De la pauvreté à l`excentricité - Dominique Roux
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1. GLANAGE de GLANAGE de n cessit pr f rence Excentricit Excentricit S exclure Simplicit Marginalit assum e choisie 2 M thodologie de la recherche Des entretiens longs McCracken 1988 ont t conduits aupr s de treize glaneurs 9 femmes 3 hommes d ge compris entre 22 et 61 ans mais aussi par souci de contraste aupr s de huit personnes refusant toute id e de recours cette pratique Annexe 1 Les r pondants ont t recrut s de proche en proche dans l entourage des chercheurs selon la technique dite en boule de neige c est dire en recherchant des profils pr sentant une situation socio conomique et des orientations aussi vari es que possible L chantillon de glaneurs inclut ainsi trois personnes parmi les plus jeunes dont les conditions financi res les placent en de du seuil de pauvret Les huit autres qui n ont a priori aucune n cessit de ramasser mais le font quand m me appartiennent aux classes moyennes c est dire situ es entre les 30 les plus d munis et les 20 les mieux r mun r s Les entretiens ont eu lieu au domicile des r pondants ou l Universit Ils ont dur en moyenne une heure trente de 45 minutes 2h15 et ont t enti rement retranscrits pour l analyse Chaque entretien a d but par des questions ouvertes McCraken 1988 sur les pratiques ou absence de de ramassage r cup ration d objets et la ma2. VERB25 Quand tu ach tes un objet neuf il est d j d fini Il est enferm dans le sens que le fabricant ou la marque ont voulu lui donner Et c est d ailleurs apr s a que les gens courent Moi je pr f re des objets qui n ont plus de statut plus d inscription et dont je peux faire ce que je veux les transformer les couper les d chirer leur accrocher des trucs en faire ce qui me d finit Amandine VERB26 J ai ramass une fois un micro ondes Paris au pied d un panneau J ai videmment cru qu il tait cass Mais des fois que Je l ai mis dans la voiture tout hasard pour que mon mari le v rifie Eh bien il tait tout neuf Tout neuf Avec le mode d emploi dedans Je lui ai demand pourquoi ils l ont jet alors Il m a r pondu il est un peu compliqu d emploi Ils n ont pas du savoir le faire fonctionner alors ils l ont jet VERB27 D j c est encombrant sur le trottoir c est l air libre tu as les chiens les machins je n aime pas du tout j ai horreur quand les gens font a je comprends hein mais a m horripile c est mon c t maniaque je n aime pas du tout pas du tout Ah l l je ne peux m me pas les toucher et en plus je n ai qu une h te c est que a parte parce que a fait d sordre a fait voil j aime pas voir fouiller dans les affaires a attire plein de gens je n a
3. s offre mutuellement ce dont il n a pas besoin Ce qui ne vaut pas la peine d tre vendu Amandine VERB21 C est un peu la m me chose qu en brocantes Le fait de trouver je crois c est a le plus excitant Trouver un objet qu on n attendait pas L a VERB22 Il y a quelque chose d un peu divin enfin d un peu mystique dans les encombrants qu il n y a nulle part ailleurs C est pour a que je trouve que la trouvaille d objets c est largement au dessus de l achat d un l objet Amandine VERB23 Parce qu on trouve de tout et de rien Moi j ai trouv des vieux vinyles que j ai offerts un copain qui scratche C est des vieux vinyles de Bob Marley de trucs comme a C est super de trouver des trucs comme a a pourrait tre des disques de collectionneurs des trucs comme a J en ai pris trois ou quatre que je connaissais et qui m int ressaient Je les ai embarqu s et je les lui ai offerts Il m a dit ouais c est trop bien Eddy VERB24 Mon p re a trouv une ceinture avec deux petits pistolets comme a et c est des vrais pistolets qui tirent Sauf qu il n y avait pas de balles l int rieur Et il a trouv a aux encombrants Mais c est aberrant de trouver a aux encombrants C est presque magique je pourrais dire parce que c est un truc qu on n aurait m me pas pens acheter Eddy
4. a Elle voulait du formica Elle voulait une table qui se nettoyait bien et non grasse Donc plein de belles choses ont t jet es Ils voulaient des choses propres carr es J ai tout vu dispara tre J ai vu la vente de tous les objets de la ferme mais je sais que de mon enfance de paysan j ai beaucoup r cup r car tout est r cup rable Jo l VERB8 Parfois avec deux v los oui j arrive en refaire un je r cup re aussi de vieux ordinateurs que je d monte pour les pi ces d tach es un ventilateur ou ne serait ce qu un lecteur de disquette ou autre Vincent VERB9 Q Quelle serait votre motivation de prendre quelque chose La cr ation l me des objets la personnalisation Car un meuble neuf la planche vitrifi e a me j irais pas un meuble ancien qui a un aspect vintage c est plus sympa qu un IKEA vintage Il y a un meuble celui de ma belle m re je me suis tout de suite imagin e ce que je pouvais en faire Prendre des tas de trucs que dans lesquels on va se servir comme des planches de bois et puis on invente des millions de trucs faire et a vient aussi oui de ce besoin de cr er Sabine Amandine VERB10 C est un bon moyen d conomiser si on peut L a VERBI1 Oui Je pense qu il y a cette libert de se servir Oui voil Oui c est a On est libre C est libre et puis il n y a aucune culpabilit pui
5. de plus d munis qu eux Donovan 2012 voire de priver les services municipaux de la valorisation issue du recyclage VERBS La situation financi re seule n explique donc pas la pratique versus le refus du Source Observatoire des in galit s http www inegalites fr spip php article1015 Les num ros renvoient aux extraits de verbatim pr sent s dans l annexe 2 glanage des r pondants en situation pr caire refusant de le faire Alain quand d autres disposant de revenus confortables Anne ou L a s y adonnent r guli rement En r alit en plus de la salet et de la contagion per ue toucher ou s approprier des objets poss d s par d autres et pos s dans des lieux publics donc contamin s glaner est empreint d une forte dose d ambigu t VERB6 Il est en effet n cessaire ind pendamment d une situation financi re particuli re de donner sens ce qui est jet et de se donner de bonnes raisons de ramasser des objets qui ont t mis au rebut et abandonn s litt ralement donn s ban C est la nature de ces justifications que nous nous int ressons maintenant qui d voilent quatre formes de critiques du syst me de consommation relatives 1 la valeur ii aux objets jet s iii aux circuits d approvisionnement conventionnels et iv l id e de pauvret relue l aune d une r flexivit sur le syst me de consommation 3 2 Le glanage revendiqu comm
6. elle jette sa poussette Elle attendait son dernier enfant quand m me On lui dit pourquoi vous la jetez Vous allez en avoir besoin Elle nous r pond il y a une vis qui manque Elle est cass e j en veux plus On tait sci s mon mari et moi Et nous comme on venait d avoir la deuxi me on l a pris et elle nous a bien servi VERB38 J ai impression que les choses les gens jettent facilement car ce sont des objets qui n ont pas de valeur beaucoup de choses pas tr s cher dont on se lasse vite Mais les gens qui n ont pas connaissance peuvent se d barrasser de choses extr mement int ressantes Ils les jettent car c est vieillot Jo l VERB39 Le type moi je comprends pas pourquoi il a jet a Il s est dit c est une vieillerie j en ai plus rien faire Eddy VERB40 C est tellement vident qu on va vers la catastrophe si on continue consommer n importe comment faire durer ce processus de production de g chis Et puis voir des pourris qui s enrichissent sur le dos des autres des pauvres surtout Autant les multinationales que les pouvoirs locaux qui en sont les complices ce sont des voleurs des voleurs officiels Le march pour moi c est a c est la surench re l ind cence de ces gens et du pouvoir politique qui cautionne leurs agissements Vincent VERB41 Je n ach terais pas parce qu on me
