13.12.1983 Notes de la claviste Françoise Garbarini
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1. 68 un autobus fabuleux un vrai transport en commun l arr t place Blanche je le guettai f brilement et m arrangeai toujours pour grimper avant tout le monde Mon c ur battait Ma place tait elle libre Oui gr ce aux dieux et je m installai rayonnante juste derri re le chauffeur dans un fauteuil individuel J avais alors l impression de conduire cet norme insecte travers la ville et les carrefours je ralentissais j acc l rais et surtout je pensais Par bribes Une pens e la fois Et je l approfondissais au prochain parcours C tait toujours une question Parfois elle me fulgurait Je cherchais une morale pratique un mode d emploi car il me fallait vivre et pour moi ce n tait pas vident Tr s difficile m me Le r el a me tarabustait Et un jour au d tour du boulevard Raspail et du boulevard Saint Germain Bac Saint Germain pour tre pr cise je compris Pour tre bien dans sa vie il fallait une distance entre le r el et soi On ne pouvait pas vivre le nez dans le r el car alors il s abolissait ou vous engloutissait ce qui est la m me chose Mais quelle est la bonne distance Est elle variable Je poserai la question au prochain s minaire d cidai je et apais e je continuai mon parcours Je ne la posai pas mais je con u le projet d crire ce petit texte et de le lire un mardi soir comme les autres parmi les autres La nuit m me je fis un r ve je marchais dans la fro2. bande de mon petit magn tophone Parfois j avais peur et s il finissait comme les autres comme tous les autres jusqu ici par s enfermer dans son propre syst me Mais non Une phrase un mot rebondissaient et tous les possibles s ouvraient nouveau J eus une impression trange et qui me reste quoiqu inexplicable ces sommets de th orisation et d abstraction je ne me sentais pas en processus id aliste d l vation Mais ce qui ressortait intens ment c est cette sensation presque physique de propret Un certain exercice de la pens e ici m me me lavait Cependant il n y avait pas de scories C tait un mouvement qui tendait vers linfini renouvellement de soi m me on se demandait m me si cela pouvait s arr ter un jour C tait un peu effrayant Dans ces latitudes m mes je voyais bien aussi l norme jouissance collective qui menait le jeu Penser peut tre un acte et le dire un orgasme Parfois l excitation tait son comble Puis quelque chose retombait laborieusement Les s minaires de F lix Guattari p 2 C est ce moment l que Mony choisissait pour d baller sur la table ronde et blanche des bouteilles de Whisky de coca et de jus d orange Il y avait aussi des cacahu tes des noisettes et c tait la pause On discutait alors de tout et de rien du dernier film de la prochaine mission de radio Puis c tait le d bat Mony intervenait souvent et par la gr ce d un d
3. et d ailleurs je dus arr ter assez vite ce jeu de la v rit rayonnante car mes pupilles s irritaient les paupi res me br laient La v rit tait aveuglante Elle crevait mes yeux Quelque chose bougea C tait F lix qui s tait lev de sa chaise et se dirigeait vers le tableau blanc Il prit un marqueur le rejeta en prit un autre et sautillant d un pied l autre se retournant brusquement face nous dessina un sch ma des plus complexes Et le miracle se produisit en moi Ce que j avais cru ne pas comprendre s claira alors au fil des traits lignes points et carre fours Cela tait devenu vivant je suivais javais suivi J tais au courant Les mains de F lix dans leur danse folle sur fond de tableau blanc me parurent comme d tach es de son corps accomplissant quelque chose pour elles m mes libres et perdues la fois Mais cette fois quand il reprit le fils de son expos je ne d rivais plus en solitaire Un mot m avait frapp e qui revenait souvent les agencements Je constatais qu il parlait aussi de la folie mais pas comme d un ph nom ne exclusif et surtout ce qui rejoignait mes certitudes les plus pro fondes sans l enclore dans une cha ne de causalit lin aire Tout cela se rattachait ma vie au projet de Trames aux sillons les plus labour s et ensemenc s de ma pens e Pendant presque une heure je me laissais porter par ces phrases qui s enregistraient jamais sur la
