analyse durkheimienne du suicide
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1. 35 Baechler Jean op cit p 32 36 Halbwachs pr sente ainsi la th orie durkheimienne Ces faits qu on appelle les occasions ou les motifs des suicides ne sont qu un aspect qu un effet de la structure et du genre de vie du groupe et ainsi les suicides s expliquent toujours par des causes sociales in Causes du suicide Paris PUF 1930 p 13 37 On se r f rera ici la question VI de l entrevue Peut on dire de votre m thode d analyse 38 On se r f rera ici la question 1 de l entrevue La logique durkheimienne appara t si rigide 39 Idem p 26 40 On se r f rera ici la question V de l entrevue Pourquoi avoir choisi comme th me d tude 41 Claude Javeau Le ons de sociologie Paris Armand Colin 1997 p 100 42 On se r f rera ici la question IX de l entrevue tes vous d accord si l on pr sente votre analyse 18 43 On se r f rera ici la question XI de l entrevue La m thode des cas ne se heurte t elle pas 44 Jean Baechler art cit p 76 45 Jean Baechler op cit p 10 46 On se r f rera ici la question VII de l entrevue pourriez vous pr ciser la mani re dont 47 Durkheim op cit p 5 48 Jean Baechler art cit p 75 49 ce sujet on peut citer Philippe Besnard op cit p 335 qui retourne l argument Que les tentatives de suicide et les suicides accomplis connaissent des variations syst mat2. La m thode statistique efface totalement cette complexit extraordinaire le filtre qu elle applique aux faits ne laisse passer que les plus g n raux et les plus vagues se Cette position si elle participe des controverses m thodologiques qui ont pour centre l analyse durkheimienne du suicide va encore l encontre de cette derni re d un point de vue th orique De fait elle met au jour la tique Jean Baechler 2 L individu la soci t et le suicide L importance th orique de la subjectivit dans l explicitation du suicide nous conduit nous interroger sur le partage individu soci t qui appara t probl matique Jean Baechler L acte d attenter sa vie est de fait interpr t par Durkheim dans une perspective que d aucuns qualifieraient de socialement d culpabilisante et qui rend le suicide plus acceptable puisque li des facteurs sociaux ind pendants Se trouve ainsi pass sous silence tout ce qui est de l ordre du message et de la prise de position par rapport au groupe et la soci t qui se transmet travers l acte m me du suicide Le contenu souvent subversif de ce message est rejet hors champ La logique durkheimienne appara t si rigide que le taux de suicide se trouve d fini comme 10 le contingent des morts volontaires qui dans une perspective presque fataliste est propre tout syst me d organisation sociale Or pour Jean Baechler cette fa on d hypostasier
3. aises et trang res anciennes et contemporaines Il ne s embarrasse m me d aucun scrupule pour comparer des taux issus de sources diff rentes Douglas argumente encore sur le fait qu il y aurait un gouffre entre le suicide th orique et le suicide enregistr De fait il semblerait que les chiffres enregistr s soient souvent tr s en de de la r alit Les variations observ es dans les distributions pourraient n tre que les effets d une dissimulation r ussie tant et si bien que toute comptabilit exacte se trouve impossible 8 Proportionnelle la perte d identit sociale encourue par une mort d clar e en suicide la tendance dissimuler ne peut tre que plus forte chez les bourgeois ils ont toujours plus perdre dans l affaire que l ouvrier et le salari agricole Les jeunes se tuent moins que les vieux les hommes plus que les femmes Par artifice d enregistrement Plus un individu est int gr son groupe et plus son suicide risque de rejaillir sur ce groupe plus forts seront donc et les raisons et les moyens de soustraire le suicide la d claration Le taux de suicide augmente c est l appareil enregistreur qui se perfectionne il diminue c est le niveau des statisticiens qui baisse toute interpr tation sociolo gique des variations du taux de sui cide on peut substituer une explica tion plus simple fond e sur les va riations dans la collecte des
