Roland Schimmelpfennig : un monde sans mode d`emploi
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1. l occasion de sa cr ation par Nicolas Stemann octobre 2006 p 30 6 La Femme d avant op cit p 26 3 2 195 entit s tr s fortes M me s ils ne sont parfois que des silhouettes fugaces des figures sans nom l Homme au chien la Femme la fourchette ils sont toujours substan tiels croqu s partir de la vie r elle Appartenir des histoires extraordinaires ne les prive d aucune r alit vivent ils dans un tableau combattent ils des extraterrestres ou succombent ils un amour foudroyant Les personnages de Schimmelpfennig sont fort s et en m me temps si prisonnier s d eux m me s comme s ils portaient leur destin e au cou Le monde qui les d termine nous parvient travers le filtre de leur subjectivit si bien que parfois il se dissout ou devient myst rieux Pas ton nant que Schimmelpfennig ait adapt pour la sc ne Alice au pays des merveilles 2002 2003 De cette focalisation interne jaillit l nigme renforc e par un grand nombre de monologues et une relative absence d intersubjectivit on ne sait jamais si le merveilleux est av r ou s il provient seulement de la perception du personnage Notre besoin de certitude ontologique n est satisfait ni par une constellation de points de vue ni par la voix de l auteur Ainsi Schimmelpfennig r ussit th traliser quelque chose de l ordre de notre propre relation au monde devenue incertaine d s lors que nous ne poss dons plus de t2. Article Roland Schimmelpfennig un monde sans mode d emploi Marion Boudier et Guillermo Pisani Jeu revue de th tre n 123 2 2007 p 191 196 Pour citer cet article utiliser l information suivante http id erudit org iderudit 24251ac Note les r gles d criture des r f rences bibliographiques peuvent varier selon les diff rents domaines du savoir Ce document est prot g par la loi sur le droit d auteur L utilisation des services d rudit y compris la reproduction est assujettie sa politique d utilisation que vous pouvez consulter l URI https apropos erudlit org fr usagers politique dutilisation rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l Universit de Montr al l Universit Laval et l Universit du Qu bec Montr al Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche rudit offre des services d dition num rique de documents scientifiques depuis 1998 Pour communiquer avec les responsables d rudit info erudit org Document t l charg le 16 November 2015 05 56 MARION BOUDIER ET GUILLERMO PISANI Roland Schimmelpfennig un monde sans mode d emploi uiconque fera l exp rience de lire l uvre de Roland Schimmelpfennig demeu rera sans doute habit par une sorte d nigme qui comme dans le cin ma de David Lynch incite y regarder une deuxi me fois Machine dramatique implacable ou chaos formidablement construit o
3. se tressent le tragique et le comique la my thologie et la culture contemporaine les genres et les modes artistiques ce th tre traite de l essentiel de la vie la mort en passant par l amour et les r ves travers les histoires de personnages ordinaires Ce tourbillon dramatique lectures multiples tr s souvent li un univers fantastique parle de l homme en restant ouvert sur le monde d aujourd hui ses repr sentations et ses fictions mais sans tenir de discours globalisant Aux c t s de Marius von Mayenburg Dea Loher ou Falk Richter notam ment Roland Schimmelpfennig est le plus prolixe des auteurs allemands de la nou velle vague apparue dans les ann es 90 apr s la chute du mur de Berlin et l re du th tre des metteurs en sc ne dominante historique et politique En dix ans il a crit une quinzaine de pi ces traduites ou en cours de traduction dans plus de six langues Publi es en 2004 par les ditions Fischer Francfort ses uvres compl tes sont d j d pass es car depuis trois pi ces importantes ont vu le jour Auf der Greif swalder Strasse Ende und Anfang Besuch bei dem Vater Roland Schimmelpfennig sera probablement bient t consid r comme l un des auteurs majeurs de ce d but du XXI si cle L nigme Schimmelpfennig lui m me ne semble pas se sentir concern par cette ventualit Lorsque nous l avons rencontr Lyon l occasion de la cr ation fran aise de la F
