un regard de psychanalyste sur la guerre économique
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1. une entreprise fait des r sultats sur les centimes si deux cent soixante mille personnes rel chent un tant soit peu chaque heure leur attention en conduisant les machines au t l phone avec les clients etc la somme de ces rel chements a des effets d sastreux sur la marge Mais il a estim qu une confrontation entre un psychanalyste et un sociologue se pr terait sans doute mieux un change fleuret mouchet comme dans les salons philosophiques dont s inspire l Ecole de Paris et il se trouve que j ai un certain nombre de divergences avec Christophe Dejours tout en tant parfaitement d accord avec lui sur certains l ments de sa th se et tout en ayant au fond la m me approche critique Je crois par exemple que nous avons tous t saisis et mus le silence qui r gnait alors dans amphith tre le prouvait par la description que vous nous avez faite de la familiarit avec les objets techniques de l amour du travail de l engagement corporel dans le travail du z le que les gens y mettent du fait qu ils en r vent la nuit De m me dans votre ouvrage j ai t totalement convaincu par l analyse que vous proposez des formes de souffrance au travail vous tudiez notamment la crainte de l incomp tence la contrainte mal travailler l acceptation du sale boulot la soumission aux exigences de la hi rarchie parce qu on a peur et finalement cette souffrance thique do2. 3 vient apr s la connaissance les gens veulent qu on ait conscience de tout ce qu ils ont mis d eux m mes dans leur travail leur intelligence leur intuition et aussi leurs efforts et leur souffrance S ils attachent tellement d importance cette reconnaissance c est qu elle leur apporte quelque chose d essentiel qui participe la construction de leur identit notamment en signant leur appartenance une communaut pour avoir de la valeur la reconnaissance doit prendre la forme d un jugement port sur la beaut et sur l utilit du travail accompli et ce jugement doit maner des personnes capables d appr cier le travail de l int rieur c est dire des pairs L agent acquiert ainsi l appartenance au groupe ce gars l est un vrai chaudronnier celui ci est un vrai chercheur cet autre est un vrai psychanalyste la reconnaissance est plus difficile obtenir dans ce m tier l que dans tous les autres Ce qui est essentiel dans ce processus de reconnaissance c est qu elle porte sur le travail et non sur la personne en g n ral sinon cela s appelle une note de gueule et cela d clenche les pires sentiments d injustice et d amertume Ce n est qu apr s ce premier stade de l identit celui de l appartenance qu on peut passer un deuxi me type de reconnaissance celui de l identit au sens propre c est dire le fait qu on est un tre un
3. s locales que le nucl aire ne pr sentait aucun risque ce qui tait tout fait l oppos de mes convictions Bien s r je refusais de me pr ter certaines op rations comme le fait d aller pendant le week end espionner les manifestations des colos c tait mon petit courage moi mais il tait bien d risoire c t de la compromission que j avais accept e simplement pour pouvoir d buter ma carri re Il m est arriv aussi de faire un travail pour lequel je me sentais totalement incomp tent dans les ann es 1980 il y avait un norme besoin en formation de cadres la lutte sociale rebours et notamment la gestion des gr ves je ne connaissais peu pr s rien au droit du travail mais mon patron m a donn quinze jours pour assimiler la documentation et m a envoy animer un stage d une semaine chez Esso comme expert en droit du travail et j ai m me obtenu une bonne appr ciation Enfin Dieu sait que j ai racont des mensonges impos s puisque J ai t professionnel de la communication interne dans les entreprises La souffrance n est qu une transition Je n avais pas le sentiment d une souffrance mais plut t d un effort d un travail incontournable pour gagner ma vie trouver une place dans la soci t et sans doute aussi comme vous le dites pour construire mon identit En ce sens je suis bien un de ces collaborateurs que vous d noncez Une de ces victime
4. clinique et en allant davantage sur le terrain mais ce livre l tait plut t consacr une r flexion sur l volution actuelle du monde du travail D une fa on g n rale il me semble qu avant de donner des r gles d action 1l vaut mieux se poser quelques questions et r fl chir l heure actuelle beaucoup de questions restent sans r ponse et tout le monde voudrait qu il n y ait que des r ponses et qu on se d barrasse des questions La pens e n est pas s parable de l action quand on commence percevoir les choses d une fa on diff rente curieusement on se met aussi agir diff remment Pr sentation des orateurs Christophe Dejours psychanalyste ex psychiatre des h pitaux ex m decin du travail la Facult de m decine Professeur au Conservatoire National des Arts et M tiers Auteur de Travail usure mentale Bayard 1994 Souffrance en France Le Seuil 1998 et de plusieurs ouvrages de psychanalyse et de psychosomatique Directeur de la revue Travailler cole de Paris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org 13 Michel Villette docteur habilit en sociologie il est ma tre de conf rences en sociologie l cole Nationale Sup rieure des Industries Alimentaires Massy et au DEA Institutions Travail et Education dans le Monde Comptemporain de 1l Ecole
