INTRODUCTION À L `ESTHÉTIQUE DARWINIENNE
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1. celui de Paristocratie commen ait de se d liter et ce n est pas un hasard si les crits de Kant sur le jugement de go t sont contemporains de la R vo lution fran aise d faut d avoir du sang bleu d faut d tre un artiste on pouvait maintenant avoir du go t tre un esth te sy entendre On pouvait nouveau sortir de la cuisse de Jupiter et sourire en silence aux envieux mais sans risquer la guillotine De surcro t comme le privil ge de na tre aris tocrate et comme la chance de na tre artiste cette facult nouvelle pour parler comme Kant passait pour ne pas s apprendre Elle tait donn e surtout au gentilhomme de go t sans qu on p t esp rer en manifester la ma trise force de tra vail C tait une sorte de chic naturel qu il fallait manifester devant l uvre quand les b otiens voyaient des fleurs dans le tableau battaient la mesure l coute de la symphonie ou tournaient avec avidit les pages de leur roman de crainte que le h ros cette fois ne s en sorte pas l esth te lais sait les formes de l art solliciter le libre jeu de ses 1 Emmanuel Kaxr Critique de la facult de juger Paris Vrin 1993 1790 p 88 2 Cf Nathalie Hemic L Elite artiste Excellence et singularit en r gime d mocratique Paris Gallimard 2005 30 facult s d entendement et de raison Il le faisait qui plus est de fa on d sint ress e c est dir2. niques bien plus sophistiqu es Haendel a crit des centaines d airs pour construire ses 42 op ras mais un seul d entre eux est devenu un tube l re de l art de masse l air Ombra mai fu de Xerxes 1738 Il ne faut pas confondre les tres humains avec les chiens de Pavlov ni la psychologie volu tionnaire avec la psychologie behaviouriste Se rendre compte m me que l on vient d crire un tube n est pas la port e des plus grands compo siteurs En 1911 s il avait su que sa Valse triste fit un tel tabac Jean Sibelius n en aurait pas n gli gemment c d les droits pour une bouch e de pain un marchand de sa connaissance Il les aurait conserv s ce qui lui aurait permis de vivre grassement en se consacrant son att M me le courant de la musique r p titive qui comme son nom l indique a recours aux boucles tonales syst matiques feint de se r p ter Les boucles de Philip Glass pour citer un composi teur qui semble avoir mis nu notre pr f rence pour les anatoles ne se succ dent jamais sans d infimes variations de rythme ou d arrangement En revanche la Symphonie monoton d Yves Klein 1961 n a jamais d pass le succ s de curio sit Elle est bien trop monotone On sait que conform ment sa vision de l art total il a voulu transposer en musique l apparente simpli 35 cit de ses fameux monochromes bleus Mais ses tableaux n taient pas bleus Le
3. claration quasi identique chez Renaud Camus R pertoire des d licatesses du fran ais contemporain Paris P O L 2000 p 223 33 Bien s r il y a dans cette remarque assassine de la page 445 l expression d une disposition natu relle que les psychologues appellent le biais en faveur du groupe C est que l tre humain est un animal gr gaire et que le premier pas vers la d claration d appartenance une tribu consiste manifester de l hostilit l gard de celle d en face Bien s r il y a aussi la question de l ge par venu comme G rard Genette au soir de sa vie on ne va pas brusquement se mettre jouer avec l id e d primante selon laquelle on est peut tre pass c t de quelque chose d important Et l influence du milieu Normale Sup dans les ann es 1950 on s entiche plus volontiers de Char lie Parker que de Gene Vincent et des premiers rockers Mais tout de m me pourquoi tant de m pris G rard Genette acceptera t il de me ser rer la main si je lui avoue l ennui sid ral o me plongent John Coltrane et les derniers quatuors de Beethoven auxquels je pr f re largement n importe quel petit album de Napalm Death ou des Cramps Et lorsqu il comprendra que je ne plaisante pas me regardera t il comme un baron de l industrie regarde le jardinier qui ramasse les feuilles mortes dans le parc de sa propri t Comme le Prix Nobel qui voit les autres gens lire Voici a
4. me partout dans les cat gories prestigieuses comme dans les vulgaires Il y a des repr sentations de Cos Fan Tutte catastrophiques et des chansons de vari t stupides il y a des pages de Mozart dont la raret des ex cutions trahit l absence de g nie et de nombreux soirs o Tori Amos enregistre de pi tres chansons Les amateurs dignes de ce nom le savent Il faut simplement accepter que la r us site des entreprises artistiques puisse tre jug e ind pendamment du rang de naissance des uvres Et certes ce n est pas chose facile Dans autobiographie intellectuelle de G rard Genette Pun des penseurs fran ais les plus influents de la vague structuraliste on lit ainsi qu hormis le jazz et le classique la musique vendue sous forme de disques ne vaut rien Nous venons de passer 445 pages en compagnie d un homme subtil et brillant il n en reste plus que quelques unes la lecture allait bon train et soudain le couperet tombe La chanson la pop le rock ne valent rien Adieu Miossec et les Kinks adieu Nusrat Fateh Ali Khan et Portishead je vous aimais bien mais vous ne valez rien Ravers et slammers d cha n s fans de tout poil sachez que vous vivez un ersatz de vie 1 Voir Jean Marc Leverarro La Mesure de l art Sociologie de la qualit artistique Paris La Dispute 2000 2 G rard GENETTE Bardadrac Paris Le Seuil 2005 Le lecteur qui pr f rerait une autre t te de turc trouvera une d
