IncertaIn robert DoIsneau. cosmogramme photographIque et
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1. la publicit PP les gens se montrent n anmoins coupables de non clairvoyance ils ne regardent rien ils passent accabl s en rumi nant leur proc s de murs mitoyens TS Et Doisneau de conclure Vraiment les gens ne m ritent pas les yeux qu ils portent TS Les photographier alors prend tout son sens La premi re dimension du cosmogramme de Doisneau est donc ce territoire de la chasse avec ses tres ses moments ses attentes ses rat s et ses prises Engag dans une pratique solitaire Je ne fais pas la chasse courre d clare Doisneau Je suis l aff t ML 117 image voquant son tour des pratiques socialement discrimin es et discriminantes 8 le photographe entre dans des tats aux fronti res incertaines mi homme mi animal la fois pr dateur et soucieux d assurer la survie de l esp ce 10 66 il braconne une faune la fois aim e et fautive il lui vole des tr sors sans valeur ses yeux Les deux circuits Comme toute chasse la chasse aux images qu est la photogra 3 phie poss de une autre particularit savoir qu elle est la s quence d ouverture d une circulation de ses produits En effet une fois prises ei 2 les photographies du moins celles que Doisneau laisse sortir se mettent Incertain Robert Doisneau circuler Mais les circuits qu elles suivent ne sont pas tous identiques ni tous de m me valeur ni tous ma trisables Dans le cosmogramme de D2. La loupe je la sens au dessus de ma t te Dans quel pi ge suis je venu me mettre on ne peut mieux trouver pour perdre du temps 10 178 Le cosmogramme de Doisneau donne sens ses actions don ner du temps tre chass revient en perdre pour la chasse ou la p che aux images qui constituent le sens de sa vie La contrainte est pr sente mais rend d autant plus claire la voie suivre Je suis un braconnier farouche et totalement allergique au r le de b te curieuse 10 175 Si le photographe n appr cie pas que les r les soient invers s cela ne signifie pas on l a vu qu il ne puisse et doive jouer sur plusieurs tableaux Doisneau dessine avec une constance jamais d mentie 21 22 TIOT UN la division fondamentale de son cosmogramme entre travaux de commande et projets libres constituant deux rapports distincts la pratique photographique comme par exemple dans cette comparaison entre le studio et la rue Le photographe de studio fait de la culture en serre Le photographe de la rue lui est un voyou un braconnier ML 118 Selon Doisneau ces deux territoires sont r gis par des principes diff rents que ses propos autant que l organi sation graphique de Trois secondes d ternit notamment d crivent comme incommensurables Or il arrive n anmoins qu ils ne soient pas toujours respect s des ruptures peuvent survenir dans les logiques respectives de circulation de la valeur propr
3. TIOTAUN Pierre Lannoy INCERTAIN ROBERT DOISNEAU COSMOGRAMME PHOTOGRAPHIQUE ET RITOURNELLE AUTOBIOGRAPHIQUE Si tu fais des images ne parle pas n cris pas ne tanalyse pas ne r ponds aucune question C est au photographe Robert Doisneau que l on doit cette phrase laquelle pr c de lentretien qui ouvre le livre publi en 1983 que lui consacre la c l bre collection d ou vrages photographiques Photo Poche dit e par le Centre National de la Photographie N le 14 avril 1912 Gentilly d un p re ouvrier il tait m treur en couverture et plomberie et d une m re qui n tait autre que la fille cadette du patron de la petite entreprise parisienne o celui ci travaillait Doisneau quitta l cole treize ans pour se lancer dans Papprentissage de la lithographie domaine qu il abandonna rapidement pour s adonner la photographie En 1934 il est engag aux usines Renault de Billancourt comme photographe industriel Apr s avoir quitt les murs de l le Seguin et apr s la paren th se de la guerre il fut engag par l agence photographique Rapho laquelle il restera attach jusqu la fin de sa carri re et au nom de laquelle il r alisera de tr s nombreux reportages notamment dans les rues de Paris Si sa plus c l bre photographie Le Baiser de l H tel de Ville fut publi e pour la premi re fois en 1950 dans un num ro du magazine am ricain Life Doisneau n acquit une v r
4. Taschen 2003 pp 181 182 15 Sur ce point voir par exemple les belles pages de Philippe Desco la Les lances du cr puscule Paris Plon 1993 chap VIII ou de Tim Ingold The Perception of the Environment Essays in Livelihood Dwelling and Skill New York Routledge 2000 chap 3 16 Doisneau crit Il faut forcer cette d fense Il y a ce qui ne se retrouvera jamais qu il faut saisir tout prix Alors on prend d autorit Ou parfois on demande permission avec un sourire PC 171 Plus tard il parlera du photographe comme d un voyou et d un voleur ML 118 17 Sergio Dalla Bernardina Une Personne pas tout fait comme les autres L animal et son statut L Homme XXXI 4 n 120 1991 pp 33 50 18 En effet la chasse courre s est toujours d finie comme une pra tique aristocratique par rapport au braconnage ou Paff t consid r s comme des versions populaires de la chasse Voir Pin on M Pin on Charlot M La chasse courre ses rites et ses enjeux Paris Payot 1993 19 Chevrier Jean Fran ois Robert Doisneau Paris Union des Edi tions Modernes 1983 p 8 20 Tresch op cit p 74 21 Ollier Brigitte Robert Doisneau Paris Hazan 1996 p 16 22 Gautrand op cit p 182 23 Chevrier op cit p 8 24 Ollier op cit p 16 25 Norbert Elias Mozart Sociologie d un g nie Paris Seuil 1991 26 Van Campenhoudt Luc Cr ation artistique et changement
5. dans ses postures naturelles parce qu elles sont d ploy es et v cues d embl e comme des gestes de monstration de soi dont l image publique fait partie int grante Doisneau raconte d ailleurs n avoir pas os lors de la r alisation de ses premiers travaux photographiques dans les rues de la banlieue parisienne prendre d images des gens Ses premiers sujets seront des enfants moins farouches car moins im pr gn s des codes sociaux du milieu Mais la relation la personne pho tographi e restera toujours une question centrale pour Doisneau dont on verra plus loin qu elle d terminera la valeur que pourront prendre les images qu il r alisera Le cosmogramme animalisant de Doisneau se pr sente ainsi comme lexpression de la condition commune qu il partage avec ses sujets populaires tant lui m me issu de ce milieu et Payant fr quent assid ment lors de ces ann es pass es comme photo graphe industriel chez Renault entre 1934 et 1939 partageant le quo tidien des ouvriers du pointage au r fectoire du m tro l atelier En recourant cette s mantique cyn g tique Doisneau actualise par ailleurs un cosmogramme bien connu des anthropologues celui par tag par de nombreuses cosmogonies de peuples de chasseurs dans 15 16 TIOT UN lequel pr dateurs et proies sont cens s poss der une commune na ture qui les unit ontologiquement Malgr cette condition com mune le chasseur se voit comm
6. res posthume d un de ses rares tirages originaux qui fut acquis pour la somme de 185 000 euros Mais la photographie peut galement devenir vrai t moi gnage constat d huissier capable de confondre les ouvriers en gr ve ou les amants en rue raison pour laquelle Doisneau refusa de les photographier Ces deux modes d existence de la photographie et donc indissociablement du photographe qui la pratique constituent les fronti res extr mes du cosmogramme au sein duquel le plus c l bre des photographes humanistes a con u sa trajectoire biographique La cl de son uvre serait elle tout enti re contenue dans cette fable territoriale Loin de moi cette id e tout au plus serais je satisfait si la suite de ces quelques lignes pouvaient tre r tablis face des vidences pingl es immortelles quelques contrepoisons moins sucr s oh juste comme a pas pour emb ter juste un doigt de flou 4 27 28 TIOT UN NOTES 1 Sur la biographie de Doisneau on consultera l incontournable ouvrage de Peter Hamilton Robert Doisneau La vie d un photo graphe Paris Ho beke 1996 2 Robert Doisneau Un certain Robert Doisneau La tr s v ridique histoire d un photographe racont e par lui m me Paris Ch ne 1986 3 On peut galement citer cet album d entreprise apparemment ignor de ses biographes Peugeot L Outil de qualit Peugeot 1953 dont il signe toutes les photographies
