Mathias Malzieu sur les traces d`Orphée : Maintenant qu`il fait tout le
Contents
1. ant d s le d part lui d fend de faire part de ses aventures quelque personne que ce soit le travail du deuil devant s effectuer par soi et pour soi Jai quelques recommandations te faire pour essayer de sortir vivant de tout a D abord tu dois combattre seul Ne m le personne a m me ceux que tu aimes surtout ceux que tu aimes p 34 Nulle vocation donc de faire partager un savoir au reste du monde d initier l humanit comme l ambitionne le po te orphique contrario un niveau m ta Mathias Malzieu le po te r el auteur du roman se distingue du po te de son conte Lorsqu il eut fini de r diger son roman les premi res personnes auxquelles il l a fait lire ne sont autres que son p re et sa s ur Si le travail d criture a on le suppose ais ment contribu surmonter le deuil v cu par l crivain la lecture quant elle par quelque lecteur que ce soit les proches de l auteur mais aussi un lecteur quelconque ayant v cu ou non un deuil plus ou moins prouvant peut enclencher son tour un processus d initiation chez le lecteur en question Si le personnage de papier de Mathias Malzieu est un initi encore incapable de se muer en initiateur l auteur lui m me par contre semble vouloir se positionner comme un initi autant qu un initiateur II Modalit de la r criture du mythe Le syntagme minimal 2 1 Katdbasis descente aux enfers De m me qu O2. d s lors qui appara t d chiquet e d chir e trou e Mon ombre part en lambeaux je sens qu elle se d chire tout d gringole Jai la t te en bas elle se gorge de sang Ton ombre est trou e p 135 136 M taphoriquement l ombre du h ros constituait le lien entre lui vivant et sa m re morte Gr ce elle il a acc s au pays des morts et ainsi esp re sans cesse pouvoir retrouver l Eurydice maternelle Il demeure de la sorte dans la m lancolie ce qui emp che le travail de deuil lui m me Lorsqu une fois d chir e son ombre va lui tre compl tement retir e par le g ant le narrateur au d part se sent perdu comme d nud et abandonn dans le froid de la vie Jack farfouille dans mon dos Sa main gauche se contracte sur mes omoplates les cinq doigts un un semblent se clipper mes os Tout coup je sens un courant d air partout sur ma peau et m me l int rieur Mes os se mettent claquer Le g ant enfonce les lambeaux de mon ombre dans une des poches int rieures de sa redingote Je me sens comme un oiseau d plum qui on dirait vole maintenant alors que d j respirer je trouve a compliqu p 147 148 N anmoins le narrateur n est finalement pas m content d tre d barrass de cette ombre Car travers cette derni re c est l obsession de la mort qui lui est t e une obsession qui guidait sa vie d
3. Extrait de Folia Electronica Classica t 22 juillet d cembre 2011 lt http bes fitr ucl ac be FE 22 TM22 html gt Mathias Malzieu sur les traces d Orph e Maintenant qu il fait tout le temps nuit sur toi un conte onirique comme initiation au deuil par lodie Blogie Universit Catholique de Louvain lt elodie blogie student uclouvain be gt Tout est possible il faut que tout soit possible sinon plus rien n a de sens c est la moindre des choses tout est possible Mathias MALZIEU Maintenant qu il fait tout le temps nuit sur toi Paris ditions Flammarion 2005 p 49 2 LODIE BLOGIE Quand tu perds quelqu un de tr s proche le corps n est plus la bonne place c est comme une bombe qui a explos tout est en ruine tout est par terre et il faut tout reconstruire Sans le savoir peut tre Mathias Malzieu livre l lors d une interview l impression d un d membrement orphique ce d chirement auquel laisse place la perte de l tre aim et malgr lequel on se doit malgr tout de continuer chanter Car Malzieu chante en effet il chantait avant et il a continu chanter apr s Avant et apr s le d c s de sa m re Son roman intitul Maintenant qu il fait tout le temps nuit sur toi se r v le d s lors autobiographique et retrace entre cris r els de douleur et vasion onirique le difficile processus de deuil du narrateur qui n est autre que l auteur lui m me Et q
4. ant ma tre d initiation d tient le savoir de cette discipline curative et il entend le transmettre son l ve en lui inculquant les bases et en l quipant galement du mat riel n cessaire une ombre des livres un il de chat etc Tout un vocabulaire proc dant du champ lexical de la m decine parfois maill de n ologismes ponctue donc tout le roman On nous parle ainsi de pl tres et de cataplasmes pour le c ur p 31 de pansement d ombre p 92 Ce processus d initiation o Jack appara t comme le ma tre face au disciple s interpr te galement comme un processus de gu rison o le m me g ant est amalgam un m decin face un patient travaillant de concert l aboutissement du traitement Car il est bien question d un traitement celui du deuil et d un docteur le g ant qui se pr sente imm diatement comme tel Je suis Jack le G ant docteur en ombrologie m decine par les ombrrrilles Je soigne les gens atteints de deuil en leur administrant pl tres et cataplasmes pour le c ur fabriqu s partir de mon ombre La vie malgr la mort je connais je suis un sp cialiste p 32 Giant Jack ne se limite pas au titre de docteur il en adopte galement le comportement lorsqu il met en pratique sa science savoir lorsqu il entre en contact avec le pays des morts 10 Nous soulignons 1 Nous soulignons 12 Nous soulignons MATHIAS MALZIEU E