5. Communes parce qu il s agit de dispo sitions partag es sauf cas pathologiques ordi naires parce qu elles se vivent au quotidien n importe o sans bagages L tymologie du mot ordinaire est d ailleurs riche d enseignements Au xv si cle est ordinaire ce qu on fait habituelle ment Au xvi sous la plume de Montaigne plus distanci e c est ce qui est conforme l usage habituel Au xvi ce qui est commun un grand nombre de personnes et au xx enfin cela s applique aux personnes de condition sociale modeste En r sum est d abord ordi naire ce que l on fait sans y penser et petit petit le devient ce que font les petites gens belle illus tration en parall le du d dain progressif dans lequel Pesth tique en son versant kantien a plong la r ception estomac des uvres d art L esth tique ordinaire traite d une disposition ancienne Dans le Natyashastra le Trait des motions de la religion hindoue r dig en sans krit au m si cle le terme de rasa d signe d j ce 32 que lon pourrait appeler la m ta motion esth tique qui nous saisit lorsque nous assistons des spectacles visc ralement satisfaisants nous donnant l occasion d am liorer la connaissance de notre propre corps Logiquement le Natyashas tra n op re contrairement Kant nulle hi rarchie parmi les arts Pourquoi ne pas l imiter Le d li c
6. Karan Environmental preference in a knowledge seeking knowledge using organism The Adapted Mind Evolutionary Psychology and the Generation of Culture dir Barkow Cosmibes amp Tooesy New York Oxford University Press 1992 p 581 598 Revue Proteus Cahiers des th ories de l art r git la r gularit dans l organisation et la com plexit le nombre d l ments diff rents la lisibi lit r git la fa on dont on pourrait trouver son chemin dans l environnement repr sent et le myst re le nombre d l ments qui promettent de linconnu en en cachant d autres On peut appli quer la matrice de pr f rence toutes les uvres dart r ellement populaires qui comme les mor ceaux de rap ou les romans Harlequin s inscrivent dans une s rie dont la structure leur assure leur coh rence et leur lisibilit et s en cartent cer tains gards en produisant de la complexit et du myst re Si les caract ristiques des uvres qui plaisent imm diatement taient simples il y a belle lurette que les industries du cin ma grand public et de la litt rature de gare auraient trouv le Graal du blockbuster oblig et du best seller imparable S il suffisait d encha ner quatre money chords pour se remplir les poches les producteurs de musique de vari t seraient tous d insolents nababs habitant de fastueux palais Or quatre accords ne font pas un tube Ni cinq ni six ni des structures harmo
7. c t les questions de prestige et de vul garit porte vite remarquer beaucoup de ressem blances La fa on dont les amateurs clair s classifient et valuent les uvres qu ils adorent par exemple ne diff re pas au gr des cat gories artistiques Ainsi ne devient on pas un connais seur de hard rock ni un connaisseur de baroque du jour au lendemain Dans les deux cas il faut couter beaucoup pour sentir les diff rences les I Voir limportation de cette notion au cin ma dans Laurent JUILIER Interdit aux moins de 18 ans Paris Atrmand Colin 2008 Revue Proteus Cahiers des th ories de l art qualit s les timbres Dans les deux cas il faut apprendre faire des classifications g n riques Pamateur de baroque se joue des distinctions entre baroque ancien baroque moyen et baroque tardif sans jamais confondre le style italien avec le stylus fantasticus en face l amateur de hard rock reconna t de m me au premier riff le style du morceau qui commence et il ferait beau voir qu il confonde le death metal avec le black metal encore moins avec le trash metal Leurs pratiques sont les m mes pourquoi vouloir faire des uns des gens moins raffin s que les autres L esth tique ordinaire est aussi comme sa rivale kantienne une esth tique du jugement de go t Ce n est pas parce qu une uvre se passe de mode d emploi qu elle est syst matiquement bonne Sur ce point la loi est la m
8. matique du rythme tandis que les pyg m es ont opt pour un diapason diff rent et des notes moins nombreuses la justesse plus fluc tuante car leur art non crit repose sur une divi sion sophistiqu e de la pulsation que les ethnomu sicologues qualifient d imparit rythmique Mais ces deux syst mes musicaux sont cogniti zables ils s parent les notes et font la diff rence entre lair et son ex cution l interpr te a une cer taine marge de libert qui fait que deux ex cu tions ne sont jamais totalement identiques P Enl vement et la berceuse exigent de m me un climat d attention de la part de leur public peuvent se transmettre d une g n ration l autre et procurent du plaisir Quant aux Demoiselles d Avignon et la V nus de Willendorf que s parent 25 000 ans elles passent aux yeux de tous pour des c l brations du corps f minin Aucune des femmes repr sent es n est anatomi quement correcte la V nus est priv e de visage les Demoiselles ont les coudes pointus un nez norme et une bo te cr nienne minuscule mais la part expressive de ces libert s prises avec Panatomie nous est limpide dith et Gilles Dans son Ab c daire le testament audiovisuel qu il l gua la post rit le c l bre philosophe fran ais Gilles Deleuze m nagea une entr e O comme Op ra Il y d taillait ses go ts musicaux et en tant qu ap tre d une certaine modernit n est il pas a
