Ecrire, notre passion
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1. Moissonnant tour tour sur la m che d Ougr e Les sourcils de la salle et les crics de la fou e Quel m canisme interne se met en jeu pour nous faire imm diatement reconna tre le po me de Nerval comme par d calque et provoque en nous une motion de m me nature Alors qu il est vid de ses mots et de leur sens C est dire des deux principaux l ments qui pr cis ment font la po sie composent ses images Par contre ce qui reste pr sent est ce qu il faut bien appeler le rythme faute d un autre mot ou plut t ce qu on appelle en musique le tactus ce qui contient la fois la mesure et le rubato l quilibre et sa rupture l essentiel de ce qui fait la diff rence entre deux interpr tations Quant au myst re constatons qu il reste entier Mais finalement n est ce pas la nature m me de la po sie de se d rober l analyse et qui fait qu il s loigne mesure qu on croit s en approcher tel un mirage Et que comme un langage secret un message crypt la po sie reforge sa cl et r invente sa d finition chaque po me Dernier myst re Comment se fait il que les plus beaux vers de la langue fran aise sont quasi toujours des alexandrins que ce soit de Racine comme La fille de Minos ou de Pasiphae Le jour n est pas plus pur que le fond de mon c ur Ariane ma s ur de quel amour bless Vous mour tes aux bords o vous f tes laiss e De Hugo Des avalanches2. re de r sultats probants L hu tre du S n gal mangera le pain tricolore mest gu re une r ussite ni Le chlore en poire fait parler les s n chaux atroces C est Raymond Queneau qui introduit un ph nom ne nouveau avec ses Cent mille milliards de po mes Il s agit de dix sonnets dont chaque vers est imprim sur une bandelette mobile Voici ce qu en dit Queneau dans son mode d emploi qui tient lieu de pr face En comptant 45 s pour lire un sonnet et 15 s pour changer les volets en en lisant toute la journ e 365 jour par an on obtient 190 millions 258 mille 751 ann es de lecture plus quelques plombes et broquilles sans tenir compte des ann es bissextiles et autres d tails C est en quelque sorte une machine crire des po mes D ailleurs Queneau termine son mode d emploi ainsi Comme l a bien dit Lautr amont la po sie doit tre faite par tous non par un C est aussi Queneau que l on doit certains des travaux les plus significatifs au sein de l Oulipo autrement dit POuvroir de litt rature potentielle dont les membres comme Queneau Perec Fran ois le Lionnais Jean Queval se retrouvent aussi au Coll ge de Pataphysique C est dire qu ils ne se prenaient pas trop au s rieux ce qui n enl ve rien la qualit de la plupart de leurs recherches et exercices La m thode dite S 7 donne en particulier des r sultats b n fiques De quoi s agi
3. capitale pour chaque po te cette exaltation cette premi re lecture d un po me est d cisive Quant moi comme bien d autres ce fut d abord dans la collection Po tes d Aujourd hui de Pierre Seghers que je la trouvai et en particulier L on Paul Fargue et ses Ludions dont les images m enchant rent et me conduisirent mon premier po me un lamentable pastiche Qu importe j avais contract le virus dont on ne se d barrasse jamais comme on sait Et puis comme on tire un cheveau les autres po tes suivirent p le m le de Maurice Sc ve Charles Baudelaire de Guillaume Apollinaire Paul Eluard d Henri Michaux George Sh had de Ren Char Yves Bonnefoy bient t tout un cort ge dont un jour on fait partie intimid mais secr tement fier loin au dernier rang avec son premier recueil publi sous le bras Po te po sie encore faut il avoir un premier lecteur C est en principe sans probl me dans le cas de la lettre d amour Pour moi ce fut mon p re Point tant que pour avoir son avis que pour jeter un voile de brume sur mes d sastreux r sultats scolaires brume qui ne fut d ailleurs pas long se dissiper Le temps n tait pas encore venu o je pouvais riger comme un fragile rempart mon premier recueil face mon inaptitude d finitive aux tudes Il ne put me dire de quelle myst rieuse alchimie le po me est il le fruit d ailleurs je ne lui demandai pas v
