Patricia Highsmith
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1. tincelant avec des lignes nettes Refuges tani res ch teaux forts les maisons romanesques de Highsmith apparaissent souvent comme des personnages part enti re Dans Ce Mal trange This Sweet Sickness la maison habit e en secret durant les week ends est le lieu du r ve l abri des d lires maniaques de l inqui tant David La plus pr gnante est Belle Ombre manoir recouvert de vigne vierge rouge que Ripley occupe partir du second volume de ses aventures criminelles apr s le meurtre de Dickie Greenleaf et la r daction d un faux testament qui fait de lui le l gataire de Dickie Situ e pr s de Fontainebleau Belle Ombre est un b timent de pierre grise ou rose carr deux tages et les quatre tours rondes juch es sur les quatre pi ces d angle lui donnfent lair d un petit ch teau Tous les visiteurs sont fascin s par sa beaut sa robuste sym trie il ne s agit pas pr cis ment d une humble maisonnette Ripley prouve pour cette maison cadeau de son beau p re un attachement presque f minin narcissique et orgueilleux et lorsque Belle Ombre pourrait tre en danger il n h site pas tuer sous son propre toit trois reprises il y assassine des importuns un collectionneur et deux membres de la Mafia italienne qui auraient pu plastiquer Belle Ombre ou mettre en p ril les revenus qui en permettent l entretien Highsmith tant tr s attach e ses propres m2. soucient que justice soit faite ou non C est donc une thique personnelle qui s imposera dans le r cit souvent en porte faux avec la morale sociale religieuse ou l gale Moralit normalit et tranget se d fient sous les yeux perplexes du lecteur entretiennent son incertitude et son trouble jusqu la fin des r cits et m me au del Morale sociale Dans Le Cri du hibou The Cry of the Owl la soci t accuse priori du simple fait qu il est voyeur un homme pourtant discret et inoffensif alors qu elle tend innocenter d autres protagonistes plus normaux d apparence mais en r alit dangereusement caract riels et impr visibles Le r cit est ainsi men que le lecteur bravant les certitudes du groupe majoritaire se range aux c t s de l individu marginalis Soci t criminelle Dans La Cellule de verre The Glass Cell on met en prison l innocent Philip Carter qui de martyr deviendra triple criminel l erreur judiciaire intol rable dans le syst me highsmithien grippe la m canique La victime doit tablir pour sa survie post carc rale sa propre loi face au rouleau compresseur de cette soci t qui engendre l erreur Et d affirmer je rendrai la justice que j ai re ue Morale individuelle Ingham du roman L Empreinte du faux The Tremor of Forgery s est quant lui forg une morale ad hoc conditionn e cette fois par son environnement Une vie humaine ne semble
3. un faux testament en sa faveur Grande amoureuse multipliant les partenaires Patricia Highsmith a autant que faire se pouvait tenu son homosexualit secr te et ce presque jusqu la fin de sa vie Ainsi a t elle publi sous un pseudonyme Claire Morgan son deuxi me livre Carol The Price of Salt qui voque une histoire d amour entre deux femmes Ce roman homosexuel dit en 1952 et tir un million d exemplaires fut un livre culte dans l Am rique d apr s guerre valant Highsmith des milliers de lettres de lecteurs enthousiastes cause de son happy end M me si la fin est heureuse pour les 7 deux femmes l une des h ro nes est priv e par la justice de son droit de garde sur sa fille Ce n est qu en 1991 que ce livre augment d une postface sera r dit sous le nom de Patricia Highsmith Les journaux intimes ainsi que les lettres conserv es dans le fonds Highsmith apportent un nouvel clairage sur la vie de la jeune Highsmith Elle y a consign en d tails les moments d une vie amoureuse aussi versatile que fougueuse Les difficult s des relations homosexuelles surtout dans la New York r pressive des ann es 40 et 50 sont document es ses propres drames analys s Patricia Highsmith suivit m me une psychoth rapie dans le but avou de se gu rir de son homosexualit L observation de soi m me le d sir de se comprendre se retrouve dans l interrogatoire permanent qu elle s adress