5. de suivre le mode d emploi du v hicule et les r gles du code de la route vous serez un danger public vous n aurez pas le temps de v rifier avec un double d cim tre si votre voiture va passer entre l autobus et le camion et vous irez droit l accident Pour conduire correctement il faut sentir sa voiture avec son corps la conna tre jusqu au bout des ailes au moment o vous passez vous sentez les clignotants qui frottent cole de Paris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org 2 presque vous en avez un frisson dans le dos Il en est de m me si vous pilotez un avion de chasse une machine outil ou une centrale nucl aire toutes ces activit s exigent une familiarisation pr alable et cette implication du corps On ne sait mesurer ni l invisible ni le travail Or cette familiarisation ne se fait pas en un jour il faut pour cela que vous ayez t confront souvent des difficult s et que vous vous soyez engag tout entier dans ces preuves Il faut que vous ayez enrag sur cette machine que vous y ayez pens en dehors du travail qu elle vous ait donn des insomnies que vous en ayez r v Alors seulement vous deviendrez capable de trouver des solutions en cas de panne inexplicable Travailler c est trouvailler c est faire des trouvailles continuelles ce qui suppose l engage
6. est ce que nous appelons l activit d ontique c est dire la production partir de la base de r gles qui viennent parfois contredire et concurrencer les r gles de coordination impos es par la hi rarchie Ces r gles sont la fois des r gles techniques et des r gles sociales car travailler n est jamais uniquement produire c est aussi vivre ensemble les r gles de la coop ration tiennent compte de ces deux dimensions Prendre part cette coop ration pr sente un certain nombre de risques non seulement vous rendez plus visibles vos infractions clandestines mais vous risquez de vous faire piquer vos trouvailles par quelqu un qui en aura compris peut tre avant vous tout l int r t La construction de l identit La question qui se pose alors est de savoir pourquoi ceux qui travaillent se donnent tant de mal et prennent tant de risques On croit g n ralement que c est simplement pour gagner leur vie Pour un psychanalyste la r tribution financi re n est qu un aspect secondaire de la question Ce qui mobilise les gens au point qu ils en r vent la nuit c est une r tribution symbolique le besoin i ratitude i i re connaissance di i de reconnaissance au sens de titude mais aussi de c est dire de ce qui cole de Paris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org
7. fonctionnaires heureux puisque j ai m me commenc par expliquer quel bonheur on pouvait trouver dans son travail quand il tait organis de telle sorte qu il permette l accomplissement de soi m me Par ailleurs il est vrai que m me dans la situation actuelle beaucoup de gens se consid rent comme plus heureux qu auparavant j ai m me vu des syndicalistes se r jouir de ce que l avancement l anciennet tait abandonn On va enfin pouvoir se d foncer Mais naturellement de par mon m tier je ne m occupe pas de ceux qui pour une raison ou pour une autre trouvent leur compte dans la nouvelle organisation du travail je m int resse la foule de ceux qui ont perdu le bonheur de travailler et qui en souffrent norm ment Donnez nous des r gles d action Int Je suis cadre et je travaille dans des entreprises priv es depuis le d but de ma carri re j ai norm ment appr ci les deux expos s mais cela ne m aide pas beaucoup parce que demain matin j aimerais pouvoir disposer de r gles d actions concr tes comment faire pour obtenir sans recourir la violence la coop ration de tous mes collaborateurs afin d am liorer l efficacit la productivit et la rentabilit de mon entreprise C D Votre question est d ordre pratique de m me que beaucoup d objections que m a faites Michel Villette j ai crit d autres ouvrages dans lesquels j aborde les choses de fa on plus
8. plus se servent ils de leurs int r ts pour rationaliser leurs passions L explication de la souffrance au travail par le march et par la mondialisation n est qu un alibi pour pargner la conscience la culpabilit de participer des actes qu elle r prouve La guerre conomique ne me para t rien d autre qu un moyen de faire passer le mal pour un malheur On ne peut pas se r volter contre un malheur contre un ouragan un tremblement de terre une leuc mie en revanche on peut se r volter contre le mal qui implique des d cisions humaines Faire croire que la guerre conomique n est pas un mal mais un malheur est utile beaucoup de gens m me si cela trouble l esprit de beaucoup d autres qui se sentent condamn s par le destin faire des choses qui leur paraissent r pr hensibles Infliger la violence la subir en tre t moin Mais comment vivent 1ls avec cette contradiction morale et la souffrance psychique qu elle produit et qu on pourrait appeler la souffrance thique Encore une fois il y a beaucoup de gens qui s en accommodent des parano aques qui pensent qu ils agissent pour le bien de la nation ou des pervers qui prennent plaisir faire souffrir autrui Mais il y a galement beaucoup de gens qui souffrent soit de subir la violence soit de devoir l imposer autrui soit de devoir assister la violence inflig e des tiers Subir la violence est terrible parce que bien so