7. 1993 pp 112 119 EA Interview Robert Doisneau Eden Art 1 1993 pp 71 80 ETUDES Beaumont Maillet Laure Denoyelle Fran oise Versavel Domi nique dir 2006 La photographie humaniste 1945 1968 Paris Biblioth que nationale de France Chevrier Jean Fran ois 1983 Robert Doisneau Paris Union des Editions Modernes collection Les grands ma tres de la photo n 8 Dalla Bernardma Sergio 1991 Une Personne pas tout fait comme les autres L animal et son statut L Homme XXXI 4 n 120 pp 33 50 Deleuze Gilles Guattari F lix 1980 Mille Plateaux Paris Minuit Descola Philippe 1993 Les lances du cr puscule Paris Plon Elias Norbert 1991 Mozart Sociologie d un g nie Paris Seuil 31 32 TIOTHUN Gautrand Jean Claude 2003 Robert Doisneau 1912 1994 Co logne Taschen collection Icons Hamilton Peter 1995 Doisneau R trospective Paris Paris Mu s es Ho beke Hamilton Peter 1996 Robert Doisneau La vie d un photographe Paris Ho beke Ingold Tim 2000 The Perception of the Environment Essays in Livelihood Dwelling and Skill New York Routledge Lescure Robert 1978 Robert Doisneau Photo Cin Revue Mai pp 258 265 Morel Ga lle 2003 La figure de l auteur L accueil du photorepor ter dans le champ culturel fran ais 1981 1985 Etudes photogra phiques 13 pp 35 55 Ollier Brigitte 1996 Robert Doisneau Paris Hazan Q
8. 4 On en trouvera un aper u photographique dans le livre de Jean Yves Quierry Robert Doisneau Travailleurs Paris Ch ne 2003 pour un autre exemple de reportage on lira le bel ouvrage dirig par Michel Pinault Doisneau chez les Joliot Curie Un photographe au pays des physiciens Sommi res Paris Romain Pages Editions Mus e des arts et m tiers Cnam 2005 5 Les r f rences entre parenth ses renvoient aux entretiens et crits de Doisneau dont la liste est fournie en bibliographie Plusieurs de ces textes ne sont pas pagin s l abr viation du titre n est alors suivie d aucune num ration 6 John Tresch Cosmogram in M Ohanian J C Royoux Cos mograms New York Lukas amp Sternberg 2005 pp 67 76 7 Il est par exemple assez clair que la notori t laquelle acc de Doisneau au tournant des ann es 1980 est ins parable du contexte politique de P poque l arriv e de la gauche au pouvoir en 1981 am ne une s rie d initiatives culturelles au travers desquelles l uvre de Doisneau se voit attribuer les marques de sa grandeur institution nelle Sur ce point voir par exemple Ga lle Morel La figure de Pauteur L accueil du photoreporter dans le champ culturel fran ais 1981 1985 Etudes photographiques 13 2003 pp 35 55 8 La notion de moi mythique a t propos e initialement par Bo ris de Schloezer dans son essai Introduction Jean S bastien Bach Paris Gallimard 1949 Je reprends
9. disposerait la faune sauvage la rugosit de la rue m enseignait la ruse UC 9 la m thode de capture doit prendre exemple sur le cam l on 10 177 d inertie et l art de se fondre dans le d cor voil notre quipement de d fense passive 10 9 autant de marques d un mode ou d un devenir animal du photographe au travail D ailleurs Doisneau parlera de lui m me comme d un animal il voque ainsi la curiosit animale 10 9 et le plaisir animal de voir 10 185 qui animent ou encore relatant ses premi res exp riences photographiques dans les rues parisiennes il crit je partais la rencontre de la lumi re sauvage lui animal qui ne savait rien ne connaissait personne UC 8 Mais derri re cette m taphore du monde animal et de sa rugosit on peut d celer la nature socialement construite du rapport du pho tographe ses sujets Si la ruse et la d fense sont de mise c est parce que la photographie entendue comme technique d incursion ayant Incertain Robert Doisneau elle m me sa propre histoire c est dire des conditions d acceptation socialement changeantes n est pas reconnue en ces ann es d apr s guerre comme un code d interaction l gitime dans les milieux pr f r s de Doisneau savoir ces espaces populaires voqu s pr c demment En ces lieux la r ticence premi re des sujets face la prise photogra phique doit sans doute se lire non pa
10. ou repr sentation c est souvent une re description d clin e au conditionnel ou au futur non le monde tel qu il est mais le monde tel qu il pourrait tre Le monde du cosmogramme de Doisneau est lui aussi celui d un autre temps un temps conditionnel Le monde que j essayais de montrer tait un monde o je me serais senti bien o les gens seraient aimables o je trouverais la tendresse que je souhaite recevoir Mes photos taient comme une preuve que ce monde peut exister AC Telle est l affirmation que ne cesse de r p ter Doisneau le monde montr par ses photographies existe puisqu on peut l y voir En ce sens ses photos participent bien la constitution d un cosmogramme d crivant un monde conditionnel parce que visible uniquement dans treinte du saisissement o il appara t aux yeux du photographe Au fond pr cise Doisneau il n y a rien de plus subjectif que l objectif nous ne montrons pas le monde tel qu il existe vraiment jouant d lib r ment sur le double sens du mot objectif pi ce de l appareil photographique toujours orient par le photographe et monde ext rieur au sujet photographiant mais n ces sairement saisi par lui Ou encore ce que je cherche prouver c est que le monde dans lequel je voudrais vivre existe un peu qu il existe vraiment soulignant l existence attestable d un monde d sir Comme le pr cise encore Brigitte Ollier le photograp
11. peu une fable Entendons par l qu il a mis en place un discours dont la coh rence interne se fit au fil du temps de plus en plus grande et qui a rendu possible sa pratique Tout artiste a besoin d l ments m ta artistiques dont la valeur de v rit en derni re instance importe peu Ils ont pour fonction non pas tant de dire le sens ou la v rit de uvre seuls les na fs pr tendent fournir une uvre d art avec son mode d emploi une uvre d art cl en main que de permettre l artiste de construire cette uvre Sans cette parole qu il se dit et qu il nous dit l artiste ne pourrait pas produire son uvre de la mani re dont il la produit Cette fable nous la nommerons ici ritournelle parce qu elle sera r p t e et la repr sentation du monde qu elle dessine nous la nomme rons cosmogramme parce qu elle est simultan ment vision action et mat rialisation Et si ces l ments peuvent appara tre de prime abord comme tant dot s d une nature fictionnelle il n en reste pas moins que la fiction non seulement se donne comme territoire non pas une chim re mais une r alit alternative celle commun ment per ue mais galement conf re cette r alit une consistance et une intensit d existence dont les limites ne peuvent tre d cr t es arbitrairement par le commentateur C est tout le moins ce que voudrait montrer cette br ve enqu te dans lunivers biographique de
12. tre pas gratuite je guette la r action 17 18 TIOT UN du receleur C est un test qui peut me dire si j ai su rapporter quelque chose de l motion originelle 10 181 Ce circuit de valorisation des images par lequel elles acqui rent une valeur certaine aux yeux de Doisneau fonctionne ainsi sur une logique du don et du contre don au nom de laquelle s changent leurs tirages en m me temps qu une consid ration bienveillante seulement compatible avec l intimit de colloques singuliers entre le photographe et son partenaire Une fois ce test pass les photographies peuvent poursuivre leur chemin en tant confi es d autres personnes en l occurrence les diteurs qui se chargeront de la mise en page Eux seuls sont aptes juger si Penfant adopt se montrera par la suite digne d affection 10 182 Mais ce r seau repr sente la figure id ale du circuit de d placement de ses images Selon Doisneau il existe pour ces derni res d autres mani res de circuler qui se montrent moins favorables Il ne s est pas toujours agit pour lui de v rifier la valeur esth tique de ses photogra phies librement r alis es aupr s d amis bienveillants mais de r pondre l obligation pressante dans laquelle il s est souvent trouv chan ger mes images contre un minimum vital TS Ainsi c t d un circuit o ses photographies gagnaient en valeur parce qu elles permet taient l cha