4. comme s applique bien Eluard dans mon exemple et videmment beaucoup d autres dont Baudelaire m me Ces serments ces parfums ces baisers infinis Rena tront ils d un gouffre interdit nos sondes Comme montent au ciel les soleils rajeunis Apr s s tre lav s au fond des mers profondes O serments parfums baisers infinis De plus dans ce cas ci comme est plac dans la strophe comme un miroir la seconde partie tant le reflet de la premi re C est encore plus frappant dans ces vers de Victor Hugo M dine aux mille tours d aiguilles h riss es Avec ses fl ches d or ses kiosques brillants Est comme un bataillon arr t dans les plaines Qui parmi ses tentes hautaines l ve une for t de dards tincelants Y a t il une d finition g n rale de la po sie Allons au plus simple les dictionnaires Commen ons par le Littr Po me ouvrage en vers Po te celui qui s adonne la po sie Vous conviendrez que c est un peu court Voyons le Robert Po sie art du langage visant exprimer ou sugg rer par le rythme surtout en vers l harmonie et l image Voil qui est mieux et une citation opportune de Roger Caillois la compl te l id e se fait jour qu il existe des vers qui ne sont pas de la po sie et qu il est au contraire de la po sie en dehors des vers Quant au Larousse il donne une d finition proche du Robert Mais au
5. m me vous faudra t il mourir s il vous tait interdit d crire Ceci surtout demandez vous l heure la plus silencieuse de la nuit dois je crire Creusez en vous m me vers une r ponse profonde Et si cette r ponse devait tre affirmative s il vous est permis d aller la rencontre de cette question s rieuse avec un fort et simple je dois alors construisez votre vie selon cette n cessit votre vie jusqu son heure la plus indiff rente la plus infime doit se faire signe et t moignage pour cette pouss e Ces remarquables paroles qui d crivent cette lente descente en soi m me les yeux band s comme sur un chemin initiatique paraissent conduire un point de non retour o le po te dans un tat d exaltation cr atrice se sent fort de porter son uvre son plus haut degr d incandescence Apr s cette envol e lyrique la Breton je reviens notre question qui reste ouverte qu est ce que la po sie Qu est ce qui peut encore en clairer le myst re Les surr alistes ont eux m mes men des exp riences comme l criture automatique ou en tat de transe hypnotique comme Robert Desnos avec des r sultats divers et d ailleurs incontr lables plut t m diocres Le jeu dit du cadavre exquis qui tient son nom du premier essai le cadavre exquis boira le vin nouveau fut une autre tentative d introduire le hasard dans le champ po tique sans plus gu
6. Ecrire notre passion COMMUNICATION D ALAIN BOSQUET DE THORAN LA S ANCE MENSUELLE DU 13 OCTOBRE 2007 n premier lieu fixons les choses en l occurrence il s agit bien de po sie Nous avons tous crit un po me un beau jour de notre jeunesse ou une lettre damour ce qui est un peu la m me chose C est bien elle qui nous r unit aujourd hui po tes prosateurs philologues et historiens Avant tout il y a selon la l gende l irr pressible attirance de la page blanche Elle est le symbole l arch type du d sir d crire le r ceptacle de nos pulsions criveuses si je puis dire Mais commen ons par le d but l apparition du premier po me sur cette page blanche pos e devant nous Permettez moi tout d abord de citer Andr Malraux lui m me cit par le musicologue Andr Souris dans son ouvrage Conditions de la Musique Malraux qui crivait dans un article de la revue Verve en 1937 avant qu il n en reprenne et d veloppe certaines id es dans La Psychologie de l Art L artiste ne se conquiert pas sur la vie mais sur limitation toute forme est l origine la lutte d une forme en puissance contre une forme imit e C est une lecture une audition la d couverte d un tableau que l artiste conna t ou reconna t sa vraie nature ce n est pas devant la vie On ne devient pas po te par un matin de printemps mais par l exaltation d un po me Cette derni re remarque est