9. question se pose nouveau avec encore plus de force pourquoi tous ceux qui sont impliqu s dans ce syst me y adh rent ils alors qu il d truit la soci t qu il les d truit eux m mes et qu il hypoth que l avenir de leurs enfants Pour certains d entre eux la r ponse est simple ils y trouvent plus d avantages que d inconv nients Mais comment expliquer le comportement de ceux qui collaborent au syst me tout en le r prouvant qui d testent la fa on dont les choses voluent mais qui suivent quand m me le mouvement Plusieurs th ories se sont efforc es de r pondre cette question Certaines parlent d une int riorisation des injonctions ou des contraintes ext rieures mais un psychanalyste sait qu il n y a rien de plus difficile que d obliger quelqu un int rioriser quelque chose Si c tait possible il n y aurait pas autant de n vros s vous aurez beau dire un n vros qu il n a pas se sentir coupable le lui r p ter conjuguer vos efforts avec ceux de toute la famille et des amis pour l en persuader vous n y parviendrez pas La guerre conomique n existe pas On retrouve alors l id e que c est la peur qui pousse les gens agir de la sorte mais en m me temps on ne peut pas parler l heure actuelle d un r gne de la terreur les gens ne sont pas menac s de mort tortur s ni d port s s ils ne font pas ce qu on leur dit de faire Mon interpr tat
10. se mobilise elle m me pour obtenir une reconnaissance on trouve un ordre de mobilisation g n rale au lieu d une offre de travail n goci e entre le patron et ses salari s des contrats d objectif et la menace du licenciement au lieu du vivre ensemble le chacun pour soi voire l encouragement la lutte d loyale au lieu de la reconnaissance l valuation individualis e des performances qui est une ineptie puisque comme je vous l ai indiqu on ne peut pas valuer ce qui est invisible l appr ciation par les pairs serait une m thode d valuation bien plus fine mais on pr f re s en tenir des m thodes objectives qui ne fonctionnent nullement comme une reconnaissance mais comme une menace cole de Paris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org 4 Ces nouvelles formes d organisation du travail entra nent des catastrophes sur le plan de la sant mentale non seulement parce qu elles ruinent la psycho dynamique de la reconnaissance et qu elles ne permettent plus d esp rer une r tribution qui compense la souffrance du travail et lui donne un sens mais aussi parce qu elles entra nent bien souvent le surmenage l isolement la m fiance et parfois la haine des autres sans compter la mis re mat rielle et morale de ceux qui sont priv s de travail par le z le que nous m
11. t G n rale il dispose au 1 janvier 2000 de six cent mille francs doit il se consid rer comme un collaborateur au sens o on l entendait pendant l Occupation Personnellement je ne le pense pas l heure actuelle le travail ne paie plus et l actionnariat rapporte beaucoup mon avis est que ce monsieur a tout fait raison de s adapter au syst me et que nous devrions tous faire comme lui non seulement par int r t personnel mais parce que sans cela tout le capital des entreprises fran aises sera bient t d tenu par les fonds de pension am ricains que nous en perdrons le contr le que nous n aurons plus de revenus et que nous ne pourrons m me plus nous offrir des s ances de psychanalyse pour soigner notre souffrance Cela n emp che pas ce monsieur de r fl chir et d utiliser une partie de son argent pour organiser des meetings destin s d noncer les abus de la sp culation mais en attendant 1l faut bien qu il essaie d am liorer sa retraite Un apprentissage collectif En conclusion si je me m fie toujours des doctrines du management qui pr tendent faire de chacun de nous des surhommes hypercomp titifs et totalement s rs d eux je suis toujours g n aussi chaque fois que les psychologues tendent nous installer dans la condition de victimes souffrantes ayant besoin d une th rapie D apr s moi face aux situations de souffrance qui en effet existent les gens vont peu peu s organise
12. tat transitoire qui d bouche sur l alternative exit voice sauf peut tre dans les cas pathologiques qui doivent tre tudi s part cole de Paris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org 9 Le bien et le mal Un autre aspect qui me g ne dans votre livre est la fa on dont vous diabolisez le n o lib ralisme mondialisateur que vous identifiez au mal absolu Les amis de l cole de Paris qui ont assist il y a trois ans la repr sentation du Dialogue sur le commerce des bl s de Ferdinand Galiani savent qu aucune th orie conomique n est bonne ou mauvaise en soi selon le contexte ext rieur et int rieur d un pays selon que le prix du bl est faible ou lev une th orie sera utile l int r t g n ral ou deviendra contre productive De m me vous accusez de fa on cat gorique ceux qui ne respectent pas le droit du travail il me semble qu on peut sans tre un fou ni un pervers estimer que le droit du travail fran ais est relativement inadapt l tat des m urs et de la comp tition qu il prot ge finalement mal les salari s dans la situation actuelle et qu il y aurait probablement un certain nombre d am nagements y apporter De ce point de vue aussi il est plus compliqu que vous ne le dites de distinguer le bien du mal La vraie cible Sachant que vous d signez l
13. Normale Sup rieure Fontenay Saint Cloud Il a publi L Homme qui croyait au management Le Seuil 1988 L Art du stage en entreprises La D couverte 1994 et Le Manager jetable La D couverte 1996 Diffusion juin 2000 cole de Paris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org 14