4. que l on peut faire entre taux de suicide et cadres sociaux int grateurs Comme le disent Christian Baudelot et Roger Establet une soci t nation religion village n existe que dans la mesure o elle maintient son unit contre les diff rences individuelles Plus une soci t est populeuse solide solidaire et coh rente plus elle relie ses membres les uns aux autres et plus elle prot ge ces individus du suicide Rassembl s et int gr s ils sont en effet prot g s tandis que les c libataires et les personnes isol es sont plus risque Pour r sumer avec les mots de Jean Baechler qui expose l analyse de Durkheim pour mieux la critiquer plus les sentiments collectifs sont intenses plus les individus se rapprochent plus la soci t est int gr e et moins les hommes se suicident C est dire en un mot que l int gration combat la supr matie du moi individuel sur le moi social et que ce faisant elle prot ge les individus du suicide go ste un certain taux de suicide est normal Le pathologique apparait lorsque l on s carte du taux moyen Le suicide altruiste est aux antipodes de ce dernier Quand l homme est d tach de la soci t il se tue facilement 1l se tue aussi quand il y est trop fortement int gr L int gration totale de l individu dans un groupe peut donner lieu au suicide pour deux raisons distinctes l individu est fondu dans une collec
5. reprendre les mots de Christian Baudelot et de Roger Establet la simple addition de tous ces suicides traumatisants impr visibles et individuels fait surgir une r alit nouvelle en tous points oppos e aux v nements singuliers qui la composent cinq mille drames se convertissent en un point d une courbe continue l impr visible entre dans l ordre de la pr vision C est dire que la statistique permet au suicide d tre autre chose qu un simple destin individuel et d appartenir pleinement au destin d une soci t Il s agit pour Durkheim de d terminer la mani re dont les variations qui apparaissent dans les diff rents mod les d interactions sociales d terminent des variations dans le comportement des individus De fait l influence qu exerce la soci t sur l individu s applique celui ci en tant qu il est en relation avec d autres C est donc de la variation de la densit sociale que d pendront certains actes premi re vue individuels comme le suicide Toute la d monstration durkheimienne est orient e par la conviction que l individu n est pas ma tre de son destin mais qu il est d termin de part en part par les structures sociales qui l enserrent De fait des formes sociales changeantes font bouger les taux de suicide La preuve de cette influence sera donc mise en relief par de v ritables corr lations qui t moignent de la relation r guli re et absolue qui s instaure entre deux ph nom
6. am ne Durkheim des consid rations encore sociologiques mais o l effet des r gles est appr ci cette fois par rapport l acteur individuel et non plus par rapport au syst me social On voit par cet exemple comment Durkheim arrive lier individu et soci t Il convient donc de r futer le fait qu il ne verrait dans l homo sociologicus qu un tre passif De fait lorsque la situation g n rale change les d cisions ne sont pas les m mes d un individu l autre Bien plus on acquiescera la position de Raymond Boudon Si on accepte avec Alpert de voir en Durkheim un relationniste r aliste on peut lire dans son uvre une des ambitions fondamentales de la sociologie analyser les relations complexes entre la structure des syst mes d interaction d finie par les institutions sociales et les attentes sentiments et actions de ces agents os les facteurs individuels et so ciaux sont donc en fait tr s difficiles diff rencier Ils s entrem lent par excellence dans cet acte myst rieux qu est le suicide Dire que chez Durkheim les actions des individus y compris cet acte individuel par excellence qu est l acte d auto destruction ne peuvent tre comprises que par r f rence au contexte social dans lequel ils se placent n est pas tout fait exact C est plus pr cis ment par r f rence la structure du syst me d interaction auquel ils participent que ces actions p
7. la soci t et d en faire la source de tous les ph nom nes sociaux semble purement verbale et de valeur explicative peu pr s nulle Pour Durkheim les cas de suicides individuels ainsi que les causes particuli res qui peuvent conduire se tuer n ont aucune r alit sociologique Or Jean Baechler se demande comment un acte aussi singulier que le suicide pourrait n tre fa onn que par la structure sociale Certes reconna t il comme les hommes vivent en soci t et entretiennent des relations entre eux il est vident a priori que des facteurs sociaux doivent intervenir quelque part soit dans les situations soit dans la conformation des personnalit s soit plus vraisemblablement dans les deux Mais il s agit pour lui de s interroger sur la validit d un discours de la sociologie qui voudrait ramener tous les ph nom nes si ce n est enti rement du moins partiellement la soci t dans laquelle vivent les individus 3 La mise en s rie des cas Les Suicides de Jean Baechler Dans cette optique et pour ce qui est du suicide on peut se demander si une et il peut y en avoir d autres d marche d analyse coh rente ne consisterait pas s interroger plus pr cis ment et en dehors des seuls cadres sociaux sur le sens la signification que l acte de se donner la mort rev t pour celui qui l accomplit Ce sens sera pr cis gr ce l analyse de la personnalit du suicidai