4. Patricia Highsmith Exposition de la Biblioth que nationale suisse 10 mars 10 septembre 2006 Introduction aux th matiques de l exposition Famille le refuge infernal Altruicides et affabulateurs Moralit normalit tranget En musique Les maisons leveurs et collectionneurs tranges La soci t comme prison observation la loupe oOo N OO OO BR OON gt Portrait au miroir 1 Famille le refuge infernal Patricia Highsmith est n e Fort Worth au Texas o elle a pass une grande partie de son enfance confi e par intermittence aux bons soins de sa grand m re maternelle Elle entretint sa vie durant une relation douloureuse et conflictuelle avec sa m re divorc e et remari e Bris e par ces ruptures et ses attentes filiales d ues elle construisit p niblement sa vie sentimentale II lui tait difficile de supporter une cohabitation amoureuse au del de quelques mois Son oeuvre litt raire t moigne de cette douloureuse r alit mais aussi d une f roce lucidit la nostalgie le d sir d une famille id ale se d litent devant le naufrage irr m diable des relations Dans cette atmosph re de rupture le sentiment amoureux ne peut tre qu illusion pure projection se brisant immanquablement devant la r alit de l autre D s l adolescence de Highsmith les querelles avec sa m re sont incessantes En juin 1942 Mary Highsmith gifle sa fille en r action Highs
5. affabulation criminelle et innovent ainsi dans le genre policier Dans Le Meurtrier The Blunderer le h ros malheureux Walter Stackhouse avocat d affaires se passionne pour les amiti s perverses notamment celles entre certains meurtriers et leurs victimes Sensible et int ress aux affaires criminelles il a d velopp une certaine intuition ainsi lorsqu il lit un article de journal narrant le meurtre d une femme il ne fait pas long reconna tre dans le mari le meurtrier Mais lorsque sa propre femme se suicide son int r t pour les meurtres le fait de collectionner des articles de presse sur le sujet le d signe aux yeux d un brutal inspecteur de police comme le possible assassin de sa femme Pris dans cette spirale il clamera vainement son innocence L Homme qui racontait des histoires The Story teller est en filigrane un livre sur l art de faire un bon roman suspense Sydney Bartleby crivain malheureux dont les sc narios sont r guli rement refus s par les diteurs traverse une crise conjugale Il songe parfois qu il pourrait tuer sa femme se sachant probablement pi par la voisine il emporte un matin tr s t t de sa maison un tapis roul qu il va enterrer dans une for t comme s il avait assassin sa femme elle m me s journant pour quelques temps loin de chez elle On pense bien s r un meurtre et tout accuse Bartleby son insu et un peu malgr lui Bartleby a donc r ussi l o se
6. aisons on ne s tonnera pas que son animal f tiche f t l escargot 6 leveurs et collectionneurs tranges Dans quel but Patricia Highsmith attribue t elle si fr quemment des obsessions des marottes d sar onnantes ses personnages Pourquoi tant de collectionneurs tant d leveurs saugrenus dans ses livres Sans doute pour fixer l effet de bizarrerie sur un individu le cerner dans son intimit singuli re mais aussi pour faire progresser insidieusement son r cit vers des terres o la rationalit n a plus cours Highsmith folle de psychopathes Ses notes ses articles sur quelques grands tueurs psychotiques son attention fascin e pour les d viances psychiques l attestent indubitablement Mais Highsmith tait au moins autant captiv e par la psychologie des collectionneurs que par celle des tueurs psychopathes Dans le roman homosexuel Carol The Price of Salt Th r se jeune d coratrice de th tre amoureuse de Carol sculpte et collectionne des t tes de chats Kimmel dans Le Meurtrier The Blunderer des figurines en bois Dans L Inconnu du Nord Express Strangers on a Train ou dans Eaux profondes Deep Water on a affaire un collectionneur de moules g teau un leveur de punaises et d escargots un cultivateur de digitales Par opposition la froideur meurtri re de Vic dans Deep Water ou du fameux Ripley l implication passionn e de ces m mes personnages lorsqu ils deviennent collec
