillir et ceci est pergu aussi bien par le regard des autres il s agit dans ce cas des bourgeoises d Yonville toujours en train de l pier que par son propre regard avec une de ces transitions dans les quelles on ne sait pas au juste o finit la pens e d un personnage o com mence celle du narrateur ou d un autre personnag
143. os dans la vieillesse et dans la vieillesse d une femme pauvre de plus en plus malade de plus en plus en ferm e dans une compl te solitude Le lent progr s de cette d ch ance est not pas pas dans le conte et celle qui apparaissait dans le premier chapitre comme un objet immuable et in sensible que rien ne peut entamer subit au contraire le d pouillement graduel de presque tous les sens Debray Genette 1988 73 les injures que le vieillir inflige tous sa vie s puise banale mis rable de plus en plus r duite l humilit d un corps qui va vers le n ant de Biasi 1986 30 Nous en constatons des signes voyants apr s la fuite du perroquet c est d abord une angine puis un mal d oreilles Trois ans plus tard elle tait sourde Flaubert 19524 614 et des bourdonnements illusoires ache vaient de la troubler 614 615 ainsi Le petit cercle de ses id es se r tr cit encore et le carillon des cloches le mugissement de boeufs n existaient plus Tous les tres fonctionnaient avec le silence des fant mes 615 Apr s la mort du perroquet la surdit confine une sorte d h b tude Ne communiquant avec personne elle vivait dans une torpeur de somnam 8 Ce m me critique a mis en garde sur l apparente simplicit du conte Dans Un c ur simple la simplicit affich e dissimule une complexit g n rique dont les copieux manus crits portent des tra
144. ose d horreur et d pouvante Ensuite ils song rent Giscon Nulle part on ne l apercevait une inqui tude les troubla Ils voulaient tout la fois se convaincre de sa mort et y participer Enfin trois pasteurs samnites le d couvri rent quinze pas de l endroito s levaitnagu re la tente de M tho Ils le reconnurent sa longue barbe et ils appel rent les autres tendu sur le dos les bras contre les hanches et les genoux ser r s il avait l air d un mort dispos pour le s pulcre Cependant ses c tes maigres s abaissaient et remontaient et ses yeux lar gement ouverts au milieu de sa figure toute p le regardaient dune fa on continue et intol rable Les Barbares le consid r rent d abord avec un grand tonnement g n s par de vieux 42 2 LE VIEUX ET LE VIELLIARD LA D GRADATION DU CORPS souvenirs ils se tenaient distance et n osaient porter la main sur lui Mais un Garamante lui prit la t te et l appuyant sur son genou il la sciait coups rapides elle tomba deux gros jets de sang firent un trou dans la poussi re Zarxas avait saut dessus et plus l ger qu un l opard il courait vers les Carthaginois Puis quand il fut aux deux tiers de la montagne il retira de sa poitrine la t te de Giscon en la tenant par la barbe il tourna son bras rapidement plusieurs fois et la masse enfin lanc e d crivit une longue parabole et disparut derri re le retr
145. ovoqu dans le camp d Autharite le chef des Gaulois Rest e seule avec le za mph Sa lammb voit se relever le bas de la tente Une forme monstrueuse apparut Salammb ne distingua d abord que les deux yeux avec une longue barbe blanche qui pendait jusqu terre car le reste du corps embarrass dans les guenilles d un v tement fauve tra nait contre le sol et chaque mouvement pour avancer les deux mains entraient dans la barbe puis retombaient En rampant ainsi elle ar riva jusqu ses pieds et Salammb reconnut le vieux Giscon En effet les Mercenaires pour emp cher les anciens captifs de s enfuir coup de barre d airain leur avaient cass les jambes LIANA NISSIM et ils pourrissaient tous p le m le dans une fosse au milieu des immondices Flaubert 1951b 927 Aid par ses compagnons Giscon tait arriv sortir de la fosse puis avec les coudes et les mains il s tait train jusqu la tente de M tho Flaubert 1951b 927 o il avait tout entendu de la rencontre amoureuse Il ne sait pas il ne saura jamais que Salammb a ob i aux ordres de son maitre le grand pontife de Tanit il ne sait pas que le but de la fille d Ha milcar est de s emparer du zaimph pour le rapporter Carthage et celle ci terrifi e n est capable de rien expliquer Salammb se rejeta vivement en arri re tant elle eut peur de cet tre immonde qui tait hideux comme une larve et
146. pointu sa peau semblait froide toucher et sa face jaune que des rides profondes labouraient comme contract e dans un d sir dans un chagrin ternel Flaubert 1951b 784 785 On reconna t dans ce corps malingre dans ce visage fl tri les traits de vieilles femmes m chantes qui avaient frapp Flaubert sa rencontre avec les eunuques tout le portrait nous dit une vieillesse am re et tourment e au del m me du ton calme imp rieux et froid que Schahabarim emploie avec son l ve pour lui expliquer une ni me fois ce qu il est autoris lui r v ler de la doctrine de Tanit Or Salammb vit constamment dans des troubles inquiets elle sent qu il y a des aspects de cette doctrine quelle voudrait conna tre tout prix et que le pr tre refuse de lui enseigner Elle manifeste donc un certain ressentiment envers lui en le croyant ma tre de joies ineffables qu il lui refuse tandis qu il prouve envers elle la m me rancune puisqu il sait bien lui que ces joies lui sont ni es tout jamais C est dans cette atmosph re ambigu que se d roule la premi re entrevue du roman pendant laquelle Salammb s adresse humblement Schahabarim en l appelant maitre et p re tout en lui reprochant de la m priser en le suppliant de satisfaire ses lancements int rieurs vers la d esse et la curiosit qui la d vore Flaubert 1951b 786 Ma tre et p re tel est le r le que Salammb reconna t au pr
147. propos e par Flaubert On sait qu il a crit les Trois contes au beau milieu de son immense travail pour Bouvard et P cuchet qui le d sesp rait or c est un fait d sormais bien tabli cette uvre inachev e et peut tre inachevable de Biasi 1986 8 dont le projet fut si mal compris par les contemporains de l auteur a t consid r e au XX si cle un exemple in gal de modernit en devenant le mod le pour un nouveau type de roman et d criture romanesque com mencer par les personnages par les deux protagonistes en particulier qui m nent son terme la transformation que je d crivais plus haut Jug s des mani res les plus diverses par les critiques Bouvard et P cuchet finissent souvent par en attirer la sympathie Nos deux c urs simples crit par exemple Michel Butor malgr leurs ridicules restent pro fond ment sympathiques d un bout l autre du livre parce qu ils sont les seuls demeurer honn tes et d sint ress s Butor 1984 194 195 Et Vic tor Brombert 1971 174 Les deux bonshommes finissent par acqu rir une dignit touchante Tout n est pas amertume et tristesse Les deux amis symbolisent le couple ternel leurs temp raments son compl mentaires Maurice Bard che crit son tour Bouvard et P cuchet sont deux hommes de bonne volont autodidactes born s et ridicules mais pour lesquels on sent quelque indulgence