13. Au del n anmoins de cette reconnaissance du public ou plus exactement peut tre avant qu elle ne puisse se produire Doisneau fait galement circuler ses tirages aupr s de ses amis de ceux qui peuvent appr cier son travail de prises de vue Car c est dans ce cercle l qu il gagna d abord sa reconnaissance notam ment aupr s des po tes Blaise Cendrars qui r digea le texte de La banlieue de Paris ou Jacques Pr vert qui devint son ami fid le Chaque moment de bonheur que saisissait Doisneau avec son appareil pho tographique tait alors destin celui qui je voulais le faire partager J avais quelques amis mon capital copains Pr vert Cendrars je cite ceux l parce qu ils sont connus j tais content en faisant une image de penser que j allais la leur montrer PP Ou encore Au moment du d clic je sais qui en priorit je destine ce moment de r ussite esp r C est ma dette envers ceux qui ont su faire bon march de leur temps Ils ne sont pas nombreux 10 77 Mais comme le pr cise Doisneau lui m me il ne s agit pas seulement d effacer une ardoise il est galement question de v rifier la valeur des images r alis es et cette estimation ne peut se faire que dans la confiance du cercle des initi s des receleurs et non sur un march public Je pense imm dia tement qui je vais offrir l image qui a bien voulu se laisser apprivoi ser Une g n rosit qui n est peut
14. Doisneau Doisneau sa ritournelle et son cosmogramme Si l on s int resse non pas d abord l esprit de Doisneau tel qu il se donne voir dans ses productions photographiques mais bien sa pens e telle qu elle s exprime dans ses d clarations publiques c est une autre cartographie que celle de la banlieue parisienne ou m me de la touchante humanit qui se d voile sous nos yeux Car bien lire les nombreux t moignages autobiographiques que le photographe laisse au travers de quelques ouvrages et de multiples entretiens on ne peut qu tre frapp par l exposition r p t e d un univers symbolique d une topographie imaginaire d une cartographie figur e au sein desquels celui ci situe son existence et sa production Passer ainsi du photographe au biographe du catalogue de son uvre au dialogue de son auteur Incertain Robert Doisneau nous fait d couvrir moins un regard qu une parole et une parole qui se r p te comme un chant d enfant ou d oiseau telle une ritournelle Inlassablement au fil des textes qu il r dige et des entretiens qu il accorde Doisneau reprend la t che de dessiner le monde qui donne sens sa vie et son uvre non pas seulement celui qu il photo graphie mais bien celui dans lequel il photographie La ritournelle imperturbablement se fait entendre se r p te s entretient Et que dessine une ritournelle si ce n est un agencement territorial comme Pa
15. affaire le perturba profond ment fit de lui un photographe nerveusement diss qu et l accompagna jusque sur son lit d h pital o il s tem dra frapp par la maladie Ce n est certes pas cet v nement qui le tua mais il dicta au moins son silence interrog sur cette affaire du Baiser Doisneau r pond en effet n en parlons pas AGO Comme si dernier geste de d fense dans un territoire hostile l absence de parole pouvait emp cher cette vision d envahir tout le r el Envoi L preuve diabolique de la photographie Au del des v nements qui viennent d tre voqu s et qui ne manquent pas de nourrir aujourd hui les commentaires et les pol miques il reste que c est la d finition m me de la photographie que d fend Doisneau qui est mise l preuve C est sur ce point que je voudrais conclure Comme ce texte je l esp re a r ussi le mon trer la ritournelle qu il reprend partir des ann es 1980 vise d fendre le cosmogramme qu il a construit et qui l a construit comme photographe depuis le d but de sa carri re Dans cet univers la photographie n est jamais un enregistrement objectif du monde elle constitue au contraire un faux t moignage comme dit Doisneau elle est un artifice visant prouver l existence d un monde fictif Comme l crit fort justement Brigitte Ollier le testament photogra phique de Robert Doisneau n est qu une suite de fausses v
16. bien montr Gilles Deleuze ou encore un cosmogramme dont les traits caract ristiques viennent d tre pr sent s Quels sont les milieux dans lesquels volue Doisneau quelle est la topo bio graphie que dessine son discours Il ne s agit pas ici de dresser la liste des lieux concrets qu il a photographi s ou des personnes r elles qu il a rencon tr es ce que le lecteur trouvera dans les nombreux ouvrages consa cr s son uvre mais de d gager les principes d une m taphysique autochtone ou de l organisation symbolique du monde tels que les r p te la ritournelle de Doisneau Selon Tresch le cosmogramme comporte trois dimensions caract ristiques primo il suppose une cologie c est dire une d finition des modes d existence constitu tifs aux yeux du locuteur du monde dans lequel il volue secundo il dresse l inventaire des tres qui peuplent ce monde et pr cise les rela tions possibles entre eux tertio il d ploie une relation sp cifique au temps Or Doisneau apporte travers sa ritournelle des pr cisions sur chacune de ces trois dimensions conf rant une consistance certaine son cosmogramme Chasse et animalit L cologie que d ploie lunivers discursif de Doisneau est celle de la chasse ou parfois de la p che et donc celle des rapports entre le chasseur et sa proie mais aussi entre l homme et l animal ainsi que leurs changes ventuels Image classique pour illustr
17. e adh sion du spectateur Doisneau est ce pro pos tr s explicite La r alit a n existe pas Rien que le fait de choisir l instant qui vous arrange on arrange la r alit On se fait la r alit C est com pl tement fabriqu nos histoires les personnages on les choisit dans le temps et dans l espace On se met tel endroit o a nous arrange Donc c est une esp ce de faux t moignage Mais on se sert de mat riaux vrais Ca donne une solidit On y croit comme a AC Mon objectif dans ce texte sera plut t de tenter de comprendre lincom 9 10 TIOTAUN pr hensible agencement voqu pr c demment ou encore la logique de distribution de la parole dans le commentaire autobiographique chez Doisneau Car malgr les centaines voire les milliers de pages dans lesquelles il d crit sa vie et son uvre sa parole est loin de couvrir de mani re uniforme l ensemble de ses photographies dont le nombre total est estim quatre cent mille Entre le rien dire qu voque expli citement le photographe et le tout dire que souhaiterait implicitement son critique les propos autobiographiques de Doisneau t moignent d une distribution diff rentielle du commentaire qui parce qu elle se voit r p t e de mani re frappante doit tirer sa logique d autre chose que de la seule dynamique interne des entretiens ou des s ances d cri ture Mais quelle serait cette autre chose On a souve
18. e d inter f rence entre les deux circuits du travail photographique Aujourd hui reconnus comme partie int grante de son uvre photographique les clich s r alis s l le Seguin ont fait l objet d un traitement diff ren tiel de la part de Doisneau qui les met soigneusement l cart de ses albums ils n apparaissent en effet dans aucun des livres qu il dite lui m me Ce sont les organisateurs de Pexposition Doisneau Renault tenue en 1988 La Villette qui feront conna tre ces photographies de jeunesse Amen commenter cette p riode de sa vie Doisneau reprend sa ritournelle la pr sentant comme prop deutique photogra phique au cours de laquelle il aurait appris les tours de main de la photographie de commande industrielle et publicitaire notamment Incertain Robert Doisneau Pourtant il parlera aussi de cet pisode biographique comme d un ratage lui donnant carr ment des remords 10 48 C est qu il n eut pas la vaillance selon ses propres dires de faire de la photographie industrielle un authentique projet personnel d gag de la contrainte de la commande mais attach forcer les barrages derri re lesquels on camoufle les conditions de vie des travailleurs 10 48 en d autres termes il n a pas op r ou pas autant qu il eut pu le d sirer le transfert de ce sujet d un circuit l autre de son cosmogramme malgr tout le respect qu il vouait aux gens de c