7. ancienne Gregg 1936 Elle montre que des individus d cident de modifier ou r duire leur consommation Leonard Barton 1981 McDonald et al 2006 Cherrier 2009 Cherrier Szuba et Oz aglar Toulouse 2012 de vivre frugalement en faisant durer les objets le plus longtemps possible Lastovicka ef alii 1999 ou de s engager dans la voie de la d croissance Sugier 2012 La motivation est pour certains de moins travailler et donc de moins gagner d argent pour moins consommer et pour consacrer davantage de temps leur enrichissement personnel familial relationnel ou spirituel Etzioni 1998 1999 Mais selon certains auteurs McDonald et alii 2006 ces r am nagements de la consommation ne repr sentent pas le versant le plus abouti de la simplicit volontaire qui suppose la fois dans une perspective holiste Etzioni 1998 un certain renoncement mat riel un ancrage dans une vie locale une vis e auto suffisante une conscience cologique et un d sir de d veloppement de soi Cette orientation de type alter consommation plut t que consom action R my 2007 vise devenir moins d pendants vis vis des objets et ne plus se d finir par ce qu on poss de mais par ce qu on est Fromm 1978 Cherrier et Murray 2007 Des formes plus militantes s expriment galement de mani re collective en marquant leur contestation du syst me de consommation et surtout de ses effets On les retrouve au travers d
8. Ch meur c libataire Non Paul 34 ans Illustrateur Non Philippe 42 ans Responsable informatique Non Bernadette 59 ans Retrait e mari e trois enfants Non Laurent 75 ans Retrait Non Annexe 2 Exemples de verbatims des glaneurs et des non glaneurs en italique VERBI Il y a une question d hygi ne de propret Apr s a d pend ce que c est Un meuble c est moins d licat mais quand m me on ne sait pas ce qu il y a eu dedans Alain VERB2 Les meubles c est cher a co te 100 euros ou 200 euros et je sais que je n ai pas les moyens de me payer a Lorsque j tais en formation ma situation tait d licate donc j ai pris ce meuble Maintenant je vais commencer retravailler donc peut tre je ne le ferais pas car je choisirais un beau meuble dans un magasin C est suivant les p riodes de la vie aussi Gosia VERB3 Oui je ramasse les objets sur les trottoirs depuis que j ai perdu mon emploi plut t m me que j ai tout perdu Dans ma vie d avant je ne le faisais pas Les raisons sont que j en ai strictement besoin sinon je ne le ferais pas Je ne fais pas a pas plaisir si vous voulez savoir Je fais plut t a le soir oui car j en ai honte je n assume toujours pas ma situation actuelle jai norm ment de mal Je fais donc a le plus discr tement possible en me cachant G raldine VERB4 Lorsque je prends un objet dans
9. Loisy 2000 Entre autres crit res qui participent la d finition de la pauvret entrent aussi en ligne de compte la dur e ou la persistance d une situation financi re difficile L analyse de la pauvret ne va pas sans celle de sa dynamique en d pit de la complexit saisir des trajectoires de vie et disposer d observations longitudinales Selon l observatoire des in galit s le seuil de pauvret est franchi lorsque les revenus atteignent selon les calculs 50 ou 60 du niveau de vie m dian ce qui repr sentait en 2010 803 ou 964 euros www inegalites fr Mercier 1995 De nouvelles formes de pauvret li es aux turbulences conomiques et aux m canismes de marginalisation engendr s par le syst me social D chaux 1990 conduisent r fl chir galement sur la pr carit entendue comme l absence d une ou plusieurs des s curit s permettant aux personnes et familles d assumer leurs responsabilit s l mentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux Loisy 2000 p 39 Derri re les risques qui peuvent se produire et qui marquent l instabilit d une situation se profilent des l ments exog nes ch mage partiel sous emploi durable ou faillite d un secteur d activit par exemple mais aussi des facteurs endog nes l individu sant pr caire absence ou insuffisance d ducation fragilit psychologique comportements de consommation inadapt un nivea
10. communiste Il cultive son jardin le dimanche Ma m re est la maison et fait la cuisine Chez nous on ne jette pas On n a pas beaucoup de moyens Donc on fabrique on r pare On ne nous a pas lev dans l id e du gaspillage Vincent VERB14 J ai aussi envie de d cider moi m me de ce que je d tiens et pourquoi je le d tiens et donc par l aussi force d acheter on se rend compte qu il y a des choses qui sont jet es tire larigot et moi depuis que je suis toute petite je tra ne dans cette esp ce de tas d objets rejet s qui sont destin s tre d truits et donc j ai eu ce truc de r cup rer l objet Amandine VERB15 Comme je n aime pas gaspiller d j je trouve que pour l cologie c est mauvais et pour les gens qui n ont pas les moyens c est mauvais aussi car ils pourraient profiter de ces choses l Ce n est pas que je suis riche mais pour moi c est du gaspillage Gosia VERB16 J ai m me pris l habitude de r cup rer des objets sur les trottoirs Quand je les vois je suis consciente du travail qui a t incorpor dans ces objets et a me fait mal qu ils aient t abandonn s Quelqu un les a faits Il y a du travail du temps et de la valeur incorpor e dans ces objets abandonn s La mondialisation cr e des objets ph m res avec des mati res ph m res des processus ph m res et des gens ph m res Rien n est fait pour durer C es
11. gard des consommateurs mais aussi de la pauvret En somme la contribution majeure de cet article est de mettre en lumi re les mobiles d un nouveau comportement le glanage de pr f rence qui vient grossir l ensemble des comportements de consommation en marge de la consommation marchande comportements qui s appuient sur un r pertoire de critiques du syst me de consommation dont cet article fera tat Apr s une revue de la litt rature sur les marges et les diff rentes formes de marginalit au rang desquelles figure la pauvret la seconde partie pr sente la m thode qualitative de cette recherche Les r sultats de la troisi me partie sont discut s l aune de la litt rature sur les comportements marginaux de consommation Limites et voies de recherche futures concluent cet article Par souci de simplification nous nommerons encombrants le moment lors duquel les mairies autorisent les individus laisser sur le trottoir les objets dont ils veulent se d barrasser objets qui n entrent pas dans les poubelles et qui seront pris par des camions d di s 1 Revue de la litt rature Afin de comprendre ce qui conduit les individus choisir une nouvelle forme de marginalit le glanage urbain nous allons pr senter succinctement les diff rentes formes de marginalit dont le centre est la consommation marchande Puis nous distinguerons le fait d tre exclu via la marginalit conomique tre pauv