4. mais d crivent aussi ce qu ils voient et entendent ce qu ils font et ce que font les autres Chaque r plique fonctionne comme un plan cin matographique en cam ra sub jective La puissance de cette dramaturgie r sulte du montage altern de ces diff rents plans et de la syst matisation d un principe courant au cin ma les per sonnages cr ent la situation sans forc ment partager le m me espace D une r plique l autre on est dans un appartement un palais au milieu du d sert ou au fond d une bouteille de cognac Inutile de pr ciser quel point ce d fi lanc au plateau est excitant pour un metteur en sc ne ni combien celui ci court le risque de d cevoir le spectateur Cette virtuosit formelle n est pas un simple exercice de style Schimmelpfennig nous a confi qu il imagine d abord une histoire et que c est seulement lorsqu il a trouv la forme appropri e qu il commence l crire car en effet la forme porte son sens Le subjectivisme extr me qui r sulte de la construction d Une nuit arabe r pond ainsi au multiculturalisme irr conciliable de ses personnages Dans la Femme d avant 2003 2004 Schimmelpfennig choisit de bouleverser syst matiquement la chronolo gie avec des flash back et des flash forward pour parler du temps et de son influence sur lamour Romy Vogtl nder encore une femme fatale vient exiger de Frank amour d t qu elle n a pas revu depuis vingt quatre ans qu il honore
5. pour la rapsodie de motifs r currents au sein du langage cette fois dans le monologue Temps universel 1 1997 2000 qui explore le d sarroi et les souvenirs d une femme la recherche d instants d amour perdus 192 Roland Schimmelpfennig Photo Iko Freese Holger Foullois Drama Agentur t r Theaterlotografie Histoires de forme L alchimie entre merveilleux et explorations formelles s accomplit totalement dans Une nuit arabe 1999 pi ce charni re qui a r v l le g nie novateur de Schimmelpfennig et lui a valu une reconnaissance internationale Dans une tour d habitation quatre personnages d origines et d horizons divers gravitent autour d une jeune femme endormie qui les entra ne dans son r ve Maudite et attirante Vanina d cha ne la col re de sa colocataire Fatima qui la surprend avec son petit ami Khalil provoque la fascination du concierge Lemonnier parti la recherche d une fuite d eau dans les tages et le d sir de Karpati le voisin d en face qui s introduit dans l appartement Le temps d une nuit tous accomplissent leur destin e qui prend successivement l allure d un thriller d un vaudeville d un conte ou d une trag die Nous nous trouvons quelque part entre Hitchcock Feydeau et les Mille et Une Nuits L intrigue demeure nigma tique car la forme brave les lois de la causalit Le dialogue assume ce qui rel ve g n ralement des di dascalies les personnages conversent
6. sa promesse de l aimer toujours Dans Push Up 2001 la stricte sym trie de la forme fait cho au syst me conomique qui contraint les personnages pour progresser au sein d une entreprise multinationale trois couples de coll gues s affrontent dans des duels selon une alternance rigoureuse de monologues et de dialogues 123 2007 193 Des mosa ques d instants c t de ces pi ces organis es selon un principe formel global Avant Apr s 2002 repr sente une autre tendance de la dramaturgie de Schimmelpfenmig Gr ce une forme fragment e et hybride le r cit se d roule avec une grande libert L criture est composite ouverte aux mod les de repr sentation venus du roman de la peinture et du cin ma Comptant une trentaine de personnages la pi ce est compos e tel un patchwork d histoires pour la plupart ind pendantes qui occupent une ou plusieurs de ses 51 s quences o se m langent dialogues monologues et r cits pour parler du couple du temps des r ves et de la v rit r v l e dans l clat tragique de l instant Une architecture similaire sous tend la dramaturgie de Auf der Greifswalder Strasse 2005 2006 mais les histoires se r pondent davantage et les personnages partagent le m me espace temps une fin de semaine dans la rue Greifswalder de Berlin On se croirait dans le film Short Cuts Robert Altman 1993 le fantastique en plus Le retour de motifs et le croisement des personnages galement ca