14. Soir e D bat Les Invit s organis e gr ce aux parrains de l cole de Paris Air Liquide Andersen Consulting ANRT AtoFina Caisse Nationale des Caisses d pargne et de Pr voyance CEA Chambre de Commerce et d Industrie de Paris CNRS Cogema Conseil Sup rieur de l Ordre des Experts Comptables CRG de l cole polytechnique Danone Deloitte amp Touche DiGITIP cole des mines de Paris EDF amp GDF Entreprise et Personnel Fondation Charles L opold Mayer pour le Progr s de l Homme France T l com FVA Management Herm s IBM IDRH IdVectoR Lafarge Lagard re Math matiques Appliqu es Mercer Management Consulting PSA Peugeot Citro n Renault Saint Gobain SNCF Socomine Thomson CSF TotalFina Elf Usinor Uniquement pour le s minaire Ressources Technologiques et Innovation liste au 1 d cembre 2000 Pau A MIS D E E l cole de P Paris http www ecole org UN REGARD DE PSYCHANALYSTE SUR LA GUERRE CONOMIQUE par Christophe DEJOURS Psychanalyste Professeur au CNAM Directeur du laboratoire de psychologie du travail Auteur de Souffrance en France Le Seuil 1998 commentaires de d bat anim par Michel VILLETTE 3 Michel BERRY Sociologue Ecole de Paris du management Professeur l ENSIA de Massy Auteur de Le manager jetable La D couverte 1996 Lundi 31 janvier 2000 au minist re de l Education nationale de l Enseignement sup rieur et de la Re
15. cherche Compte rendu r dig par Elisabeth Bourguinat Bref aper u de la r union Christophe Dejours a observ depuis plusieurs ann es le d veloppement de la souffrance au travailet la multiplication de diverses pathologies psychiques les nouvelles formes d organisation du travail brisent l ancien quilibre entre contribution du salari et reconnaissance de son effort entre initiative individuelle et coop ration du groupe entre implication personnelle et accomplissement de soi Mais Michel Villette s interroge cela a t il vraiment un sens de d noncer et de culpabiliser les collaborateurs que nous sommes tous peu ou prou selon Christophe Dejours alors qu aucun d entre nous n a vraiment le choix Par ailleurs la souffrance qu il d crit ne serait elle pas qu une tape une transition la fois dans la trajectoire individuelle de ceux qui entrent dans le monde du travail et dans l volution de nos soci t s L Association des Amis de l cole de Paris du management organise des d bats et en diffuse des comptes rendus les id es restant de la seule responsabilit de leurs auteurs Elle peut galement diffuser les commentaires que suscitent ces documents tel 01 42 79 cole de Paris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org EXPOS de Christophe DEJOURS Qu est ce que le regard d un psychanalys
16. e 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org 10 Tous victimes et tous coupables Quant aux solutions que vous proposez pour rem dier la souffrance au travail je n en vois que deux dont aucune ne me convient La premi re est de nous envoyer tous chez les psychanalystes mais j ai tendance penser que la cure psychanalytique est r serv e aux cas pathologiques et pour ma part si je souffre je pr f re me d brouiller avec les moyens du bord par exemple en en parlant avec des amis et en essayant de trouver des solutions ensemble La seconde solution consiste selon vous d noncer cette souffrance et prendre conscience que nous sommes coupables chaque fois que nous collaborons avec le grand capital pour cr er de la souffrance vous employez plusieurs reprises ce terme de collaborateur en n h sitant pas faire l analogie avec la situation de l Occupation Mais d une part je me demande si cette culpabilisation collective va finalement beaucoup nous aider d autre part j aimerais qu on y regarde de plus pr s et pour cela je vais vous soumettre un exemple imaginaire Un cadre fran ais de cinquante cinq ans a t licenci et dispose au 1 janvier 1999 d un capital de quatre cent mille francs compos de ses indemnit s de licenciement et de l h ritage de sa grand m re Si ayant entre temps achet des SICAV la Soci
17. e n olib ralisme mondialisateur comme l ennemi j ai galement t assez tonn par les exemples que vous choisissez Lorsque vous parlez de la crainte de l incomp tence vous citez l exemple d un m decin qui travaille dans un h pital public et dont les malades meurent pour la contrainte mal travailler l exemple d un technicien de maintenance dans une centrale nucl aire pour le mensonge le cas d un ing nieur de la SNCF qui doit passer un risque technique sous silence parce que son sup rieur lui en a donn l ordre pour la pr carisation l exemple des pr caires du nucl aire qui souffrent d tre maltrait s et m pris s par les personnels statutaires Au total vous ne donnez pas un seul exemple pris dans une entreprise capitaliste priv e du secteur concurrentiel qui devrait pourtant tre votre cible principale Cela dit vos exemples sont extr mement int ressants bien qu ils soient des contre exemples l gard de la th orie que vous d fendez ils n illustrent pas du tout les dangers du lib ralisme mondialis qu il aurait fallu tudier dans de vraies entreprises capitalistes mais ils montrent parfaitement les d rives de ce que j appellerais le capitalisme monopoliste d Etat la fran aise La souffrance que vous d crivez c est celle qui est g n r e l intersection entre un capitalisme sauvage et un colbertisme tatiste les contraintes propres chacun de ces deux uni