12. http scholarship claremont edu pomona_theses 59 Elgin D et Mitchell A 1977 Voluntary simplicity Strategy amp Leadership 5 6 13 15 Etzioni A 1998 Voluntary Simplicity Characterization Select Psychological Implications and Societal Consequences Journal of Economic Psychology 19 619 643 Fernandez K Brittain A J et Bennett S D 2011 Doing the duck negociating the resistant consumer identity European Journal of Marketing 45 11 12 1779 1788 Foucault M 1961 1972 Histoire de la folie lage classique Paris Gallimard Fromm E 1978 Avoir ou tre un choix dont d pend l avenir de l homme Paris Laffont Collection R ponses Gauthier M 1994 Entre l excentricit et l exclusion les marges comme r v lateur de la soci t Sociologie et soci t s 26 2 177 188 Godet M 2006 La pauvret mon taire en question ou la pauvret de la mesure de la pauvret Soci tal 54 octobre Goffman E 1963 1975 Stigmate Les usages sociaux des handicaps Paris ditions de Minuit coll Le Sens commun Gregg R B 1936 The Value of Voluntary Simplicity Pendle Hill Essays 3 Wallingford PA Pendle Hill Holt D 1998 Does Cultural Capital Structure American Consumption Journal of Consumer Research 25 1 1 26 Holt D 2002 Why Do Brands Cause Trouble A Dialectical Theory of Culture and Branding Journal of Consumer Research 29 1 70 96 Huneke M E 2005 The Face of
13. la rue c est aussi quelque chose d utilitaire et aussi financi rement malin car sachant que je n ai pas les moyens de me l acheter c est toujours mieux quand cela est en bon tat et gratuit Oui j ai l impression de recevoir un cadeau de la vie car celle ci n est pas facile avec tout le monde Muriel VERBS Je ne le ferai jamais Il faudrait tre dans le besoin on ne sait pas o a vient Et puis sur le trottoir c est quelqu un qui donne la mairie Je n ai pas prendre cet objet l a ne m est pas destin A l extr me je pourrais me dire est ce que derri re c est recycl Est ce que je n enl ve pas quelque chose dans le maillon pour les mat riaux Alain VERB6 Il y a un peu de vol car c est localement physiquement dans un lieu public donc on a l impression de piquer quelque chose m me si quelqu un le laisse c est pour tre jet la localisation la proximit c est public et on sait jamais si on a oubli on est dans le doute il n y a pas crit servez vous si a peut servir profitez en on brade Il y a quand m me vous vous autorisez quelque chose et vous n avez pas t invit le faire Patricia VERB7 Je me souviens que maman l poque o les choses ont chang dans la vie paysanne maman s est d barrass e d une armoire authentique Louis XII Elle ne voulait pas entendre parler de
14. the Un consumer An Empirical Examination of the Practice of Voluntary Simplicity in the United States Psychology amp Marketing 22 7 527 550 Iyer R et Muncy J A 2009 Purpose and object of anti consumption Journal of Business Research 62 2 160 168 Lastovicka J L Bettencourt L A Hughner R S and Kuntze R J 1999 Lifestyle of the tight and frugal Theory and measurement Journal of Consumer Research 26 3 85 98 Leonard Barton D 1981 Voluntary Simplicity Lifestyles and Energy Conservation Journal of Consumer Research 8 3 243 252 Loisy C 2000 Pauvret pr carit exclusion Definitions et concepts Observatoire National de la Pauvret et de l Exclusion Sociale Les travaux de l Observatoire national de la pauvret et de l exclusion sociale Paris La Documentation Fran aise 23 50 Maruani M 2003 Les working poor version fran aise travailleurs pauvres et ou salari e s pauvres Droit Social n 7 8 juillet ao t McDonald S Oates C J Young C W et Hwang K 2006 Towards sustainable consumption Researching voluntary simplifiers Psychology and Marketing 23 6 515 534 McCracken G 1988 The long interview Newbury Park Beverly Hills Sage Mercier L 1995 La pauvret ph nom ne complexe et multidimensionnel Service social 44 3 7 27 Moati Ph et Ranvier M 2007 Le d veloppement des marques de distributeur et les strat gies des industriels de l alimen
15. De la pauvret l excentricit le glanage comme r v lateur des marges de la consommation Val rie Guillard Ma tre de Conf rences Centre de recherche DRM CNRS UMR 7088 Universit Paris Dauphine Place du Mar chal de Lattre de Tassigny 75775 Paris cedex 16 valerie guillard dauphine fr 06 20 66 10 09 Dominique Roux Professeur des Universit s Universit Paris Sud IUT de Sceaux 8 avenue Cauchy 92330 Sceaux dominique roux 1 u psud fr 06 88 26 10 35 A para tre dans la Revue Economies et Soci t s tudes Critiques en Management S rie KC d cembre 2013 De la pauvret l excentricit le glanage comme r v lateur des marges de la consommation R sum Alors qu une proportion non n gligeable de Fran ais 38 dit avoir r cup r des objets jet s ou d pos s sur les trottoirs l objectif de cet article est de mieux comprendre en quoi certaines pratiques de glanage choisi versus de n cessit d objets les jours d encombrants participent r v ler des formes de marginalit assum e plut t que de pauvret Sur la base d une tude qualitative men e aupr s de 21 glaneurs et non glaneurs les r sultats montrent que la pratique du glanage interroge d abord le fait d tre pauvre ou de se sentir pauvre et n cessite de fournir des justifications pour s autoriser prendre des objets normalement collect s par les services municipaux Ils d voilent ensuite les critiqu
16. VERB29 M me pour les glaneurs l id e du stigmate social et l interpr tation qu on pourrait donner de leur pratique rel ve de ce m me sentiment de honte directement prouv ou suppos de la part d autrui VERB33 et VERB31 En r alit la lumi re des justifications voqu es plus haut les glaneurs interrog s assument leur d marche voire la revendiquent VERB32 Si honte il y a ce n est parfois pas chez eux qu on la note Chris Nicola et Riffaut 2009 mais chez leurs proches comme le montre l exemple de Catherine VERB33 Ils n prouvent en g n ral pas de g ne ramasser sauf pour certains qui se sentent r prouv s par ceux qui les observent VERB34 De fait le regard d autrui peut aussi bien se r v ler inhibant qu encourageant VERB35 et doit tre n goci pour rendre la pratique acceptable VERB36 D une mani re g n rale le fait d assumer la pratique du glanage au nom de divers refus refus de jeter ce qui peut servir ou qui a encore de la valeur refus de gaspiller des ressources refus de transformer brutalement de pauvres objets en objets de pauvres au nom de la derni re mode s accompagne d une modification des repr sentations du pauvre Est pauvre non pas celui qui n a pas les moyens d acheter mais celui dont les capacit s cr atives les comp tences en mati re de go t ou de bricolage ou la r flexivit sur la soci t de consommation Hol