9. pr visibilit des anatoles et des romans de cape et d p e mais pas trop Si quelque chose nous caresse dans le sens du poil parce que nous sommes pr dispos s l appr cier il faut que ce quelque chose r ussisse tout de m me nous intriguer nous surprendre et nous donner du grain moudre Les canzoni de la grande poque du Festival de San Remo au milieu des ann es 1960 ont la r putation d tre des parangons de sucrerie harmonique aucun m lomane s rieux n a chez lui tout Cigliola Cinquetti et Bobby Solo Une coute attentive r v lera cependant que les arrangements de leurs plus grands tubes contiennent des surprises dignes de la musique atonale voir la partie de basse dans Non ho l et ou celle d orgue lectrique dans Una lacrima sul VisO La psychologie volutionnaire s en est aper ue depuis une vingtaine d ann es et a donn cette structure faussement simple de nos go ts pre miers le nom de matrice de pr f rence l origine il s agit d un cadre mis au point dans l exploration des paysages on demandait des enfants du monde entier en leur montrant des photographies de dire dans quel environnement ils aimeraient vivre Les enfants r pondaient tou jours de la m me fa on ils pr f raient un paysage qui offre la fois de la coh rence et de la com plexit de la lisibilit et du myst re Soit deux couples antinomiques chaque fois La coh rence I Stephen
10. qui nous secoue plut t que les signes que l on d code Le terme d esth tique darwinienne d signe les trois postulats bioculturels suivants leur d fense et leur illustration I Il y a une nature humaine qui r sulte de lPadaptation Elle se trouve par l m me toujours susceptible d voluer c est dire de se transfor mer par le biais des g n rations successives et des influences culturelles qui s exercent sur la s lec tion sexuelle Cette nature se pr sente sous la forme de pr dispositions l apprentissage de cer tains comportements au nombre desquels on compte la pratique et la r ception de Part Il n existe pas d lus tout le monde peut faire de Part ou s en d lecter mais avec plus ou moins de succ s dans les deux cas Certaines cultures favo risent la pratique artistique d autres la r ception les deux parfois ni l une ni l autre ventuellement il n y a pas de r gle absolue 2 Beaucoup d uvres d art se laissent valuer par le biais de ces penchants naturels davantage qu en termes de raison et de logique Il nous semble parfois qu elles font effet sur nous aux fronti res de Pesprit et du corps Pour en parler on utilise des termes comme le c ur le sentiment du beau le sentiment esth tique le sixi me sens le je ne sais quoi le transport le sublime la vibra tion le feeling le fun Toutes les poques et tous les groupes humains ont leurs mots pour d signer
11. L homme la moto chanson de Lieber amp Stoller chant e par Piaf a les allures d une r daction de CM2 pos e pr s du P re Goriot Se contredisait il Gilles Deleuze t moignait d abord d une vision romantique de l artiste Ces puissances qui d passent l individu voquent en effet l id e de artiste comme interm diaire entre Dieu et les hommes ch re Goethe ou Hugo Pis encore pour un ap tre de la Modernit Deleuze se montrait tout pr s de reprendre son compte le clich bourgeois de lartiste maudit lui aussi n au c ur de la p riode romantique Car ce n tait pas seulement le grain de la voix de Piaf qui le clouait sur place mais le sentiment d une personne en train de laisser sa peau dans son art Il se garda heureusement de lier destin cruel et ma trise artistique Car on peut se consumer tout entier sans recevoir en change le don d mouvoir par son aft et il ne suffit pas d avoir eu la vie ter tible de Billie Holiday la police alla jusqu l arr ter sur son lit d h pital cause des drogues qu elle prenait pour chanter comme Billie Holiday N anmoins l essentiel tait fait Gilles Deleuze avait laiss entendre que l obsession moderniste pour la novation artistique notamment la nova tion en mati re de structure n tait pas une com Revue Proteus Cahiers des th ories de l art posante obligatoire de Pamour des uvres Roland Barthes presque a
12. Revue Proteus Cahiers des th ories de l art INTRODUCTION L ESTH TIQUE DARWINIENNE Jai beau opposer toute ma froideur des choses comme celles l me bouleversent et me forcent crier En v rit je n en peux rien dire sinon que jamais encore je n avais t si boulevers J ai subi cela avec une simpli cit extraordinaire je mai plus rien analys Jai t pris Jacques Rivi re de retour d un concert lettre du 13 juin 1908 Alain Fournier L t 1827 Stendhal arrive en Italie Dans Pinten tion d crire ce qui deviendra Promenades dans Rome il passe ses matin es contempler des chefs d uvre courant d glises en villas o lattendent des Rapha l et des Corr ge en don ner le vertige Apr s la sieste un peu de musique puis soir e au th tre ou l op ra Le spectacle se prolonge alors dans quelque palazzo fastueux boire du punch jusqu deux heures du matin en compagnies de femmes d licieuses et d aristo crates ironiques Le lendemain et tous les jours ou presque pendant deux ans m me chose Quel programme Les journ es filent comme dans un r ve remplies d objets qui sollicitent le regard esth tique sans aucun souci mat riel Stendhal se dit on pourrait s estimer heureux On n attend pas de lui qu il s excuse d avoir autant de privi l ges il avoue d ailleurs d s la premi re page quel gotisme a t le sien au cours de ce vo