8. nes Apr s avoir succinctement expos l analyse durkheimienne du suicide nous nous proposons de nous int resser elle en tant qu objet de nombreuses critiques Souvent pr sent comme anti durkheimien Jean Baechler parle en ces termes de l ouvrage de Durkheim On peut lire le livre de Dukheim Le Suicide tude de sociologie pour se rendre compte de ce qu il ne faut pas faire Est encore plus explicite ce passage du livre Les Suicides On voudrait que cette construction intellectuelle fut satisfaisante car cela viterait bien du travail Il me faut confesser que d s l abord la th orie durkheimienne loin de me convaincre m a paru comique Jean Baechler prend ici place dans la lign e des commentateurs et auteurs pour qui l analyse durkheimienne se pr senterait comme partielle et partiale Cette derni re aurait ainsi des failles et pr senterait des lacunes tous les faits produits ne seraient pas tablis tous les concepts ne seraient pas galement fond s Les limites qui sont ainsi trouv es la conception que se fait Durkheim du suicide sont d une part d ordre m thodologique d autre part d ordre th orique CRITIQUES D ORDRE METHODOLOGIQUE LES STATISTIQUES EN QUESTION Bien que ce ne soit pas la seule critique qui ait t adress e la m thode durkheimienne d analyse du suicide la mise en question de la valeur des statistiques sera ici au centre de l i
9. ANALYSE DURKHEIMIENNE DU SUICIDE CONTROVERSES METHODOLOGIQUES ET TH ORIQUES Jo lle GARDETTE Publi dans Aspects sociologiques vol 8 no 1 2 printemps 2001 pp 50 63 De tous les ouvrages fondamentaux en sociologie Le Suicide de Durkheim figure en t te de liste D gageant le ph nom ne des compr hensions idiosyncratiques il le r inscrivait dans un cadre o l explication d coulait plut t de lois g n rales de la soci t Ce faisant Durkheim mettait en uvre tout un ensemble de m thodes et de th ories qui concernent encore aujourd hui une bonne part des d bats pist molo giques fondamentaux de la discipline Discutant Le Suicide avec Jean Baechler c est cet ensemble de th mes pol miques qu aborde Jo lle Gardette dans son article On peut parler d un attachement imp rieux de tout tre humain la vie Or aux antipodes des instincts de survie fondamentaux qui sont les siens l homme peut d cider de quitter la vie par le suicide Ma tre de son destin il a conscience de pouvoir choisir entre la volont de vivre et la volont de mourir Une telle capacit sp cifiquement humaine est plus que probl matique Quelle est en effet la nature de la force capable de briser l attachement qui nous lie la vie priori tout suicide est individuel Partant de ce postulat il serait quasiment impossible si l on se r f re aux innombrables motifs qui peuvent conduire quelqu un se suicider de fa
10. Selon cette doctrine l agent social n aurait qu une autonomie apparente et pourrait en r alit tre trait par le sociologue comme un tre passif Or si l attribution d une telle paternit sonne souvent comme un reproche on peut se demander cependant si cette conception n a pas une certaine pertinence en particulier pour l tude du suicide De fait il est incontestable que les pens es individuelles sont fa onn es par le corps social L individu int riorise un certain nombre de valeurs et apprend des r les auxquels il lui faudra plus ou moins se conformer tout au long de sa vie C est dire que plusieurs de ses caract ristiques sont le r sultat de ses interactions avec son milieu de m me que nombre des v nements marquants de sa vie sont li s ce dernier Il appara t que les facteurs individuels et sociaux sont donc en fait tr s difficiles diff rencier Ils s entrem lent par excellence dans cet acte myst rieux qu est le suicide 2 L anomie la liaison entre individu et soci t La notion d anomie en raison de sa complexit m rite qu on y revienne Elle se d finit donc chez Durkheim comme impliquant un manque qui interdit l individu de satisfaire ses aspirations Les normes deviennent vagues et inconsistantes lorsque l ordre collectif est branl Est mise ici en relief la liaison intime qui existe entre l individu et les formes de l organisation sociale Fran ois Chazel crit ai