148. que des M moires d un fou 1838 qui avoue Jeune j tais vieux mon c ur avait des rides et en voyant des vieillards encore vifs pleins denthousiasmes et de croyances je riais am rement sur moi m me si jeune si d sabus de la vie de l amour de la gloire de Dieu de tout ce qui est de tout ce qui peut tre Flaubert 2001h 471 Enfin ce m me tat d me d sesp r et cynique cette m me vieillesse d sabus e et am re d un homme jeune mais enfonc dans le d go t de la vie sont minutieusement analys s par le protagoniste narrateur de Novembre 1842 uvre d une beaut consid rable qui cl t la p riode romantique de Flaubert J ai savour longtemps ma vie perdue je me suis dit avec joie que ma jeunesse tait pass e car c est une joie de sentir le froid vous venir au c ur et de pouvoir dire le t tant de la main comme un foyer qui fume encore il ne br le plus J ai repass lentement dans toutes les choses de ma vie id es passions jours d em portements jours de deuil battements d espoir d chirements d angoisse J ai tout revu comme un homme qui visite les ca tacombes et qui regarde lentement des deux c t s des morts rang s apr s des morts compter les ann es cependant il wy a pas longtemps que je suis n mais j ai moi des souvenirs nombreux dont je me sens accabl comme le sont les vieillards de tous les jours qu ils ont v cus il me semble quelquefois que j a
149. r des grands Ernest Chevalier 19 avril 1864 Tous mes souvenirs de ma jeunesse crient sous mes pas comme les coquilles de la plage Chaque lame de la mer que je regarde tomber veille en moi des retentissements lointains J entends gronder les jours pass s et se presser comme des flots toute l interminable s rie des passions disparues Louise Colet 21 ao t 1853 Le culte pieux des souvenirs d un pass que pourtant Flaubert veut et consi d re d finitivement r volu quoique toujours vivant va de pair avec le rappel soi m me et aux autres d un parti pris de vieillesse choisie bien avant le temps vingt trois ans H las je ne suis plus si gai qu autrefois Je deviens vieux Ernest Chevalier 13 mai 1845 vingt quatre ans Maintenant je vois la maturit toucher la fl trissure Louise Colet 11 ao t 1846 vingt cinq ans mod re cette violence de passion cet emportement de caract re qui t a fait d j tant souffrir Fais toi vieille pour ma vieillesse Louise Colet 10 ao t 1847 vingt six ans tout tombe autour de moi il me semble parfois que je suis bien vieux Ernest Chevalier 10 avril 1848 vingt neuf ans ce n est pas un homme vieilli comme moi dans tous les exc s de la solitude qu il fallait aimer Louise Colet 23 octobre 1851 trente ans je me consid re comme ayant quarante ans comme ayant cinquante ans com
150. re Pourtant ils n ont jamais pu ressentir les atteintes de la vieillesse En effet Bouvard et P cuchet pendant leurs multiples aventures dans les plus divers domaines du savoir tout aussi d cevantes les unes apr s les autres toutes vou es des checs au fur et mesure plus amers et d ses p rants restent toujours les m mes Il y a certes un moment fondamen tal dans le roman qui marque l largissement inqui tant de leur t te Brombert 1971 177 moment condens dans la c l bre formule Alors une facult pitoyable se d veloppa dans leur esprit celle de voir la b tise et de ne plus la tol rer Flaubert 19994 320 mais ils restent tout le temps les m mes vieux enfants selon l excellente d finition qu en donne Claude Mouchard 1981 654 On a souvent prouv combien ces deux vieux enfants ressemblent au fond leur auteur quoique sur le mode du grotesque triste du comique 2 Je d sire souligner l importance de cette tude qui prouve d une mani re lucide et convain cante que les innovations structurales et d criture de Bouvard et P cuchet naissent d une moti vation philosophique profonde pr sente depuis toujours dans l esprit de Flaubert mais qui a rejoint d sormais une vidence bouleversante l inconstance la labilit de la r alit qui est faite comme dit le roman lui m me d une mati re ondoyante et fugitive Mouchard 1981 656 3 Pierre Marc d
151. re de Flaubert pendant ses cours universitaires en affichant ouvertement dans la narration m me leur statut d tres de pa pier Or cette sorte de d pouillement du personnage cette mani re de le d sin carner d en montrer les ficelles et les rouages qui r glent leur fonctionne ment pourraient faire penser de prime abord une certaine aridit une Cfr sur la probl matique de la voix Juliette Fr lich 1988 et Philippe Dufour 1988 98 4 VIEILLIR SELON FLAUBERT s cheresse st rile une cr ativit vieillissante Au contraire et la critique Pa souvent soulign nous sommes en pr sence d une r novation impo sante de l art du roman Les Trois contes crit Raymonde Debray Genette 1988 132 par leur date de production dans la vie de l crivain devraient ap para tre comme l expression de la derni re mani re si l on peut dire de Flaubert ouvrant sur la modernit Mais les Trois contes affichent dans leur titre conte l gende une sorte de re tour des formes tr s anciennes C est cause de cette apparente contradiction instances vers la modernit retour vers des formes anciennes que le critique s vertue prouver com ment Flaubert ne subit pas passivement les mod les antiques mais les re nouvelle en cr ant des formes modernes toutefois c est avant tout dans la restructuration du personnage que se situe mon sens la nouveaut la plus consid rable
152. re du jeune Dussardier perp tr par son copain S n cal que meurt la jeunesse de Fr d ric la jeunesse de sa g n ration il ne reste d sormais qu accepter le fait que la vie wa pas d autre vocation que de se vouer au ruminement infini de sa propre irr alit Berthier 1981 13 et le vieillissement de toute une soci t se profile laquelle il ne reste plus que la perspective de l amenui sement du ratatinement progressif jusqu l puisement du programme physiologique 15 81 LIANA NISSIM 3 3 VIEILLIR QUAND ON EST VIEUX La vie west pas dr le et je commence une lugubre vieillesse Emile Zola 13 ao t 1875 Le programme physiologique con u par Flaubert dans ses uvres ne s arr te pas au vieillir l ge m r le processus continue imperturbable et peut concerner aussi ceux qui ont d j atteint la vieillesse ce sujet il nous faut revenir Salammb malgr la question que j ai d j voqu e de la difficult psychologique dont se plaint Flaubert dans ses lettres Ernest Feydeau J ai bien du mal avec Carthage Ce qui m inqui te le plus c est le fond je veux dire la partie psychologique fin avril 1857 Ce qui m emb te trouver dans mon roman c est l l ment psychologique savoir la fa on de sentir fin juin ou d but juillet 1857 Ce qui me turlu pine c est le c t psychologique de mon histoire 12 d cembre 1857 Le