19. e monde et dont ne b n ficiaient g n ralement pas ses sujets de commande Le troisi me retournement qui prend place au sein du cosmogramme de Doisneau est temporel le d couplage du temps qui marquait la diff rence entre le monde r el celui dont le temps passe et le monde existant dans les photographies qui en ont capt une seconde vient maintenant s appliquer au photographe lui m me et son uvre Comme Doisneau l indique dans son texte le temps qui s coule est ce qui conf re de la valeur ses photos mais c est ce qui aussi le rapproche de la mort instant de basculement vers l ternit d une absence On ne peut manquer de citer ces belles lignes qui referment A l imparfait de l objectif Maintenant il est suffisamment tard il y a prescription Je peux bien avouer que les d molisseurs sont mes complices ces escamoteurs de d cors ont droit ma gratitude leur vaillance donne de la plus value mes vieilles photographies Tout ceci est bien gentil mais il y a toujours lancinante la m me question qui vient me g ter le plaisir combien de fois encore verrai je refleurir les merveilleux marron niers du boulevard Arago 10 188 Evoquant argument du refus de dispara tre comme une pirouette sonore destin e neutraliser le commentateur Doisneau ne peut s emp cher d ajouter Dispara tre comme au cin ma en fondu fin de film c est relativement acceptable mais la d
20. e un animal pas tout fait comme les autres les traits qu il poss de en commun avec les objets de ses prises sont plus aiguis s plus aff t s plus d velopp s et c est cette diff rence qui soutient son pouvoir particulier Et si le photographe trouve l gitime d exercer ce pouvoir sur ses semblables f ce serait parce qu ils commettraient une faute L anthropologue Sergio Dalla Bernardina a bien montr comment le chasseur ne peut manquer d attribuer un tort l animal qu il tire tant donn toutes les qualit s qu il lui attribue par ailleurs et qui alimentent sa relation passionnelle avec lui Sans cette faute sa prise ne pourrait se justifier aux yeux du chasseur Mais quelle serait cette faute dont se montreraient coupables les proies photographiques de Doisneau qu il dit tre par ailleurs ses alter ego L erreur qui est la leur et que le photographe se donne comme t che de r parer par son geste est celle de mal ou de ne plus voir Voil notre but notre m tier d clare Doisneau montrer aux autres ce qu ils ne voient pas ce qu ils sont incapables de voir ouvrir les yeux des aveugles PC 171 Parce qu il souffre d une anesth sie de la vision la photographie pourrait avoir un r le cologique aupr s du public rendu insensible par la pollu tion visuelle du monde contemporain PP Victimes d une poque encadr e dirig e conditionn e par les m dias la signalisation
21. ent passer d un c t Pautre des fronti res qui en s parent les parties constitutives Contraintes et incertitudes d un univers biographique Le r gime fictionnel de la chasse exprime le premier de ces retournements le photographe chasseur d images braconnier et voleur peut galement en certaines circonstances prendre le statut de proie la chasse se poursuit mais les r les s inversent Le photographe Incertain Robert Doisneau le chasseur d images d clare ainsi Doisneau c est en fait le lapin il court apr s les images et m me apr s l image inimaginable 7 Autre ren versement possible quip de son appareil de capture le photographe travaillant dans la rue peut lui m me tre captur par les repr sentants du corps des garde chasse urbains que sont les policiers et les juges D un autre c t la course du temps contribue elle aussi ce retourne ment des r les D criant la prolif ration des images artificielles rendues possibles par les nouvelles technologies informatiques Doisneau d clare leur sujet Il ne s agit plus de retenir puis de transmettre une motion mais de nous transformer en lapins blouis dans les phares 10 185 Ici Doisneau est engag comme proie dans une chasse m canique qui semble sans commune mesure avec celle artisanale dont il s est toujours dit le praticien Mais c est surtout l volution de sa propre carri re qui va le confronter de la man
22. er le travail du photographe lanalogie de la chasse est fr quemment utilis e par Doisneau lui m me Mais c est que c est Justement une chasse Je suis un chasseur confie t il d j en 1951 PC 170 Il parlera en suite de la photographie comme de la chasse aux images volantes 10 79 voquera les projets de chasseur d images qui l animait sa sortie de chez Renault TS crira au sujet des photographies d Atget qu elles taient en leur temps des estampes qui avaient un fumet de sauvagine 10 20 ou encore acceptera qu on le qualifie de braconnier de ph m re ML 118 Ce faisant il mobilise une imagerie qui souligne simultan ment la dimension alimentaire du travail photographique par sa technique cyn g tique particuli re le photographe se procure les moyens de sa propre subsistance et 13 14 TIOT UN sa dimension artisanale dans le sens o la chasse implique un mode de rapport aux sujets photographi s qui ne rel ve pas de la domes cation c est dire de leur production contr l e mais bien de la fr quentation c est dire de leur consid ration situ e Ainsi Doisneau avait il son territoire de chasse pr f r savoir la ville et en particulier Paris et sa banlieue populaire qu il arpen tait fr quemment en qu te de bonnes prises et o il devait d ployer toutes les qualit s du chasseur attendre des heures avec une patience inou e 10 28
23. es chacun des deux r seaux Reprenant sa rencontre fortuite avec Catherine la petite vendeuse du Printemps Doisneau pr cise que bien qu il ait soigneu sement conserv le po tique billet qu elle lui avait gliss il n eut jamais la d licatesse d aller lui rendre visite C est moche ML 119 Moche car le principe de circulation propre ce r seau tait ainsi rompu Les prescriptions de son cosmogramme furent galement invalid es dans le cas de plusieurs travaux de commande qui furent l occasion pour Doisneau de faire de v ritables rencontres ou encore de saisir ces mo ments d humanit qui lui tiennent tant c ur On peut voquer ici ses portraits d crivains dont certains t moignent d une grande proximit et d autres au contraire d une grande distance avec le sujet Ceux pour qui j a de l admiration je t che de faire bien Ceux qui sont ampoul s je me fous carr ment de leur gueule ML 119 On ne peut non plus manquer de mentionner la s rie des baisers r alis s en 1950 sur une commande du magazine am rican Life mais qui incarnent n anmoins la quintessence du regard photogra phique de Doisneau Incertaines fronti res donc des territoires dessin s par sa ritournelle autobiographique Quant son travail command dans les usines Renault o il officia comme photographe d entreprise de 1934 1939 le traitement qu il conn t un demi si cle plus tard t moigne d une autre form
24. ges et ce n est pas en regardant ses photos qu on pourra reconstruire sa pens e Doisneau parle non pour expliquer ses photographies mais pour cartogra phier ses modes d existence Et c est par ce dessein que l exposi tion de sa pens e entretient des homologies avec sa production photographique elle aussi plurielle tant en son style qu en ses modalit s Car Doisneau distribue sa parole de mani re diff rente selon les photographies produites Ainsi il ne dit rien ou presque sur ses photographies publicitaires pourtant produites en grand nombre Il suffit de prendre l exemple de ses travaux pour l industrie automobile Renault Simca la Citro n DS m me autant de publicit s m connues et que Doisneau ne compta jamais parmi son uvre artistique On sait par ailleurs que les fameux baisers de passants parisiens taient des sc nes mont es comme bien d autres dans son uvre et Doisneau fut plut t avare de commentaires sur ce point Il fut gale ment peu prolixe sur ses reportages dans le monde ouvrier pour ne citer que ceux l Ces quelques constats ne me serviront pas instruire un proc s pour faux en photographie encontre de Doisneau lequel n a d ailleurs cess de plaider coupable sur ce point Selon lui en effet les photographies ne sont jamais des t moignages objectifs 10 11 mais constituent au contraire des faux t moignages qui doivent soulever esp re le photograph