17. a lar Toulouse N 2012 Barriers to Downward Carbon Emission Exploring Sustainable Consumption in Face of the Glass Floor Journal of Marketing Management 28 3 4 397 419 Chris O Nicola C et Riffaut H 2009 Les glaneurs alimentaires Rapport d tude qualitative remis la DIESES pour le Haut commissariat aux solidarit s actives contre la pauvret Paris Centre d tude et de recherche sur la philanthropie CerPhi Couret D et Metzger P 2009 R duire les vuln rabilit s plut t qu radiquer la pauvret Le mod le de d veloppement n olib ral l preuve de la ville des Pays du Sud Espace populations soci t s 2 263 277 Craig Lees M et Hill C 2002 Understanding voluntary simplifiers Psychology amp Marketing 19 2 187 210 D chaux J H 1990 Pauvret s ancienne et nouvelle en France Revue de l OFCE 30 7 33 Delacroix E Guillard V Darpy D 2010 Le radin conome avare ou malin Management et Avenir 47 78 96 Deleuze G 1986 Foucault Paris Les ditions de Minuit Deutsch E 2006 Le droit du pauvre Pard s 40 41 78 89 Dobscha S et Ozanne J L 2001 An ecofeminist analysis of environmentally sensitive women using qualitative methodology The emancipatory potential of an ecological life Journal of Public Policy amp Marketing 20 2 201 214 Donovan E E 2012 Day to Day Change Making The Transformative Potential of Dumpster Diving Pomona Senior Theses Paper 59
18. a fois conomiques h doniques cologiques et altruistes Brosius Fernandez et Cherrier 2012 Une premi re lacune toutefois tient au fait que le glanage urbain est envisag comme une pratique allant de soi sans voquer sa possible repr sentation sociale comme une pratique de pauvres Une deuxi me lacune r side de mani re corr lative dans l absence d information sur la mani re dont ces individus s affranchissent des risques de stigmatisation par d ventuels observateurs ext rieurs Autrement dit ces travaux ne permettent pas de comprendre ce qui autorise des individus faire les pauvres se comporter comme ceux qui ont des raisons objectives de le faire Faire le pauvre n tant donc ni l gitime ni gratifiant c est pour r pondre ces questions que nous avons conduit une tude qualitative aupr s de glaneurs dont les discours r v lent la posture de contestation et de marginalit assum e Bien diff rente de la simplicit choisie dans le sens o glaner d note une tendance l accumulation mat rielle plus qu la simplification leur pratique permet aussi de relire la perception du syst me marchand et de la pauvret Figure 1 Les deux formes de marginalit s de la consommation exclusion et excentricit exprim es dans le glanage tre exclus Exclusion Pauvret subie LE CENTRE La consommation marchande
19. d viantes Douglas 1966 La rue est physiquement et symboliquement le lieu des pauvres de la pauvret C est aussi l endroit o des objets d chets trop lourds et trop volumineux pour tre plac s dans les poubelles sont temporairement d pos s pour tre collect s par les mairies sous le nom d encombrants ou de monstres Bellagamba 2008 Il s agit d une mani re g n rale d objets dont les individus veulent se d barrasser et auxquels ils n accordent plus aucune valeur C est ce qui explique que les non glaneurs ne voient pas d un bon il le ramassage de tels objets qu ils estiment souill s et contamin s Mauss 1972 Rozin Haidt et McCauley 1993 M me si comme Alain ils sont au ch mage et temporairement dans l incertitude sur leur condition conomique future VERB1 glaner serait v cu comme un marqueur de la chute Chris Nicola et Riffaut 2009 Pourtant d autres les ramassent les glaneurs Nos r sultats montrent que des sentiments de pauvret subjective chez des r pondants qui sont ou ont t dans des situations financi res difficiles VERB 2 3 contribuent expliquer leur recours au glanage Ramasser est alors du registre de la n cessit que la situation soit temporaire ou plus durable VERB4 Toutefois certains individus en situation pr caire questionnent la l gitimit qu ils auraient ramasser des objets en s interrogeant sur leur sentiment de voler
20. d initiatives telles que les gratiferias ou les magasins pour rien dans lesquels il est possible de prendre des objets dans un cadre plus institutionnalis permettraient de nourrir cette avidit et ou ce besoin d objets en somme soit de r duire la pauvret soit de pouvoir mieux exprimer sa marginalit Finalement un clairage int ressant est fourni sur la notion de pauvret en regard de la consommation Faisant cho aux signes de distinction culturelle investigu s par Holt 1998 la pratique du glanage revendiqu renverse la perspective Elle oppose une pauvret r flexive Holt 2002 des consommateurs consid r s comme pi g s dans le centre la consommation marchande la richesse des excentricit s qui se tapissent dans ses marges En d pit du soin apport cette recherche un certain nombre de limites peuvent tre soulign es qui sont autant de voies de recherche futures Notre chantillon est urbain Qu en est il du glanage rural l o les personnes se connaissent peut tre davantage La ruralit permet elle davantage de solidarit et donc une plus ou moins grande possibilit de glaner ou au contraire une plus grande peur du qu en dira t on De plus notre chantillon tant majoritairement compos de personnes qui ne sont pas pauvres au regard des crit res conomiques il ne nous permet pas de comparer exhaustivement la nature des objets glan s ou l usage ult rieur qui en est fait selo
21. demande de les acheter ou parce qu on m a fait rire dans une publicit C est plut t la recherche du produit pour lui m me et c est surtout un plaisir de se dire qu on n est pas tomb dans une sorte de pi ge parce que la publicit est un pi ge Et quand on a trouv un objet dont on voit la publicit la t l et qu on vient de le trouver dans la rue on est aussi tr s heureux quelque part d avoir d jou le fait de passer par le magasin pour l acheter Amandine VERB42 Je pense que celui qui les a jet s des livres aurait t plus mal que celui qui les a pris Patricia
22. e critique du syst me de consommation i Le premier registre de critique porte sur la notion de valeur celle que les go ts et les modes rendent caduques et qui conduisent jeter ce qui peut encore servir ou dans le cas de Jo l VERB7 ce qui pr sente une v ritable paisseur historique D autres voient de la valeur dans le potentiel de r paration transformation personnalisation ou r appropriation cr ative des objets comme Vincent VERBS8 Sabine ou Amandine VERB9 D autres enfin VERB10 soulignent le b n fice financier d un mode d approvisionnement bas sur la gratuit o la libert de s emparer des choses permet d acc der leur valeur sans contrepartie mon taire La pratique du glanage permet ainsi de s all ger de tensions li es une situation conomique parfois fragile mais aussi des frustrations r sultant d un besoin de justification de ses d penses VERB11 ii Le deuxi me registre de critique est relatif au rapport affectif et presque anthropomorphique que les r pondants entretiennent avec les objets L o la soci t de consommation cr e et diffuse de la marchandise commodity certains glaneurs se sentent dans l obligation de prendre soin d objets singuliers et ind ment abandonn s VERB12 Ce sauvetage d objets anthropomorphis s est le plus souvent motiv par des raisons cologiques bas es sur la critique du gaspillage des ressources comme l expriment par exemple Vinc