18. ettons surcharger ceux qui ont un emploi Les nouvelles formes de la souffrance au travail Je vais me contenter d noncer quelques unes des pathologies li es aux nouvelles formes d organisation du travail Le non sens du travail Travailler n a plus de sens non seulement parce que le travail n offre plus la promesse de bonheur que rendait possible la reconnaissance mais parce qu il n assure m me plus la s curit le livre de Michel Villette montre que m me un cadre qui s est d vou corps et me peut tre licenci et m me quand il a r ussi dans la mission qui lui avait t confi e La surcharge de travail La pathologie de la surcharge de travail peut para tre tonnante une poque o on nous annonce la r duction du temps de travail et m me la fin du travail On nous avait pr dit que le progr s technique lib rerait l homme que les machines feraient tout sa place en r alit on voit se d velopper des pathologies comme les kar shi ces morts subites de jeunes Japonais de vingt cinq quarante ans sans ant c dent cardiovasculaire ni facteur de risque mais qui travaillent plus de soixante dix heures par semaine comme les TMS troubles musculo squelettiques v ritable pid mie chez les clavistes dans le monde occidental au Br sil et maintenant en Inde ou encore comme des troubles cognitifs allant jusqu la confusion mentale certaines personnes sont hospitalis es avec des synd
19. importance mais dans le monde dans lequel nous vivons la reconnaissance passe aussi par le statut social et donc par largent qu on gagne Peut tre d valorisez vous un peu trop cet aspect Christophe Dejours Je pourrais vous citer beaucoup de cas dans lesquels des personnes ont renonc toutes sortes de gratifications mat rielles pour obtenir une reconnaissance symbolique Beaucoup de gens qui gagnent tr s bien leur vie souffrent pourtant norm ment parce que cet argent n a aucun sens il n a pas de valeur symbolique Il existe aussi une pathologie paradoxale la pathologie du placard elle touche des gens qui b n ficient d un tr s bon salaire mais qui on a adress l insulte supr me Monsieur Untel je suis navr vous tes un inutile je vous mets au placard Les gens qui l on dit cela s effondrent compl tement Un homme averti en vaut deux Int J ai t tr s frapp e par l analyse qu a faite Michel Villette des exemples que vous citez dans votre ouvrage et qui en effet portent surtout sur des entreprises publiques ou venant de perdre ce statut ou encore sur le point de le perdre Je pense que la nature du lien qui s est tabli au d part entre l entreprise et le salari peut expliquer l apparition de la souffrance lorsque ce lien apparaissait comme stable et p renne et que tout d un coup se produit une cassure cela cr e naturellement une grande d ception Mais dans les entreprise
20. ion est qu en r alit la guerre conomique n existe pas c est seulement une m taphore extr mement redoutable car pour ceux qui la prennent au s rieux tous les coups deviennent permis et bien des choses paraissent normales qui seraient inacceptables en temps de paix Mais surtout cette id e de la guerre conomique fonctionne comme une rationalisation paralogique rationalisation au sens de raisons que l on donne a posteriori pour justifier des choses qui ne sont pas justifiables et paralogique parce que ces raisons ne sont pas vraiment rationnelles on se contente de dire c est le syst me c est le march c est la mondialisation mais le march passe aux yeux de nombreux sp cialistes pour un m diateur de paix plut t qu un facteur de guerre cole de Paris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org 6 C est du moins l id e qu exprimait Freud dans un texte intitul Actuelles sur la guerre et sur la mort qui date de 1915 Nous avions certes esp r crit il en pleine premi re guerre mondiale que l impressionnante communaut d int r t instaur e par le commerce et la production fournirait le d but d une telle contrainte la contrainte la moralit mais il semble que les peuples ob issent pour l instant beaucoup plus leurs passions qu leurs int r ts tout au
21. ique semblable nul autre en s effor ant de continuer m riter toujours plus de reconnaissance on se perfectionne on se transforme on se construit soi m me Et c est ainsi que l identit na t du travail Le travail est la deuxi me chance de l homme On pourrait objecter que l identit d une personne existe bien avant qu elle se mette travailler Mais la particularit des hommes c est que leur identit est toujours un peu inachev e incompl te comme vous le savez chacun de nous aurait t un g nie si ses parents n avaient pas touff ses richesses int rieures avec leur n vrose Le travail appara t ainsi comme la deuxi me chance de l homme Bien s r on pourrait penser que c est l amour qui constitue cette deuxi me chance mais les histoires de couples sont tr s complexes et beaucoup de gens s av rent immatures et ou malchanceux dans leur vie affective Le travail offre des possibilit s beaucoup plus consid rables de construire ou de reconstruire son identit La reconnaissance qu on trouve dans le travail transforme la souffrance du travail en plaisir parce qu elle permet l accomplissement de soi Le travail en temps de guerre conomique La description que je viens de vous faire concerne le travail en temps de paix en temps de guerre conomique il en va tout autrement Au lieu de la mobilisation subjective que je vous ai d crite c est dire le fait que la personne
22. les ou collectives pour y parvenir L une d entre elles qui n est tenable que collectivement consiste transformer le sale boulot en courage celui qui se salit les mains est courageux celui qui refuse de le faire est un l che cole de Paris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org 7 N y a t il pas dans ce processus une d rive possible vers le totalitarisme C est un grand d bat actuellement Mais d une part je vous ai annonc malgr tout une bonne nouvelle c est qu il n y avait pas de guerre conomique d autre part gr ce cette pseudo guerre conomique beaucoup d argent a t accumul et si on a le courage de prendre certaines d cisions beaucoup de choses peuvent donc tre entreprises Mais avant le temps de la d cision et celui de l action il me semble important de consacrer du temps la d lib ration et c est ce que nous essayons de faire ce soir en r fl chissant ensemble ce qu est au juste le travail COMMENTAIRES de Michel VILLETTE Quand Michel Berry m a demand si j accepterais de commenter l expos de Christophe Dejours je lui ai r pondu qu il vaudrait mieux qu il s adresse quelqu un comme No l Goutard PDG de Val o qui lors d un s minaire Vie des Affaires de l cole de Paris il y a quelques ann es avait d clar par exemple qu