25. he ne saisit pas ce qui est beau mais ce qui deviendra beau Et pr cis ment cette beaut est li e l arr t au saisissement au vol du temps par la photographie ML 118 Un centi me de seconde par ci un cen ti me de seconde par l mis bout bout cela ne fait jamais qu une deux trois seconde chip es l ternit TS 19 20 TIOT UN Or telle est bien la pr occupation du photographe dans le cosmo gramme de Doisneau sauver un de ces petits tr sors qui allait dispa ra tre dans la poubelle du temps TS retenir un instant de bonheur qui va dispara tre TS vouloir retenir le temps qui passe EA 80 et le retenir dans une photographie pour en montrer la po sie la beaut le caract re admirable Pour celui qui patiemment a voulu transformer l ph m re en un objet relativement durable 10 185 la photographie est linstantan d un monde qui pr cis ment parce qu il a pu tre pris devient ternel Tel est donc le moi mythique de Doisneau ainsi que son cosmogramme un chasseur ou un braconnier dot de qualit s animales celles utiles la survie c est dire la perp tuation d une pratique dans cet environnement non domestiqu qu est la rue partageant sa production entre travaux alimentaires et capitulaires vitaux eux m mes li s des circuits tangents de composition et de valorisation des photographies et exhibant un monde dont la saisie photog
26. i re la plus frontale sa possible condition de proie Ainsi la notori t dont il va faire l objet partir des ann es 1980 va Pamener participer des situations qu il d crit bien en termes cyn g tiques mais o 1l n est plus le chasseur Les images que Doisneau utilise pour parler de son accession au titre d officier de la L gion d Honneur en 1993 sont particuli rement significatives On a toujours les trucs qu on naime pas Jaime la p che la ligne la rivi re avec la libel lule qui se pose sur la canne Et c t de cela des types arrivent avec des casquettes des tambours des trompettes et on vous frappe l paule avec le plat du sabre Quelle horreur On consid re que je suis d j un peu mort et on m empaille de mon vivant alors que je bouge encore ML 112 Le contraste entre le doux p cheur et le troph e de chasse empaill souligne clairement ce retournement des r les dont Doisneau se dit l objet Le r cit qu il propose d une rencontre avec des nouveaux critiques des sp cialistes incapables de retenir leur incontinence verbale s av re encore plus tragique J tais la proie tomb e dansune trappe recouverte de branchages En effet la lettre avec des phrases joliment tourn es pouvait faire croire une invitation amicale 10 174 Poursuivant son r cit Doisneau en termine quelques pages plus loin sur cette phrase Pour l heure c est moi l insecte
27. ici les explications qu en fournit Etienne Souriau dans son Vocabulaire d esth tique Paris PUF 2009 1990 pp 1020 1021 9 Etienne Soulages Esth tique de la photographie La perte et le reste Paris Armand Colin 2005 1998 p 30 10 Voir Souriau op cit p 741 et aussi Nathalie Zacca Reyners Fiction et typification Contribution une approche th orique de la transmission de l exp rience Methodos 5 2005 en ligne http methodos revues org 378 11 Pour faire saisir intuitivement la nature anthropologique de la ritournelle Deleuze et Guattari crivent Le chez soi ne pr existe pas il a fallu tracer un cercle autour du centre fragile et incertain organiser un espace limit Beaucoup de composantes tr s diverses interviennent rep res et marques de toutes sortes Ce sont des composantes pour l organisation d un espace Voil que les forces du chaos sont tenues l ext rieur autant qu il est possible et l espace Incertain Robert Doisneau int rieur prot ge les forces germinatives d une t che remplir d une uvre faire Mille plateaux Paris Minuit 1980 p 382 12 John Tresch Cosmogram op cit pp 67 76 13 Sur ces caract ristiques de la chasse et du mode de vie chas seur voir P Bonte M Izard dir Dictionnaire de l ethnologie et de Panthropologie Paris PUF 1991 pp 134 137 14 Gautrand Jean Claude Robert Doisneau 1912 1994 Cologne
28. il s agit de moments o lieux conditions techniques ne se laissent pas r duire les uns aux autres c est dire de situations o la personne concr te du photographe ne peut plus tre dite soutenir son moi mythique mais vient au contraire fissurer le cosmogramme Cependant il ne s agit pas comme on pourrait le penser de situations dans lesquelles le cosmogramme entendu comme agencement fictionnel viendrait buter sur quelque chose de plus r el que lui Bien au contraire ces croisements monstrueux sont des moments o les principes de construction du cosmogramme apparaissent dans leur r alit potentielle des instants o ils pourraient s appliquer concr tement si le photographe continuait s y tenir vraiment Moments monstrueux donc o la fiction rejoint la r a lit o le cosmogramme devient sociogramme On le comprendra mieux en d taillant deux de ces croisements tels qu ils ont mar qu la vie de Doisneau les gr ves de 1936 aux usines Renault d une part et l affaire du Baiser de l H tel de Ville d autre part En 1936 lors des v nements du Front populaire Doisneau est employ chez Renault haut lieu des mouvements de gr ve et de protestation ouvri res En ces moments perturb s le photographe aurait pu prendre en toute ind pendance des photos des travailleurs lib r s lui comme eux des contraintes habituelles de leur travail lusine Pourtant Doisneau ne prit aucune photogra
29. isparition brutale couic je n arrive pas concevoir la chose TS Le Doisneau qui commente sa vie et son uvre est travaill par l angoisse de la mort de ce moment o le temps d finitivement s arr tera Car c est lui le temps qui finit toujours par gagner affirme t il Cette anxi t n est pas d abord li e la crainte d un jugement ult rieur mais au contraire au d compte final des prestations choisies et contraintes du positif et du n gatif Je vais mourir avec plus de regrets que de remords et parmi les regrets il y aura celui d avoir d gagner ma vie avec des boulots qui m ont vraiment fatigu PP C est donc d avoir trop circul en ter ritoires de commande que na t la crainte du temps d arr t Comme si la configuration du cosmogramme rendait fid lement compte la fois des termes d une existence et de son terme 23 24 TIOT UN Des croisements monstrueux Au del de ce cosmogramme bien compos ce qui ne veut pas dire qu il d crirait un monde paradisiaque ou exempt de contradictions et de difficult s la ritournelle de Doisneau fait galement part de certains v nements biographiques qui semblent bien se situer au del ou en de de cet agencement Car comme P crit justement Deleuze l y a forc ment des croisements monstrueux dans toute construction de territoires et dans toute fabrication de consistance De quoi s agit il Pour le dire simplement
30. itable recon naissance nationale et internationale qu un demi si cle plus tard La publication du Photo Poche qui lui est consacr participe en effet du mouvement d accession de Doisneau au statut de grand ma tre de la photographie fran aise et mondiale les ann es 1980 marquent la cons cration de sa notori t qui ne cessera de s amplifier depuis Mais parce qu elle para t pr cis ment au moment o se multiplient Incertain Robert Doisneau les expositions et les publications consacr es son uvre l pigraphe qui ouvre cet ouvrage indique d une mani re particuli rement ton nante l esprit avec lequel Doisneau entreprend de commenter son tra vail Plac e en t te d un long entretien dans un ouvrage de r f rence elle signale en effet ambigu t fondamentale qui va marquer son commentaire autobiographique Commenter ou crire sa propre vie voil Pexercice auquel un certain Robert Doisneau dor navant va se plier afin de pr senter la tr s v ridique histoire d un photographe racont e par lui m me Et pourtant il dit n avoir rien dire Incom pr hensible agencement d un en t te d non ant d embl e l criture de ce qu il a en t te Car Doisneau a bel et bien une pens e malgr ce que pourrait laisser entendre sa citation Mais cette pens e ne sera pas celle proprement parler de ses photographies ce n est pas en en prenant connaissance qu on apercevra ses ima