23. ent VERB13 Amandine VERB14 ou Gosia VERB15 Il l est aussi par le sentiment d exploitation du travail des hommes et le d sir de reconnaissance et d hommage leur m moire qu incarne alors la r cup ration de l objet VERB16 Mais par voie de cons quence cette attention port e aux objets jet s conduit certains glaneurs une r cup ration parfois compulsive r gressive et en tout cas massive aboutissant leur accumulation VERB17 et VERB18 Ce d sir pour l objet bien loign du d nuement recherch dans la simplicit volontaire Etzioni 1998 est aussi parfois si fort que des tensions et frustrations naissent de l impossibilit mat rielle de le r cup rer ce sentiment d abandon forc laissant alors un souvenir ind l bile VERB19 iii Le troisi me registre de critiques porte sur les circuits marchands conventionnels la rue devenant les jours d encombrants la fois un grand libre service VERB20 un lieu de trouvailles VERB21 et VERB22 d changes et de dons r ciproques VERB23 La s rendipit d crite par les glaneurs Brosius Fernandez et Cherrier 2012 d coule essentiellement du caract re inattendu des objets mais aussi de leur prix r el ou suppos qui rend leur pr sence improbable et comme magique sur un trottoir VERB24 De fait si le r f rentiel marchand ne sert pas toujours d talon pour appr cier l int r t d un objet ou pour saisir le potentiel de r inscriptio
24. es collectifs d croissants et des mouvements cologistes Dobscha et Ozanne 2001 Sugier 2012 Ces comportements t moignent de l extr me complexit des pratiques des individus qui se caract risent par le fait que leurs mobiles combinent diff rentes dimensions de nature conomique h donique et critique la fois individuelles et soci tales Iyer et Muncy 2009 Les motivations allient en effet un d sir de pr servation des ressources pouvant viser autant prot ger leur capital mon taire que celui collectif et cologique de la plan te Quels qu en soient les mobiles la simplicit choisie n est donc pas une pauvret au regard de crit res mon taires et ou mat riels d autant qu elle s exprime encore majoritairement par la voie conventionnelle de l achat Huneke 2005 Ces choix de r duction volontaire du type du nombre ou de la fr quence d acquisition de biens neufs sont en effet fr quemment le fait de populations financi rement l aise alors qu elles s apparentent des pratiques li es au d classement social Craig Lees et Hill 2002 Shaw et Newholm 2002 Huneke 2005 Une grande partie de ces comportements ne r l ve donc pas exclusivement d une pauvret conomique puisqu ils sont souvent le fait de personnes parfaitement int gr es dans la soci t et dans le monde du travail En revanche tous ces comportements c t desquels se range le glanage interrogent la consommation
25. es du syst me marchand sur lesquelles s appuient les glaneurs relatives i la valeur ii aux objets jet s iii aux circuits d approvisionnement conventionnels et iv l id e de pauvret relue l aune d un regard r flexif sur la consommation Mots cl s glanage marginalit objets encombrants critique du syst me marchand From poverty to eccentricity gleaning as a revealing evidence of the margins of consumption Abstract While a significant proportion of French people 38 reports having recovered objects thrown away or deposited on the sidewalk the objective of this article is to provide a better understanding of how certain practices of gleaning bulky objects freely decided rather than dictated by necessity help reveal forms of assumed marginality rather than poverty Based on a qualitative study of 21 gleaners and non gleaners the findings show that the practices of gleaning first question the fact of being poor or to feel poor and require informants to find justifications to allow themselves to take objects that are normally collected by municipal services They then reveal the critics of the market system on which gleaners rely regarding i the value ii the thrown objects iii conventional supply chains and iv the idea of poverty that is re examined within a reflexive lens about consumption Keywords gleaning marginality bulky items critics of the market system De la pauvret subie l exce
26. igu t on ne sait pas si la base on n a pas la m me vision des choses Moi je le fais en esp rant que ce soit valable dans les deux sens Et a me g ne par exemple de violer cette intimit si les gens partent du principe que leurs objets c est leur intimit aussi et que si on leur prend a peut tre d rangeant pour eux Ca peut me g ner dans ce cas l Amandine VERB35 Je suis plus rassur e d s que je peux discuter avec le propri taire ou plut t que lui me parle Parce qu alors c est presque comme une invite Le regard seul c est tr s intrusif Vous ne savez pas si les gens appr cient que vous preniez leurs affaires s ils ont envie que ce soit vous en particulier On ne sait pas ce qu ils pensent Amandine VERB36 Oui je serai emmerd e si je croisais quelqu un en me disant si je pique enfin je pique je repars toujours avec ce mot si je je je ramasse quelque chose je croise quelqu un je ne vais pas spontan ment lui dire c est vous Est ce que je peux le prendre mais a m emmerderait que ce soit la personne qui l a d pos e Patricia VERB37 A l poque j ai remarqu que plus les gens sont pauvres plus ils jettent pour racheter des trucs futiles le dernier mod le la dernier machin la mode C est comme dans l immeuble de la nourrice de ma fille Il y avait une femme qui avait six enfants pas de mari Un jour
27. ils s expriment au travers de pratiques que les repr sentations sociales r servent aux pauvres Pourquoi de tels choix s agissant du glanage urbain e S exclure du syst me marchand en glanant Dans la liste des comportements susceptibles de caract riser la pauvret apparente et choisie le glanage occupe une place importante la fois socialement et religieusement la glanure du bout du champ appartient au pauvre Deutsch 2008 p 217 Surtout circonscrit l origine au domaine alimentaire et la r cup ration dans les champs le glanage contemporain et urbain concerne davantage le fait de fouiller dans les poubelles pour y r cup rer des objets ou de la nourriture Les travaux sur les dumpster divers litt ralement ceux qui plongent dans les bennes Fernandez Brittain et Bennett 2011 Brosius Fernandez et Cherrier 2012 Donovan 2012 ont tudi depuis peu leurs pratiques et leurs motivations Ils montrent d abord que trois types de glaneurs peuvent tre distingu s ceux qui y sont contraints par n cessit ceux qui n y sont pas financi rement oblig s mais le font pour une vari t de raisons personnelles et ceux qui donnent cette pratique un tour id ologique et politique afin d insuffler un changement de mentalit et de comportement Donovan 2012 Dans le deuxi me type individuel qui nous int resse plus particuli rement ici les travaux ant rieurs ont mis au jour une s rie de motivations l
28. ime pas du tout H lo se VERB28 Je me dirais s rement pourquoi comment Est ce que je peux l aider Comment cette personne est arriv e dans cette situation Pourquoi elle fait a Le pire sc nario c est si je d couvre qu une personne de mon entourage ramasse des objets car elle est en manque d argent et que c est pour a qu elle doit ramasser des objets afin de les revendre ou je ne sais quoi Axelle VERB29 Et si il ne marche pas vous le montez vous le redescendez on vous voit le ramener j aurais honte non non non Alain VERB30 L autre jour mon voisin d en face du coin de la rue que je ne connais pas d ailleurs a vid plein de trucs J ai r cup r l ordinateur a je l ai donn un copain qui r cup re les composants Ensuite j ai pris son peignoir Un grand peignoir rouge super Bon l j ai eu un peu honte rires mais bon j en suis tr s contente C est un peignoir d homme Je l ai pris entre deux all es et venues lorsqu il sortait ses affaires a faisait un peu euh voleur quoi Du genre la fille qui n a m me pas de quoi acheter un peignoir neuf son mari Un peu n cessiteux si je puis dire VERB31 Le premier sentiment non ma tris serait la honte Elle va se dire elle est n cessiteuse C est un jugement de valeur car dans la soci t capitaliste occidentale c est souvent