23. ment de la personnalit toute enti re Mais rien de tout cela ne se voit La subjectivit n appartient pas au monde visible ce qui a des cons quences majeures pour notre objet de r flexion comme on ne peut valuer quantitativement et objectivement que ce qui se voit et appartient au monde visible on ne sait pas dans l tat actuel des sciences valuer le travail parce qu on n a pas acc s cette dimension intrasubjective du travail par la m thode exp rimentale Coordination versus coop ration Par ailleurs on ne travaille g n ralement pas seul et si chacun se contentait de d velopper ses trouvailles de son c t celles ci risqueraient d tre contradictoires entre elles Mais la mise en commun des trouvailles individuelles ne va pas de soi elles sont plus ou moins condamn es la clandestinit pr cis ment parce qu elles consistent souvent enfreindre des proc dures des r gles des consignes vous trichez pour bien faire mais vous trichez quand m me C est pourquoi la coordination mise en place par l entreprise n est par d finition pas capable de pallier cette difficult elle ne saurait prendre en compte tout ce qui rel ve de la tricherie et des infractions Un deuxi me type d organisation se constitue alors la coop ration les acteurs mettent en commun leurs trouvailles leurs ficelles leurs mani res de faire afin de les confronter de les critiquer de les faire progresser C
24. nt vous nous avez reparl ce soir toutes ces formulations me semblent tr s justes Il est vain d attendre de la reconnaissance d une organisation En revanche je ne vous suis plus lorsque vous faites reposer votre syst me sur l id e que les gens attendent une reconnaissance de leur travail J ai coutume d expliquer mes tudiants qu ils doivent travailler pour eux m mes pour l estime d eux m mes et surtout pas pour obtenir la reconnaissance d une organisation une organisation c est b te c est incapable de reconnaissance Comme le dit Bill Gates dans les affaires on n obtient jamais ce qu on m rite mais ce qu on n gocie Il vaudrait donc mieux me semble t il s efforcer de construire son identit en faisant l conomie de cette reconnaissance cole de Paris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org 8 La souffrance thique ne date pas d hier En vous lisant j ai pens ma propre trajectoire professionnelle et j ai retrouv beaucoup de situations que vous d crivez Par exemple il mest arriv d avoir faire du sale boulot juste apr s mai 68 alors que J tais plut t cologiste et gauchiste je me suis retrouv dans une quipe qui tait charg e de faire accepter l implantation de nouvelles centrales nucl aires Il fallait que je persuade les collectivit
25. onnaissance au savoir faire l exp rience qu on a la certitude d tre vraiment face au r el Travailler permet d acc der un monde in dit inconnu le vrai monde Pour un psychanalyste l exp rience du travail qui commence toujours par l preuve de l chec et de l impuissance est d ordre affectif Comment l intelligence mobilise le corps Comment faire face cette preuve L encore le regard du psychanalyste est diff rent du regard conventionnel et notamment de celui de la psychologie exp rimentale classique Face une difficult de ce genre il ne s agit plus de suivre une consigne il faut inventer un chemin nouveau diff rent de ceux qu on connaissait jusqu alors en faisant jouer son intuition mais celle ci ne donnera de r sultat que s il existe d j une certaine familiarit avec les objets techniques la mati re ou encore les clients avec lesquels on va travailler Et c est alors qu intervient le corps pour pouvoir faire face aux situations impr vues gr ce l intuition il faut que le corps soit entr dans un rapport affectif avec les objets techniques selon une forme d intelligence qui tait d j connue par les Grecs sous le nom de m tis et qui est red couverte actuellement notamment par des chercheurs allemands sous le terme d activit subjectivante B hle F Milkau B Subjektivierendes Handeln Par exemple si vous conduisez une voiture en essayant
26. plique la fid lit au service public et les imp ratifs de rentabilit Je ne crois pas qu on puisse opposer aussi strictement que le fait Michel Villette le secteur public et le secteur priv le mod le adopt par les entreprises priv es a en quelque sorte colonis le secteur public cole de Paris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org 12 Souffrance ou enthousiasme Int J ai pour l ves des ing nieurs du Corps des mines et j ai constat ces derni res ann es qu ils manifestent infiniment plus d enthousiasme pour leur travail qu auparavant qu il s agisse des fonctionnaires ou de ceux qui occupent des emplois dans le priv Aujourd hui les pistes dam es ne sont plus fr quentables tout le monde est oblig de skier dans la fra che et de prendre des risques ce qui pr sente des inconv nients mais peut galement s av rer exaltant comme l a montr la r cente s ance de l cole de Paris sur l enthousiasme Il me semble que dans l conomie de jadis il y avait moins de malheur mais moins de bonheur aussi les entreprises taient ennuyeuses mais elles prot geaient leur personnel aujourd hui elles offrent des aventures in dites mais elles exterminent ceux qui ne s enthousiasment pas pour elles C D Encore une fois je n ai pas dit qu il n y avait pas de salari s ou de