153. ries au moment o se situe la narration H rode Antipas a une cin quantaine d ann es et H rodias trente sept ans Flaubert 1986 152 nn dont la passion rest plus qu un tas de cendres refroidies H rodias n a d sormais qu une derni re carte jouer Antipas semble fatigu de ce vieil amour et pie les jeunes es claves Certes elle H rodias fut ensorcelante Pour elle An tipas a r pudi la fille du roi des Arabes provoquant ainsi une guerre Mais c est une reine d chue que nous avons faire Lorgueilleuse se sait condamn e Redoutant sa d faite elle fait alors appel sa fille Salom Salom c est H rodias Tout nous permet de penser qu ici s op re un glissement capital entre la m re et la fille Grauby 1994 84 85 En effet pour H rode l apparition de Salom constitue une sorte de mirage qui semble an antir le vieillissement Sur le haut de l estrade elle retira son voile C tait H rodias comme autrefois dans sa jeunesse Flaubert 1952b 675 La danse commence et l illusion d H rode devient compl te ensorcelante d une voix que des sanglots de volupt entrecoupaient il lui disait Viens viens 676 mais il ne s agit au juste que d une illusion on ne peut jamais revenir en arri re et la tentation d un retour la jeunesse se paye cher par un vieillissement qui a quelque chose de d finitif Le T trarque s affais
154. rieur domestique Mme Arnoux se montrait moins douce pour lui parfois m me un peu rude Marthe se rangeait toujours du c t de son p re Cela augmentait le d saccord et la maison devenait intol rable 385 75 LIANA NISSIM Ce sera enfin les retrouvailles combien provisoires o percent toute la souffrance toute la lassitude de Mme Arnoux elle est p le elle tremble elle frissonne les larmes lui viennent aux yeux cause du d saccord avec sa fille et cause de la suppos e trahison de Fr d ric au moment o elle recommence croire son amour elle lui confie la d solation de sa vie et le lecteur entrevoit toute la m lancolie d un vieillissement morne et so litaire S il wy avait que les chagrins dit elle les inqui tudes les hu miliations tout ce que j endure comme pouse et comme m re puisqu on doit mourir je ne me plaindrais pas ce qu il y a d affreux c est ma solitude sans personne 388 389 La r ponse r confortante de Fr d ric Mais je suis l moi 389 se ferme sur un long baiser aussit t coup par l entr e brutale de Rosanette qui an antit la r conciliation tant souhait e la situation sombre dans un grotesque grin ant et pour Mme Arnoux dans le d sespoir le rire aigu d chirant qui tombe sur la fuite de Fr d ric et Rosanette du haut de l escalier 389 qui serait selon Lucette Czyba 1983 180 le signe de l h
155. riorant et la confiance en moi le sentiment d une force vague et immense que l on respire avec lair tout cela d cline peu peu C est ce soir que je prends 36 ans 12 d cembre 1857 Les choses se sont us es d elles m mes pr sent je fais comme les choses dans cette courte et simple phrase se concentre toute la vision de Flaubert sur le vieillir elle exprime le sens d une fatalit absolue mais en m me temps une attitude sereine de compr hension sinon d acceptation dun parcours in luctable C est qu cette date Flaubert a d sormais la bor fond la complexit du vieillir comme le prouvent par exemple deux r flexions propos es dans la premi re ducation sentimentale crite entre 1843 et 1845 La premi re concerne l usure de l amour la transformation de la passion en penchant d amiti et d habitude ainsi que son acheminement vers la d cr pitude Ce qu il en vint sentir pour son ancienne ma tresse qui tait toujours sa ma tresse mais plus la m me cependant ne fut plus qu un tendre penchant d amiti et d habitude pareil ce lui que nous avons pour nos vieilles connaissances et nos vieux meubles Quand on a v cu longtemps ensemble que l on s est vus jeunes et que l on se voit vieux on n observe pas chaque jour chaque parcelle du beau sentiment d autrefois qui se d grade et tombe en ruines non plus que le velours qui se r pe la soie qui se fane les rides qui s
156. rn e sur la terrasse du palais o H rode se trouvait depuis longtemps Quelqu un l avait touch Il se retourna H rodias tait devant lui Une simarre de pourpre l g re l enveloppait jusqu aux sandales Sortie pr cipitamment de sa chambre elle n avait ni collier ni pendants d oreilles une tresse de ses cheveux noirs lui tombait sur un bras et senfoncait par le bout dans l intervalle de ses deux seins Ses narines trop remont es palpitaient Flaubert 1952b 652 Pendant le colloque avec H rode elle fait valoir toutes ses intrigues celles pour l limination de son fr re Agrippa qui avait brigu contre eux le titre de roi elle tale en vain tous ses arts pour amener le T trarque supprimer le Baptiste ennemi dangereux qui lui a inflig une br lante humiliation elle fait recours aux larmes au chantage la col re aux reproches en accusant H rode d indiff rence aux outrages de mollesse de l chet H rodias se trouve en effet dans une situation difficile elle a peur d tre r pudi e par H rode tout en le m prisant profond ment puisque incapable de r aliser son r ve d empire Elle songeait que le T trarque s aviserait peut tre de la r pudier Alors tout serait perdu Depuis son enfance elle nour rissait le r ve d un grand empire C tait pour y atteindre que d laissant son premier poux elle s tait jointe celui l qui lavait dup e pensait
157. roman de Jacques Arnoux nous saurons seu lement travers une phrase bien synth tique de sa femme qu une quin zaine d ann es plus tard Arnoux presque toujours malade semblait un vieillard Flaubert 1952c 449 sa mort peu de temps apr s sera annonc e par Fr d ric lui m me la derni re page du roman Cependant dans Madame Bovary aussi bien que dans L Education sentimen tale le vieillir n est gu re un fait minemment biologique puisque le c t psychologique comme nous le verrons par la suite est toujours impliqu d une mani re inextricable dans le processus du vieillissement Dans Salammb au contraire o Flaubert refoule intentionnellement vers l arri re fond l analyse psychologique jug e impossible pour des peuples si loign s dans le temps et dans l espace en la substituant par une repr 39 LIANA NISSIM sentation mythique et symbolique le poids du biologique du mat riel du corporel devient fondamental presque obs dant Dans ce roman deux personnages au moins figurent d une mani re clatante la d ch ance physique du vieillir les deux suff tes de Carthage Giscon et Hannon Pour ces deux grands chefs de la ville Flaubert ne se prive pas d ac tiver son go t pour la vision binoculaire pour les doubles oppos s Giscon qui se d finit lui m me comme l ternel adversaire du suff te Hannon Flaubert 1951b 796 est un g n ral intelligent
158. rouv naturellement au fil des ann es ses admirateurs et son public non seulement elle constitue le v ritable mode d emploi de l uvre romanesque mais elle participe directement la gloire de son auteur 14 INTRODUCTION Enfin la critique a toujours reconnu la tr s grande importance des struc tures th matiques dans l uvre de Flaubert en voyant m me comme l crit par exemple Victor Brombert 1971 65 une des grandes innovations de Flaubert dans la priorit des structures th matiques par rapport la narration Bien videmment les tudes th matiques concernant l uvre de Flaubert sont innombrables et souvent d une ampleur et d une profondeur admi rables4 cependant le th me du vieillir quoique souvent voqu n a pas vraiment connu un approfondissement sp cifiques or je crois qu il consti tue l un des enjeux significatifs de la pens e et de l uvre flaubertiennes Pune des cl s qui nous permettent d y p n trer en profondeur comme j es p re le prouver dans ces pages 4 Toute citation critique serait une niaiserie et une injustice qu il me soit permis toutefois de rappeler au moins l tude fondatrice de Don Louis Demorest 1931 5 Sauf erreur de ma part bien entendu Selon Michel Martinez 2002 7 pour prendre connaissance de tous les articles et de tous les ouvrages consacr s Flaubert depuis la parution de Madame Bovary il faudrait un l