31. l il aux aguets ici l ailleurs Il faut de l audace de Pimpassibilit car vous vous approchez bien souvent dangereusement de ce qui est interdit au public ou de ce qui est priv PC 170 Ailleurs Doisneau distinguera l aff t et la poursuite deux techniques de prise photographique PP Et c est tr s logiquement que les sujets de ses photographies prennent alors Paspect du gibier de la for t urbaine Mon petit univers photogra phi par peu de personnes prend un aspect tellement exotique qu il devient la r serve d une faune tonnante Mais au del de ces clich s attendus Doisneau op re un renversement tonnant par lequel le chasseur en vient partager des caract res com muns avec sa proie se penser lui m me comme animal vigilant atten tif aux opportunit s et aux menaces potentielles du milieu S il d clare fr quemment pr f rer chasser des images aupr s des gens qui lui res semblent plut t qu aupr s d esp ces sociales moins famili res c est dire aupr s de ceux qui fr quentent la rue le bistrot la salle des f tes la banlieue bref les espaces populaires il voque avec une aussi grande insistance les qualit s animales qu il est amen d ployer dans l exercice de son art Evoluant dans un environnement r tif aux bonnes prises voire hostile dans certains cas Doisneau dit recourir des ressources qu il pr sente explicitement comme identiques celles dont
32. lement branl linstar d autres amateurs de uvre de Doisneau lorsque je pris connaissance du caract re mont de cette photographie apparemment si authentique il me semble aujourd hui que le plus essentiel n est pas dans la d nonciation d une superche rie dont il serait malhonn te pour qui a lu ou entendu sa ritournelle biographique d accuser Doisneau L enseignement le plus int ressant me semble r sider dans ce constat d un d passement d un d bordement m me de l artiste par son propre cosmogramme d passement qui lui m me ne peut tre compris qu en reconnaissant l usufruit motionnel institu par la mar chandisation de Pacc s aux photographies de Doisneau c est dire li l acquittement du prix des livres des billets pour les expositions des reproductions de toutes sortes o ces derni res apparaissent Bien qu il s ag t d un travail de commande Doisneau avait transmis ses figurants du jour un tirage de son clich comme le lui dictait sa conception du rapport juste aux personnes photographi es et c est pr cis ment celui ci qui permit d tablir avec certitude que Fran oise 25 26 TIOT UN Bornet tait bien la jeune femme du c l bre baiser Mais ce faisant Paction en justice de cette derni re vint confirmer avec une force tonnante le complot mercantile qui selon Doisneau anime entre autres le circuit de la commande en photographie Cette
33. les moyens de sa subsistance mat rielle le travail doit alors tre distingu de l uvre le premier tant inscrit dans un rapport marchand d exploitation tandis que la seconde rel verait du geste libre celui du fl neur papillonnant g n rant des profits avant Incertain Robert Doisneau tout affectifs C est ce que souligne Jean Fran ois Chevrier en recou rant la classique distinction marxienne entre valeur d usage et valeur d change pour parler du travail de Doisneau Le travail a une valeur d usage il circule entre les amis leur est montr etils s en servent Comme Pinfini se distingue de la vis e limit e du professionnel la valeur d usage se distingue de la valeur d change que prennent les images quand elles sont livr es un march N anmoins plut t que de constituer des sph res tanches les territoires circulatoires des travaux de Doisneau prennent la forme de deux circuits tangents sur lesquels diff rent certes les types de personnes rencontr es les modes de valorisation des photo graphies ainsi que les sentiments prouv s mais o r gnera galement lincertitude ces r seaux n tant de fait pas parfaitement herm tiques leur porosit posera probl me Doisneau comme on le verra bient t Ce monde qui existe bel et bien La troisi me dimension d un cosmogramme est sa relation au temps Tresch pr cise sur ce point que le cosmogramme va au del de la seule description
34. llier op cit p 25 ntaire 59 co productions Artefilm et City zen T l vision 2004 85 Ibid Incertain Robert Doisneau BIBLIOGRAPHIE Ecrits ou entretiens de Robert Doisneau PC Masclet Daniel Robert Doisneau le reporter Photo Cin ma Juillet 597 1951 pp 164 171 TS Trois secondes d ternit Paris Contrejour 1989 1979 non pagin AC Entretien de Robert Doisneau avec Philippe Regley mission Atout C ur Radio Bleue 12 juillet 1982 CD Robert Doisneau Le braconnier de l ph m re Ina Radio France Les grandes heures 2006 PP Robert Doisneau Entretien avec Sylvain Roumette Paris Centre National de la Photographie collection Photo Poche n 5 1983 non pagin UC Un certain Robert Doisneau La tr s v ridique histoire d un photographe racont e par lui m me Paris Ch ne 1986 DR Doisneau Renault Paris Hazan 1988 non pagin AGO Entretien de Robert Doisneau avec Pascale Charpentier mission Agora France Culture 11 novembre 1988 CD Robert Doisneau Le braconnier de l ph m re Ina Radio France Les grandes heures 2006 IO A l imparfait de l objectif Souvenirs et portraits Arles Actes Sud L m ac collection Babel 1995 1989 AGM Rencontre avec Robert Doisneau Arts Graphiques Maga zine Et 17 1991 pp 19 27 ML Robert Doisneau Le myst re de la chambre noire Le Maga zine litt raire 309 Avril
35. ne peuvent tre saisis dans les seules photographies puisqu elles ne sont elles m mes qu un des l ments du cosmogramme L ouvrage que publie Doisneau en 1979 Trois secondes d ter nit est l incarnation exemplaire d un tel cosmogramme La pre mi re partie propose un long texte autobiographique accompagn de photographies en format r duit ins r es dans la marge int rieure de chaque page Elles ne se rapportent pas directement au texte mais sont accompagn es de l gendes autonomes Ces images pro viennent toutes de travaux de commande la plupart publicitaires Le texte voque quant lui les divers aspects et v nements de la vie du Incertain Robert Doisneau photographe Dans le seconde partie on trouve une s rie d images grand format la premi re tant Le Baiser de l H tel de Ville sans l gendes celles ci sont fournies dans une liste annexe Le contraste est donc maximal entre le commentaire l uvre photographique et des productions secondaires graphiquement et textuellement mar ginalis es On peut parler d un cosmogramme car il s agit bien de Pagencement mat riel d une vision du monde de Pexposition de la bonne vie et de la d finition des esp ces de productions de relations de situations etc cens es peupler ce monde Le lecteur y d couvre la place de chaque chose et le statut de chaque entit dans l univers biographique de Doisneau Mais si cet objet est unique le c
36. nge selon lui de vraies valeurs comme l motion ou le plai sir le cosmogramme de Doisneau comprend un autre r seau celui o d autres de ses photographies circulent pour leur valeur marchande et permettent pr cis ment de gagner l argent n cessaire la vie du pho tographe aliment par n cessit ce circuit procure des motions moins agr ables que le premier ce que ne manque pas de souligner Doisneau Alors il faut se plier des travaux alimentaires en se persuadant de Pint r t qu ils pr sentent confie t il ce sujet UC 10 Ou encore Je me sens le devoir d arracher l tiquette de fl neur papillonnant que Pon m a coll e sur le dos La r alit est plus prosa que pour assurer lop ration survie il m a fallu ob ir des demandes rarement exaltantes et ex cuter gaiement UC 10 La perte de son emploi chez Renault en 1939 sa d cision de ne pas renouveler son contrat dans agence de mode Vogue en 1953 ou encore sa d termination refuser la condition de photographe d agence contraignirent Doisneau combiner travaux commerciaux reportages et fl neries photographiques m me s il tend travers le cosmogramme qu il construit les pr senter comme relevant de sph res nettement s par es aux logiques contradictoires On peut alors parler de Doisneau comme d un photographe prol taire vivant cette condition consistant vendre par n cessit sa force de travail pour assurer