27. r pour trouver la solution comme mon cadre au ch mage ils vont commencer par boursicoter les jeunes gens vont peut tre s embaucher dans un grand cabinet d audit et puis apr s avoir mis le doigt dans l engrenage et avoir observ de l int rieur comment a marche ils vont comprendre qu il faut faire autrement et ils vont modifier les engrenages La prudence des Anciens la phron sis dont j ai parl dans mon livre implique absolument et n cessairement l habilet m me si ce n est pas une condition suffisante pour contribuer au bien commun 1l faut aller au feu et se forger des armes et des outils sans l habilet qui permet de conqu rir ses moyens d action son identit et son autonomie on est condamn l impuissance moins d tre un h ritier ou de se faire br ler en priant comme les Cathares du XII si cle qui ont pr f r la puret aux injonctions de Simon IV le Fort sire de Montfort et tous les barons cole de Paris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org 11 nordistes qui formaient sa redoutable arm e de crois s Et si avant de se faire br ler on relisait La Fable des Abeilles de B Mandeville D BAT Reconnaissance symbolique et statut social Un intervenant Je veux bien admettre que la reconnaissance symbolique d crite par Christophe Dejours ait son
28. ris du management 94 bd du Montparnasse 75014 Paris tel 01 42 79 40 80 fax 01 43 21 56 84 email ecopar paris ensmp fr http www ecole org 5 Pourquoi le syst me tient il Pourquoi alors que beaucoup d entre nous souffrons au travail acceptons nous de continuer organiser le travail de cette fa on et pr parons nous nos enfants et nos petits enfants l accepter galement La question m rite d autant plus d tre pos e que pour que le syst me marche il ne suffit pas que les gens ob issent il faut qu ils y mettent du z le comme j ai essay de le montrer s ils se contentent d ob ir ce n est pas du vrai travail et cela ne fonctionne pas Bien s r on pense tout de suite que les gens acceptent tout cela parce qu ils ont peur mais pour faire peur aux gens il faut se donner beaucoup de mal essayez de faire peur vos enfants pour les faire ob ir vous verrez que cela vous demandera beaucoup d imagination et beaucoup d efforts Pour faire peur aux gens qui travaillent dans une entreprise il faut pr parer et ex cuter des plans de licenciement il faut faire de la r tention d information il faut mentir aux gens en leur disant qu il ne leur arrivera rien et puis ne pas tenir parole il faut prendre quelques personnes au hasard et les massacrer pour faire un exemple c est tout un travail cela demande beaucoup d efforts de ruse d intelligence de z le et de coop ration La
29. romes pseudo d mentiels du m me type que le syndrome d Alzheimer ceci pr s qu ils sont r versibles au bout d une certaine p riode d arr t du travail Les pathologies de la solitude Quand vous tes en col re et r volt contre l injustice dont vous tes victime cela se traduit par des manifestations qui sont normalement rep r es par les personnes qui vous entourent celles ci n y sont pas insensibles et viennent votre secours d une mani re ou d une autre Mais quand on est seul la violence finit par exploser dans des situations o elle tait autrefois pr venue et contenue par l entourage on voit se multiplier des actes de sabotage tous les niveaux depuis les op rateurs jusqu aux cadres il ne s agit pas de sabotage organis dans le cadre d une lutte sociale qui est par d finition collective mais d actes individuels commis par des personnes qui se trouvent dans des tats mentaux anormaux ce qui est videmment tr s pr occupant actes m dicol gaux Les pathologies de la solitude prennent aussi la forme du harc lement tr s m diatis e actuellement ou encore celle du suicide Les archives conserv es par la m decine du travail depuis une cinquantaine d ann es montrent que s il y a toujours eu des suicides li s au travail c est tr s r cemment que se multiplient les tentatives de suicide sur le lieu m me du travail ce qui bien s r est symptomatique cole de Pa
30. s priv es surtout celles qui sont soumises la comp tition mondiale la pr carit fait en quelque sorte partie du contrat de travail Bien s r tout jeune embauch se souvient de la fiert qu il a prouv e quand on lui a adress son premier compliment mais on ne peut pas dire qu il soit pris au d pourvu si la situation volue de telle sorte qu il finisse par tre licenci La situation est donc finalement plus sym trique entre le manager et le salari que vous ne le dites dans votre livre tous deux sont directement et d s le d part impliqu s dans des situations de concurrence C D Michel Villette m a reproch de prendre mes exemples dans des entreprises du secteur public c est vrai Mais personne n ignore que le mouvement de privatisation commence bien avant le moment o l entreprise est effectivement privatis e C est dans des entreprises comme La Poste ou comme France T l com qu on est le mieux plac pour observer et analyser la souffrance des gens dans le cadre des nouvelles formes d organisation du travail pr cis ment parce qu ils ont effectuer ce passage terrible entre le public et le priv Les difficult s qu ils prouvent nous ont d ailleurs beaucoup intrigu s pourquoi souffrent ils autant alors qu en principe ils ne sont pas soumis la pr carit comme le sont les salari s du priv C est parce qu eux aussi doivent affronter des conflits de rationalit entre ce qu im