159. rs crit Michel Crouzet et elle a impos chacun sa loi de vieillissement de d senchantement de stabilit dans la m diocrit Crouzet 1981 85 Pire l histoire elle m me vieillit la r volution vieillit entre les v nements de f vrier 1848 et ceux de juin tout un processus de vieillissement s instaure o la ferveur utopique l unanimit enthousiaste le ralliement universel se r v lent illusoires il faut d sormais prendre partie la r volution populaire est devenue lutte de classe l insurrection est vaincue par la garde nationale dans des affrontements sanglants la r pression est f roce la restauration s organise les conservateurs uvrent pour leur retour la direction des affaires en condamnant en fait la R publique maintenant qu on tait d barrass des vaincus on souhaitait l tre des vainqueurs Flaubert 19520 378 et Fr d ric si peu impliqu au fond si indiff rent aux v nements politiques est capable de donner une lecture de la situation extr mement lucide tout en se dissociant de l engagement r volutionnaire voici les pa roles d finitives et proph tiques qu il d verse dans l oreille de Deslau riers Borie 1995 237 L tincelle manquait Vous tiez simplement de petits bour geois et les meilleurs d entre vous des cuistres Quant aux ou vriers ils peuvent se plaindre car vous n avez rien fait pour eux que des phrases
160. rs ne valait la peine d une recherche tout mentait Chaque sou rire cachait un b illement d ennui chaque joie une mal diction tout plaisir son d go t et les meilleurs baisers ne vous laissaient sur la l vre qu une irr alisable envie d une volupt plus haute Flaubert 19514 584 Chaque sourire cachait un b illement dennui ce fragment extrait du texte ce vers alexandrin puisque cen est un qui pourrait tre sign Charles Baudelaire r sume lui seul la hideur du processus du vieillir qui ronge par sa pourriture l existence humaine depuis la plus tendre enfance Emma pour qui le glas de la v rit a sonn trop tard se laisse aller la d ch ance de son vieillir elle chasse Charles de la chambre nuptiale pour ne pas avoir la nuit aupr s delle cet homme tendu qui dormait elle finit force de grimaces par le rel guer au second tage Flaubert 19514 588 elle se met chercher de l argent partout alors Madame exp dia des factures chez deux ou trois clients et bient t usa largement de ce moyen qui lui r ussissait 587 elle marchande avec rapacit pour se 67 LIANA NISSIM faire de l argent elle se mit vendre ses vieux gants ses vieux chapeaux la vieille ferraille 587 et dans cette phrase la vieillesse est trois fois nom m e quoique transf r e par m tonymie de la personne aux objets dont elle se d fait elle
161. rtrait des personnages s parpille en com posantes subtiles et fugitives relev es de temps autre au cours du roman 1 propos de ce portrait vu par Emma et par Flaubert Lucette Czyba 1983 83 pr cise la fascination qu exerce sur Emma celui qui para t incarner l id al de la passion amoureuse aristocratique s oppose la trivialit des d tails objectifs choisis par le romancier pour signi fier le g tisme du personnage 22 1 FIGURES DE VIEILLARDS au hasard des v nements et des rencontres comme cette image aper ue par Fr d ric qui est en train de courir au beau milieu des troubles de 1848 une fen tre ouverte un vieillard en manches de chemise pleurait les yeux lev s Flaubert 1952c 366 certes dans le salon des Dambreuse il se trouve toujours quelque vieillard chevelure blanche 267 qui chu chote d affaires ou de politique avec M Dambreuse ou quelque vieille du chesse que Madame Dambreuse accueille respectueusement 268 mais la vieillesse n est d sormais repr sent e que par un simple signe m tony mique front d garni cheveux blancs barbe grisatre et d ailleurs L Edu cation sentimentale constitue de notre point de vue un texte bien autrement significatif qu une simple galerie de portraits comme nous aurons l occa sion de le constater dans les chapitres suivants 1 2 JOUER LE VIEILLARD Je l appelle p re tienne moi il wap p
162. s des siennes cependant il n est pas difficile de supposer que le terrible vieillard devait s amuser norm ment confondre ce pauvre Zola et tonner contre les th ories naturalistes que celui ci avait si attentivement bricol es et que Flaubert m prisait souverainement Or tr s souvent le jeu et la mystification investissent les aspects les plus tonnants ou les plus comiques du vieillir puisque Flaubert s amuse assumer lui m me les connotations et la faiblesse des vieux n aime t il pas signer fr quemment les lettres adress es sa ni ce Caroline par ta vieille Nounou en prenant ainsi une certaine distance par rapport sa tendresse et sa sensibilit envers celle qui est en fait comme sa fille en demandant en m me temps un peu plus d attention pour lui ou en la ser monnant doucement Mais d autres signatures manifestent ce go t pour le travestissement et la d rision qui est en m me temps une joyeuse et tr s lucide autocritique ainsi il est tour tour un vieux quarafon un vieux cruchard soit le R P Cruchard des Barnabites directeur des Dames de la D sillusion George Sand 24 avril 1873 comme il le signale dans une lettre George Sand un vieux cruchard de plus en plus f l selon une autre lettre la m me correspondante 27 mars 1875 ou bien il se surnomme Vieux tout simplement on peut saisir tout l humour dont est capable Flaubert dans
163. s critiques sensibles aux opinions de l auteur ont en g n ral accueilli ces aveux et reproch dans leurs tudes la faiblesse psychologique du roman cependant Giorgetto Giorgi en passant en revue les notations de la critique reconna t Albert Thibaudet le m rite d avoir pressenti que la v rit de Sa lammb rest pas dans la psychologie individuelle mais dans le rapport de chaque personnage avec les arri re plans historiques De m me Claudine Gothot Mersch 1993 1222 selon laquelle dans Salammb les traits psy chologiques sont l pour justifier au coup par coup les v nements re conna t que si l analyse psychologique est superficielle proc d plut t que sujet d observation l auteur r cup re sur le plan de la pens e collective de la pens e antique ce qu il perd sur le plan de la psychologie individuelle 1235 Pas ou peu de psychologie donc pour la plupart des personnages de Sa lammb comme le prouve d ailleurs le fait que nous avons analys dans ces pages le vieillir de deux personnages assez importants Giscon et Han 6 Solo il Thibaudet intu che la verit di Salammb non di tipo psicologico cos M tho Salammb Amilcare Barca non vivono di per s soli Come caratteri essi sarebbero inadeguati se dietro di loro non esistessero delle masse l esercito dei mercenari da una parte Cartagine dall altra Nel romanzo i personaggi