5. autre dans ma gorge et des baffles plus grands que le ciel point s vers le trou Je veux te r veiller je veux qu on te rende nous MATHIAS MALZIEU ET ORPH E 5 1 2 Orph e le musicien po te Si dans ce roman la r f rence musicale sonne sans cesse au d tour d un mot carillonne au c ur d une m taphore Le vide et son orchestre silence se sont empar s de la maison p 34 et finalement bourdonne d un bout l autre du r cit comme un cho ce n est pas un hasard L auteur compose effectivement de la musique crit des textes de chansons et les interpr te avec son groupe du nom de Dionysos Dans ce roman en grande partie autobiographique le h ros et narrateur est donc lui aussi un musicien un chanteur et un po te D s lors partout se glisse et s immisce la musique dans le traitement du g ant sur lequel nous reviendrons post rieurement dans la cuisine de la maman orchestre gourmandises Les louches timbales et les cuill res glockenspiel sur les assiettes et les condiments en pinc es maracas p te cr pes alto barytonnes belle H l ne p 82 jusque dans le texte lui m me incroyablement sonore Les plats claquent clic clac Les plaques p 81 autant que po tique Car le po te faut il le pr ciser n est autre que celui dont nous lisons le texte N anmoins d autres personnages se r v lent galement po tes et ou musiciens Ai
6. d c s Par cons quent la m re incarne effectivement la premi re Eurydice dont il faudra se s parer et qui d terminera l attitude de l individu face aux ruptures futures Parmi celles ci la perte v ritable et d finitive et non plus juste symbolique de cette premi re Eurydice appara t donc comme une preuve majeure dont la difficult outrepasse celle d un bon nombre de s parations parall les Tel le h ros mythique le narrateur ne peut cependant se r soudre accepter cette perte Je ne te reverrai plus jamais et toi tu ne verras plus jamais rien Mon corps refuse a cogne contre les parois p 39 Dans une lutte perp tuelle aux prises avec la r alit qui l assaille le h ros renie et tente de conjurer cette mort travers de nombreux cris ou du moins ce que le lecteur imagine comme tels il en appelle au retour de la vie Je veux entendre quelque chose ton c ur je crois Bouge tape cogne je taide j y vais Allez arrache moi ce putain de marbre crache les fleurs je te taperai dans le dos pour que a ne te fasse pas tousser viens maintenant et viens dans mes bras va p 102 En outre le lexique du c ur se r v le r current pour exprimer les tourments du narrateur orphique Certaines formulations retir es de leur contexte induiraient d ailleurs facilement une interpr tation du c t de la rupture amoureuse tant les mots choisis miment ce type de sentiment Tu v
7. le h ros a aim aime toujours et ne supporte nullement l id e que cet amour puisse prendre fin avec la mort de la femme ch rie Cette derni re diff re de l Eurydice mythique marque d une certaine flexibilit lors de la reprise L o Orph e pleurait la mort de sa fianc e le narrateur affronte douloureusement la perte de sa m re Le r cit ne traite donc pas de l amour entendu comme Eros mais de l amour filial Toutefois la m re n incarne t elle pas la premi re femme aim e du petit gar on l amour originel asexu bien qu objet de tous les fantasmes inconscients du petit dipe Si ce n est gu re le lieu pour inclure une vaste parenth se psychanalytique nous ne pouvons passer sous silence la corr lation sous jacente entre fianc e et m re et subs quemment la plausible similitude entre la douleur caus e par la perte d une amoureuse travers une rupture et celle caus e par la perte d une m re travers la mort D une part la seconde peut tre consid r e comme une amplification extr me de la premi re N anmoins d autre part la premi re mort symbolique celle l de la m re travers le sevrage expose le petit enfant son premier deuil selon les psychanalystes en g n ral et selon la th orie de M lanie Klein en particulier D s lors selon cette derni re tout deuil est la reviviscence d un deuil originel celui de la s paration d avec la m re lorsque l enfant d
8. p 12 tape par tape le narrateur trempe d abord le petit doigt de pied puis plonge tout entier dans ce bassin de l initiation qui commence sur le parking de l h pital lorsqu il re oit la carte du g ant puis lorsqu il rencontre ce dernier Les premiers pas du narrateur sont h sitants comme ceux du nourrisson qui livr lui m me mais sous le regard attentif de la m re pousse ses petits pieds l un devant l autre Ici en l occurrence maman n est plus l C est alors que le h ros se red couvre petit enfant dans cet univers qu il ne conna t pas encore celui o on le prive de m re et o il doit r apprendre marcher sous les encouragements d un autre guide qui l observe mais ne lui donne pas la cl comme la m re l che volontairement les mains de son petit pour mieux le regarder avancer tr bucher puis enfin se relever et continuer Ainsi il tente t tonne et tr buche Nous soulignons Voir galement L o nous allons c est un festival ternel Les g ants chantent les basses les fant mes d animaux sauvages font les barytons les hommes les t nors les filles les altos et les fant mes de chatons les sopranos avec toutes les nuances jusqu aux fant mes d enfants souris p 117 118 8 LODIE BLOGIE Je n ai pas le mode d emploi des ombres je dois me l inventer et pour l instant c est pas trop a Le g ant m a pr venu que je devrais
