Titre de test
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1. l homme d passant ses propres limites atteint la stature du h ros Or cette lecture m conna t l aspect peut tre le plus essentiel de Vol de nuit et qui lui conf re selon Paule Bounin sa plus grande profondeur et sa plus grande originalit pour Saint Exup ry le th me v ri table de Vol de nuit c est la nuit Mais le statut de la nuit est encore l aventure supr me dans laquelle s lance une chevalerie nouvelle L uvre de Saint Exup ry ne propose pas un mode d emploi de l h ro sme elle interroge le sens de l existence de l homme Tout est construit sur des dou tes profonds parfois entrecoup s de lueurs de v rit s La nuit et la lumi re s opposent comme le ciel s oppose la terre l avion la maison le temps l ternit Saint Exup ry cherche constamment ce qui justifie l homme en tant qu homme ce qui lui donne sa valeur Et parce qu il pose ces questions il lui arrive de retrouver les accents des grandes pop es L Aviateur Courrier Sud ou Vol de nuit paraissent avant tout tra vers s par l impossibilit du retour L aviateur dans le ciel est en exil de sa propre vie Quand je serai grand je serai un conqu rant et je reviendrai charg de gloire prendre pour ma tresse celle que j ai aim e nous dit le narrateur de Courrier Sud Pourquoi d sillusionner le novice si avide de conna tre l ivresse de l action Tout retour est impossible dans l uvre de Saint Exup ry Ou alors il2. de Maurice Bellet De l exclusion comme sympt me in Derenne et Deutsch dir La fragmentation sociale Enjeux et perspectives Econo mica Paris 1995 p 169 180 Conjonctures n 30 111 Dieu pour s en mouvoir et pour abattre sur notre arrogance les foudres de sa col re divine Comme il ne peut trouver sa puissance dans son corps l homme s ing nie la trouver hors de lui Si nous croyons que la machine ab me l homme c est que peut tre nous manquons un peu de recul pour ju ger les transformations aussi rapides que celles que nous avons subies Nous sommes tous de jeunes barbares que nos jouets neufs merveillent encore Nos courses d avions n ont point d autre sens Celui l monte plus haut court plus vite Nous oublions pourquoi nous le faisons courir La course provisoirement l emporte sur son objet Et il en est toujours de m me Curieuse inversion d sormais qui nous am ne traiter nos machines avec un soin jaloux leur don ner des noms en faire des extensions prodigieuses de notre propre corps et qui en m me temps voit le corps de plus en plus comme une machine une m ca nique dont il faut changer les pi ces de temps en temps Saint Exup ry nous plonge au c ur de cette m tamorphose hallucinante Je suis un organisme tendu l avion L avion me fa brique mon bien tre quand je tourne tel bouton qui r chauffe progressivement mes v tements et
3. mon oxy g ne Et c est l avion qui m alimente Cela me pa raissait inhumain avant le vol et maintenant allait par l avion lui m me j prouve pour lui une sorte de ten dresse filiale Le corps est devenu outil Puis il n est plus rien du tout il n est qu illusion et encombrement Dans l preuve le corps prouve refuse se couvre de sueur perd conscience lutte et ne veut pas mourir Mais celui qui se loge dans l acte devient l acte lui m me Le feu a fait tomber la chair Mon corps je me fous bien de toi Je suis expuls hors de toi je n ai plus d espoir et rien ne me manque Je re 112 Conjonctures n 30 nie tout ce que j tais jusqu cette seconde ci Ce n est ni moi qui pensais ni moi qui prouvais C tait mon corps Tant bien que mal j ai d en le tirant l amener jusqu ici d o je d couvre qu il n a plus aucune importance Parce que l homme occidental ne croit pas r el lement en l immortalit de l me il pr f re qu on lui donne un corps en tat de marche ici et maintenant Nous sommes tous des Frankenstein Un tube en caoutchouc me relie l avion tout aussi essentiel que le cordon ombilical L avion entre en circuit dans la temp rature de mon sang L avion entre en cir cuit dans mes communications humaines On m a ajout des organes qui s interposent en quelque sorte entre moi et mon c ur De minute en minute je deviens plus lourd plus en