31. s des valeurs de virilit qui participent au mal Soit J y consens Mais que faut il en conclure Dans votre ouvrage comme dans votre expos de ce soir vous citez tr s peu d autres auteurs dont certains sont pourtant tr s proches de vous comme si vous vouliez tre seul contre tous je vais pour ma part vous citer un petit livre des ann es 1970 qui me para t tr s clairant sur cette question bien qu il s agisse d une approche d conomiste que vous trouverez probablement tr s simplificatrice Il s agit du livre Exit voice and loyalty de Robert Hirschmann qui dit en substance ceci Que vous soyez client salari ou m me investisseur si l entreprise vous apporte ce que vous attendez d elle pour un co t et un niveau de risques acceptables vous aurez tendance tre loyal avec elle si en revanche le rapport entre la contribution et la r tribution vous para t d s quilibr vous aurez tendance soit protester voice soit quitter l entreprise exit le choix entre ces deux solutions d pendant de leur co t et de leurs risques relatifs on proteste si a ne demande pas trop d efforts et si ce n est pas trop dangereux on fuit si on en a l opportunit etc Par rapport cette th orie on peut analyser la souffrance de deux mani res soit on en fait une quatri me r ponse possible soit et c est mon interpr tation on consid re que la souffrance n est en r alit qu un
32. te C est d abord un regard qui va de bas en haut c est dire du corps la t te mais aussi dans le cadre de la guerre conomique un regard qui s int resse d abord au sort de la pi taille qui fait la guerre avant celui des g n raux qui la dirigent Le travail une exp rience affective Mais avant d examiner ce qu est le travail en temps de guerre conomique je voudrais vous parler du travail en temps de paix Qu est ce qui pousse les gens travailler Le point de vue du psychanalyste diff re ici notoirement de celui de l conomiste qui pense g n ralement que l on travaille simplement pour gagner de l argent Quand on travaille on doit g n ralement suivre certaines consignes mais le plus souvent les choses ne se d roulent pas comme le supposent lesdites consignes Des pannes et des anomalies de toute sorte se pr sentent a r siste a casse a s emballe a explose les clients changent d avis les subordonn s n ob issent pas ou ne comprennent pas les outils ne r pondent plus la machine outil se met chauffer l avion se met vibrer anormalement le malade fait un tat de choc la suite d une injection etc Travailler c est faire l exp rience de la r sistance du r el exp rience fort d sagr able et irritante voire d sesp rante quand l preuve se r p te ind finiment mais paradoxalement c est aussi au moment o les choses r sistent le plus la c
33. uvent on croyait qu on saurait r sister tout et on s aper oit qu on baisse la t te et qu on supporte les pires humiliations Infliger la violence n est pas moins douloureux la fin d un conseil d administration le patron annonce par exemple que les r sultats sont mauvais qu il va falloir licencier 10 des effectifs et que personne ne sortira du bureau avant d avoir donn la liste de tous les cadres de niveau n 2 et n 3 qui doivent selon lui tre liquid s chacun prend son papier et son crayon et commence crire des noms certains sont peut tre en train d crire le nom de leur voisin de gauche pendant que celui ci de droite crit le leur M me la violence laquelle on assiste sans tre directement concern est destructrice vous vous tournez vers les autres et ils vous r pondent qu ils n ont rien vu rien entendu qu ils ne savent rien vous vous retrouvez totalement seul et dans bien des cas vous d couvrez que vous aussi vous tes un l che il ne peut en r sulter que le m pris et la haine de soi m me ce qui est tr s d l t re pour la sant mentale Une d rive possible vers le totalitarisme Pourtant la majorit de nos concitoyens survivent toutes ces preuves comment font ils pour se d barrasser de T il qui tait dans la tombe et qui regardait Ca n Victor Hugo pensait que c tait impossible mais nous avons identifi plusieurs strat gies individuel
34. vers s additionnent et on peut comprendre que cela produise des situations extr mement difficiles pour les agents mais il s agit de quelque chose de tr s diff rent du n olib ralisme pur que vous prenez en principe pour cible On comprend d ailleurs tr s bien qu un psychanalyste n ait que ce terrain d tude historiquement la SNCF et EDF ont t les premi res entreprises recourir la psychologie du travail et ce sont elles qui ont employ le plus grand nombre de psychologues pour une raison fort simple le statut des fonctionnaires prive le management de tout moyen d action conomique sur le personnel car les gens progressent l anciennet et on ne peut pas les licencier il n y a d autre recours que de faire venir des psychologues pour essayer de trouver la fa on dont on pourra malgr tout faire suer le burnous Dans les entreprises vraiment n o lib rales il n y a plus de psychologues on n en a pas besoin puisque lorsque quelqu un n est pas assez performant on s en s pare Chez IBM le fondateur avait promis l emploi vie ses salari s et jusqu l abandon de ce dogme fondateur au d but des ann es 1990 les tudes de psychologies du travail y taient tr s d velopp es voir en particulier les travaux de Max Pages Depuis qu il n y a plus d emploi vie chez IBM que sont devenus les psychologues cole de Paris du management 94 bd du Montparnass
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