9. peu l image d Heurtebise chez Cocteau et lui donne un premier avertissement pr cisant que s il r it rait sa tentative il aurait directement affaire au chef p 100 la mort en question donc personnalis e travers ces quelques mots comme elle l tait galement dans la pi ce du m me Cocteau Cependant le h ros obstin n accorde que peu de cr dit ces conseils et retourne h tivement ses exp riences Toutefois n ayant pas acquis un niveau d initiation suffisant et ne convoquant pas l aide du g ant il n obtient pas le r sultat escompt Si cette premi re tentative de catabase s av re un chec pour le narrateur elle ne le d courage pas pour autant au contraire Rien ne se passe pas un souffle pas un signe J ai envie de creuser coup de poing de tout foutre en l air de m enfoncer dans la terre p 102 Face cette d termination acharn e Giant Jack n a d autre choix que d accompagner son prot g afin de le guider dans cet univers si particulier dont il conna t le moindre recoin Cette fois enfin le h ros est pr t il a atteint le stade d initiation ad quat pour se faufiler derri re les ombres Commence alors la v ritable catabase la premi re n tant qu un pr ambule exp rimental Au pr alable Giant Jack v rifie l tat de l ombre du h ros miroir du stade de son initiation et lui fait plusieurs recommandations Ensu
10. po te est souvent consid r comme un lu ayant seul l intuition d une v rit sup rieure cl de l au del Le h ros de Maintenant ne d roge pas la r gle et entre donc bien dans le c nacle des privil gi s il per oit mieux que les autres les ombres qui hantent sa maison mais surtout il est le seul voir Giant Jack et b n ficier de son aide Si le narrateur exprime 1 Nous soulignons Nous soulignons 15 Nous soulignons 10 LODIE BLOGIE plusieurs reprises sa crainte d tre vu en compagnie d un g ant Jack le rassure en lui affirmant qu il est invisible pour tout autre que lui Jai peur que les gens te voient et qu ils voient mon ombre aussi Je vis dans ton r ve personne ne peut voir tes r ves p 63 S1 le personnage se voit progressivement initi 1l n en est par contre pas initiateur pour autant L auteur semble en effet ne pas l avoir dot de cette facette d Orph e De nombreuses fois le narrateur met le d sir de partager son initiation avec ses proches son p re et sa s ur mais ne sachant au d part comment faire il reportera sans cesse cette r v lation J aimerais donner de cette ombre de g ant Lisa et papa mais je ne sais pas comment faire p 45 Je lui parlerais bien de mon histoire de g ant et de comment je d brouille mon deuil avec cette ombre Mais c est trop t t Je ne trouve pas les mots p 83 De plus le g
11. processus du deuil L o le h ros tente par son hurlement de couvrir le bruit insoutenable de la mort de chanter plus fort qu elle l auteur par son cri propre l criture s applique d passer la voix de la mort La perte d une partie de soi ne doit pas l emp cher de continuer chanter jouer de la musique vivre enfin tre d membr et continuer chanter c est finalement accepter qu on lui retire une part de lui m me dans la mesure o celle ci reste un petit bout de soi mais ne s tend pas l tre tout entier et continuer vivre malgr tout l aboutissement du deuil en somme Conclusion Si aucune trace ne prouve encore pour l instant une intention particuli re de l auteur d avoir insuffl son uvre un parfum orphique nous n avons pu que constater au fil de nos relectures qu un r seau convergent de myth mes propres Orph e se tissait autour de la figure du narrateur miroir de l auteur lui m me Mathias Malzieu se passionne t il pour les mythes antiques S est 1il jamais reconnu une proximit singuli re avec la figure d Orph e A t il assist tout au long de son parcours estudiantin un ou plusieurs cours sur la mythologie cours qui sans qu il n en ait conscience auraient laiss de profondes empreintes dans son imaginaire d crivain et dont les r surgences se seraient momentan ment fait jour dans ce roman A t il seulemen
12. Jack attrape la cime d un arbre et s en sert comme d une scie musicale Le bruit des pattes d oiseaux d gringolant des branches rythme le break et les oiseaux se mettent siffloter avec nous Un coucou cach je ne sais o se la joue sample hip hop des pics verts mart lent le tronc fa on punk rock Jack sort quelques escargots de sa poche et les crase entre ses dents Rythmiquement c est pas mal p 89 90 Inventeur du sanglophone broyant de sa m choire des coquilles de mollusques pour accompagner le rythme ou imitant tel ou tel son l atypique g ant est en fait lui m me r guli rement apparent un instrument de musique Il y a tout un tas de cliquetis et de craquements quand il s assoit comme si quelqu un remontait des bo tes musique p 30 peste t il avec sa voix de contrebasse ventr e p 32 Vu de pr s a les c tes d charn es de Jack ressemble un orgue d glise p 138 La musique ne demeure donc pas l apanage des vivants puisque Giant Jack interm diaire entre la vie et la mort se montre lui aussi m lomane musicien voire instrument lui seul D s lors si musique dans la vie autant que dans l entre deux il y a nul doute qu on retrouve orchestre et autres rythmes larmoyants ou endiabl s dans l au del o Jack emm ne le narrateur 8 x Nous soulignons MATHIAS MALZIEU ET ORPH E T Ils manifestent leur plaisir par de pe