7. cune de ces d finitions ne peut nous satisfaire car il leur manque une part essentielle celle du myst re Voici ce qu en dit Mallarm Le po me est un myst re dont le lecteur doit chercher la cl De son c t Jean Paulhan dans son essai Cl de la po sie confesse aux trois quarts de son ouvrage Je cherche une loi dont le myst re fasse partie C est probablement Rimbaud qui apporte une vision d faut d une d finition la plus proche du ph nom ne po tique Le po te se fait voyant par un long immense et raisonn d r glement de tous les sens Laissez moi faire une derni re citation en forme de devinette Qui a dit La po sie veut quelque chose d norme de barbare et de sauvage Est ce Tristan Tzara Victor Hugo C est Diderot Ce n est pas le fruit de ma culture mais celui d une incursion sur Internet qui malheureusement ne cite pas ses sources Faut il conclure que la po sie n a pas besoin de d finition pour exister Sans doute mais cependant on sent bien que c est une question qui tarabuste de beaux esprits et non des moindres de Paulhan Val ry qui en fit m me un cours de po tique au Coll ge de France Et nous avons encore les Conseils un jeune po te de Max Jacob et les Lettres un jeune po te de Rilke dont voici deux extraits de la premi re Il mest permis de vous dire que vos vers n ont pas de mani re propre mais qu on y trouve pourta
8. d or s croulaient dans Pazur L ombre tait nuptiale auguste et solennelle De Baudelaire J aime de vos longs yeux la lumi re verd tre De Corneille Cette sombre clart qui tombe des toiles Ou encore ce tr s beau vers d Aragon Octobre lectroscope a fr mi mais s endort On sent que l h mistiche qu il soit ou non marqu par une virgule introduit une respiration qui le rythme lui donne comme une l g ret de ballerine L alexandrin serait il le nombre d or de la po sie Permettez moi de terminer par un exercice Vous tes assis sur une tombe dans un cimeti re face la mer Il est midi D crivez vos impressions de pr f rence en 24 strophes de 6 vers d casyllabiques Et tout le reste est silence Copyright 2007 Acad mie royale de langue et de litt rature fran aises de Belgique Tous droits r serv s R f rence bibliographique indiquer Alain Bosquet de Thoran crire notre passion en ligne Bruxelles Acad mie royale de langue et de litt rature fran aises de Belgique 2007 Disponible sur lt http www arllfb be ebibliotheque communications bosquetdethoran131007 pdf gt
9. nt silencieux et recouverts les rudiments de quelque chose de personnel C est ce que je sens le plus clairement dans le dernier po me Mon me L quelque chose qui vous est propre veut des mots cherche son mode d expression Et dans le beau po me Leopardi cro t peut tre une sorte de parent avec ce grand solitaire Malgr tout ces po mes ne sont rien encore par eux m mes rien qui tienne par soi pas m me le dernier ni celui Leopardi Je m arr te un instant pour constater comme vous probablement que le ph nom ne de l exaltation dun po me dont parle Malraux s appliquait sans doute pour Frans Kappus le po te qui s adresse Rilke Leopardi Mais je reprends ma lecture Vous demandez si vos vers sont bons Vous me le demandez Vous l avez d j demand d autres Vous les envoyez des revues Vous les comparez d autres po mes et vous vous inqui tez si certaines r dactions refusent vos tentatives H bien puisque vous m avez autoris vous conseiller je vous prie de renoncer tout cela Vous regardez vers le dehors et c est l pr cis ment ce que vous devez ne pas faire aujourd hui Personne ne peut vous conseiller ni vous aider personne Il n est qu un seul moyen Rentrez en vous m me Cherchez la raison qui au fond vous commande d crire examinez si elle d ploie ses racines jusqu au lieu le plus profond de votre c ur reconnaissez le face vous