164. s efforce de r gler par une m diation pa tiente et quilibr e toute l affaire des Barbares mais d sormais il est trop tard etil choue dans son entreprise en tombant prisonnier des Mercenaires Bien que la sc ne dure quelques pages Giscon n est presque pas d crit sauf au moment o les Barbares s emparent de lui et de ses compagnons Il les regardait en face sans parler avec ses grands yeux jaunes et sa longue figure plus p le que sa barbe Une fl che arr t e par les plumes se tenait son oreille dans son large anneau d or et un filet de sang coulait de sa tiare sur son paule un geste de M tho tous s avanc rent Il carta les bras Spen dius avec un n ud coulant l treignit aux poignets beau coup de Carthaginois avaient voulu l accompagner On les entra na en dehors des tentes et on les pr cipita dans la fosse des immondices Flaubert 1951b 799 800 C est dans cette fosse immonde que la vieillesse di Giscon va se consommer Nous ne le retrouverons que cent trente pages plus tard dans l dition de la Pl iade au moment o dans une sc ne combien sensuelle et ivre de jeunesse Salammb pour r cup rer le zaimph le voile sacr de la d esse Tanit que Matho avait vol vient de se donner au chef barbare rappel la r alit inexorable de la guerre celui ci a t oblig de quitter sa tente en pleine nuit appel vers l incendie que les Carthaginois ont pr
165. s hommages Comme cadeaux on m a donn une paire de chaussettes de soie un foulard trois bouquets une cou ronne un portrait espagnol de saint Polycarpe une dent relique 25 LIANA NISSIM du saint et il va venir une caisse de fleurs de Nice J oubliais un menu compos de plats tous intitul s d apr s mes uvres V ritablement j ai t touch de tout le mal qu on avait pris pour me divertir Je soup onne mon disciple d avoir fortement coo p r ces farces aimables sa ni ce Caroline 28 avril 1880 Mais parmi toutes ces signatures burlesques c est celle de scheik ou de vieux scheik qui m rite que l on s y arr te un peu plus longuement Lori gine de ce sobriquet remonte l poque du voyage en Egypte avec Maxime Du Camp quand Flaubert n avait pas encore trente ans Pendant les lentes heures de navigation le long du Nil instruits par leurs rencontres dans les villes et les villages gyptiens ils inventent pour se distraire des person nages qui deviendront chaque jour plus complexes et amusants Nous passons peu pr s tout notre temps crit Flaubert sa m re le 24 juin 1850 faire les scheik c est dire les vieux le scheik explique t il est le vieux monsieur inepte rentier consid r tr s tabli hors d ge Du scheik simple nous sommes arriv s au scheik double c est dire au dialogue Puis le scheik a vieilli et est d
166. s vieux us c ur de tout Je me perds dans mes souvenirs d enfance comme un vieillard Georges Sand 27 mars 1875 Une goutte errante des douleurs qui se prom nent partout une invincible m lancolie le sentiment de l inutilit universelle et de grands doutes sur le livre que je fais voil ce que j ai ch re et vaillant ma tre Ah la vieillesse ne s annonce pas sous des couleurs folichonnes Georges Sand 10 mai 1875 La ruine conomique provoqu e par le mari de sa ni ce qui jette Flaubert dans un tat de pauvret Flaubert n avait plus rien son h ritage avait disparu ses revenus n existaient plus Bard che 1974 360 ach ve de terrasser l crivain pour qui commence une lugubre vieillesse mile Zola 13 ao t 1875 Sous le coup de la ruine il crit Georges Sand cette lettre Depuis un an je sentais venir un grand malheur quelconque Mon spleen n avait pas d autre cause Maintenant c est fait En admettant les choses au mieux il nous restera peine de quoi vivre ch tivement Depuis ma jeunesse j ai tout sacrifi ma tranquillit d esprit Elle est maintenant perdue tout jamais Vous savez que je ne suis pas un poseur Eh bien je souhaite crever le plus vite pos sible car je suis fini vid et plus vieux que si j avais cent ans notez que j ai 54 ans et qu cet ge l on ne change pas d habi tudes on ne
167. sa sur lui m me cras Manna i pr senta la t te coup e Antipas Des pleurs coul rent sur les joues du T trarque 73 LIANA NISSIM Les flambeaux s teignaient Les convives partirent et il ne resta plus dans la salle qu Antipas les mains contre ses tempes et regardant toujours la t te coup e Flaubert 1952b 676 678 Si H rodias ne donne qu une seule image tr s frappante il est vrai mais rapide comme un clair du vieillir l ge m r L ducation sentimentale en constitue au contraire le d ploiement le plus accompli que l on puisse souhaiter La dur e m me de l intrigue du 15 septembre 1840 l hiver 1868 1869 exige l approfondissement du th me en 1867 la derni re rencontre de Mme Arnoux et de Fr d ric celui ci a quarante cinq ans elle plus de cinquante Tout le roman par ailleurs n est que le t moignage de la fuite victorieuse du temps qui fait son uvre Digeon 1970 170 et puisqu il ne s agit plus dune histoire individuelle mais de celle d une g n ration et d une soci t enti re dont on explore l volution pendant une trentaine d ann es on par court in vitablement son vieillissement collectif marqu surtout par l chec politique et r volutionnaire puisque ce roman comme l crit Victor Brom bert 1971 103 est le po me de la banqueroute et de l rosion le roman d une immense d sertion ou selon Jean Pierre
168. se sent un monstre qui ne peut qu tre exclu du commerce des hommes et il est tellement ex crable ses propres yeux qu il finit par tomber dans le p ch de la d sesp rance Or dans l criture du conte Flaubert respecte les proc d s propres de la l gende en n employant jamais de d terminants temporels d finis auxquels il pr f re de rares indications vagues un jour un soir peu de temps apr s souvent bient t Toujours est il que la premi re partie qui raconte l en fance de Julien occupe onze pages dans l dition de la Pl iade la deuxi me qui raconte la glorieuse jeunesse du cavalier combattant contre toutes les injustices ses entreprises h ro ques et son mariage heureux avec la fille de l empereur d Occitanie jusqu au parricide en occupe peu pr s neuf la narration de son errance douloureuse avant son chemin vers la saintet n occupe qu une page et demie De sorte que le lecteur a la conviction que Julien est encore jeune quand il d cide enfin de se suicider et voici la page inouie qui explique son renoncement se tuer Le temps n apaisa pas sa souffrance Elle devenait intol rable Il r solut de mourir Et un jour qu il se trouvait au bord d une fontaine comme il se penchait dessus pour juger de la profondeur de l eau il vit pa ra tre en face de lui un vieillard tout d charn barbe blanche et d un aspect si lamentable qu il lui fut impossible de retenir ses pleurs