13. T ORPH E 9 Il ausculte la maison effleurant les murs du bout de ses normes doigts Puis il se met toquer doucement contre les murs avec un petit marteau en acier semblable celui que les m decins utilisent pour tester les r flexes Il pose d licatement son oreille contre les murs et semble couter battre le c ur de la maison Il t tonne dans la cage d escalier p 121 123 Le narrateur nous l avons dit incarne d une part le patient de ce traitement Mais d autre part le g ant l initie galement cette m decine bien particuli re Comme un stagiaire en ombrologie il s adonne lui aussi aux travaux pratiques peut tre trop pr matur ment cependant le r sultat se r v lera en effet relativement d cevant par rapport aux espoirs escompt s par le h ros Jai apport tout mon mat riel de m decine pour les morts je veux essayer a sur ta tombe je continue mes exp riences J ai l impression d tre un docteur bizarre Le docteur de ma maman morte Je mets un couteur dans mon oreille droite et je d place l autre sur diff rents endroits de la tombe J ausculte Je veux entendre quelque chose ton c ur je crois p 101 102 L tape ultime du processus d initiation r side dans la descente aux enfers que nous expliciterons post rieurement Une fois cette preuve r ussie le ma tre d initiation consid re que son l ve est en mesure de poursuiv
14. couvre que celle ci est un individu qui m ne une vie propre et a des rapports avec d autres personnes Cette tape fondatrice de l individu permet la maturation de l enfant et constitue le prototype de ses r actions ult rieures la perte L image r f re videmment l un des passages les plus c l bres de Romain Gary dans La promesse de l aube Avec lamour maternel la vie vous fait l aube une promesse qu elle ne tient jamais Vous tes pass la source tr s t t et vous avez tout bu Lorsque la soif vous reprend vous avez beau vous jeter de tous c t s il n y a plus de puits il n y a que des mirages Si ma m re avait eu un amant je n aurais pas pass ma vie mourir de soif aupr s de chaque fontaine Romain GARY La promesse de l aube Paris Gallimard 1960 1980 pour la version d finitive du texte 2009 pour la lecture d image et le dossier Folio Plus Classiques 20 si cle 169 pp 36 37 La promesse garyenne constitue une uvre tombeau hommage puissant du fils sa m re le seul v ritable amour de sa vie l unique Eurydice dont la perte laissera un Orph e inconsol et inconsolable 4 Cit e dans Marie Fr d rique BACQUE et Michel HANUS Le Deuil Paris PUF 2000 collection Que sais je n 3558 Le point des connaissances actuelles p 24 Ibidem 4 LODIE BLOGIE tant symbolique que r elle rupture amoureuse par exemple ou
15. epuis le d c s de sa m re En effet il s tait vu affubl tout d un coup d un poids trop lourd porter m taphoris par une ombre trop grande pour lui Peu peu il faudra qu il s habitue cette douleur qui lui colle aux talons et dont il ne peut se d faire Elle deviendra d abord rassurante puis encombrante et indomptable Intervient alors le d membrement n cessaire Lorsque l ombre prend trop de place et que son emprise devient impossible canaliser elle se prend dans les arbres se d chire et finit en lambeaux Ce d membrement incarne donc un passage n cessaire autant qu in vitable pour le h ros qui ne peut continuer vivre avec une ombre qui n est pas sa taille ainsi que pour l auteur qui ne peut poursuivre sa route avec l image de la mort planant sans cesse au dessus de sa t te Si au d part se MATHIAS MALZIEU ET ORPH E 15 r fugier dans la m lancolie m taphoris e par l ombre dans laquelle s emmitoufle le h ros paraissait rassurant le narrateur miroir de l auteur comprend finalement que s enfoncer davantage dans l univers de la mort ne lui apportera aucun soulagement lui vivant mais que c est avec sa petite ombre d homme qu il doit r apprendre vivre Je n ai plus qu une petite ombre de gar on comme tout le monde Je la teste contre le mur du couloir je suis assez content de la retrouver l g re et moi l ger dedans Facile manier presq
16. escendre confirment cela en descendant au pays des morts p 138 on serait descendus tous ensemble p 139 Le conte de Mathias Malzieu livre certes clairement une r criture de catabase Toutefois celle ci ne refl te pas toutes les caract ristiques de la katdbasis mythique d Orph e Premi rement le h ros contrairement Orph e n a pas la pr tention de ramener sa m re du royaume des morts celui des vivants Bien qu au d part il implore sa m re de revenir le narrateur semble avoir pris conscience de l inaccessibilit de ce d sir et souhaite simplement revoir sa m re pour la serrer dans ses bras par exemple Ensuite premi re vue l interdiction du retournement n est pas formul e comme telle L un des myth mes caract ristiques de l histoire d Orph e serait donc absent de cette r criture singuli re A posteriori n anmoins une relecture plus approfondie dessine de mani re sous jacente cette prohibition et cela d s le d but Effectivement lorsque Jack confie un bout de son ombre l clop qu il prend sous son aile il lui d fend de s approcher trop dangereusement de la fronti re entre vie et mort Ensuite tu ne dois pas utiliser les portes qui m nent au pays des morts Se battre contre la mort ne veut pas dire aller la voir de pr s La seule mani re de tuer la mort c est de rester en vie Reste tourn vers la vie p 34 Si l ordre est formul s