13. autes salles intimidantes d un mus e Sans doute aussi existe t il des uvres d art qui r servent leurs charmes ceux de leurs spectateurs qui auront consenti pour les go ter un long appren tissage intellectuel Les ma tres de la Renaissance devant lesquels Stendhal se sent incapable d oublier son ducation ont truff leur peinture de signes all goriques incompr hensibles aujourd hui sans aide iconologique Mais ils ont laiss quelques tableaux comme par hasard ce sont souvent les plus fameux dont les effets reposent majoritairement sur des modalit s lisibles de tout temps La oconde est c l bre entre autres raisons parce qu elle consiste dans le portrait ex cut avec maestria d une jeune femme qui sourit doucement une attitude qu on ne rencontre pas si fr quemment que cela dans l art du portrait m me apr s 1505 et non parce que son arri re plan tout en sfumato illustre la fa on d un curriculum vit les principes d ing nierie hydraulique labor s par L onard De Vinci Et si Stendhal avait pouss la porte de Santa Maria Del Popolo peut tre l a t il fait mais nulle trace n en subsiste il aurait vu dans la cha pelle des Cerasi au fond gauche un tableau propre rendre amn sique le plus rudit de ses spectateurs au moins dans les premi res secondes Revue Proteus n 4 la place de l esth tique en philosophie de l art de la contemplation Il s a
14. ce mode d appropriation instinctif qui est le terrain de recherches privil gi de l esth tique dar I Sur le terme bioculturel et son rapport Part en Poccurrence la litt rature voir Brian Boyp On The Origins of Stories Evolution Cognition and Fiction Cambridge Harvard University Press 2009 31 winienne Certaines uvres le sollicitent ostensi blement elles contiennent des universaux qui sont des motifs susceptibles d tre saisis en Pabsence d apprentissage culturel pr alable D autres uvres au contraire laissent en arri re plan ce type de motifs et demandent tre va lu es d abord l aide de crit res propres des codes verbaux des cultures des poques ou des coteries particuli res 3 Si une uvre a plus de succ s que les autres il y a de fortes chances qu elle contienne des uni versaux aussi bien dans sa forme que dans son fond ou plus pr cis ment dans la fa on dont elle combine les deux de mani re tre utile e dulce Car l art dans une perspective bioculturelle provient du jeu lequel sert d velopper la flexibi lit du comportement L esth tique darwinienne cherche d finir ces universaux qui permettent aux uvres de franchir plus facilement les fron ti res entre individus communaut s genres poques et nationalit s Sans doute est il plus facile de trouver Peau du L th dans un concert de rock qu au long des h
15. e sans songer le moins du monde se divertir L art pour l art pointait d j le bout de son nez Les autres les malheureux taient bel et bien laiss s sur place avec leurs minables plaisirs tre content de reconna tre quelque chose dans un tableau N Le xx si cle vit la diff rence se radicaliser C tait un mur qui d sormais s parait les deux camps Le livre de Clive Bell sobrement intitul Art en 1914 tira la quintessence des crits de Kant sur la question des formes de Part et les d barrassa de leurs encombrants arri re plans moraux et religieux pour fixer ce qui est encore l heure actuelle le credo le plus r pandu dans le champ intellectuel Le d sint ressement cher Kant y tait cultiv jusqu au dandysme Dans ce monde celui de la contemplation esth tique des uvres d art crivait Bell les motions de la vie n ont aucune place C est un monde avec ses propres motions Malgr ou cause de lopacit de ce genre de formules car on ne voit pas tr s bien en quoi pourraient consister des motions d connect es de la vie donc de leur substrat biologique cette vision s imposa et nous habitua la s paration D un c t l art l gitime qui fonctionne myst rieusement et qu on ne comprend pas toujours jamais sans r gle ni boussole en tous cas de l autre les formes populaires d expression artistique concerts de rock superproductions hollywo
16. e consentait revenir vers lui Quand bien m me l auditeur n a aucune id e du m canisme d un tel instrument il saisit intuiti vement ce qui se joue l comme le h ros Onde ne prend vie que si l on vient vers elle Les pauvres accords parfaits m me ces groupes de trois notes qui vont bien ensemble et que la musique s rieuse a progressivement abandonn s ces trois derniers si cles peuvent intervenir dans toutes sortes de jeux d inters mio ticit m taphorique dont le grand art est cou tumier Si le tube de Michel Delpech Que Marianne tait jolie commence par une cacopho nie avant la m lodie c est qu il s agit d une chan son qui c l bre l instauration de la R publique apr s les d sordres de la R volution Si Perfect Day Elise la chanson de P J Harvey ne contient qu un seul accord parfait c est que celui ci doit tre en mesure de souligner le sentiment de per fection ressenti par l Elise du titre et effective ment il ne r sonne qu aux moments o la chan teuse prononce le mot perfect M me le rythme binaire de la quasi totalit des chansons populaires dont le c t primitif navre toute sorte de m lomanes peut intervenir dans ce petit jeu des correspondances dans Nobody perfect il y a une erreur volontaire de batterie lectronique chaque fois que Madonna chante la phrase du titre personne n est parfait La simplicit des harmonies d