4. vie me devenait chaque seconde plus sensible Je vis Je suis vivant Je suis encore vivant Je suis toujours vivant Je ne suis plus qu une source de vie L ivresse de la vie me gagne On dit l ivresse du combat C est l ivresse de la vie E J Nous le devons la guerre ce besoin de plonger dans les fibres les plus infimes de notre tre dans la vie pour l appr hender dans sa splendeur int grale Pour cela il faut conna tre la pourriture car seul qui conna t la nuit peut appr cier la lumi re S E Il faut que la signification de la mort quilibre la mort Conjonctures n 30 115 Les hommes se battent ils bien ou mal C est la question m me qui n a point de sens E J La lutte est une fa on d tre qui reste ce qu elle est mais on peut l ennoblir par l esprit chevaleresque Et de sa manifestation la plus puissante la guerre il en est comme des religions L humanit paie des dieux en grand nombre en chaque Dieu la v rit s exprime sous une forme particuli re S E Je crois que le culte du particulier n entra ne que la mort car il fonde l ordre sur la ressemblance Il confond l unit de l tre avec l identit des parties Et il d vaste la cath drale pour aligner les pierres Tout cela est absurde Rien n est au point Notre monde est fait de rouages qui ne s ajustent pas les uns aux autres Ce ne sont point les mat riaux qui sont en cause mais l Horloger L Horloger manque E J C
5. Le cr puscule des h ros par Anne Lise Polo Les amants des prostitu es Sont heureux dispos et repus Quant moi mes bras sont rompus Pour avoir treint des nu es C est gr ce aux astres non pareils Qui tout au fond du ciel flamboient Que mes yeux consum s ne voient Que des souvenirs de soleils En vain j ai voulu de l espace Trouver la fin et le milieu Sous je ne sais quel il de feu Je sens mon aile qui se casse Et br l par l amour du beau Je n aurai pas l honneur sublime De donner mon nom l ab me Qui me servira de tombeau Les plaintes d un Icare Charles Baudelaire uelle est la sour e de l h ro sme Dans sa pr face Vol de n itl Gide crit L homme ne trouve point sa fin lui m me mais se subordonne et sacrifie je ne sais quoi qui le domine et vit en lui L pop e de lair va constituer l occasion exemplaire du surpassement de soi au del de la peur des dan gers de l inconnu et de la nuit Mais ce je ne sais quoi qui pousse l homme agir comme si quelque chose d passait en valeur la vie humaine qu est ce donc ditions Gallimard Paris 1931 Conjonctures n 30 107 Il existe peut tre quelque chose d autre sauver de plus durable peut tre est ce sauver cette part de l homme que Rivi re travaille Sinon l action ne se justifie pas la suite de Gide certains ont vu dans Saint Exup ry l auteur d une pop e grandiose o
6. aginaire Ernst J nger Il est tr s rare que l ennemi nous apparaisse en chair et en os bien que seule nous en s pare une mince bande de champs labour s tant et plus Nous en arrivons presque oublier que nous nous battons contre des hommes L hostile se manifeste en d ployant une force gigantesque et impersonnelle en destin e assenant ses coups de poing l aveugle Saint Exup ry La terre est vide Il n est plus d homme quand on observe de dix kilom tres de distance Les d marches de l homme ne se lisent plus cette chelle Nos appareils photos long foyer nous servent ici de microscope Il faut le microscope pour saisir non l homme mais il chappe encore cet instrument mais les signes de sa pr sence les routes les canaux les convois les chalands L homme ensemence une lamelle de microscope Je suis un savant glacial et leur guerre n est plus pour moi qu une tude de laboratoire E J Oui lorsqu on est l couch sur un billard qu on se sent expos sans la moindre protection on ne peut gu re comprendre qu un autre assis au sec et en s curit puisse prendre sous son feu sans une once de piti ni compassion cible facile Mais lorsqu on est soi m me voluptueusement planqu derri re la mitrailleuse le grouillement qu on a devant soi n est gu re plus qu une Le dialogue qui suit met en parall le des citations tir es de Pilote de guerre avec d autres emprunt es Ern