4. faut de prononciation qui me donnait du fil retordre quand je d cryptais il me promenait dans des terres lointaines o la langue est vitesse et l espace rythme Les autres se lan aient faisaient eux aussi des expos s Les th mes les plus divers tait abord s et d velopp s la th rapie familiale le r ve les esquimaux le jeu d chec la charcuterie etc Parfois tr s rarement un silence glaciaire accueillait la fin de l expos Je n aimais pas beaucoup car J y discernais une cruaut d finitive et j estimais que tout ce travail m ritait bien une discussion Les femmes surtout avaient de la peine se faire une place part gale Ce n est pas nouveau Mais c est dommage J avais remarqu chez elles une certaine l gance difficile d finir mais qui n tait certes pas un hasard Elles se battirent et peu peu dans que l affrontement fut mani feste nous firent plusieurs expos s tr s passionnants Je n oublierais jamais ce que l une d elles nous raconta des Aborig nes d Australie pour qui le r ve est un travail et un territoire Ce fut un de mes meilleurs voyages J avais gagn un peu d argent suffisamment pour changer de logement et je m installai dans un studio pr s de la rue Lepic L j aimais mon quartier ses march s ses commer ants et ses gar ons de caf sa p gre et sa butte Je n crivais plus car j avais cherch la limite des mots et du sens et je craig
5. Les s minaires de F lix Guattari 12121988 Notes de la claviste Fran oise Garbarini Le s minaire de F lix Guattari Enregistrer d crypter remettre en bon fran ais taper la machi ne faire des photocopies Voil ce qui me fut propos un jour de d cembre 1980 J exultai j ac ceptai Dans ma chambre de bonne au septi me tage d un immeuble du boulevard Raspail je passai plusieurs nuits blanches traquer un sens des nuances une clart ces phrases abstraites qui semblaient s adresser directement moi C tait No l j tais seule et sans eau courante mais je m en foutais Le soir du r veillon j allai voir un film de Stanley Kubrick o il y avait un laby rinthe de la neige un enfant la folie et la mort Je grignotais un sandwich la sortie mais j avais une boule dans la gorge et je remontais vite mon escalier de service pour terminer ce long travail Mon travail Enfin j ai un travail Les marches me semblaient moins rudes monter les murs de ma mansarde moins troits les fissures du toits moins mena antes F lix je l avais bien connu au temps de ma folie en 65 La Borde Pendant sept ans je l avais crois dans les sentiers la cuisine dans les salles manger Je l aimais bien parce qu aux f tes et aux spectacles que nous donnions souvent dans la grande selle il riait et applaudissait de bon c ur sans r ticence ni charit Au S C A J Sous Commission des Activit s Jo
6. idure d une route de campagne Mes pieds taient lourds la route d serte La nuit tombait Je m arr tai devant une ferme tr s modeste qui ne comprenait qu une salle J tais devant chez F lix Je poussai une lourde porte de ch ne Assise devant une table rurale une jeune fille aux cheveux courts vomissait La table n tait nul lement tach e par ses vomissures intacte et c tait beau Je dis bonjour et me r veillai Les s minaires de F lix agencement ou univers Les s minaires de F lix Guattari p 4
7. la passivit de chapelle exhortant chacun faire un expos prendre la parole ne plus tre d pendant de la sienne Ce qu ils firent C tait un travail en commun une recherche aux dimensions multiples Je connaissais d j quelques uns quelques unes des personnes qui participaient C taient des souvenirs tr s anciens des temps glorieux du R seau International d Alternative la Psychiatrie des Cahiers pour la Folie ou plus r cemment de Radio Tomate Le collectif de psychiatris s Trames qui absorbait beaucoup de ma vie et de mon temps avait t cr e avec Alain Danielle et Jean Claude qui gisaient l dans cette pi ce transform s par les discours abstraits parcourant l air En fait je ne reconnaissais plus personne quelque chose avait t boulevers je devais tout r in venter de ma perception des autres Et brusquement ce fut visible plusieurs lignes de lumi re en pointill s dessinaient l espace de l un l autre de l une l autre s entrecroisant dans un r seau extraordinaire Elles s teignaient se rallumaient dans une autre direction c tait terrible tout ce que j apprenais ainsi Je n en reve nais pas Comment elle reli e si impun ment ce visage hautain et recueilli Et lui Qui e t cru Les r seaux ainsi d nonc s n taient pas seulement de couples traditionnels et c est cela qui m merveillait Mais ici l obligation de r serve m incite au silence
8. nais bien de m y tre heurt e d finitivement Je ramassais des morceaux de bois dans la rue la scierie de la rue Constance des plaques de verres j achetais des couleurs et je me mis peindre Mon studio tait encombr de morceaux aux couleurs tranges j tais heureuse et je restais tout de m me bran ch e sur le sens des mots et l criture une fois par mois quand je d cryptais F lix Parfois l an goisse me prenait et le non sens m envahissait y arriverai je Cela signifiait un exil provisoire d une semaine environ ou dix jours entre mes quatre murs ne voir personne et me donner fond ces guirlandes de phrases dans de rudes et longues journ es de travail Taper la machine tait le plus d concertant Je passe sur les maux de dos et de reins qui s en suivent et me jettent dolente sur mon lit Non ce qui tait scandaleux c tait cette d construc tion signe par signe d une pens e coh rente L automatisme n est pas une vidence et c est dan gereux de devenir une machine Mais ce qui me ravissait c tait ce travail tout en finesse qui consiste transformer un langage parl en langage crit sans en trahir la moindre nuance J aimais cela Je l aime encore Reproduire les sch mas les clarifier m enchantait aussi car ils avaient eu tant d importance pour moi enfin quelle joie quand tout tait termin et que j allais dans une boutique du sixi me faire des tirages photoco