17. f emotions dir M Lewis amp J HavirAxD New York Guilford 2000 Denis Durrow Aesthetics and Evolutionary Psychology The Oxford Handbook for Aesthetics dir J Levinson New York Oxford University Press 2003 Revue Proteus n 4 la place de l esth tique en philosophie de l art sateur de nous avoir instrumentalis s si d aven ture on n a pas pu se retenir de verser quelque larme On fait la fine bouche devant les violons en bo te de la chanson de vari t ou devant les tableaux trop bien vernis de G rard Garouste C est que ce genre de r ception brute ou mieux incarn e vient de subir un long purgatoire Le xvm si cle finissait lorsque Kant convain quit le monde occidental que le pur jugement de go t est ind pendant de l attrait et de l motion et que se laisser aller aux sons agr ables d un ins trument de musique ou la sensualit d une cou leur relevait de la barbarie Quel li vre n avait il pas lev l En m me temps que se constituait lInstitution artistique et que la profession d artiste gagnait en autonomie l id e se r pandit que la r action l gitime devant une uvre d art consistait ignorer ou mieux d passer l animal en soi et les sensations premi res Savoir se tenir ma tri ser son corps ne pas se laisser poss der par ses pulsions il y avait l mati re cr er un nouvel imaginaire de l excellence Le pr c dent
18. git de la Crucifixion de Saint Pierre que le Caravage peignit en 1600 Un vieillard barbu et d garni y est clou sur une croix que ses bourreaux soul vent avec mal adresse en vue de la ficher en terre Sans m me savoir qu il s agit de l ap tre Pierre sans m me poss der le plus petit rudiment de culture reli gieuse d ailleurs il est difficile de n tre pas troubl C est que les choix du Caravage engagent ici des universaux de l esp ce humaine D abord on s acharne sur un vieillard Pinstant choisi pour nous montrer son supplice ensuite celui du sou l vement de la croix une fois Saint Pierre clou souligne la dimension grotesque de l entreprise lPensemble est lourd il faut tirer pousser on ima gine les bourreaux ahanant L angle d observa tion ajoute encore la bizarrerie de l ensemble montrant le corps du malheureux de biais les pieds plus hauts que la t te tel qu on a rarement Poccasion d observer un tre humain Bien entendu savoir tout de la vie tumultueuse du Caravage ou conna tre le r le qu a jou ce tableau inspir d un Michel Ange de la chapelle Paolina dans la rivalit entre les cardinaux Cerasi et Sannessio ne fera qu ajouter l motion esth tique sinon l motion tout court Mais ce savoir n en est pas la condition sine qua non L esth tique darwinienne s int resse aux exp riences de ce genre des exp riences communes ordinaires
19. ieux d dain avec lequel Elisabeth Schwarzkopf fait rouler le r de durch le premier mot d Im Abendrot un des Quatre derniers Lieder de Richard Strauss est une bien belle chose assur ment mais on ne saurait rationnellement les rendre sup rieures la rage d un grand rocker ou la respiration sifflante de Tori Amos fix e par un enregistrement pirate en fin de concert quand elle n a plus qu un filet de voix et reprend tout de m me en le d barrassant de ses aff teries pop P Angie des Rolling Stones Appr cier Angie c est dire s int resser de tout son corps aux jolies choses un peu tristes en admirant le travail bien fait n a rien de honteux M me si la vision kantienne de lesth tique a d class ce qui pla t de trop pr s aux sens et m me si l Institution artistique a jet l opprobre sur le travail bien fait dans son acharnement distinguer artiste de Partisan une uvre qui pla t sans mode d emploi comme Angie Star Wars ou un roman de gare n a pas 4 priori moins de chances de rendre meilleurs ses aficionados que Cosi Fan Tutte ou qu une installation d avant garde ni moins de chance de les mettre sur la voie de la vie bonne ou de la Richtiges Leben La mise en place de cat gories artistiques lev es au dessus de cat gories mineures refl te davantage comme l a montr Pierre Bourdieu les structura tions du champ social que les r actions du corps Laisser de
20. la voix de faire son effet M me les arran gements de L homme la moto qui sont aussi d mod s qu on l a dit contiennent du sens et de l motion Cette chanson de 1956 on le sait raconte une histoire qui se termine mal Marie Lou folle amoureuse d un voyou qui lui pr f re sa motocyclette ne peut rien faire pour l emp cher de se tuer Or l orchestration utilise un proc d bien connu du cin ma classique leffet d annonce Le d rapage fatal de la moto et le bruit de la locomotive qui la pulv risera sur le passage niveau y sont sugg r s par glissando bien avant Poccurrence de l v nement d s le premier cou plet contribuant subtilement nous mettre dans l tat de Marie Lou On trouvera de pareils exemples tout au long de l histoire de la chanson dans les arrangements ou dans le choix de l instrumentarium Le tube de Jacques Brel Ne me quitte pas fait entendre un trange instrument l Onde Theremin Cet anc tre 37 des modernes synth tiseurs se compose d un g n rateur sonore qui vibre plaintivement d s qu une main s approche de l antenne laquelle il est reli La hauteur de ses notes est incertaine et il ne peut en mettre qu une la fois il est mono dique Bref POnde double ce que vit le h ros abandonn par son aim e elle met sa plainte solitaire monodique et r agit l Autre qui s approche mesure que le h ros imagine ce qui se passerait si l absent