7. combrant plus difficile manier Je vire d un bloc et si je me penche pour serrer des courroies ou tirer sur des fermetures qui r sistent toutes mes jointu res crient Mes vieilles fractures me font mal Peut tre y a t il ici la cl qui explique l impossibilit pour l homme moderne de concevoir le moindre h ro sme devant la vie r elle L homme ne se mesure plus qu un espace qu il a d couvert conquis fa onn Du haut du ciel d o il ne peut plus rien voir des d tails de la vie il se croit affranchi La machine nous a fait d couvrir le vrai visage de la terre nous apprend la ligne droite Dans Terre des hommes Saint Exup ry nous livre enfin un t moignage sans h sitation sans doute apparent Cette terre donne enfin la mesure des hommes parce qu elle lui r siste et que c est quand il se mesure avec l obstacle que l homme se d couvre lui m me Mais ce constat plein de certitudes ne dure pas Moment ph m re dans l uvre Avec Le Petit prince plus de ligne droite l essentiel est la servitude du jardinier la recherche de la source dans le d sert C est qu entre temps n est ce pas la terre s est vue menac e d tre touff e par les Conjonctures n 30 113 racines des baobabs L homme ne se mesure plus la nature Le seul ouragan v ritable qui le met en face d un d cha nement de forces qui le d passe c est la guerre La guerre comme exp rience int rieure dialogue im
8. ela fait une ternit que je suis dans cette tranch e Une telle ternit que mes sens se sont teints en moi l un apr s l autre que je suis devenu un morceau de nature qui se perd dans l oc an de la nuit Par intermittence une pens e allume dans mon cerveau un cha non de lumi res et refait de moi pour une br ve dur e un tre conscient S E a s aggrave mais je suis l int rieur des choses Je dispose de tous mes souvenirs et de toutes les provisions que j ai faites et de toutes mes amours Je dispose de mon enfance qui se perd dans la nuit comme une racine J ai commenc la vie sur la m lancolie d un souvenir a s aggrave mais je ne reconnais rien en moi de ce que je pensais ressentir face ces coups de griffes d toiles filantes 116 Conjonctures n 30
9. jusqu o cela m ne et jusqu quels choix profonds et peut tre inconscients comme disait Foucault de l tre humain on verrait pourquoi l homme occidental n a pu tenir debout qu en courant et de plus en plus vite Et pourquoi nous encore une fois nous ne pouvons envisager de ralentir Nous sommes des acc l rants D o cela vient il De la Gr ce du christianisme la modernit de l effondrement de l id ologie Nous sommes des acc l rants moins par h ritage que parce que nous avons oubli qui nous sommes Nous vivons tous trangers nous m mes Nous avons perdu la conscience de notre corps et nous ne savons m me plus penser L action ne justifie que des pens es rudimentaires celles qui dirigent l action Est ce cela l h ro sme la t te vide et le sang bourr d adr naline Comment parler du h ros quand l homme s efface devant la machine Depuis la r volution industrielle l homme a trouv un substitut l effort exig par le d passement de soi La machine lui conf re une puissance prodigieuse sans commune mesure avec sa petitesse il peut y oublier sa faiblesse Il n y a plus d aventure humaine concevable hors de l exploit technique L homme a cr des avions des voitures des tanks des mitrailleuses des obus des canons des missiles Et ce tas de ferrailles entass es les unes sur les autres ferait une tour bien plus haute que celle de Babel Mais il n y a plus
10. nte ans j ai rempli ma vie je me suis form j ai lutt j ai chang le cours des v nements et voil maintenant ce qui m occupe et me remplit et passe le monde en importance C est ridicule De la grandeur de l homme la machine h ro que Quel est donc ce Graal qui justifie toute l entreprise du vol de nu t Une logique marchande Il faut lutter de vitesse avec la concurrence Conqu rir l aube traverser la nuit pour que le courrier suivant parte son tour Pour Rivi re pour la compagnie qu il sert c est une question de vie ou de mort L ennemi ce n est pas la nuit mais le temps Ce qui d passe l homme ce pour quoi il affronte tant de p rils tient quelques sacs qu on transborde d un avion l autre et qui arriveront destination co te que co te Pour que la cha ne de Toulouse Buenos Aires ne soit pas rompue Un homme veille dans la nuit quelque part le long de la 110 Conjonctures n 30 ligne pont entre les hommes La nuit unit les hommes qui veillent mais cette veille appara t inutile La logique conomique dans une soci t assure cette soci t elle m me d finit les limites juge en ultime instance organise un monde humain o l on peut vivre donne les r partitions et en particulier permet chacun de se reconna tre comme tre humain ayant une place dans cette soci t Mais si on essayait de tirer le fil et de voir ce qu il y a en dessous