17. iens d avoir un grave accident de c ur Il te faut de quoi te recoller les morceaux p 32 Je le connais ce bruit de c ur qui se casse p 56 L appel la tendresse au toucher et le manque d un contact physique sont galement convoqu s Une fois de plus les passages suivants s appliqueraient ais ment une relation amoureuse voire charnelle mais expriment ici avec justesse le besoin de tendresse maternelle du petit gar on m me devenu grand Oh qu est ce que je donnerais pour te serrer dans mes bras et embrasser ton front arracher la nuit te brancher sur mon dos Je t emm nerais loin je te soufflerais partout sur la peau tu le sentiras tu te sentiras exactement comme avant p 94 Maintenant tu me manques Des fois c est tes bras des fois c est tes pas dont je crois reconna tre le bruit La plupart du temps c est toi en entier avec ta voix et tes petites fa ons d tre ma m re p 77 Somme toute lamour du narrateur comme celui d Orph e n a pas de fronti res Pour retrouver son Eurydice le h ros se montrera pr t tout y compris descendre dans le royaume des morts Voir galement la page 16 a ne s enl ve pas une maman Laissez moi rester Je vais l op rer en dormant contre elle vous verrez elle va se r veiller et la page 59 Je veux crier plus fort que le dernier craquement d un s quoia avec un microphone plant dans mon c ur un
18. image du traitement m dical fera l objet d une analyse plus approfondie lors du d veloppement du point 1 3 6 LODIE BLOGIE Je ne suis m me pas s r de savoir encore comment a marche de faire sortir des notes de musique de mon corps maintenant que j ai un trou dedans p 20 Le travail de deuil p nible et lent s effectue alors en parall le avec voire s appuie sur la red couverte du plaisir de la musique Progressivement le g ant lui en redonne donc le go t a m a fait du bien de chanter j avais oubli p 90 et plus encore lui pr sente cette musique comme un refuge inesp r isol des craintes et de la douleur Je me blottis de tout mon saoul dans ce petit instrument Tant que je joue j ai moins peur p 100 Si la sagesse populaire pr tend volontiers que la musique adoucit les m urs cette derni re poss derait galement du moins pour le h ros de ce livre le pouvoir d adoucir le deuil tout comme le chant d Orph e apaisait la nature Ce rapport entre musique et enchantement de la nature pr cis ment appara t aussi dans le r cit du narrateur Les improvisations musicales du h ros et du g ant se voient r guli rement accompagn es par la nature environnante Celle ci d abord attentive se m le rapidement la danse La lune se d coupe bien dans la nuit les arbres ont l air attentifs c est un bon moment pour faire un peu de musique avec un g ant
19. ite 1l s quipe du 6 Jean COCTEAU Orph e Paris douard Dermit 1950 ditions Librio 1995 Th tre Texte int gral Dans la description de ses personnages Cocteau crit au sujet d Heurtebise Heurtebise n est pas du tout un ange comme il l tait dans la pi ce et comme on l crit souvent C est un jeune mort au service d un des innombrables satellites de la mort p 9 17 Voir la description ambigu du personnage de la princesse La princesse ne symbolise pas la mort puisque le film est sans symbole Elle n est pas plus la mort qu une h tesse de l air n est un ange Elle est la mort d Orph e comme elle d cidera d tre celle de C geste et celle d Eurydice Elle est une des innombrables fonctionnaires de la mort Chacun de nous poss de sa mort qui le surveille depuis sa naissance gt Ibid p 10 12 LODIE BLOGIE mat riel ad quat un il de chat qui permet de voir travers la nuit et les ombres p 121 De la sorte il a l air d un sp l ologue le ton est donn nous savons que tels deux sp l ologues les h ros vont s enfoncer dans les couches souterraines du globe Et de fait le h ros d clare Je veux te retrouver toi et ta lumi re et je m appr te m enfoncer dans les catacombes du monde pour a p 123 La catabase si explicitement formul e ne laisse pas la possibilit d une once de doute plusieurs occurrences du verbe d
20. l image de la m re disparue l arracher cet univers sombre plein de larmes et de tristesse dans lequel elle a t projet e au lendemain du d c s L impulsion initiale de la d marche d criture s assimilerait donc une catabase une plong e dans les entrailles des souvenirs dans l enfer de la douleur dans le ressenti tape premi re vers le traitement du deuil 2 2 Andbasis retournement et perte Ce myth me capital une fois de plus se voit explicitement illustr au d tour d une phrase de Mathias Malzieu Je me retourne l oiseau a disparu p 128 cet instant du r cit le narrateur guid par le g ant dans les m andres de l enfer croit reconna tre sa m re sous les traits d un oisillon D un coup son c ur s emballe et il se met l appeler et retirer son ombre la h te pour qu elle le reconnaisse Mais l espoir est de courte dur e puisque peine pense t il l avoir aper ue qu elle dispara t d j En outre l anabase prend une tout autre signification si l on s attarde davantage sur son r le dans le processus de deuil en lien avec celui de l criture En ce sens l anabase consisterait dans le fait de sans cesse se retourner vers la mort ce qui avait bien t prohib par la formule imp rative Reste tourn vers la vie pour finalement prendre conscience de la perte effective de telle sorte que la personne en deuil accomplisse un sec