21. non et la V nus de Willendorf Faisons quelques constatations simples En premier lieu il n y a pas eu de groupe humain sans art L Homo Habilis deux millions d ann es avant notre re s int ressait d j l ocre L Homo Erectus moins 500 000 choisissait parfois de tailler des galets incrust s en leur milieu d un coquillage fossile L Homo Sapiens vers moins 100 000 coupait des fleurs pour les poser sur le b cher o il br lait ses morts Quant l Homo Sapiens Sapiens moins 40 000 il utilisait cou ramment des coquillages fossiles dans un but d coratif moins 29 000 on trouve des fl tes et moins 20 000 des percussions en os de mam I Carol C Mancusi UNGARO technical note on IKB Yves Klein retrospective New York The Arts Publisher Inc 1982 p 258 259 Revue Proteus n 4 la place de l esth tique en philosophie de l art mouth grav s de motif g om triques Ensuite il est vident que les formes d art dif f rent grandement Mais comme Chomsky tra quait les ressemblances entre les langues du monde la recherche de la structure profonde et du langage premier on peut en signaler aussi les points communs L Enl vement au s rail et la berceuse pygm e appartiennent certes des syst mes musicaux diff rents Mozart a utilis la gamme chromatique douze tons associ e un syst me de notation qui repose sur une concep tion math
22. nterais pour lui extraordinaire virtuosit de Mick Harris le pre mier batteur de Napalm Death ou je lui jouerais le Detachable Penis des Cramps pour le faire rire Ce serait un bien petit pas pr f rable pourtant au geste radical du rejet du d dain ou de la moque tie Car nous avons tous les deux besoin d art G rard et moi Le corps de mon ennemi n est pas diff rent du mien et par corps il faut entendre aussi les dispositions bioculturelles qui nous rendent tous deux sensibles des figures comme le t moignage de l amour pour un parent ou des qualit s comme l humour et la virtuosit Fausse simplicit Un grand nombre de caract ristiques pr tendu ment videntes des uvres d art qui font effet imm diatement sans apprentissage n ont pas la simplicit qui semble la leur lorsqu on se contente de les consid rer de loin L animal en nous a beau pointer son museau dans l expression de nos go ts dominants tout ne fait pas ventre Les particularit s de la musique populaire se trouvent dans ce cas En premier lieu ce n est pas parce qu un vocabulaire artistique rudimentaire appara t limit que les uvres qu il engendre le sont elles aussi L chelle musicale la plus cou rante sous nos latitudes n a beau n avoir que douze degr s do do di se r les compositeurs n ont pas fini de faire le tour de ce qu elle permet d crire pr tendre le contraire reviend
23. odiennes et romans Harlequin que leur appel aux motions de la vie rendent facilement d codables la recherche des universaux Depuis quelques ann es plusieurs courants de sciences humaines venus d Outre Atlantique ont fait profession de s int resser aux exp riences relatives ce qu on pourrait qualifier moiti par raison et moiti par provocation d esth tique 3 Clive Bert Art New York Capricorn Books 1958 1914 p 79 4 Formule utilis e par Du Bos pour d crire avant Kant ce myst rieux sixi me sens qui permettrait aux gentilshommes d exercer leur jugement de go t Voir Alfred Barumrer Le Probl me de l irrationalit dans l esth tique et la logique du xvf si cle trad fr Presses Universitaires de Strasbourg 1999 p 62 Revue Proteus Cahiers des th ories de l art commune ou mieux d esth tique ordinaire Sans entrer dans les querelles de chapelle qui sont nombreuses il est possible de les regrouper sous une banni re facile d coder appel e esth tique darwinienne Car elles sont toutes pour point commun d tudier les uvres d art en fonction des m canismes de l volution qui ont progressi vement fait des tres humains ce qu ils sont m canismes dont une partie s est trouv e mise jour par Charles Darwin Pareille d marche implique de faire passer les param tres physiolo giques avant les param tres culturels et de tra vailler sur le frisson
24. rait sou tenir que les vingt six lettres de l alphabet brident d sormais limagination des crivains De sur cro t les musiques populaires ne se r duisent pas leur partition et le timbre des voix le grain des instruments et la qualit des arrangements exercent un attrait consid rable sur leurs fans Toutes sortes de combinaisons l encore sont possibles on peut poser une m lodie simple sur des accords et des arrangements complexes comme dans la bossa nova ou bien des accords simples derri re une m lodie et des arrangements complexes comme dans l Eleanor Rigby des Beatles D ailleurs rien n ennuie plus vite un b b puis un adulte qu une figure qui se r p te avec 34 trop de r gularit Contrairement aux apparences l exc s de pr visibilit nous d pla t pass un cer tain point Seuls des b otiens peuvent dire du rap ou des 555 essercizi pour clavecin de Domenico Scarlatti que c est toujours la m me chose des b otiens c est dire des auditeurs qui d abord par manque d exp rience sont incapables de rep rer les diff rences d une pi ce l autre Si vrai ment c tait toujours la m me chose le rap aurait depuis longtemps disparu et Scott Ross n aurait jamais consacr ses derni res forces enregistrer l int grale des essercizi Idem pour les romans Harlequin ou les films de kung fu Nous aimons certes la r gularit nous appr cions certes la