29. important de l image de soi a passe par combien on a sur le compte Gosia VERB32 Bah disons que premi rement moi je m en fous un peu de comment on me regarde vu que je suis jeune j ai un look un peu d cal Et donc le type il peut me regarder comme il veut Au final il l a jet Moi je prends a me sert et puis l autre a me fait plus rire qu autre chose et la limite s il tirait sa t te a serait encore plus marrant qu il boudine un peu devant sa porte rah rah rah Je dirai merci Monsieur Merci rires Eddy VERB33 Je ne suis pas g n e le moins du monde Et m me je dis ostensiblement mes coll gues qui sont autour de moi tiens a c est rigolo a sort des poubelles Moi je suis fonctionnaire je suis habill e propre sur moi je pr sente bien Quand je rentre chez moi ostensiblement quand il y a quelque chose devant la poubelle eh bien je ramasse En faisant un grand sourire autour de moi quand on me regarde rires Et je ramasse Je n ai pas honte Mon fils a honte lui Catherine VERB34 Ca me g ne a ne me g ne pas en fait au fond Euh comment dire En fait a ne me g ne pas dans l id e Ca me g ne si j ai l impression que la personne en face est g n e Si elle n est pas l en fait pour m offrir ses objets Voil en fait le probl me des encombrants c est qu il y a une norme amb
30. ion et un d sir de ne pas alimenter par l achat neuf l puisement des ressources la prolif ration des objets et le gaspillage il s loigne des engagements militants du freeganisme par son caract re individuel et de la simplicit choisie par le caract re accumulatif de la pratique Il ne s agit pas de trouver l occasion un objet qu on peut viter d acheter dans les circuits conventionnels mais de ramasser ou de r cup rer ce qui semble pouvoir remplir une fonction qu elle soit utilitaire esth tique symbolique ou psychologique En second lieu nos r sultats montrent que faire le pauvre quand on n en a pas la situation objective ne va pas autant de soi que les travaux ant rieurs le laissent penser Fernandez Brittain et Bennett 2011 Brosius Fernandez et Cherrier 2012 Pour surmonter le regard social qui y est attach y compris celui du chercheur il est n cessaire d avancer de bonnes raisons qui l gitiment la pratique Celles ci se fondent sur la critique n cessairement l gitime du syst me de consommation En r alit cette critique peut aussi bien servir masquer l avidit d un comportement boulimique d complex par la gratuit et la facilit d acc s aux biens En cela elle ne contient pas n cessairement le potentiel de transformation politique que les pratiques plus engag es revendiquent Donovan 2012 Tous les consommateurs n osant pas glaner la mise en place
31. le se trouve en rapport d exclusion D chaux 1990 Dans la dynamique qui lie le centre et ses marges Gauthier 1994 montre qu un premier mouvement op re de mani re centrip te en cherchant rapatrier assimiler r int grer les exclus au sein de la soci t Ainsi les politiques publiques mais aussi le monde marchand lui m me sont producteurs de discours et de pratiques veillant autant que possible faciliter ou maintenir l acc s la consommation Les r ponses aux diff rentes crises conomiques qui se sont succ d es depuis quatre d cennies se sont par exemple traduites par l essor du hard discount et plus r cemment par l intensification des offres destin es soutenir la baisse du pouvoir d achat baisses de prix et promotions Moati et Ranvier 2007 soldes Gonzales et Korchia 2008 produits d occasion Roux et Guiot 2008 Nous allons d sormais puiser dans la litt rature les l ments qui mettent en lumi re deux types de marginalit l une qui consiste tre exclu et l autre s exclure 1 2 Etre exclus du centre la pauvret conomique comme exclusion sociale Bien que les mesures de la pauvret divergent puisqu on en distingue au moins trois types la pauvret mon taire absolue et relative la pauvret des conditions de vie et la pauvret subjective toutes soulignent la difficult d appr hension du ph nom ne et sa prise en compte dans les politiques publiques
32. n qu il offre VERB25 la d couverte de quelque chose de rare ou de cher majore le sentiment d incr dulit mais aussi de puissance du glaneur VERB26 Il y a donc souvent une sorte d tonnement des r pondants sur la nature des objets trouv s et par familiarisation avec la pratique du glanage sur la possibilit d acc s sans effraction un lieu d approvisionnement non d fini comme tel et sur les perspectives d appropriation sans limites autres que mat rielles qu il offre d un ensemble d objets gratuits Cette combinaison qui distingue en cela les b n fices conomiques et exp rientiels du glanage de ceux de l achat en brocante Roux 2004 conduit les r pondants r interroger la notion de pauvret et surtout du pauvre et en donner une conception critique particuli re iv Le dernier registre de critique porte sur la r interpr tation de la figure du glaneur et du pauvre en relation avec le syst me de consommation Le glanage n est pas une d marche si socialement banalis e que tous les r pondants se sentent aptes la pratiquer encore moins les non glaneurs qui ont m me l impression de contribuer polluer la rue et l espace public en d posant simplement leurs objets aux encombrants VERB27 De fait ramasser est pour un non glaneur une situation contrainte qui semble r serv e aux gens tomb s dans l indigence VERB 23 et dont la pratique ne peut qu inspirer ou sugg rer la honte
33. n que les r pondants le font par n cessit ou par choix les objets utilitaires pr dominant toutefois dans le premier cas par rapport ceux remplissant davantage des fonctions esth tiques et ou h doniques R f rences Aug M 1992 Non lieux introduction une anthropologie de la modernit Paris Le Seuil Bellagamba L 2008 La pratique de r cup ration d objets mis au rebut dans l espace public M moire de Master 2 Recherche en Sciences Sociales mention sociologie des soci t s contemporaines sous la direction de O Martin et D Desjeux Universit Paris Descartes Brosius N Fernandez K et Cherrier H 2012 Re Acquiring Consumer Waste Treasure in our Trash Journal of Public Policy and Marketing Forthcoming Cherrier H 2009 Anti consumption discourses and consumer resistant identities Journal of Business Research 62 2 181 190 Cherrier H et Murray J B 2007 Reflexive dispossession and the self Constructing a processual theory of identity Consumption Markets and Culture 10 1 1 29 5 Les gratiferias ou f tes de la gratuit initi es en Argentine se d veloppent aujourd hui localement comme des manifestations temporaires o tout s apporte et se remporte sans contrepartie mon taire Le magasin pour rien ne comporte pas de caisse pas de client chaque citoyen riche ou pauvre peut venir prendre un trois objets gratuitement www neo planete com Cherrier H Szuba M et Oz