21. me d brouiller seul D s demain soir je tenterai de nouvelles exp riences p 51 Et en effet le processus d initiation se met peu peu en place Conscient de ses faiblesses et de ses limites le h ros acquiert diff rentes comp tences d abord infimes et accessoires Je sais bien que je ne suis pas pr t mais j en ai marre de savoir je veux sentir maintenant je ramasserai les morceaux je me ferai un pansement d ombres je sais faire p 92 Progressivement ses aptitudes s aiguisent et son savoir s affirme Le n ophyte se montre plus aguerri et s r de lui Je me rends compte de l troit cousinage entre les ombres et les fant mes Parce qu au cimeti re et la maison je les effleure Je les vois se m langer entre les arbres et les tombes je sais que je suis en contact avec le monde o tu te trouves d sormais p 104 D un non savoir d une non compr hension totale le narrateur se mue en un initi v ritable Je suis pr t je vais aller regarder derri re les ombres p 107 Si le narrateur se sent pr t c est que au fil des jours et de ses rencontres avec Jack v cues comme autant de le ons donn es par un ma tre son disciple il s est familiaris avec la science dite de l ombrologie Plus qu une science l ombrologie appara t comme une sorte de m decine et le processus d initiation s apparente parall lement un traitement Le g
22. nsi la m re du narrateur elle m me fut prise d une crise de po sie p 41 et faisait partager ses textes son fils Par ailleurs Giant Jack est un g ant f ru de livres et de contes la po sie parfois cruelle dont on soup onnerait d ailleurs volontiers qu il en soit lui m me l auteur Sans oublier qu il se r v le aussi musicien tout fait atypique ainsi qu inventeur d un instrument pour le moins insolite L univers tout entier de ce roman se r v le alors baign de musique tout comme sa prose regorge de po sie Le traitement administr par le g ant pour soigner le deuil m rite que l on s y attarde un peu plus longuement En effet outre l ombre protectrice et les livres b quilles l attirail de rem des comporte galement un large ventail de pommades musicales et autres baumes rythm s En premier lieu pour convoquer le g ant le narrateur doit chantonner Giant Jack is on my back Ensuite le g ant lui offre pour No l un harmonica pr cieux instrument comparable la lyre caract ristique d Orph e Somme toute le narrateur apprendra panser son deuil par la musique tout comme on peut supposer que l auteur r el le fait travers l criture Pourtant au d part le h ros pour qui le monde vient de s crouler doute de sa capacit rejouer de la musique et se demande si au milieu de toutes ces ruines il reste encore quelque chose de lui m me 7 L
23. ond retournement dans l autre sens cette fois savoir vers la vie L emploi du verbe li par sa racine au retournement est significatif En effet suite son passage dans l au del le narrateur formule trois reprises sa d termination de ne plus s y aventurer je ne retournerai pas au pays des morts je n y retournerai pas de mon vivant je n y retournerai pas de mon vivant p 145 151 Ainsi fait il la promesse de ne plus se retourner vers la mort avant d y tre lui m me confront Le retournement chez Mathias Malzieu ne consiste donc pas en un simple demi tour mais en tour complet Il y deux tapes ce mouvement un retournement et un d tournement On passe d une part du retournement 14 LODIE BLOGIE vers la mort la perte et la prise de conscience de cette perte et d autre part de cette prise de conscience de la perte un d tournement de la mort autrement dit un second retournement le retournement vers la vie autre tape capitale du processus de deuil Cet ultime retournement ne s effectue certes pas ais ment Il implique en effet d accepter la mort dans un premier temps mais aussi d assumer l amputation d une partie de soi et donc de passer par un d membrement 2 3 Sparagm s D membrement Dans ce conte le d membrement se fait jour de mani re imag e et att nu e En effet l ombre se substitue au h ros et c est elle
24. ournement exprime l chec d un deuil excessif pathologique o le petit bout de soi sacrifi l au del se mue en soi tout entier offert aux enfers Chez Mathias Malzieu l ombre protectrice incarne symboliquement ce petit bout de soi lieu intime de la fusion du toi et moi de la m re et de Penfant qu il faut abandonner au tombeau pour que le moi vive nouveau sans le toi Ce n est donc pas l endeuill lui m me qui est sacrifi qui subit le d membrement in luctable mais cette petite part de lui m me li e l tre perdu qu il s agit d accepter de laisser derri re soi pour continuer chanter 2 Jean ALLOUCH rotique du deuil au temps de la mort s che Paris EPEL 1995 cole lacanienne de Psychanalyse p 44 21 ce petit bout ni de toi ni de moi de soi et donc et de toi et de moi mais en tant que toi et moi restent en soi non distingu s Ibidem 7 Cette analyse est appuy e par la constitution de l ombre en question fabriqu e base de liquide amniotique p 33 16 LODIE BLOGIE Lorsque le h ros s chappe du monde des morts accroch Jack il est assailli par les cris hurlements de ceux qui sont en train de mourir Le narrateur se met alors hurler aussi fort que les morts p 139 La r surgence de cet autre myth me orphique la t te d Orph e qui continue chanter de fa on att nu e r v le en fait l aboutissement du
25. r de tout un chacun au lendemain de l inimaginable s paration Pour tout Orph e d un jour d un mois d un an il s agira alors de dire cracher hurler voire chanter la mort pour chapper co te que co te l attraction du destin orphique pour s arracher l tranglement de la m lancolie pour r int grer la vie Peu importe somme toute que Mathias Malzieu ait eu ou non l intention d lib r e de r f rer au mythe orphique Il s est simplement nourri consciemment ou non de la figure d Orph e il s en est impr gn jusqu la moelle au point de l incarner travers son alter ego de papier pour finalement s en d tacher progressivement pour le surpasser C est en ce point que r side ind niablement la plus grande distinction entre le mod le mythique et sa r criture dans l extr me contemporan it de Mathias Malzieu L o Orph e finit son parcours condamn errer pour l ternit dans les enfers le jeune h ros de ce jeune auteur r int gre la vie Cheminant peu peu vers l aboutissement du processus de deuil il accepte enfin d fre nouveau d tre malgr d tre m me si d tre maintenant qu il fait tout le temps nuit sur toi