9. ns prenaient des notes et tous semblaient au courant J eus envie de rire car je me demandais s ils n taient pas tous en train de faire semblant J avais chaud je m inqui tais du moment o il faudrait changer la cassette Je n osais regarder ma montre Alors je d cidais faute de comprendre de voir et d observer La pi ce tait vaste et ses murs tapiss s de photos dessins affiches Certains se refl taient dans le miroir et c tait d autant plus fascinant qu on distinguait mal les contours Face moi un piano Sur le canap le plus large d bordaient de gros coussins dor s et quelques personnes taient dessus m me le sol Cela faisait un peu Mille et une nuits et j esp rais bien que F lix par son inventivit r p t e saurait chapper au ch timent mortel de l aube Voil il tait condamn en quelque sorte nous faire ces expos s sa vie tait en jeu ce n tais donc pas sa faute si je ne com prenais pas Les s minaires de F lix Guattari p 1 premi re vue ce qui r gnait ici semblait une relation ma tre disciples Par instants je m y lais sais prendre et certaines interventions semblaient le corroborer tant elles paraphrasaient l expo s du ma tre de c ans Pourtant c tait plus compliqu je m en aper us rapidement Car il y avait aussi de multiples relations invisibles l il nu entre les auditeurs ici pr sents D ailleurs F lix faisait tout pour briser
10. pi s L r gnait une machine digne des Temps Modernes de Chaplin qui repro duisait classait et agrafait Les exemplaires photocopi s taient presque plus beau que l original Et surtout deux jeunes gar ons tr s grands et beaux comme des dieux m accueillaient avec un sourire sybillin de reconnaissance quand je leur lan ais d une voix autoritaire en sortant mon ch quier Tarif th se s il vous pla t Jusqu ici les mardis soirs j tais rest e muette durant tout le temps que durait le s minaire Mais il m en co tait et j avais de plus en plus le d sir d intervenir de poser mille questions Par exemple pourquoi tous les soirs 23h40 sous ma fen tre et dans ma rue passait un cheval ponctuel claquetant ses sabots d Est en Ouest sur les pav s humides Oui pourquoi Les s minaires de F lix Guattari p 3 En fait un jour F lix fit un tour de paroles en nous demandant quels sujets nous aimerions trai ter Je pensais chaque jour la mort cette transformation en mat riel et ici me semblait il on n y pensait pas ou du moins on parlait comme si cela n existait pas Je demandai donc qu on par l t de ma mort ici et bient t Deux personnes se propos rent et mon cheval de 11h du soir cessa de passer dans ma ruelle Je dormis mieux J eus moins de mal vivre Lorsque je sortais des s minaires j tais enrichie et je me payais toujours un taxi Mais pour m y rendre j tais accoutum e au
11. urnali res tous les midis il savait donner la parole aux d lires et susciter des projets d animation assez grandioses Entre temps des livres de lui taient sortis avaient eu du succ s mais je ne parvenais pas l ima giner Paris faisant un s minaire J tais un peu essouffl e quand un soir 19h je sonnai au troisi me tage de la rue des Quatre vents encombr e par mon paquet de textes F lix m ouvrit me d chargea Je traversai un couloir une petite pi ce avec un bureau et d bouchai dans le salon o d j quelques personnes discutaient entre elles Je fus d abord tr s emb t e parce qu il n y avait pas de chaises et j h sitais sur le canap o m as seoir Je voulais avoir lair naturel mais c tait un handicap de plus Je ne sais plus comment dans un brouhaha qui m assourdissait je parvins vendre mes textes puis installer le magn topho ne L argent pleuvait droite et gauche il fallait cacher ma joie et j en tais incapable Soudain le silence se fit F lix s installa pr s d un tableau blanc Il avait une chaise lui et le s mi naire commen a Dans un premier temps ce fut horrible je ne comprenais rien Rien voir avec ces phrases qui me parlaient dans ma mansarde que j arr tais reprenais mon gr au gr du magn tophone et de ma vitesse Je me dis tout le monde va s apercevoir que je ne suis pas Je regardais les autres tr s attentifs certai
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