34. ni re dont elles taient v cues L entretien d bordait le cas ch ant sur d autres comportements comme acheter d occasion troquer r parer donner autour de soi lorsqu ils taient voqu s par les r pondants Pour analyser nos donn es nous avons utilis un codage d ductif en partant de codes issus de la litt rature Une analyse th matique a t conduite de mani re crois e entre les chercheurs pour faire merger les cat gories d analyse et confronter les interpr tations 3 R sultats Les r sultats montrent que la pratique du glanage interroge d abord le fait d tre pauvre ou de se sentir pauvre et n cessite de trouver des justifications pour s autoriser prendre des objets jet s normalement collect s par les services municipaux Les r sultats permettent ensuite de comprendre les justifications qui soutiennent cette pratique et qui s appuient sur des critiques du syst me marchand relatives i la valeur ii aux objets jet s iii aux circuits d approvisionnement conventionnels et iv l id e de pauvret relue l aune d une r flexivit sur le syst me de consommation 3 1 Etre ou se sentir pauvre pour s autoriser glaner Non lieu au sens d Aug 1992 le trottoir voque souvent des images n gatives c est un endroit sale Navez Bouchanine 1991 o tra nent des choses et des gens qui ne devraient pas s y trouver propice des conduites risques et socialement
35. ntricit choisie le glanage comme r v lateur des marges de la consommation Introduction 38 des Fran ais disent avoir au cours des douze derniers mois r cup r des objets jet s ou d pos s sur les trottoirs notamment le jour du ramassage des encombrants Observatoire Soci t et Consommation 2012 L tude ne dit n anmoins pas si ces personnes glanent des objets par n cessit ou par choix En effet on ne sait pas vraiment si ces pratiques rel vent uniquement de la grande pauvret film e par Agn s Varda en 2000 dans Les glaneurs et la glaneuse ou si elles rel vent d un comportement marginal qui ne fait que mettre en lumi re une prise de distance par rapport au centre Gauthier 1994 autrement dit au syst me marchand De fait ramasser des objets jet s pourrait tre le mode d approvisionnement contraint des nouveaux pauvres Maruani 2003 Couret et Metzger 2009 ces individus de conditions sociales diverses qui connaissent un moment ou un autre de leur vie des situations de pr carit Mais comme certains m dias l affirment aujourd hui le glanage pourrait galement relever d une pratique qui ne concerne plus seulement les gens fauch s et les populations socialement exclues Le Parisien 13 11 2012 mais des individus mus par d autres motivations On sait en effet que certaines personnes glanent des objets et ou de la nourriture pour des raisons qui ne sont pas exclu
36. re financi rement du fait de s exclure volontairement en adoptant des comportements marginaux parmi lesquels se range le glanage urbain La figure 1 pr sente en conclusion de la revue de la litt rature les deux formes de marginalit subie et choisie et parmi celles ci la simplicit volontaire et le glanage 1 1 Etre en marge lorsque le centre est la consommation marchande Selon Michel Foucault 1961 1972 ce que l on observe dans les marges se d finit par rapport au centre Et bien loin d tre un dehors en position d ext riorit par rapport un dedans les marges manifestent que le dedans n est autre que le pli du dehors Deleuze 1986 p 104 Ainsi les pauvres et les exclus d finis par le fait que la soci t les d signe comme tels et choisit de les assister Simmel 1909 Paugam 2005 n existent que par rapport un centre dont ils r v lent la force l importance la r f rence la norme la consommation marchande En effet qu on aborde la pauvret sous l angle mon taire sous l angle des conditions de vie ou m me subjectivement c est la m me r f rence ce qui est accessible dans le domaine marchand ce qui est poss d ou non ce qui pourrait l tre par rapport d autres qui fonde la mesure et la comparaison L examen de la pauvret comme marginalit permet donc de r v ler le type de centralit laquelle elle se r f re et par rapport laquelle el
37. s Paris PUF Sugier L 2012 Le marketing face ses r sistances une ethnographie des imaginaires et des pratiques de consommation des objecteurs de croissance Th se pour le doctorat de sciences de gestion Universit de Rennes 1 Annexe 1 Liste et profils des r pondants Pr nom Age Situation professionnelle et maritale Glaneur Amandine 22 ans Etudiante en couple sans enfant sans revenus Oui Eddy 23 ans Jardinier au ch mage en couple sans enfant sans revenus Oui Sabine 24 ans Consultante en couple sans enfant Oui G raldine 30 ans Ch meuse seule avec 2 enfants allocations ch mage Oui Gosia 34 ans Commerciale c libataire Oui Vincent 38 ans Charg de client le divorc deux enfants Oui B rang re 41 ans Enseignante mari e trois enfants Oui L a 45 ans Fonctionnaire minist re justice mari deux enfants Oui Anne 50 ans Chercheur mari e sans enfant Oui Muriel 50 ans Institutrice mari e deux enfants Oui Patricia 54 ans Secr taire mari e trois enfants Oui Catherine 58 ans Chef de projet au Minist re de la Culture mari e 3 enfants Oui Jo l 61 ans Artiste mari sans enfant Oui Pr nom Age Situation professionnelle et maritale Glaneur H lo se 28 ans Etudiante c libataire Non Axelle 29 ans Webmaster en couple sans enfant Non H l ne 30 ans Commerciale en couple sans enfant Non Alain 49 ans
38. s ou services qu on n ait plus objectivement les revenus ad quats qu on se sente subjectivement incapable de le faire et ou qu on ne les poss de pas plus La pauvret est donc souvent une marginalit subie Or il existe d autres formes de pauvret apparente qui rel vent d une marginalit revendiqu e et choisie Nous en examinons deux en particulier la simplicit volontaire et le glanage 1 3 S exclure du centre de la consommation marchande Les consommateurs adoptent plusieurs comportements pour montrer leur prise de distance l gard de la consommation marchande en adoptant des comportements de pauvret apparente certains assez radicaux dans leur choix de vie d cident de moins consommer et de simplifier Cherrier 2009 que ce soit l chelon individuel ou collectif par choix personnel ou pour des raisons militantes d autres pr f rent tout simplement substituer l achat la r cup ration d objets jet s via le glanage Notons n anmoins que l individu tant minemment social il s exclut d un centre ici la consommation marchande pour s affilier formellement ou non un autre groupe celui des individus qui font comme lui Notre acception de l exclusion n est donc ni l isolement ni l esseulement e S exclure du syst me marchand pour choisir d tre simple Les formes de simplicit choisie font l objet d une litt rature abondante et n anmoins
39. sivement conomiques mais galement h doniques ou symboliques Donovan 2012 Fernandez Brittain et Bennett 2011 Brosius Fernandez et Cherrier 2012 Cet article s int resse au glanage urbain d objets lors des encombrants Son objectif est de mieux comprendre les pratiques de glanage d objets sous l angle des marginalit s qu elles r v lent Nous montrons en effet ici que les pratiques de glanage peuvent tre v cues comme des formes de marginalit r v latrices de la centralit de la consommation marchande contre laquelle elles expriment des critiques Donovan 2012 Dans cet article nous mettons au jour une forme d excentricit que nous nommons marginalit assum e qui au travers de la pratique du glanage manifeste un d sir de r cup ration des objets jet s Ni pauvret subie ni simplicit choisie ce glanage de pr f rence Chris Nicola et Riffaut 2009 appara t comme une remise en cause de la consommation marchande qui ne rel ve pas d une d marche de simplification ou de r duction r elle de la consommation l instar des frugaux Bien au contraire ramasser des objets jet s offre ces individus qui d une mani re g n rale n ont pas de difficult s financi res majeures un mode d approvisionnement alternatif les conduisant l accumulation plut t qu au d nuement Nous montrons aussi que leur critique du syst me marchand repose sur une posture de distinction l