26. re le processus sans son aide La cons cration de l initiation se dessine comme l aboutissement d un traitement Le patient va pouvoir se soigner seul pr sent Initi au processus du deuil il a maintenant toutes les cartes en mains pour avancer sans un m decin perp tuellement ses c t s Eh bien tu n as plus besoin de moi maintenant J ai un peu consolid ton c ur avec ces histoires d ombres je lai r duqu Mais tu tes suffisamment frott la mort Tu es m me all jusqu au pays des morts ce qui correspond la dose d ombre m dicale la plus forte qu on puisse administrer un vivant Le vaccin coule dans tes veines Il est grand temps que tu te frottes nouveau la vie Bien le traitement commence fonctionner on dirait p 144 146 La m taphore fil e du traitement appuy e par la pr gnance du lexique m dical illustre bien le difficile chemin vers la gu rison du deuil mal soudain auquel nul n est jamais v ritablement pr par qui ronge celui qui en est atteint H las cette maladie ne touche rarement qu une personne la fois et au contraire se r pand souvent comme une pid mie Pourtant si l on partage la souffrance avec d autres la mani re de la soigner diff re selon chacun et la gu rison ne peut se construire que seul Ou du moins presque seul De ce point de vue le narrateur est favoris De la m me mani re en tant qu initi le
27. rph e d sempar supplie les dieux de l autoriser descendre aux enfers afin d y reprendre son Eurydice le narrateur du roman implore Giant Jack de l emmener dans le monde des morts pour y revoir sa m re Ce h ros a pourtant t pr venu comme l avait t son double mythique en s enfon ant dans les entrailles de la terre il MATHIAS MALZIEU ET ORPH E 11 transgresserait l ordre naturel des choses la descente d un vivant aux enfers n tant habituellement pas autoris e Toutefois malgr les mises en garde de Jack le g ant le little man comme l appelle volontiers ce dernier contourne les interdits et n coutant que son d sir d cide de s aventurer au pays des morts De fait un soir le narrateur d cide d aller seul gratter derri re voir ce qui se passe aux pays des morts p 95 Ainsi je descends le lotissement je continue ma descente p 96 97 raconte l ent t narrateur pour finalement arriver au cimeti re Au milieu de ce morbide d ambulatoire de marbre le h ros rencontre une trange personne qu il d crit comme la chose la plus laide qu il mait t donn de voir de toute ma vie p 99 Cette cr ature telle une gardienne de la mort l avertit et tente de lui faire entendre raison non l homme vivant ne doit pas se frotter ainsi la mort Comme un Charon des temps modernes ce fant me se dit employ municipal de la mort p 100 un
28. t conscience finalement que son uvre ait pu se pr ter si sensiblement une interpr tation orphique Ces quelques questions demeurent jusqu ce jour sans r ponses N anmoins nous avons pris le parti de d verrouiller ce roman l aide d une autre cl que celles premi re vue plus videntes de l autobiographie du simple conte ou de la prose po tique Alors trangement un effet inverse s est produit l uvre de Malzieu a r pondu Orph e et nous avons soudain envisag ce mythe sous un autre visage celui du deuil Le po te antique s est d s lors r v l nos yeux incarnation tragique de celui qui ne sait pas enterrer l tre aim tel point qu il d missionne de sa place de vivant pour s enterrer lui aussi momentan ment dans un premier temps irr m diablement finalement aux c t s de MATHIAS MALZIEU ET ORPH E 17 l amour perdu Figure du deuil inaccompli Orph e s incarne au fond en chacun de nous ne f t ce que l espace d un plus ou moins court plus ou moins long moment lorsque nous sommes confront s impuissants et d sempar s l ineffable perte de l autre Et l r side toute l universalit du mythe d Orph e sa douleur est celle qu a v cue hier que vit cet instant pr cis ou que vivra demain chaque me humaine Ce d sir ardent autant qu irr aliste d aller arracher l autre aux griffes de la mort ne r pond qu au fantasme d sesp
29. tits cris tr s fins on dirait des scies musicales d saccord es Les fant mes crient comme ils respirent a ressemble au son que ferait du vent s engouffrant dans une fl te bec Quand ils sont nombreux on croirait entendre un orchestre philarmonique de vents jouant une partition m lancolique N importe quel humain percevant ce son se met imm diatement pleurer Les larmes coulent et les nuages s claircissent laissant appara tre des rayons de soleil p 113 1 3 Orph e l initi initiateur Derri re ses apparences de simple conte onirique le r cit de Mathias Malzieu retrace en fait le chemin d une initiation celle de son personnage l ombrologie certes mais bien plus sa propre initiation au deuil maternel travers les doutes les le ons apprentissage les checs de son h ros puis ses petites victoires l auteur par l criture de ce parcours apprivoise lentement le d c s de celle qui l a mis au monde Le personnage au d part non initi s embarque donc dans un processus d initiation guid par Giant Jack Ainsi la qu te de sens commence l aveuglette dans l obscurit compl te du non savoir Nous on voit rien on te voit plus on n y voit rien on ne sait plus grand chose On marche dans la nuit et on ne te trouve pas faut dire qu on les confond toutes ces nuits noires paisses comme du tissu pas beaucoup d toiles tout se ressemble