7. aturel L nigme appara t d s les premi res pi ces Fisch um Fisch 1993 1999 et Die ewige Maria 1994 1996 dans un cadre familial et rural jeunes et p res s affrontent inter rogeant ainsi le pouvoir des traditions et des r gles mais des l ments magiques tel un poisson qui parle en vers ou la r surrection d un pendu font basculer cette appa rente dramaturgie du quotidien dans la description d un univers trange archa que voire mythique De la m me mani re dans des pi ces plus r centes comme Fiir eine bessere Welt 2003 et Ende und Anfang 2006 l vocation d extraterrestres ou d une souris lumineuse rendent incertaine la r alit de lunivers repr sent L uvre de Schimmelpfennig est travers e par des l ments cosmiques des mal dictions et des m tamorphoses qui voquent aussi bien la merveille du conte que la violence de la trag die et les visions de la science fiction Schimmelpfennig a commenc par explorer cette irruption de l trange dans le familier avec des formes dramatiques classiques avant de faire de la forme elle m me un l ment de l nigme Ses premiers textes t moignent d une grande ma trise des l ments traditionnels du drame le d coupage en sc nes dialogu es est pr cis toujours tendu par un fort enjeu et fond sur un syst me de relations entre les personnages quasi g om trique Ainsi couples et duos alternent se for ment et se s parent selon la force d attraction d u
8. de fouille dans nos repr sentations de la guerre il est par exemple fait allusion Apocalypse Now Francis Ford Coppola 1979 alors qu Avant Apr s multiplie les vocations cin ma tographiques jusqu reproduire dans une s quence compl tement didascalique la fa meuse sc ne de Mariage Royal Stanley Donen 1952 o Fred Astaire danse sur les murs et le plafond l vocation picturale hante galement la pi ce avec la mention du retable de Gr newald et le plongeon d un homme dans un tableau Ces kal idoscopes d images et de formes interrogent les possibilit s de la repr sentation th trale que montrer et comment Lors de notre rencontre Schimmelpfennig nous a livr une cl pour la mise en sc ne de ses textes les images sont cr es par la parole dans la t te du spectateur et un spectacle qui superposerait trop d images r elles ce cin ma mental risquerait de le d truire Il ne s agit pas pour autant de ne plus rien donner voir sur sc ne Au c ur de ce th tre hybride la fois visuel et narratif instantan et merveilleux qui met les cat gories dramaturgiques l preuve les personnages demeurent des 4 Theater braucht keine Romantik entretien avec Andreas Beck l occasion de la cr ation de la Femme d avant par Stephan M ller programme de l Akademietheater Burgtheater Vienne 2004 5 Ende und Anfang texte reproduit dans le programme de l Akademietheater Burgtheater Vienne
9. emme d avant il nous est apparu comme un homme r serv et timide mais non d nu d ironie Il nous a racont comment alors qu il a tudi la mise en sc ne et tra vaill comme dramaturge la Schaub hne il a paradoxalement ressenti le besoin de l Voir sous la rubrique Relecture l compte rendu d H l ne Jacques sur deux pi ces de Schimmelpfennig pr sent es Montr al 2 Ont t publi es en fran ais aux ditions de l Arche Paris Une nuit arabe Die arabische Nacht et Push Up 1 3 en 2002 Avant Apr s Vorher Naber et Temps universel 1 MEZ en 2003 la Femme d avant Die Frau von fr her en 2006 Nous mentionnerons les pi ces non traduites avec leur titre original et ferons suivre les titres de leur date d criture entre parenth ses suivie de la date de publication si elle diff re 3 Mise en sc ne de Claudia Stavisky au Th tre des C lestins du 7 au 26 novembre 2006 1123 2007 2 191 quitter l institution th trale pour crire Il travaille d sormais la commande comme auteur ind pendant Les yeux brillants derri re ses grandes lunettes il affirme provo cateur que ses pi ces sont beaucoup plus simples que ce que les metteurs en sc ne en font souvent Il n est pas moins vrai qu elles semblent pi g es Certes elles se d roulent g n ralement dans des environnements familiers des appartements des bu reaux la rue ou la campagne mais leur r alisme est teint de magie et de surn
10. h orie pour l appr hender de fa on holiste Comme ses personnages nous continuons agir dans un monde dont nous ne poss dons plus le mode d emploi J 7 Une nuit arabe Paris L Arche p 61 196 RR A Auf der Greifswalder Strasse de Roland Schimme lplennig mis en sc ne par J rgen Gosch au Deutsches Theater Berlin en janvier 2006 Photo Iko Freese Drama Agentur f r Theaterfotogralie