169. serait passion extase d lire bient t l illusion dans laquelle Emma s est jet e corps perdu laisse entrevoir l inconsistance de son r ve dans le monde r el le d sir et l exp rience v cue ne coincident gu re et Rodolphe avec son bon sens bourgeois Flaubert ro51a 481 et son temp rament brutal 444 est l pour en t moigner Il n avait plus comme autrefois de ces mots si doux qui la faisait pleurer ni de ces v h mentes caresses qui la rendaient folle si bien que leur grand amour o elle vivait plong e parut se diminuer sous elle comme l eau d un fleuve qui s absorberait dans son lit et elle aper ut la vase Elle n y voulut pas croire elle redoubla de tendresse et Rodolphe de moins en moins cacha son indiff rence Flaubert 1951 481 La vraie d ch ance d Emma commence ce moment elle n y voulut pas croire dit le texte et pourtant au bout de six mois ils se trouvaient l un vis vis de l autre comme deux mari s qui entretiennent tranquillement une flamme domestique Flaubert 19510 481 C est ici que se d voilent toute la b tise et toute la grandeur d Emma Bovary Sa grandeur est prouv e par la longue r verie r flexion laquelle elle s abandonne apr s avoir re u une lettre tr s tendre et tr s affectueuse de son p re 62 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR Elle crut presque apercevoir son p re se courbant vers l tre pour s
170. si muovono in funzione degli sfondi storici si riflette nel loro animo un dramma collettivo Giorgi 1970 378 7 M me s il s agit d une probl matique qui d borde les limites de cette tude je voudrais rappeler que Raymonde Debray Genette 1983 158 a prouv que souvent chez Flaubert la description se substitue au commentaire psychologique en en exer ant les m mes fonctions ce qui me para t particuli rement vrai pour Salammbo 82 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR non d un point de vue exclusivement physique le seul qui nous est don n d apercevoir On peut toutefois relever une exception relative certes constitu e par le personnage de Schahabarim le grand pr tre de Tanit qui a lev Salammb Dans son tude consacr e l influence de l Orient dans l uvre de Flaubert Giovanni Bonaccorso 1979 160 soutient que le seul portrait authentique de tout le roman est celui de Schahabarim vale a dire scavato anche in profondit e non limitato alla sola esteriorit Malheureusement cette constatation pertinente conduit le critique envisager dans ce portrait la caricature de Maxime Du Camp ex cut e par Eug ne Giraud puis dans le rapport Salammb Schahabarim une projection des rapports Flaubert Du Camp ce qui me para t tr s discutable et d un int r t douteux Cependant Bonaccorso a raison de noter que par rapport aux autres personnages ce lui de Schahabarim est plus
171. soign non seulement sous le rapport physique mais aussi moral intellectuel spirituel 161 C est l int rieur de cette perspective qu il faut prendre en compte le per sonnage tout en retenant qu on est en pr sence d une psychologie particu li re li e la condition d eunuque de Schahabarim Dans une lettre de 1850 Louis Bouilhet Flaubert crivait propos des eunuques blancs Ils ressemblent de vieilles femmes m chantes Cela vous irrite les nerfs et vous tourmente l esprit On se sent pris de curiosit s d vorantes en m me temps qu un sentiment bourgeois vous les fait ha r Il y a l quelque chose de tellement antinormal plasti quement parlant que votre virilit en est choqu e Que n au rais je pas donn en Orient pour me faire lami d un eunuque Mais ils sont inabordables 19 d cembre 1850 Figure repoussante et captivante la fois celle de l eunuque dont Flaubert cherche percer le myst re dans Salammb en cr ant le personnage de Schahabarim Gis le S ginger en tudiant la composition de ce dernier dans les sc narios du roman d finit son r le qui lui semble fondamental pour la structuration mythique de l uvre Flaubert pr cise que ce nom Schahabarim signifie brisement Il est donc pr destin par un nom qui annonce le r le qu il jouera dans la perte de virginit de sa prot g e Il int rio Comme le signale Jean Bruneau dans un
172. t Saint Julien et Un c ur simple constate entre autres que le personnage Ne se dresse plus comme une sorte d tre pr sent vivant mim Il s vide son tre de papier s miette et se diss mine Son illusion de r alit d pend tout enti re des autres proc d s du r cit Parall lement par exemple le portrait se morcelle le plus souvent incomplet dispers au long du texte quand il n est pas donn apr s la mort du personnage Debray Genette 1983 140 Ces constatations concernent mon avis tous les personnages des Trois contes y compris les protagonistes nous avons dit par exemple que F licit volue au cours de la narration mais personne ne pourra jamais oublier le portrait du premier chapitre la femme en bois fonctionnant d une ma ni re automatique Flaubert 19524 592 Julien est tout fait d pourvu de psychologie il est constamment agi par une volont ext rieure son esprit par des pr dictions et des pr sages par une fatalit myst rieuse qui lui en l ve toute libert et toute coh rence psychologique il west qu une image de vitrail blouissante mais bidimensionnelle Saint Jean n est qu une voix rugissante aux accents inhumains et Salom une belle poup e qui danse Tous ces personnages me semble t il vont de plus en plus vers le geste m canique vers le d clic fig vers le scatto fisso dont parle Sergio Cigada dans ses analyses de l uv
173. t progressivement imprim son visage maigre et pliss de rides n est plus d sormais qu une pomme de reinette fl trie son regard p le incapable de toute expression a pris le mutisme placide des animaux et ses mains ses mains surtout qui se sont ab m es dans les plus durs travaux ont subi une longue transformation que sou ligne l intense num ration ternaire encro tes raill es durcies en gardant la fin une double fonction celle de rester ternellement ouvertes 33 LIANA NISSIM comme pour servir encore et encore celle de t moigner la longue s quelle des souffrances endur es Si cette description dans sa p n trante duret m me assure au personnage une dignit humble et mesur e la seconde image de Madame Bovary que je voudrais retenir pr sentant le vieillir de Charles est de tout autre nature Il Charles Bovary prenait avec l ge des allures paisses il coupait au dessert le bouchon des bouteilles vides il se passait apr s manger la langue sur les dents il faisait en avalant sa soupe un gloussement chaque gorg e et comme il commen ait d engraisser ses yeux d j petits semblaient remont s vers les tempes par la bouffissure de ses pommettes Flaubert 19514 381 Le passage peut sembler tr s sobre cependant les yeux d Emma puisque c est travers son regard que nous voyons Charles des yeux charg s de d go t et de m pris don