11. aleur de la protection que la religion concern e d ploie contre le suicide Or selon Jean Baechler il n y a aucune relation intelligible possible entre les diverses religions et le suicide 50 Bien plus les diff rences de coh sion sociale d termin es par les diverses religions Pour Jean Baechler cette suicido logie consiste donc ne prendre comme objet que le suicide et non pas le suicide tel qu il est per u par la sociologie la psychanalyse ou par toute autre discipline sont un pur fantasme durkheimien supposer qu elles existent on ne voit pas quel talon l on pourrait utiliser pour les mesurer De fait ne pouvant tre consid r es comme des entit s isolables les religions ne pourraient tre tudi es de mani re isol e dans l analyse du suicide L l ment religieux jouerait donc pour une pauvre part dans le suicide Chaque suicide concret r sulte toujours d une biographie 13 individuelle complexe o l l ment religieux n a que peu de part Tout au plus et si on mettait les religions en rapport avec les notions de coh sion et d int gration pourraient elles clairer une certaine propension au suicide ce titre on pourrait avancer que la forte coh sion d une communaut religieuse permet l interdit qui p se sur le suicide d impr gner les m urs d une mani re plus efficace que la communaut qui relie peu les individus entre eux Cepe
12. aphie individuelle complexe o chaque l ment pris part a finalement peu de poids La situation v cue ne peut tre analys e de part en part car elle n est jamais totalement communicable l individu qui se donne la mort demeure dans un syst me qui lui est propre et inali nable 68 L motion que suscite son geste constitue un autre obstacle vrai dire s il touche un aspect essentiel de la condition humaine le suicide suscite deux r actions aux antipodes l une de l autre D une part 1l est entach d opprobre et a un caract re subversif qui conduit souvent son occultation De fait il est l objet d une condamnation religieuse il est contraire la loi morale il insulte la justice humaine D autre part il appara t certains comme l acte libre par excellence On en veut pour preuve ce passage du Suicide mode d emploi La mort est aussi un droit pour chaque individu L exercice de ce droit par tel ou telle peut nous plonger dans la peine c est une autre affaire Seule compte la voie choisie la seule praticable celle de l extr me libert La pol mique qui s l ve autour d une telle revendication est compr hensible Selon cette conception par l acte du suicide l individu affiche la souverainet qu il poss de sur son propre tre Il est le biais par lequel se trouvent revendiqu s le droit la libert et le droit la dignit Cependant une discussion avec Jean Baechler ce su
13. celle ci Pour Christian Baudelot et Roger Establet impossible de donner un contenu statistique concret au crit re de la connaissance que Durkheim pr f re dans sa d finition celui d intention Dans cette optique il semblerait donc qu nonciations th oriques et donn es statistiques rassembl es partir de crit res empiriques ou administratifs soient sans commune mesure les unes avec les autres Un second argument de Douglas porte sur la difficult qu il y aurait fonder une th orie universellement valable en prenant appui sur une comparaison entre les taux de suicide de pays divers et d poques diff rentes De fait les conditions d enregistrement du suicide ainsi que les crit res retenus pour d finir celui ci sont ils uniformes d un pays et d une poque l autre De m me la critique s attache ici souligner la non co ncidence au sein d un m me pays des diff rentes sources statistiques entre elles Ces derni res ne donnant pas d estimations similaires d un m me ph nom ne les carts sont ainsi substantiels entre les chiffres par exemple de la justice et ceux de la m decine elles ne seraient donc pas comparables et ne pourraient donner le jour des interpr tations th oriques fond es Or selon Christian Baudelot et Roger Establet tr s discret sur cette affaire Durkheim semble accorder sa confiance toutes les s ries de chiffres qu il publie fran
14. de la morale qui correspondait aux anciennes structures avant qu une nouvelle morale ait eu le temps de se mettre en place On peut donc parler de d s quilibre C est dans cette p riode de transition mal assur e que l on assiste une volution des taux des suicides indicateurs de cette crise crises conomiques ou brusques acc s de prosp rit tout ce qui s apparente des phases de transition mal assur es peut donner lieu des suicides de type anomique L anomie se d veloppe donc dans une soci t qui n aurait plus ou qui aurait trop de syst mes de normes par rapport ceux auxquels les individus sont en droit de s attendre Dans le second cas on assisterait en effet une multiplication des syst mes de valeurs si bien que se d truirait le consensus qui se faisait jusque l autour des codes d interpr tation partag s plusieurs normes tant l gitimes plus aucune ne l est v ritablement Pour r sumer d une mani re claire et explicite l analyse durkheimienne du suicide on peut reprendre les sept points retenus par Jean Baechler Toute soci t est assise sur un tat moral Cet tat moral est une combinaison d int gration et de r glementation L int gration et la r glementation peuvent s loigner de l tat d quilibre parfait soit par exc s soit par d faut Chaque exc s et chaque d faut d int gration et de r glementation d terminent un courant suicidog ne ces q