7. e elle m me dans ses carnets de notes Elle se pr te aussi au jeu des questions Les vingt choses que j aime le plus celles que j aime le moins le questionnaire de Proust et l on voit un portrait s baucher elle est farouche elle d teste le bruit des autres porter des bijoux des habits du parfum qui pourraient attirer l attention sur elle se lever t t est un enfer elle d teste ceux qui croient en une vie apr s la mort et leur pros lytisme Small g une idylle d t Small g a Summer Idyil le dernier roman posthume de Highsmith a pour toile de fond la sc ne homosexuelle zurichoise et l pid mie du SIDA Un amical m decin fait croire pendant quelque temps un patient homosexuel le graphiste Rickie qu il est porteur du SIDA afin de l amener avoir une sexualit responsable
8. e est inexistant P re d un enfant mongolien Roland est heurt par les attentions r gressives de sa femme pour ce fils r vuls par les regards pos s sur leur trio Par d pit un soir pour se d fouler il trangle un inconnu dans la rue et arrache un bouton de la veste de sa victime ce bouton conserv au fond de sa poche s attachent d sormais diff rentes significations revanche apaisement secret compensatoire 2 Altruicides et affabulateurs Les romans de Patricia Highsmith mettent en sc ne morts violentes meurtres et crimes La fronti re entre une vell it d assassinat et un fait criminel av r y est souvent fluctuante au m me titre que le rapport entre revendication de culpabilit et culpabilit r elle Il arrive bizarrement que ses h ros par jeu ou par curiosit de caract re miment un meurtre et par la suite soient soup onn s de l avoir r ellement commis D autres personnages restent incertains quant au sort de ceux qu ils ont agress s et peuvent donc se consid rer selon l clairage meurtrier ou innocent C est dans ces sc narios rocambolesques que se refl te la singularit inventive de Highsmith qui poss de le pouvoir incomparable de se glisser au plus profond de la psych des criminels et des psychopathes Dans ce monde terrifiant les meurtriers deviennent les sosies d voy s des artistes ou sont parfois effectivement artistes et meurtriers Trois romans au moins portent la marque de l
9. e observatrice et une critique aux griffes ac r es ressentant de toute vidence un plaisir de revanche d noncer certains faits De nombreuses lettres de lecteur adress es aux journaux et publi es sous des pseudonymes farfelus lui permirent galement d pancher son plaisir la critique Les paires de jumelles accessoire familier du d tective dans les romans policiers sont aussi pr sentes dans les textes de Highsmith Elles ne servent pourtant pas la r solution d une nigme mais participent plut t la mise en place d une atmosph re pesante d observation et de suspicion entre voisins ou parents On pense notamment Carol The Price of Salt au Cri du hibou The Cry of the Owl Une Cr ature de r ve Found in the Street ou encore Ripley entre deux eaux Ripley Under Water La r flexion que se fait Philip Carter dans La Cage de verre The Glass Cell sa sortie de prison voque cette ambiance de claustrophobie sociale Je pense que le monde entier est comme une grande prison et que les prisons n en sont qu une forme exag r e Homosexuelle Patricia Highsmith avait prouv d s son plus jeune ge un sentiment de non conformit sociale Plus tard son statut d Am ricaine vivant en Europe l a galement marginalis e trang re chez elle trang re dans son pays natal Le d plorant parfois elle tenait en m me temps infiniment l ind pendance et la solitude qu elle avait choisi
10. es M me face la mort l autod termination devait tre possible elle devint donc membre d EXIT Association pour le droit de mourir dans la dignit Le suicide est d ailleurs souvent le moyen dans ses romans de r soudre le conflit entre d sir de solitude et touffement dans sa vie aussi Highsmith fut confront e au suicide de quelques amis comme celui du peintre Allela Cornell et celui d Arthur Koestler Si dans ses premiers romans la critique de la soci t se fait indirectement en mettant en sc ne des destin es priv es tragiques Highsmith labore une critique plus offensive dans son uvre tardif Le volume Catastrophes Tales of Natural and Unnatural Catastrophes r unit un ensemble de nouvelles grotesques ou satiriques pr sentant toute une s rie de sc narios apocalyptiques o la nature se venge des maltraitances que lui inflige la soci t moderne Highsmith fustige en particulier le pouvoir conservateur de Ronald Reagan Par des lettres assez rudes aux politiciens et aux journaux elle a aussi exprim sa pr occupation pour le destin des Palestiniens et leur oppression par Isra l oppression l gitim e par les tats Unis Si Highsmith n a pas directement utilis ce conflit comme intrigue elle a cependant d di deux de ses ouvrages aux Palestiniens opprim s Ceux qui frappent la porte et Ripley entre deux eaux 8 Portrait au miroir Patricia Highsmith excelle dans l introspection psycholog