174. t son ancienne foi am nent Schahabarim l acte inexpiable de l apostasie ce p le eunuque ext nu de mac rations Flaubert 1951b 980 accomplit malgr les hu es de la foule et les rires col reux des pr tres de Moloch un acte d adoration envers le dieu en rompant le dernier lien qui attachait les mes une divinit cl mente Ibidem Le grand pr tre crit Victor Brombert 1971 87 spirituellement mutil se place au service de l horreur et le l extermination en effet c est lui figure grotesque et spectrale de vieillard d bile et furieux qui arrache le coeur palpitant de M tho en l offrant au soleil Un homme s lan a sur le cadavre Bien qu il f t sans barbe il avait l paule le manteau des pr tres de Moloch et la ceinture l esp ce de couteau leur servant d pecer les viandes sacr es et que terminait au bout du manche une spatule dor D un seul coup il fendit la poitrine de Matho puis en arracha le c ur le posa sur la cuiller et Schahabarim levant son bras l offrit au soleil Flaubert 1951b 1027 9 C est la d finition que donne d Hamilcar Yvonne Bargues Rollins 1998 258 mais qui me semble bien plus appropri e pour Schahabarim 1 Je me permets de souligner la perplexit que suscitent certains commentaires de Sa 87 LIANA NISSIM Bernard Masson 1981 593 rel ve la perfidie implacable de ce geste horri fiant
175. tre qui a lev e ainsi pourrait on le voir comme une sorte de double d Hamil car le guerrier intr pide et impitoyable tr s dur lui aussi avec sa fille qu il couve pourtant d un il per ant chaque rencontre mais qui s en occupe tr s rarement en laissant Schahabarim la charge de ce rapport d licat et 84 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR trop engageant Charge tr s lourde pour le vieil asc te pour leunuque qui convoite Salammb mais qui est condamn se consumer dans un d sir st rile Brombert 1971 85 c est la cause de ses duret s inflexibles et de la satisfaction sadique dont l accuse Lucette Czyba 1983 156 qu il prouve en la voyant humili e et tremblante ses pieds Il la repoussa d un geste v h ment et plein d orgueil Ton d sir est un sacril ge Elle tomba sur les genoux et elle sanglotait cras e par la parole du pr tre pleine la fois de col re contre lui de terreur et d humiliation Schahabarim debout restait plus insensible que les pierres de la terrasse Il la regardait de haut en bas fr missante ses pieds il prouvait une sorte de joie en la voyant souffrir pour la divinit qu il ne pouvait lui non plus treindre toute enti re Flaubert 1951b 786 C est la fin de cette entrevue qu apparait l horizon l arm e des Barbares d s lors l quilibre pr caire du vieil eunuque entre dans une
176. tre utile de rappeler quelques donn es fondamentales souvent pr sent es et appro fondies par les innombrables travaux sur cet auteur donn es qui consti tuent le tremplin incontournable pour toute r flexion sur son uvre et en particulier pour celle que je proposerai dans ces pages Le premier l ment que je voudrais mettre en relief est le lien profond qui existe entre toutes les uvres de Flaubert derri re la profusion et la vari t de cette mati re crit par exemple Victor Brombert 1971 34 propos des uvres de jeunesse on reconna t une continuit de motifs qui claire la parent d uvres premi re vue aussi disparates que Madame Bovary Salammb et Bouvard et P cuchet et Guy Sagnes dans sa Notice concernant Passion et Vertu tient souligner qu il n y a pas au moment de la composition de Madame Bovary une inspiration directe au conte de jeu nesse bien plut t une convergence id ale Les similitudes des deux r cits tiennent l esprit de leur auteur Les sujets chez lui se ressemblent et drainent des mani res sem blables de les traiter Une vie et cela d s 1837 est toujours l his toire d un r ve d u Les hommes sont des goistes en amour les mots servent tromper et les c r monies sociales sont ridicules C est la fois pour Ernest le protagoniste masculin de Passion et Vertu pour Rodolphe et pour Fr d ric Moreau qu une ma tresse Toutes les cit
177. u cosm tique sur ses moustaches haussa ses bretelles pour tendre ses sous pieds et tout en se lavant les mains Il me faudrait deux dessus de porte deux cent cinquante la pi ce genre Boucher est ce convenu Flaubert 1952c 68 Pris d attendrissement il donne sa femme devant le monde un baiser Flaubert 1952c 80 mais elle absente il se laisse surprendre dans sa propre maison les cheveux bouriff s la face cramoisie 95 en pleins bats amoureux avec sa ma tresse Il aime faire sauter en l air tr s haut 139 son tout petit enfant puis tout de suite apr s il d campe pour faire la f te chez Rosanette o il pr pare lui m me le punch organise le d ner Arnoux commandait aux domestiques en les tutoyant battait la r mou lade go tait les sauces rigolait avec la bonne 153 Ses r actions dans toutes les circonstances sont essentiellement physiques corporelles ainsi quand sa femme d couvre qu il a incontestablement achet un cachemire pour sa ma tresse Arnoux rougit jusqu aux oreilles et ses traits d compos s s enfl rent 197 quand il obtient de Fr d ric l argent qui le sauve de la faillite il ne se soucie gu re de le rembourser contrairement ses promesses et avec son cigare entre ses dents blanches et son air heureux il a quelque chose d intol rable 215 quand il croit que Fr d ric s est battu en duel cause de lu
178. udio sul realismo storico di Gustave Flaubert Firenze Bemporad Berthier P 1981 La Seine le Nil et le voyage du rien in Aa Vv eds Histoire et langage dans l ducation sentimentale de Flaubert Paris CDU et CEDES r unis Bonaccorso G 1979 L Oriente nella narrativa di Gustave Flaubert Messina EDAS Borie J 1995 Fr d ric et les amis des hommes Paris Grasset Brombert V 1971 Flaubert Paris Seuil Bruneau J 1962 Les D buts litt raires de Gustave Flaubert Pairs Armand Colin Burgelin C 1989 Graal Flaubert ou la le on de m thode de Julian Barnes in F Le cercle S Messina eds Flaubert l autre Pour Jean Bruneau Presses Universi taires de Lyon Butor M 1984 Improvisations sur Flaubert Paris Le Sphinx Editions de la diff rence Cigada S 1989 Le chapitre des Comices et la structure de la double opposition dans Madame Bovary in F Lecercle S Messina eds Flaubert l autre Pour Jean Bruneau Presses Universitaires de Lyon Cogny P 1975 L ducation sentimentale de Flaubert le monde en creux Paris Larousse 1981 Flaubert et la qualification de la femme dans L Education sentimentale in Aa Vv eds Histoire et langage dans Education sentimentale de Flaubert Pa ris CDU et CEDES r unis Crouzet M 1981 L ducation sentimentale et le genre historique in Aa Vv eds Histoire et langage dans l Education sentimentale
179. ues lignes qui montrent tout le parcours dun vieillissement acrimonieux et maussade Enjou e jadis expansive et tout aimante elle tait en vieillis sant devenue la fa on du vin vent qui se tourne en vinaigre d humeur difficile piaillarde nerveuse Elle avait tant souffert sans se plaindre d abord quand elle le son mari voyait courir apr s toutes les gotons de village et que vingt mauvais lieux le lui renvoyaient le soir blas et puant l ivresse Puis l orgueil s tait r volt Alors elle s tait tue avalant sa rage dans un stoicisme muet qu elle garda jusqu sa mort Flaubert 19514 330 69 LIANA NISSIM C est ainsi d j d humeur difficile piaillarde nerveuse qu Emma conna t cette femme qui au mariage de son fils n avait pas desserr les dents de la journ e pour n avoir pas t consult e ni sur la toilette de la bru ni sur l ordonnance du festin Flaubert 19510 352 qui la critiquera toujours en essayant en vain de lui imposer son autorit dans un rapport de plus en plus difficile Elle rangeait son linge dans les armoires et lui apprenait sur veiller le boucher quand il lui apportait la viande Emma recevait ces le ons madame Bovary les prodiguait et les mots de ma fille et de ma m re s changeaient tout le long du jour accompagn s d un petit fr missement des l vres chacune lan ant des paroles douces d une voix tremblante de col