40. squ on se dit que ce sont des objets rejet s et nous on est super heureux de se dire qu on peut on peut farfouiller et la moindre cochonnerie qu on trouve on la trouve super hein Et on va la garder avoir une tonne de mat riaux sous la main sans aucune contrainte d un point de vue conomique a c est clair et voil de se dire sers toi c est gratuit quoi Pour les brocantes je pense parce que comme il y a de l argent du coup le poids de l objet p se dans le sens o il faut faire encore plus attention si tu prends cet objet aux cons quences que a va avoir Amandine VERB12 a me fait penser qu on a beaucoup ramass de chats aussi qu on a adopt s Je ne sais pas si je peux mettre les deux sur le m me plan mais j ai l impression qu il y a un lien On ne les attendait pas non plus mais on a t content de les accueillir C est pareil pour les objets vous croyez VERB13 Je ramasse des objets qui sont jet s la benne des t l phones des live boxes des composants lectroniques Bref tout ce que je vois passer Je les r pare si besoin et je les donne autour de moi Je n ai pas attendu qu ils fassent des campagnes de communication grands frais sur l cologie Quand j tais m me il para t que je voulais devenir boueur rires Non plus s rieusement je viens d une ducation o on nous a appris la valeur des choses Mon p re est
41. t 2002 le devenir de la plan te et l appauvrissement des ressources font d faut VERB37 VERB39 Ainsi les glaneurs font les pauvres parce qu ils s excluent avec de bonnes raisons du centre c est dire de la consommation comme r f rentiel l gitime VERB40 Sur le trottoir sorte d envers du miroir de la sc ne marchande Roux et Guiot 2013 les pauvres gens ne sont plus selon certains glaneurs ceux qui ramassent mais ceux qui jettent et tombent dans les pi ges de la consommation VERB41 et VERB42 Conclusion l excentricit choisie via le glanage comme forme de distinction La pratique du glanage est traditionnellement associ e des conditions d exclusion et de pauvret r elles qui semblent l enfermer dans un r f rentiel dont les non pauvres seraient exclus Nos r sultats montrent en premier lieu que des individus qui ne connaissent pas de difficult s financi res majeures glanent l chelle micro individuelle de mani re choisie et revendiqu e Donovan 2012 Ce glanage de pr f rence qui a t mis en vidence dans le domaine de la r cup ration alimentaire Chris Nicola et Riffaut 2009 ne t moigne pas de la dimension engag e et politique tudi e par Donovan 2012 pas plus qu il ne ressemble totalement aux comportements et orientations des adeptes de la simplicit volontaire Alors qu il partage avec ces deux courants une m me critique du syst me de consommat
42. t un g chis auquel je ne veux pas contribuer Alors a c est ma petite contribution Catherine VERB17 Je pr f re prendre des objets dans la rue Comme j aime les objets je donne une seconde vie aux objets Mais je suis plus dans le fait d engranger que de d faire Et parfois on se dit tiens il faudrait faire un vide grenier pour se d barrasser Mais on ne le fait pas Anne VERBI8 L on se rend compte qu on d barque dans un univers o on peut prendre tout ce qu on veut et donc faire ce qu on veut avec On peut prendre c est nous pour cinq minutes et aller au tas suivant le reposer en disant jen veux plus Amandine VERB19 Maintenant il y a des choses que j ai regrett es Et jy pense toujours Un jour je sors du travail deux fauteuils en bois genre 1900 belle poque et a doit co t super cher sauf que j avais un rendez vous J aurais pu dire tant pis pour le rendez vous je remonte les deux chaises et j irais mon rendez vous plus tard Je ne l ai pas fait Le rendez vous est pass en premier et je l ai toujours regrett Une autre fois je n ai pas de voiture j tais en banlieue entrain de faire un entretien des fauteuils ann e 1960 en fer a vaut la peau des fesses je n allais pas me trimballer le truc l aussi regret Anne VERB20 Voil c est comme si la rue tait un grand libre service et chacun voil
43. taire Cahier de Recherche Cr doc 242 Navez Bouchanine F 1991 Mod le d habiter et crise de l urbain la situation vue partir du Maroc Espaces et Soci t s 65 2 85 108 Paugam S 2005 Les formes l mentaires de la pauvret Paris Presses Universitaires de France R my E 2007 De Que choisir Casseurs de pub entre r cup ration marketing et nouvelles figures consum ristes D cisions Marketing 46 avril juin 37 49 Roux D 2004 Les orientations envers l achat d occasion le r le du risque per u et de l expertise quelles implications pour la distribution D cisions Marketing 35 juil sept 9 21 Roux D et Guiot D 2008 Une mesure des motivations envers l achat d occasion leurs ant c dents et leurs cons quences Recherche et Applications en Marketing 23 4 63 95 Roux D et Guiot D 2013 Par del le miroir de la sc ne marchande l acheteur d occasion au pays des merveilles in F Clochard et D Desjeux Le consommateur malin face la crise Tome 2 Le consommateur strat ge Consommations et Soci t s Collection Dossiers Sciences Humaines et Sociales L Harmattan Paris 165 186 Rozin P Ha dt J et McCauley C 1993 Disgust Handbook of Emotions M Lewis et J M Haviland eds New York Guilford Press 575 594 Shaw D et Newholm T 2002 Voluntary simplicity and the ethics of consumption Psychology and Marketing 19 167 185 Simmel J 1909 Les pauvre
44. u de ressources donn et conduisant au surendettement Ces individus en situation de pr carit sont aussi les plus vuln rables tout accident de parcours qui peut jouer le r le d acc l rateur de l exclusion exclusion du march du travail exclusion conomique exclusion familiale exclusion sociale Ce que l on nomme alors accidents de la vie r sume l alignement dramatique et souvent simultan de conditions li es au travail la famille la sant et la consommation qui aboutissent au parcours de d socialisation de certains individus ant rieurement bien int gr s D chaux 1990 Ce processus de disqualification sociale est un parcours caract ris par la fragilit la d pendance et la rupture de lien social au cours duquel l individu acquiert et int riorise le statut de pauvre Paugam 2005 La mesure mon taire de la pauvret participe en retour la stigmatisation des individus Godet 2006 en cr ant un effet de marquage social et de d signation des populations qui en sont l objet Goffman 1963 1975 De fait en se voyant cat goris comme pauvre Simmel 1909 l individu int riorise progressivement son statut et en vient se vivre comme tel Paugam 2005 Au bout du compte les trois syst mes de mesure du ph nom ne pauvret mon taire subjective et des conditions de vie font de la consommation un r f rentiel Etre pauvre c est ne plus pouvoir acc der certains bien
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