11. h ques leurs collections reflets des pr f rences de Patricia Highsmith sont tr s fr quemment d crites 4 I ne faudra pas moins de cinq aventures pour que la personnalit musicale de Ripley soit d voil e quasi rien n est dit dans le premier roman o Ripley est encore un tout jeune homme en formation Dans le deuxi me on apprend que le motif musical de Tom est celui du Songe d une nuit d t de Mendelssohn Il le reconna t comme sa musique celle qui l inspire Salzbourg il visite la maison de Mozart et voit le clavicorde la traduction fran aise dit clavecin condamn au silence son clavier prot g par du verre Dans Ripley s amuse Ripley s game Tom acquiert pour lui et son pouse H lo se chez un antiquaire parisien un clavecin ancien en bois de rose avec des feuilles d or incrust es v ritable bijou sur lequel il jouera les Variations Goldberg qu il connaissait par un enregistrement de Wanda Landowska Dans les deux derniers volumes ses go ts se pr cisent Domenico Scarlatti Bach qu il interpr te mais aussi Albeniz Brahms Sibelius Scriabine les lieder de Schubert par Fischer Dieskau le Rosenkavalier de Strauss Il naime pas Bizet Tom Ripley tant le seul h ros de Highsmith auquel soit consacr cinq romans il est aussi celui la personnalit artistique la plus complexe et riche On conna t bien ses go ts musicaux artistiques voir Eleveurs et collectionneurs tra
12. ique s identifiant avec tendresse ses anti h ros elle peaufine au fil de l intrigue la complexit de leur personnalit en les pla ant dans des situations chaotiques en leur faisant endosser des actes tranges incompr hensibles ou consternants On trouve assez souvent dans ses romans des tandems masculins qui fonctionnent dans un rapport d amour haine ces duos troublants miment par beaucoup d allusions de non dits une relation homo rotique non confirm e En miroir Patricia Highsmith se refl tait dans ces couples fictionnels leur confiant beaucoup de sa propre exp rience malheureuse dans le rapport autrui Ainsi disait elle de Ripley sexuellement ambigu qu il tait son personnage pr f r qu il s tait d velopp en quelque sorte comme son alter ego litt raire Dans Monsieur Ripley The Talented Mr Ripley Tom Ripley mandat par un riche am ricain constructeur de bateaux se rend en Italie la recherche du fils de celui ci Dickie Greenleaf pour tenter de le ramener sur le droit chemin L ayant retrouv Tom se prend d amiti pour ce jeune dandy et se met l imiter allant jusqu rev tir ses habits en son absence Lorsque Dickie se d tourne de Tom ce dernier bless et humili ne peut que le tuer et lui ravir son identit pendant quelques mois Tom jouera travers l Europe l occasion le r le de Dickie avant qu il ne se d signe comme son h ritier gr ce l tablissement d
13. mith r dige une nouvelle o il est question d une jeune femme qui oblig e de soigner sa m re malade la tue en riant d un coup de ciseaux dans la poitrine D s les ann es 1970 le conflit familial s aggrave la m re frapp e de d mence l g re vit dans un home m dicalis Fort Worth Highsmith n ira pas la voir pendant les vingt derni res ann es de sa vie ne lui crira plus et renoncera son h ritage Malgr les heurts avec sa m re Patricia Highsmith est rest e toute sa vie li e sa famille texane en particulier son cousin Dan O Coates qu elle a toujours consid r comme son fr re Les difficult s les traumatismes de la vie en famille serviront de motifs plusieurs de ses romans et nouvelles Dans le roman Le Journal d Edith Edith s Diary les plus graves soucis accablent l h ro ne son fils apathique et veule la d oit elle doit s occuper comme une garde malade de l oncle s nile et impotent de son mari et pour comble son mari la quitte pour sa secr taire l abandonnant ses difficult s Victime d un terrible d labrement psychique dith tient un journal dans lequel elle consigne les l ments d une vie fantasm e Elle s y r ve en m re fi re de la brillante carri re de son enfant en grand m re heureuse ce d doublement tout d abord ludique et innocent entra ne bient t dith dans la folie et vers sa fin tragique Si Patricia Highsmith montre une certaine compassio