25. s pigments et les lants qu il utilisait pour fabriquer sa couleur manifeste l IKB aboutissaient un m lange bien plus complexe o une analyse chromatique r v le sans peine des l ments de rouge Sans parler des diff rences d paisseur de la couche de pigment qui rythment de subtiles vagues ces oc ans de bleu quand bien m me et surtout on les a ripoli n s en vitesse Le v ritable quivalent des monochromes de Klein fut plut t l uvre de Terry Riley In G cr e trois ans plus tard En effet on a beau y entendre des milliers de fois la note do In C signifie en do sa partition contient d autres notes et provoque comme la musique modale indienne des superpositions et des variations qui correspondent pour utiliser le vocabulaire baudelairien de l esth tique roman tique aux subtiles irr gularit s de l IKB La biologie ne s arr te pas l entr e du cer veau Que notre quipement mental de base ce couteau suisse qu est notre syst me cognitif disent les psychologues comprenne une partie consacr e l art semble 2 priori extravagant Une lame une autre lame une lime un tire bouchon oui mais un pinceau Comment pourrait il exis ter une pr disposition de ce genre alors que les formes d art sur Terre sont si d mesur ment dif f rentes de l une l autre Quel rapport entre P Enl vement au s rail et une berceuse pygm e Entre les Demoiselles d Avig
26. ses basses et famili res que Pascal opposait aux choses extraor dinaires et bizarres faussement sublimes et le v es Des disciplines comme la socio anthropolo gie de l expertise culturelle la psychologie socio intuitionniste et la derni re tant l objet de cet article esth tique darwinienne aident ce revire ment du moins dans le champ acad mique Pourquoi est il si difficile de mettre entre cro chets son savoir et ses pr jug s en mati re artis tique et pourquoi Stendhal n y arrive t il pas La r ception fleur de peau d barrass e de tout souci de trouver des r f rences et centr e sur les r actions les plus imm diates est aussi vieille que la naissance de comportements artistiques au sein de l esp ce humaine elle devrait donc venir toute seule Elle vient d ailleurs et souvent Mais on la traite mal comme ces repas aval s la va vite parce qu il faut bien se nourrir entre deux rendez vous importants On lignore on se retient de pleurer au cin ma et on en veut au r ali I STENDHAL Voyages en Italie Voyages en France Paris Gallimard Pl iade 1973 p 752 2 Blaise Pasca De L Esprit g om trique 1658 3 Pour avoir une id e des postulats de base de ces trois disciplines Jean Marc LEVERATIO Introduction l anthropologie du spectacle Paris La Dispute 2006 Richard A SHwEDER amp Jonathan Hamr The cultural psychology of the emotions Handbook o
27. u bord de la piscine Les guerres ne com mencent pas autrement et il leur est d j tant de pr textes qu en mati re d art nous devrions tout de m me faire un petit effort Ce petit effort c est celui que Stendhal se sent incapable d accomplir devant les ruines du temple de Jupiter Tonnant Il consiste mettre en sus pens les connotations socioculturelles que char rient les genres et le comportement de leurs afi cionados pour red couvrir nos points communs avec la tribu d en face Oui je m endors aux Kin dertotenlieder oui G rard Genette tournerait le bouton d s le d but de Harmony Corruption et alors Nous pouvons parler simplement en gar dant nos distances je ne vais pas lui dire qu en passant c t des torrents de sensualit du rock il a v cu moiti il ne va pas me classer tout de suite dans les Untermenschen En revanche je veux bien l couter me parler de John Coltrane jusqu ce qu il fasse appara tre la porte par laquelle je pourrais entrer Cette porte justement c est celle des universaux Elle pourrait ouvrir sur des d tails biographiques il pourrait me montrer que tel solo porte les r miniscences des chants Revue Proteus n 4 la place de l esth tique en philosophie de l art baptistes du grand p re de Coltrane le r v rend Blair ou les traces de la pratique de la harpe laquelle s astreignait le saxophoniste pour lib rer son doigt En retour je poi
28. u il est urgent de r enchanter le monde ont paradoxa lement tout lieu de se r jouir des avanc es d une discipline comme l esth tique darwinienne Car le charme le je ne sais quoi le d bordement des sens si cher aux th oriciens du sublime tous ces 38 petits satori qui nous saisissent par le truchement de l art ne peuvent d cemment s envisager que dans une perspective d niais e Il faut d abord tre certain qu il n y a rien dans le haut de forme satin pour ressentir un pincement au c ur en regardant l oiseau s en chapper L enchantement c est ce qui commence apr s que tout a t dit les portes d rob es ouvertes et les doubles fonds explor s Pour d crire les luttes de champ qui gau chissent nos jugements de go t et des dispositions sociales qui nous font trouver naturel d aimer certaines choses au d triment d autres il y a la sociologie Pour dire comment le corps et Pesprit adapt s que nous avons h rit s de nos anc tres nous disposent pouvoir appr cier sans entra ne ment particulier il y a donc l esth tique darwi nienne Comme la sociologie laquelle Robert Musil r servait cette formule ce n est une science au regard m chant qu en apparence D ailleurs ce que ces deux disciplines laissent l esth tique kantienne apr s leur passage suffit largement son exercice et le justifie d autant mieux LAURENT JULLIER