37. nt pour ne pas dire toujours tent de saisir le monde de Doisneau partir du contenu et de la composition de ses photogra phies Mais cette mani re de proc der r v le rapidement ses limites une photographie ne dit rien ou presque sur les circonstances dans lesquelles elle a t prise ni sur son rapport ult rieur son auteur Or le photographe d s qu il parle d crit les contours du monde dans lequel il fait na tre ses images et vit avec elles Ce faisant il dessine ce qu on peut appeler la suite de John Tresch un cosmo gramme plus qu une vision du monde il s agit d un montage d un assemblage d une construction organis e de l univers dans son en semble lequel ne se limite donc pas dans le cas du photographe ses photos Les photographies elles m mes ne sont qu une partie de ce cosmogramme qui doivent tre assembl es avec la parole de artiste les crits des critiques les tirages la fabrication des livres l organisa tion des expositions les circonstances de la vie quotidienne D s que le photographe prend la parole une contrainte de coh rence p se sur lui comment fait il sens de tous ces l ments comment les arrangent ils les uns par rapport aux autres quelles relations entre tiennent ils ses yeux Le cosmogramme est la figure mat rielle de cet arrangement qui se donne voir en diverses mati res paroles crits tirages objets actes etc Ces multiples l ments
38. oisneau on trouve deux principaux circuits ou deux territoires de circulation dans lesquels prennent vie valeur et mouvement les photographies qu il r alise Le premier de ces circuits celui auquel lui m me se dit le plus affectivement attach relie le photographe son public ou plus exactement ceux qui partagent avec lui les m mes motions photographiques Si Doisneau peut affirmer confiant qu il ne faut pas oublier que ce qu on voit des milliers et des milliers de lecteurs le verront leur tour travers mon objectif nous sommes alors en 1951 PC 169 il ne manquera pas de remarquer que les banlieusards eux m mes auxquels il a consacr son premier le livre La banlieue de Paris 1949 ne portent que peu d attention ses pho tos de banale banlieue TS Plus tard cependant des rencontres et des lettres d inconnus viendront confirmer la bonne circulation de ses photographies Ainsi Doisneau voque t il plusieurs reprises cet v nement Ce n est pas les grands hommages qui me touchent en tous cas pas autant que ce qui s est pass un jour au Printemps J y d di ca ais Les Doigts pleins d encre et une petite vendeuse pr nom m e Catherine m a remis une carte sur laquelle tait crit Merci de me rendre la vie plus belle J ai trouv cela merveilleux AGM 27 Ici la boucle est boucl e et d crit la forme d un cercle vertueux o s changent les motions
39. osmogramme de Doisneau va se retrouver en chacun de ces autres objets que sont ses publications autobiographiques Les ouvrages r trospectifs qu il signe de sa main ainsi que les interviews qu il donne fr quemment partir de la seconde moiti des ann es 1980 reprennent en effet le m me complexe d id es d clin es d une mani re particuli rement caract ristique C est ce complexe que les pages qui suivent tentent de pr senter non pas dans une perspective critique mais dans une attitude compr hen sive au sens m thodologique du terme cherchant la cl du myst re de cette fameuse pigraphe pingl e plus haut Et on la cherchera non pas dans un contexte ext rieur ou dans une machinerie inconsciente mais dans le contenu lexical et m taphorique des commentaires auto biographiques que fournit Doisneau lui m me 7 On y d couvrira un photographe basculant sans cesse d un tat un autre d un monde un autre et d un temps un autre le r gime de sa cr ation tant ainsi rendu incertain Pour le montrer de mani re encore plus claire on s attardera sur quelques croisements monstrueux qui apparaissent comme autant de points de friction entre les modes d existence du photographe Doisneau et qui se marquent par des traitements diff rents au niveau de sa parole celle ci se distribuerait donc en fonction de l organisation du cosmogramme que ce dernier dessine au travers d une ritournelle autobiographique
40. phie des gr ves de 1936 Il s est expliqu ce sujet dans un entretien diffus sur France Culture en novembre 1988 au mo ment de exposition Doisneau Renault J ai vu arriver d bouler des ouvriers descendant de l le Seguin des gens sortant des forges avec des barres de fer Et faire des photos des gr ves alors que j en crevais d envie j aurais t mouchard vis vis des ouvriers On ne peut pas expliquer la puret de ses intentions dans ce cas l en disant je fais une tude graphique sur un mouvement social Ca se passe dans un tel tourbillon qu on ne peut pas faire cela alors je ne pouvais pas le faire Ca me faisait bien r ler j ai rat quelque chose l AGO Comme l indique ce t moignage Doisneau confront aux ouvriers en col re eut peur de se voir transformer en proie de la foule d tre pourchass par cette meute d boulant de usine d tre cras par cette fourmili re humaine DR avec laquelle il eut t impossible de dia Incertain Robert Doisneau loguer pour prouver ses bonnes intentions Ainsi le renversement du r le de chasseur d images en celui de proie pour ceux qui ne veulent pas en devenir est il ici per u par Doisneau comme dangereusement r el photographier la foule aurait mis sa vie en danger Du moins est ce la peur qui l treignit en ces moments extraordinaires Plus tard Doisneau confia d ailleurs sa hantise de la foule Toutes les b tes q
41. qu il va invariablement r p ter jusqu la fin de sa vie en 1994 Cette ritournelle qui va tre d crite en d tail dans les pages qui suivent dresse galement un portait du moi mythique de Doisneau cet autre que devient sa personne en tant qu elle exerce son art Cette figure d crite par l artiste lui m me entretient des rapports com plexes avec lindividu concret et situ ins r dans son contexte mais ne s y r duit pas si elle se comprend comme diff rence par rapport Phomme ordinaire ce qu indique notamment la reconnaissance so ciale de l artiste elle exige n anmoins lucidit volont et savoir faire technique de la part de l individu cr ateur Elle n est donc pas pure 11 12 TIOTAUN possession de artiste par une force ext rieure mais pleine possession par lui de ses moyens esth tiques dans l ensemble de ses rapports aux diff rentes composantes du cosmogramme Pour le dire autrement le moi mythique est le personnage qui s anime dans le cosmogramme Dans son essai sur l Esth tique de la photographie Etienne Soulages d veloppe une approche fort similaire celle qui est propos e ici Il d crit en effet l uvre de Henri Cartier Bresson autre figure c l bre de la pho tographie humaniste fran aise aux c t s de Doisneau comme soutenue et entour e par une fable d clin e par l artiste lui m me Comme tout artiste Cartier Bresson s est construit peu
42. r avec ce commentaire l ironie certaine Tout reportage industriel s rieux doit traditionnellement se termi ner par une image du service exp dition Au caract re traditionnel et conventionnel du reportage autoris Doisneau oppose clairement le respect du sujet inh rent au travail libre 30 La r f rence au sonore n est pas sans rapport avec la nature m me de la ritournelle au sujet de laquelle Deleuze pr cise que les composantes vocales sonores sont tr s importantes un mur du son en tout cas un mur dont certaines briques sont sonores Un enfant chantonne pour recueillir en soi les forces du travail scolaire fournir Une m nag re chantonne ou met la radio en m me temps qu elle dresse les forces anti chaos de son ouvrage Mille plateaux op cit p 382 Doisneau quant lui fait des pirouettes sonores pour affron ter l preuve du commentaire autobiographique 31 Hamilton op cit p 356 32 Deleuze et Guattari op cit p 195 33 Ibid 34 Beaumont Maillet Laure Denoyelle Fran oise Versavel Domi nique dir La photographie humaniste 1945 1968 Paris Biblio th que nationale de France 2006 p 21 35 Je dois cette pr cision la lecture attentive qu a faite Ghali Beniza Sari de la premi re version de mon texte Je lui en suis particuli re ment reconnaissant 36 Ollier op cit p 20 37 Ibid 38 Robert Doisneau op cit p 27 39 Chevrier op cit p 8 40 O