14. n pour dith elle juge en revanche sans piti le h ros masculin de son roman Ces Gens qui frappent la porte People Who Knock on the Door p re de famille devenu protestant fondamentaliste apr s une exp rience mystique Bigot pros lyte et obtus il tente de convaincre la jeune amie de son fils de ne pas avorter Highsmith le met avec un plaisir implacable en face de ses contradictions quand une prostitu e est enceinte de ses oeuvres Tout va d s lors vau l eau dans ce roman pamphlet Highsmith avait proc d pour ce livre d importantes recherches documentaires aux tats Unis notamment sur les exp riences de renaissance tr s en vogue au sein de la droite ultra chr tienne La nouvelle La Terrap ne The Terrapin raconte un matricide la suite de la mise mort d une tortue une terrap ne destin e la pr paration d un rago t cause d un malentendu un petit gar on avait pens que cette tortue tait un cadeau de sa m re Horrifi par la mise mort de l animal et submerg par le ressentiment l enfant tue sa m re coups de couteau On pr cisera que ce gar onnet adore les livres de psychologie et comme Highsmith enfant lit The Human Mind de Karl A Menninger dont l exemplaire personnel de la romanci re est montr dans cette exposition Dans la nouvelle Le Prix de l idiot The Button il est aussi question d un meurtre r parateur mais le lien entre la cause du meurtre et la victim
15. nges et litt raires C est galement le seul personnage qui semble avoir des comp tences pluridisciplinaires si d autres personnages dans d autres romans sont aussi artistes crivains sculpteurs dessinateur entomologiste pianiste metteurs en sc ne sc naristes architectes aucun n atteint son degr de raffinement bien que Ripley reste un dilettante Highsmith outre sa petite discoth que et quelques uvres d art poss dait une belle biblioth que personnelle dont une partie est expos e 5 Les maisons Patricia Highsmith a souffert de l exig it des logements new yorkais partag s l adolescence avec sa m re Mary Coates et son beau p re Stanley Highsmith Elle l exprime dans ses diaries cahiers de notes personnelles qu elle tiendra quasiment tout au long de son existence D s lors son attention aux espaces dans lesquels elle vivra son go t pour les architectes et les maisons reviendra de fa on constante dans sa vie comme dans son uvre litt raire et pictural Elle dessinera d ailleurs elle m me sa derni re maison construite avec l architecte Tobias Ammann Tegna au Tessin entre 1987 et 1988 Sorte de grand M blanc cette demeure ressemble trangement celle imagin e trente ans plus t t en 1948 pour Guy Haines h ros architecte de L Inconnu du Nord express Strangers on a train qui avait le projet d une maison en Y longue avec un toit en terrasse d un blanc
16. pas vraiment avoir le m me poids en Tunisie qu aux tats Unis D s lors l enjeu du r cit est pos la mort accidentelle et quasi anecdotique d un voleur arabe exige t elle ou non la confession de son meurtrier En gros il s agit de savoir si l individu tire de lui m me sa personnalit et son thique ou si cette personnalit cette thique sont model es par la soci t qui l entoure Ce d bat trouve son apog e avec le personnage de Ripley meurtrier serein vivant en toute impunit de ses crimes Ripley n est pourtant pas d nu de moral ses yeux de moins il ne tue jamais de femme regrette certains homicides bien plus il se substitue la loi rendant justice sa mani re tuant non sans plaisir quelques mafieux En psychopathe confirm il impose son thique au monde qui quelques exceptions pr s lui r siste assez peu La v rit est moins vraisemblable que les mensonges 4 En musique Les personnages des nouvelles de Highsmith ne livrent pratiquement pas d informations sur leurs lectures et leurs choix musicaux ils sont assez ind termin s intellectuellement Ce n est pas le cas de ses h ros romanesques plus denses d crits au contraire avec force d tails souvent ce sont des intellectuels des artisans ou des artistes d licats dont la fr quentabilit m me lorsqu ils commettent des meurtres se mesure l aune de leur savoir raffin Leurs biblioth ques leurs discot