30. ue invisible les r flexes naturels reviennent vite p 151 D sormais le narrateur au m me titre que l auteur va devoir composer en laissant de c t l image obsessionnelle de la mort et en acceptant d tre d membr d une part de lui m me sa m re Ce d membrement orphique rejoint par ailleurs la conception du deuil telle que d velopp e par Jean Allouch en r action au mod le freudien dominant Selon la th orie de celui qu on consid re parfois comme le P re de la Psychanalyse le travail de deuil consiste r investir la libido li e l tre perdu dans un nouvel objet d amour qui appara t donc comme un substitut Pour Jean Allouch cette d finition du deuil qui s est impos e tort comme une vidence dans le champ psychanalytique est irrecevable Si je perds un p re une m re une femme un homme un enfant un ami vais je cet objet l pouvoir le remplacer Mon deuil n a t 1l pr cis ment pas affaire lui en tant qu irrempla able Ce tenant de l cole lacanienne propose d s lors une nouvelle conception du ph nom ne de deuil qui s apparente alors une perte s che c est dire l abandon par l endeuill d un petit bout de soi entra n dans la tombe avec le d funt au moment du d c s L approche d Allouch offre de la sorte un nouveau filtre d analyse au mythe antique Le d membrement d Orph e comme cons quence de son ret
31. uel mythe antique souligne mieux toute la difficult d apprivoiser le deuil que celui d Orph e L uvre de Mathias Malzieu fourmille de myth mes orphiques et pourtant Nulle source et ce n est pas faute de fouilles biographiques ne donne la preuve d un d sir d all geance mythographique de la part de l auteur N anmoins nous conservons la conviction d une impr gnation orphique et nous nous proposons donc d explorer cette voie comme une cl de lecture potentielle n ayant pas la pr tention de l imposer comme interpr tation av r e D s lors nous t cherons de souligner les r surgences des grands motifs orphiques et d analyser leur int gration dans l uvre avec tout ce que cela comporte de flexibilit ainsi que leur signification dans le processus d criture de l auteur I Rep rage Les attributs h ro ques 1 1 Orph e l amoureux plor quatorze ans d j apr s ma premi re rupture amoureuse je ne pouvais pas m emp cher d aller faire du v lo autour de la maison de cette jeune fille qui m avait cass le c ur Aujourd hui le sympt me est le m me S1 le narrateur compare sa d tresse celle d une rupture amoureuse c est qu il s agit bien d un chagrin d amour et quel chagrin De fait y a t il amour plus fort que celui d un fils pour sa m re si ce n est sans aucun doute celui de cette m me m re pour l enfant qu elle a port ne
32. uf mois durant avant de l accompagner chacun de ses pas de l encourager pour chacune de ses entreprises de le consoler chacune de ses d sillusions de l aimer pour rien Sandrine VENDEL Interview de Mathias Malzieu mars 2005 en ligne http www actusf com spip article 3010 html page consult e le 29 d cembre 2009 Mathias MALZIEU Maintenant qu il fait tout le temps nuit sur toi Paris ditions Flammarion 2005 Jai lu p 104 Au vu des nombreuses citations qui maillent cet article nous nous contenterons dor navant d indiquer uniquement le num ro de la page la suite directe de la citation tous les extraits tant bien entendu tir s de la m me dition MATHIAS MALZIEU ET ORPH E 3 en particulier et pour tout la fois Et pourtant la vie du commun des mortels n est pas ternelle Cette source d amour maternel laquelle il est si rassurant de puiser quand la confiance manque ou que la tristesse sous marine merge des profondeurs de l me s ass che un jour subitement ou dans une lente agonie du flux de la vie L enfant est alors condamn vivre toujours assoiff d une pr sence d sormais jamais absente Maintenant qu il fait tout le temps nuit sur toi murmure fredonne ou hurle cette perte Le h ros d verse l amour dont il regorge mesure que l encre inonde le papier comme des larmes ou comme le sang d un c ur vif l instar d Orph e
33. ur un mode positif ce reste tourn vers la vie n quivaut il pas la formule injonctive n gative ne te tourne pas vers la mort autrement dit ne te retourne pas Somme toute la d fense du retournement se r v le en filigrane certes bien pr sente dans le discours du g ant Enfin nous l avons d j voqu lors de l analyse des attributs h ro ques ce roman poss de en son sein une certaine dualit entre conte onirique et r cit autobiographique entre personnage de papier et auteur r el De ce fait sa lecture s effectue potentiellement deux 18 Voir Orph e l plor citations la page 2 1 Nous soulignons MATHIAS MALZIEU ET ORPH E 13 niveaux tout d abord au premier plan celui d une fable imaginaire sur la complicit naissante entre un petit homme et un g ant docteur en ombrologie ensuite au second plan derri re une lecture superficielle celui du processus de l criture comme traitement du deuil Cette analyse m ta discursive en parall le avec le niveau purement narratif met galement au jour le syntagme minimal du mythe d Orph e Dans ce cas la premi re tape savoir celle de la catabase proc de du souvenir il s agit pour l crivain de descendre au plus profond de lui de creuser dans sa m moire de s enfoncer dans les catacombes des sentiments prouv s suite la perte pour mieux ensuite par les mots ramener la vie
Download Pdf Manuals
Related Search