29. u m me moment le confessait d ailleurs lui aussi dans un de ses der niers livres compagnon de route de la Modernit litt raire il avouait se sentir parfois d arri re garde Chaque soir en effet tout fan de Nouveau Roman qu il tait cens tre il lisait les M moires d outre tombe de Chateaubriand tre d avant garde crivit il c est savoir ce qui est mort tre d arri re garde c est l aimer encore Il avait tort cependant de croire que les structures artistiques trop vieilles meurent toutes Les arrangements de L homme la moto appartiennent effectivement au pass de Part disparu du music hall mais les arrangements ne sont que l cume de la chanson ses pauvres accords qui auraient fait rire Jean S bastien Bach nous touchent encore sans parler bien entendu de la voix de Piaf Ces accords cette vibration dans la voix appartiennent aux univer saux de la culture et ne se d modent pas sinon l chelle de l histoire biologique de l humanit sur des dizaines de milliers d ann es Il serait tout aussi imprudent de chercher l gitimer lart de la chanson par le seul pouvoir des timbres Une voix qui donne le frisson ne suf fit pas rendre un air inoubliable Nombre de chansons parmi les plus populaires contiennent dans leur structure m me dans leurs arrange ments et dans leurs paroles des figures dont se d lecte amateur Ce sont elles qui permettent au grain de
30. ujourd hui encore partie prenante de la French Theory qui a tant de succ s outre Atlantique malgr la sophistication de son style 2 Ellen Dissanayake Homo Aestheticus Where Art Comes From and Why New York Free Press Macmillan Inc 1992 p 53 56 36 d criture on attendait de lui quelque loge d une musique novatrice et aust re Effective ment il se livra l au pan gyrique d Alban Berg compositeur viennois adepte du dod caphonisme terriblement difficile d acc s pour le non initi Mais surprise Gilles Deleuze pla a sur un pi des tal de hauteur comparable face Berg la chan teuse populaire dith Piaf Comment justifia t 1l cet enthousiasme Par la voix par le corps La voix de Piaf et puis sa mani re de se tenir de poser son corps droit sur les planches de chanter faux en rattrapant la note au dernier moment sa fa on d tre tra vers e par des puissances qui la d passent et d y laisser sa peau de s y consumer Ce bel hom mage mu d tonnait chez celui qui quelques minutes plus t t encore y tait all de son couplet moderniste en assurant que les artistes devaient sans cesse trouver du neuf et qu un crivain de nos jours ne pouvait plus crire comme Balzac Or les chansons d dith Piaf sont crites dans l quivalent musical du style de Balzac ou pire encore c t de la partition du Concerto la m moire d un ange d Alban Berg celle de
31. une chanson n est d ailleurs parfois qu une apparence Une bonne partie de la l gitimit musicale des Beatles vient d un article du Times le 27 d cembre 1963 dans lequel le critique William Mann signalait que Paccord final de leur chanson Not A Second Time consistait en une cadence olienne compa rable celle qu utilise Gustav Mahler dans ses Chants de la Terre De m me Jimmy Page com positeur d un des groupes fondateurs du hard rock Led Zeppelin retrouva t il la palette chro matique de Claude Debussy en crivant The Song Revue Proteus n 4 la place de l esth tique en philosophie de l art Remains The Same 1973 On peut songer aussi au courant du Rock In Opposition la fin des ann es 1970 qui s opposa au mouvement punk au pr texte que celui ci employait dans ses chansons les grilles d accords simplistes de la musique de vari t comptant donc sur la seule nergie du d sespoir de ses artistes pour porter son message politique Les tenants du Rock In Opposition comme le raconta leur th oricien Chris Cutler pr f raient les accords de Kurt Weill et de Hanns Eisler les compositeurs des op ras de Bertolt Brecht L une des chanteuse du courant Dagmar Krause passa d ailleurs naturellement des salles de rock aux salles d op ra pour y interpr ter Les sept p ch s capitaux ou L op ra de quat sous x k k Les amoureux de la magie les personnes qui pensent la suite d Andr Breton q
32. yage mais tout au moins qu il prenne la mesure de son bonheur Or il n est pas tout fait heureux Quelque chose g te son plaisir C est qu il est venu Rome avec l amour pour les Beaux Arts et que cet amour l abandonne La responsabilit de ce malheur incombe son exc dent de bagage culturel C est la sixi me fois que Stendhal voyage en Italie il a tout vu et sur tout il a tout lu La science lui est mont e la t te Mon imagination crit il est encha n e par toutes les sottises que j ai lues toutes les phrases vides de sens de l cole de Kant et de Platon Il a appris voir les tableaux et les monuments et petit petit son cerveau s est affubl des m mes pr jug s que ceux qui encombraient d j la pens e des grands ma tres de l esth tique Il est trop tard tout est perdu le 29 mal est fait Le 25 janvier 1828 revoyant le Coli s e il peste devant les ruines du temple de Jupiter Tonnant Que ne donnerais je pas pour n avoir vu en ma vie qu un seul tableau du Corr ge ou pour n tre jamais all au lac de C me Je vou drais apr s avoir vu l Italie trouver Naples Peau du L th tout oublier et puis recommencer le voyage et passer mes jours ainsi Trouver l eau du L th est pourtant envisa geable condition de pr ter un peu plus d atten tion au moment de produire ou de consommer des uvres d att ces bonnes cho
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