17. s livres chouaient savoir retenir l attention d un public En revanche dans L Empreinte du faux The Tremor of Forgery pas d accusation publique pas d enqu te Howard Ingham sera en fin de compte seul face sa conscience et face son insoluble probl me Il avait repouss un voleur tunisien essayant de s introduire dans son bungalow en lui jetant la t te sa machine crire Comme toutes les traces de lutte le corps le sang qui aurait pu se r pandre ont t limin s par le personnel soucieux de la r putation de l tablissement Ingham bien qu invit se confesser par un Am ricain franchement inquisiteur devra au final choisir de vivre avec l id e qu il a peut tre tu un homme 3 Moralit normalit et tranget Graham Greene dans sa pr face L Amateur d escargots Eleven crivait que le monde de Highsmith tait priv de d nouements moraux Quatre ans plus t t en 1966 Highsmith voquait d j cette question dans son essai L Art du suspense mode d emploi Plotting and Writing Suspense Fiction Graham Greene est aussi un moraliste y crivait elle alors et je m int resse la morale condition qu elle ne tourne pas au pr che Pour elle qui avouait une v ritable attirance sinon une tendresse envers les n vros s et les psychopathes la passion du public pour la justice paraissait ennuyeuse et artificielle car ni la vie ni la nature ne se
18. s remarquables des dessins de Cocteau deux faux et un authentique Derwatt le seul peintre imaginaire de Highsmith dans cette collection un Marie Laurencin deux Magritte un nu de Pascin des dessins de Picasso un Soutine un Van Gogh Ripley prouve autant de tendresse et de fiert pour les faux que comprend son mus e personnel que pour les uvres authentifi es On remarquera que la plupart de ces artistes appartiennent l cole de Paris l art et la litt rature fran aises tant plusieurs reprises synonymes de distinction culturelle dans l conomie romanesque de Highsmith Patricia Highsmith a pour sa part sculpt le bois et collectionn des figurines de chats ou d escargots dont on a pu garder quelques t moignages Elle consid rait les escargots qu elle levait chez elle et observait avec minutie comme ses animaux domestiques 7 La soci t comme prison observation la loupe chappant aux normes les h ros de Highsmith vivent en marge de la soci t Ils sont parfois homosexuels parfois trangers parfois artistes ou bien plus mena ants psychopathes Ils sont expos s l observation soup onneuse d une soci t bien pensante et effray e qui les rejette les talonne et les renvoie leur misanthropie Patricia Highsmith solitaire farouche se tenait elle m me le plus souvent l cart de la vie publique elle fut pourtant au gr de ses romans et de ses satires politiques un
19. tionneurs correspond aux observations psychiatriques faites sur les adeptes de la collection leur absence d empathie dans les rapports humains est contrebalanc e par un engagement fusionnel et narcissique leur collection Ainsi Vic qui fait partie d une cat gorie de collectionneurs bizarres tend sa main ses punaises afin qu elles se nourrissent de son sang et puissent se reproduire ou observe avec une joie anthropomorphique les bats de ses gast ropodes Vic les croyait sinc rement amoureux car Edgar n avait d yeux pour aucun autre escargot qu Hortense et Hortense ne se laissait jamais embrasser par un autre de ses cong n res Prolif rante et stimulante la collection est le lieu o la libido peut se sublimer en curiosit intellectuelle Lectrice de Freud Highsmith avait fait sienne cette id e Ne confie t elle pas en effet l h ro ne du Journal d dith m re d un enfant amorphe le soin d exprimer cet espoir son fils adolescent se passionnera t il enfin pour quelque chose Avec la pubert il se produit souvent un lan inattendu la vie prend un sens et on observe un int r t passionn pour telle ou telle chose m me s il ne s agit que de collectionner des papillons ou de fabriquer des mod les r duits de bateaux Ce sera le cas pour Tom Ripley Au fil des aventures le lecteur visitera son mus e personnel qui abrite parmi d autres pi ces moins r put es mais n anmoin
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