43. raphique est la condition de r alit Mais ces trois territoires que dessine la ritournelle d clin e par Doisneau dans ces confessions biographiques sont galement le th tre de retournements tonnants qui font basculer les polarit s attach es leurs composantes respectives Le cosmogramme est en effet anim par des tensions internes celles que lui m me dessine qui conf rent la vie de l artiste son caract re dynamique et son lan cr atif bien que contraignantes et pr cis ment parce qu elles le sont les diff rentes polarit s ou modalit s d existence du photographe ap pellent sa vigilance car elles lui rappellent sans cesse les risques qu il encourt C est ce que met bien en lumi re Norbert Elias dans son tude sur la vie de Mozart d crivant finement les contraintes sp cifiques qui orient rent les formes de sa subjectivit cr atrice ou encore Luc Van Campenhoudt dans son essai sur Oscar Wilde o il crit Contrairement une id e re ue particuli rement tenace la cr ation artis tique ne proc de donc pas de la ma trise parfaite des contraintes formelles mais bien de l effort souvent ardu de lartiste pour travailler l int rieur de contraintes qu il ne ma trise pas sans difficult 2 C est pr cis ment l ensemble de ces contraintes que d crit et qu in t gre le cosmogramme agencement territorialis dans lequel Doisneau lui m me tout autant que ses photographies peuv
44. rit s N anmoins incertitude qui treint le photographe et qui l am ne dire ne parle pas n cris pas ne t analyse pas ne r ponds aucune question ne provient pas d une h sitation sur la mani re de faire de la photographie ou d une crainte d tre accus d artificialit Elle s origine au contraire dans cette potentialit de la photographie tre autre chose que ce qu il est convaincu qu elle est L image est dia bolique on ne sait pas comment r agi l image avec le temps confie d ailleurs Doisneau AGO Or cette potentialit diabolique ou mons trueuse il semble bien qu il Pait prouv e concr tement Car si la photographie est pour lui un faux t moignage elle peut tout moment ou en toutes autres mains devenir un faux qui ne t moigne de rien autant qu un vrai t moignage qui d nonce par son caract re implacablement objectif Le faux c est la photographie publicitaire ou sensationnelle ou purement formelle qui ne transmet aucun sentiment vrai aucune pr occupation sinc re ce sont les clich s de mannequins ou de voitures que Doisneau a d r aliser pour gagner sa vie mais c est aussi la limite le Baiser de l H tel de Ville quand il Incertain Robert Doisneau ne repr sente plus qu une norme somme d argent aux yeux de ceux qui le regardent comme ce fut le cas dans l action judiciaire intent e par Fran oise Bornet ou dans la vente aux ench
45. s comme lexpression d un instinct naturel de d fense ni m me comme la revendication d un droit formel l inviolabilit visuelle ce qui constituerait une interpr tation pr sento centr e mais bien comme la manifestation du refus d une bestialisa tion suppl mentaire d un devenir b te curieuse impliqu par une photographie intrusive qui s ajouterait l tat de b te de somme ou de b te type assign par l id ologie dominante La modestie des conditions de vie de ces sujets se donne d abord vivre pour eux comme indignit tre photographi s du moins par surprise comme P tat sauvage Les membres des classes populaires partagent cette vision du monde g n r e par la domination mat rielle et symbolique dont ils sont en permanence l objet selon laquelle tre naturel n est pas un tat digne d tre mis en images ce que confirme l inverse la n cessit ressentie de s arranger de s habiller avant d tre pho tographi s comme c est le cas pour les portraits de famille ou les images de mariage Le photographe inconnu prenant des images par surprise brise le code social du milieu qui veut que de cette vie quotidienne on ne sorte pas d images du moins pas d images publiques artistiques ano nymes Dans les milieux ais s au contraire que fr quente galement Doisneau mais avec moins de chaleur on ne r pugne pas tre pho tographi
46. so cial partir de l uvre critique d Oscar Wilde in Molitor M Remy J Van Campenhoudt L dir Le mouvement et la forme Bruxelles Publications des Facult s universitaires Saint Louis 1989 p 281 27 Chevrier op cit p 8 28 Dans les pages du Magazine litt raire Doisneau d clare D ail leurs c est pas compliqu tous les grades de Pautorit vous font chier depuis le flic qui ne quitte jamais son square et qui vous dit Vous n avez pas le droit de photographier ici Et il ne faut pas discuter jusqu au juge qui instruit votre proc s A tous les coups vous tes bais ML 1 18 29 De mani re tr s significative les deux seules photographies in dustrielles incluses dans Trois secondes d ternit autobiographie parue dix avant l exposition Renault sont dispos es sur deux pages en vis vis et leurs l gendes marquent un contraste fort entre deux tats d esprits pouvant animer ce genre photographique Sur la page de gauche le photomontage Les mains de la sid rurgie pr sentant six mains mutil es sur fond d un site mdustriel La l gende pr cise 29 30 TIOTHUN Montage fait avec beaucoup de respect apr s une visite chez les sid rurgistes de Thionville qui en fait introduisirent Doisneau clandes nement dans leur usine Hamilton op cit p 318 Sur la page de droite un clich montrant des voitures neuves sortant d une usine sur un wagon de chemin de fe
47. ui n ont pas d air en dessous a fait peur Une foule il y a pas d air en dessous et a fait peur PP Comparant ainsi la foule un serpent Doisneau souligne le risque mortel que de telles b tes font courir ceux qui s en approchent pr dateurs d une efficacit redoutables elles font de la chasse un exercice r ellement horrible Si en de telles circonstances le photographe tait rest photographe si son moi mythique avait r sist aux appels la fuite de sa personne concr te alors il aurait vraiment risqu sa vie telle est la vision qui appela Pac on de Doisneau en cet t 1936 Il ne fallait pas que la chasse dessi n e par son cosmogramme ne se retourne en mort des protagonistes L affaire du Baiser de l H tel de Ville constitue un autre croisement monstrueux qui marqua non plus le d but mais la fin de la carri re de Doisneau Rendu populaire partir du milieu des ann es 1980 suite sa commercialisation massive sur diff rents supports posters cartes postales agendas etc ce clich r alis en 1950 pour le compte du magazine Life fut l objet d une autre publicit qui souligna la r a lit du cosmogramme de Doisneau En 1992 une personne du nom de Fran oise Bornet se fit conna tre en r clamant une partie des droits issus de la vente de ce clich elle tait en effet la com dienne qui avait Jou quarante ans plus t t le r le de Pamoureuse M me si je fus personnel
48. uierry Jean Yves 2003 Robert Doisneau Travailleurs Paris Ch ne Soulages Etienne 2005 1998 Esth tique de la photographie La perte et le reste Paris Armand Colin Souriau Etienne 2009 1990 Vocabulaire d esth tique Paris PUF Tresch John 2005 Cosmogram in Ohanian Melik Royoux Jean Christophe Cosmograms New York Lukas amp Sternberg pp 67 76 Van Campenhoudt Luc 1989 Cr ation artistique et changement social partir de l uvre critique d Oscar Wilde in Molitor M Remy J Van Campenhoudt L dir Le mouvement et la forme Bruxelles Publications des Facult s universitaires Saint Louis pp 271 300 Zacca Reyners Nathalie 2005 Fiction et typification Contribu tion une approche th orique de la transmission de l exp rience Methodos 5 en ligne http methodos revues org 378 FE 10 LONAN SH V2 oT i O Paa t 2 A we IN NES F mo Te y r gime politique QUALIT ou droits du CITOYEN constitution d un Etat FORME et MESURES de gouvernement droit de CIT
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