11. mperceptible changement quand fut l heure si ce n tait pas seulement une minute laquelle le malheur a commenc dans laquelle le cours de la vie a chang demande Isabel son demi fr re dans Ende und Anfang Tous les person nages de cette pi ce dont le titre en cho Avant Apr s signifie fin et d but se demandent comment trouver un nouveau d part apr s la fin apr s l chec profes sionnel ou sentimental apr s la mort subie ou recherch e Avec une acuit digne de Tchekhov Schimmelpfennig m ne une r flexion sur le rapport entre temps et drame travers l exploration de l amour et du couple du r ve et de la r alit du vieillis sement et du souvenir Que produit le temps sur l homme Quelle est notre relation au pass et l avenir Une petite pierre trou e ramass e par Claudia dans la Femme d avant renferme cette nigme existentielle CLAUDIA Celui qui regarde travers le trou d une pierre porte bonheur celui l voit l avenir c est ce qu on dit FRANK Ou le pass a d pend de comment tu la tiens Le monde comme il est per u Schimmelpfennig joue sans cesse avec le processus de r ception du spectateur et son besoin de sens en proposant de fausses pistes en d tournant des figures de l imaginaire collectif et des st r otypes culturels notamment cin matographiques Dans Fiir eine bes sere Welt qui travers une s rie de sc nes parses aux limites de l absur
12. n tiers personnage comme dans Die Zuriefachen 1996 1997 et Aus den St dten in die W lder aus den W ldern in die St dte 1997 1998 Dans cette derni re diff rents couples partis la recherche de bois pour b tir la sc ne du nouveau th tre prouvent les tourments de la jalousie avant de se m tamorphoser en arbres Dans Die Zwiefachen Vandermaster et Tara qui poss dent la jeunesse ternelle mais ont perdu le bon heur de leur amour manipulent les relations de trois jeunes couples avant le bal du samedi soir tandis que deux cambrioleurs p n trent dans leur cave et y d cou vrent un coffre aux pouvoirs magiques Ces r critures du Songe d une nuit d t de Shakespeare t moignent de la double pr occupation de Schimmelpfennig pour la forme dramatique et la fable comme le r v le galement Keine Arbeit f r die Junge Frau im Fr blingskleid 1995 1996 qui fait alterner des sc nes m tath atrales jou es devant le rideau et des sc nes de genre intimes et provin ciales Mais c est avec Il y a longtemps c tait en mai 1996 2000 que se radi calise et s affirme la singularit d un auteur qui renouvelle l exp rimentation chacune de ses pi ces en 81 incroyables courts tableaux pour la sc ne ce texte d veloppe des figures nigmatiques un homme v lo une femme en robe du XVII si cle une femme avec une valise selon une structure musicale faite de r p titions et de variations On retrouve ce go t
13. ract ristiques de F r eine bessere Welt et Ende und Anfang donnent une apparence d unit et de coh rence ces pi ces mosa ques qui ne r pondent pas une dramaturgie organique clas sique fond e sur une causalit lin aire mais sont plut t inspir es de la th orie du chaos et des fractales Face certains pans de texte o rien n indique une th tralit particuli re lecteur et metteur en sc ne tout en ayant affaire une architecture dra matique une histoire sont aussi libres et d rout s que face un texte mat riau 194 EUS 2007 Une nuit arabe de Roland Schimmelpfennig mise en sc ne par Adrien B al Compagnie Lavomatic au Th tre de Vanves en janvier 2006 Photo Arnaud Bouvier La g om trie variable de ces pi ces va de pair avec un traitement du temps sous la forme d instantan s quasi photographiques Ces gros plans cr ent une certaine proxi mit avec les personnages m me si la fable est clat e Schimmelpfennig qui a sous titr sa derni re pi ce sc ne et esquisses Besuch bei dem Vater 2007 voque son go t pour les s quences courtes et denses en parlant de dramaturgie du polaro d Il inscrit ses histoires dans des moments de transition et de bouleversement motifs car selon lui le th tre n a pas besoin de romantisme mais d id es et s ancre toujours dans le changement d sir ou refus Dis moi quel fut l instant le moment du tournant l i
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