180. uise Colet 1 juin 1853 Plus tard partir de 1865 il suivra pas pas le vieillissement progressif de sa m re voici quelques exemples de ses constatations afflig es On a mis ce matin un v sicatoire ta grand m re Jamais je ne Pai vue souffrir aussi terriblement que cette nuit J oubliais de te dire que ta bonne maman vous engage ne plus coucher chez elle cause des cris quelle fait la nuit sa ni ce Caroline 15 ao t 1865 L tat de ma m re ne me donne pas pour le moment d inqui tudes graves Mais a m emb te et m occupe beaucoup Elle a pass tout un mois sans fermer l il et avec des douleurs telles que je ne pouvais coucher dans ma chambre etc etc Les n vralgies arrivant cet ge l sont longues Et les vieillards ne sont pas commodes soigner Edmond et Jules de Goncourt 1 septembre 1865 Ma m re ne contribue pas me rendre gai Elle s affaiblit s ai grit s attriste et m attriste George Sand 27 juillet 1867 J ai trouv ma m re de plus en plus sourde et faible Une conversation suivie est devenue maintenant impossible Quelle triste chose que la vieillesse la Princesse Mathilde 15 juin 1869 Le pire de l invasion pendant la guerre de 1870 pour moi c est qu elle a vieilli de dix ans ma pauvre bonne femme de m re Quel changement Elle ne peut plus marcher seule et elle est dune faiblesse navrante Comme cest triste de voir
181. ussi il a t artiste il portait un couteau poignard et r vait des plans de drames Puis a t un tudiant fol tre du quartier latin Puis il a t re u docteur L le comique du s rieux a commenc Il est devenu grave Magistrat il est r actionnaire mari il sera cocu et passant ainsi sa vie entre sa femelle ses enfants et les turpitudes de son m tier voil un gaillard qui aura accompli en lui toutes les conditions de l huma nit 15 d cembre 1850 Trois ans plus tard il crit Louise Colet Les sentimentalit s des vieux n ont d autre cause que la mine rechign e de la putain leur aspect Tu crois qu ils cherchent l amour Nenni ils vitent seulement une humiliation et t chent de faire fuir loin d eux la preuve vidente de leur vieillesse ou de leur laideur 28 octobre 1853 En 1857 il crit Mlle Leroyer de Chantepie J ai beaucoup aim dans ma vie et on ne m a jamais trahi je n ai importuner la Providence d aucune plainte Mais les cho 1 En r alit le statut du narrateur est tr s incertain des fois il s attribue la moquerie du vieillard des fois il semble oublier sa vieillesse suppos e par exemple quand il avoue je voudrais tre vieux avoir des cheveux blancs Flaubert 2001h 514 SI LIANA NISSIM ses se sont us es d elles m mes pr sent je fais comme les choses Je vais chaque jour me d t
182. utation de la sp culation des honneurs cinquante amour du d ner du ministre ou de celui du maire soixante un amour de la fille de joie qui vous appelle travers les vitres et 50 3 LA COMPLEXIT DU VIEILLIR vers laquelle on jette un regard d impuissance un regret vers le pass Flaubert 2001h 498 Le narrateur se pr sente comme un vieillard qui la fin du passage cit peut affirmer j ai subi tous ces amours Flaubert 2001h 498 En r a lit quand il crit ces pages Flaubert n a que seize ans il a pourtant trac quoique par une criture assez touffue et spontan e plut t vague et g n rique la vision du vieillir qui restera toujours la sienne En 1846 il crit par exemple Ernest Chevalier Comme tout s en va comme tout s en va Les feuilles repoussent aux arbres mais pour nous o est le mois de mai qui nous rende les belles fleurs enlev es et les parfums m les de notre jeunesse 4 juin 1846 En 1850 la nouvelle du mariage de ce m me correspondant qui est son plus cher ami d enfance il crit sa m re de Constantinople une lettre charg e de sarcasmes qui retrace la vie pass e pr sente et future de son ami avec les m mes intentions qui avaient inspir les M moires d un fou Ce brave Ernest Le voil donc mari tabli et toujours magis trat par dessus le march Quelle balle de bourgeois et de mon sieur Lui a
183. voque sa surdit c est la mort de l oiseau qui approfondit son malaise c est la mort de Mme Aubain la dispersion des meubles et la mise en vente de la maison qui provoque l aggravation de son tat de sant Cependant contrairement ce qui se passe pour la plupart des person nages flaubertiens F licit chaque adversit du destin est capable de r agir en trouvant chaque fois un bonheur compensatoire Comment est ce possible Certes F licit est tr s limit e d un point de vue intellectuel sur ce point le texte est toujours tr s explicite elle ne comprend rien aux dogmes de la reli gion son intelligence born e 606 fait rire aux clats M Bourais quand elle demande voir la maison de son neveu sur la carte g ographique Mme Aubain ne se prive pas de lui dire Mon Dieu comme vous tes b te 615 et le cercle d j petit de ses id es dit le passage que j ai d j cit se r tr cit au four et mesure qu elle vieillit Cependant quelle que soient l ignorance de F licit son troitesse d esprit de Biasi 1986 30 elle poss de d autres vertus d autres qualit s tr s importantes aux yeux de Flaubert La premi re est son immense capacit damour un amour vrai 5 C est gr ce cette expression selon Raymonde Debray Genette qu on saute avec une rapidit de d cr pitude foudroyante et pourtant lente de la mort de sa de F licit ma tresse en 1853 la sie
184. yst rie de l ali nation du sujet tol rer lin tol rable est plut t mon sens le t moignage d une vieillesse d sormais in luctable face la chute d finitive de toute illusion de tout espoir Pour Mme Arnoux d sormais il n y aura plus que la vente aux ench res et le portrait cruel qu en donne Rosanette Une personne d un ge m r le teint couleur de r glisse la taille paisse des yeux grands comme des soupiraux de cave et vides comme eux Flaubert 1952c 441 Ou plut t non il y aura encore dix huit ans plus tard la derni re rencontre c l bre rencontre la quelle la critique a consacr une grande quantit de commentaires souvent tr s diff rents les uns des autres c est la grande sc ne que tant de lecteurs jugent exaltante et qui para t am re et p nible Jean Borie 1995 261 le quel arrive jusqu valuer comme sinistre 265 la coupe de la m che de cheveux blancs et qui signale toutes les ambigu t s tous les malentendus qui s accumulent pendant ce dernier colloque plein de torture et au fond d hypocrisie 266 Mme Arnoux qui ne rel ve ni les ambigu t s de la situation ni l hypocrisie de Fr d ric et qui est tout fait consciente d accomplir sa derni re d marche de femme Flaubert 1952c 453 accepte sans d faillir son vieillis sement si bien quen croyant sans r serves au trouble de Fr d ric elle s crie

Vieillir selon Flaubert - Dipartimento di Lingue e letterature straniere

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