10. oyons ce qu en dit Pierre Reverdy L image est une cr ation pure de l esprit Elle ne peut na tre d une comparaison mais du rapprochement de deux r alit s plus ou moins loign es Plus les rapports des deux r alit s rapproch es seront lointains et justes plus limage sera forte plus elle aura de puissance motive et de r alit po tique Ceci peut s appliquer Baudelaire pas Eluard Je cite pr sent Andr Breton Au terme actuel des recherches po tiques il ne saurait tre fait grand tat de la distinction purement formelle qui a pu tre tablie entre la m taphore et la comparaison Il reste que l une et Pautre constituent un v hicule interchangeable de la pens e analogique et si la premi re offre des ressources de fulgurance la seconde qu on en juge par les beaux comme de Lautr amont pr sente de consid rables avantages de suspension Il est bien entendu qu aupr s de celles ci les autres figures que persiste num rer la rh torique sont absolument d pourvues d int r t Seul le d clic analogique nous passionne Cest seulement par lui que nous pouvons agir sur le moteur du monde Le mot le plus exaltant dont nous disposions est le mot COMME que ce mot soit prononc ou tu C est travers lui que l imagination humaine donne sa mesure et que se joue le plus haut destin de Pesprit Une fois mise part l enflure superlative propre Andr Breton le comparatif
11. rai dire je me suis pos cette question pour la premi re fois en pr parant cette communication On parle d inspiration de circonstances de minutieuses mises en sc ne Pour l un il faut tel papier et telle plume de la musique ou le silence du soir pour l autre du vin ou du caf pour ne pas parler d ivresse ou de drogue On dit aussi que le premier vers serait donn Comme tomb du ciel Les dieux gracieusement nous donnent pour rien le premier vers mais c est nous de fa onner le second dit Val ry Et Baudelaire n est pas en reste L uvre ne tombe pas du ciel comme un a rolithe Mais n est ce pas trop simple Voyons y de plus pr s Il n y a pas de po me sans image que celle ci naisse du rapprochement substantif adjectif comme chez Baudelaire Le vert paradis des amours enfantines L innocent paradis plein de plaisirs furtifs Ou qu elle soit sugg r e sans adjectif comme chez Eluard Elle est debout sur mes paupi res Et ses cheveux sont dans les miens Elle a la forme de mes mains Elle a la couleur de mes yeux Elle s engloutit dans mon ombre Comme une pierre sur le ciel Que nous enseignent ces exemples qu on peut multiplier l envi sinon que ces vers provoquent une motion de m me qualit ce qui laisse le myst re en son entier Vous me direz que dans le cas d Eluard il ny a pas d image proprement parler Mais cela ne fait que renforcer le myst re V
12. t il On prend un texte quelconque et on remplace chaque mot par le 7 suivant dans un dictionnaire donn Par exemple la cigale et la fourmi deviennent la cimaise et la fraction Dans le cas suivant la m thode est appliqu e un sonnet bien connu de G rard de Nerval Donnons la parole Queneau Il s agit dun A 1 S 1 V 1 fonctionnel c est dire que Pon prend dans le dictionnaire choisi le Petit Larousse Illustr l adjectif le substantif ou le verbe suivant la condition qu il remplisse les m mes fonctions syntaxique et prosodiques on a de plus conserv les m mes rimes Les verbes auxiliaires ou quasi auxiliaires tre avoir aller ne sont pas modifi s On a utilis pour les mots historiques et g ographiques la seconde partie du m me petit Larousse Le titre vient d un dictionnaire espagnol Voici ce que cela donne EL DESDONADO Je suis le tensoriel le vieux l inconsomm Le printemps d Arabie la tourbe abonnie Ma simple tole est molle et mon lynx constern Pose le solen nou de la m lan mie Dans lobi du tombeur toi qui m a consomm Romps moi le Pe pous et la miss d Olympie La foi qui poignait tant mon coin d soss Et la trempe o la pente la rosse s appuie Suis je Amp re ou Ph don Luxembourg ou Biton Mon fruit est roux encor du balai de la peine J ai ribl dans la grue o nappe la trentaine Et j ai trois fois vair travesti l Alagnon
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