11. se la vie toujours petite Elle seule va faire du pilote un tre de lumi re Lui qui n a rien vu des lumi res de sa vie terrestre va trouver celle des toiles vers lesquelles il monte Fabien envelopp de lumi re et lumi re lui m me pense avoir gagn les limbes tranges de l autre c t de la vie Il a choisi sa destin e Cela fait il de lui un h ros Non Un ange peut tre Mais ses ailes ne sont pas les siennes Et sa main encore aux commandes est une main aveugle et impuissante Appara t un visage celui de la femme transfigur e par l amour celui de la vie Cette v rit il a repouss e lui aussi Dors a t il dit sa jeune pouse Conjonctures n 30 109 avant de partir Seul l amour permet l homme de comprendre que l ternit n existe que dans la vie m me Rivi re le Grand Rivi re le Victorieux est im puissant lui qui ne peut rien opposer ce sens de la vie cette v rit sauf quelque chose qui reste inex primable et inhumain L ternel voyageur est clou au sol aussi exil et ridicule que l albatros sur le pont du navire Ce voyageur ail comme il est gauche et veule Lui nagu re si beau qu il est comique et laid Rivi re priv d ailes n aura pas comme Fabien l ternit en partage Il ne lui reste qu une mort ab surde une mort m diocre la maladie qui rampe et le tue petit feu Tant de travail pour aboutir a J ai cinquante ans cinqua
12. st J nger tir es de La guerre comme exp rience int rieure Christian Bourgois Paris 1997 114 Conjonctures n 30 danse de moucherons S E je fais mon m tier Je n prouve rien d autre que le plaisir physique d actes nourris de sens qui se suffisent eux m mes Je n prouve ni le sentiment d un grand danger j tais autrement inquiet en m habillant ni le sentiment d un grand devoir Le combat entre l Occident et le nazisme devient cette fois ci l chelle de mes actes une action sur des manettes des leviers et des robinets C est bien ainsi E J de tout le non sens d un processus ext rieur parfaitement insens ressort une v rit rayonnante la mort pour une conviction est l ach vement supr me La cause n y fait rien tout est dans la conviction On peut bien mourir enfonc dans une erreur indubitable c est ce qu on pouvait faire de plus grand La folie et le monde ne font qu un et qui mourut pour une erreur n en reste pas moins un h ros S E D sormais chaque explosion me para t non nous menacer mais nous endurcir Et je ne vis point dans l attente de la mort pour la seconde qui suit je vis dans la r surrection au sortir de la seconde qui pr c de Je vis dans une sorte de tra n e de joie Je vis dans le sillage de ma jubilation Et je commence d prouver un plaisir prodigieusement inattendu C est comme si ma vie m tait chaque seconde donn e Comme si ma
13. tient du miracle comme dans Pilote de guerre ou la mort elle m me constitue le chemin du re Notice Vol de nuit dans uvres compl tes tome I Gallimard Biblio th que de la Pl iade Paris 1994 p 951 962 108 Conjonctures n 30 tour comme dans Le Petit Prince Qu as tu appris plus tard courir le monde Jacques Bernis Quel homme pensais tu tre devenu et pourquoi ce d sir de le confronter avec le fant me d un gamin tendre Peut tre que cette qu te de l homme qui le conduit refuser la vie par d sir d ternit est finale ment absurde Certes clate un faible rire celui d un homme qui se moque de lui m me et de ses peurs Un rire unique dans toute cette uvre Le Petit prince ne sourit jamais Les hommes affrontent la mort avec plus de courage qu ils n affrontent la vie Or la vie est une confrontation constante avec l inconnu et l inconnu pouvante les hommes La mort est la seule grande certitude Au refus de la vie qui traverse aussi bien Cour rier Sud que Pilote de guerre s oppose la conscience que la vie est le seul bien de l homme Cet autre sens don n la vie cette v rit l fait peur Elle r v le au pi lote alors qu il plonge dans les remous et la nuit que la paix existe quelque part sur cette terre Il faut donc la repousser sinon tout l ordre de l action risquerait de s effondrer Plut t la mort que la vie donc La mort est tou jours grandio
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