15. don n es C est donc ici aux modifications de l appareil d enregistrement que se trouve attribu e la variation du taux de suicide En d autres termes et comme le dit Philippe Besnard la r partition diff rentielle selon les moyens de la volont de dissimuler le suicide et des chances de r ussir cette dissimulation suffirait rendre compte des variations enregistr es par les statistiques officielles En somme sugg re Douglas et Baechler sa suite toute interpr tation sociologique des variations du taux de suicide on peut substituer une explication plus simple fond e sur les variations dans la collecte des donn es Les facteurs sociaux agiraient sur le d compte et non sur le fait d compt ce qui r duirait n ant les sp culations de Durkheim et de ses successeurs Une telle conclusion conduit alors postuler l existence d une uniformit dans la distribution des taux de suicide uniformit nomm e par Douglas taux universel moyen et par Jean Baechler potentiel suicidaire constant Ce dernier conclut en ces termes Bref les suicides ne sont pas des donn es de fait des objets sociaux qu une technique am lior e de collecte permettrait de saisir plus fid lement ils sont construits par ceux qui les per oivent Les statistiques officielles ne sont ni justes ni fausses ce sont des points de vue Quelle que soit la rigueur de la critique ici men e par D
16. e dernier qui pr sente une alternative l exploitation du suicide L entrevue que nous avons eu avec l auteur des Suicides compl tera sur le ton de la nuance une telle opposition Enfin notre propos n tant pas de prendre position nous reviendrons en fin de parcours sur la pertinence de l analyse du suicide propos e par Durkheim et plus g n ralement sur sa m thode d approche sociologique L ANALYSE DURKHEIMIENNE DU SUICIDE 1 Le suicide ph nom ne social Le caract re social que rev t le suicide est un point central de l analyse de Durkheim premi re vue il semblerait que l on ne puisse pas trouver d acte plus sp cifiquement individuel que le suicide Ce dernier se pr sente d abord comme le r sultat d une crise purement personnelle qui aurait t pouss e l extr me Or il s agit ici de prouver que ce qui ressort apparemment de l individualisme le plus incontestable est en fait un acte d termin par les conditions sociales Ainsi Durkheim crit tr s clairement Ces raisons que l on donne au suicide ou que le suicid se donne lui m me pour s expliquer son acte n en sont le plus g n ralement que les causes apparentes Non seulement elles ne sont que les r percussions individuelles d un tat g n ral mais elles l expriment tr s infid lement puisqu elles sont les m mes alors qu il est tout autre Dans le cadre d une interpr tation psychologique du suicide on s
17. e les limites de cette m thode lorsqu il crit En fait il est peu probable qu on puisse ranger les cas concrets dans des cat gories aussi tranch es g n ralement le sujet oscille entre diverses interpr tations Sg Mais il est sans doute possible d ordonner une telle multiplicit afin de la rendre intelligible Si lon prend comme postulat que ce sont toujours des 11 individus qui se donnent la mort m me dans des suicides collectifs si le suicide est donc un acte purement singulier la meilleure m thode d appr hension de ce ph nom ne consiste sans doute accoler diff rents cas les uns aux autres Seront alors r v l s des points communs et peut tre esquiss es les diff rences qu ils ont avec ceux qui ne se suicident pas Un chantillon plus ou moins circonscrit de types de suicide est donc soumis la description En raison de la multiplicit des motifs qui peuvent expliquer un suicide le sociologue devra distinguer les faits indiff rents des faits pertinents et fonder son choix sur des crit res pr cis Il s agit donc ici d opter pour l exploration des motivations que les individus peuvent avoir agir comme ils le font c est dire de partir de l exp rience des hommes ce n est pas dans une juxtapo sition des regards et des approches que l on pourra cerner l essence du suicide La controverse th orique laquelle se livre Jean Baechler et qui prend pour cible en
18. e r f re commun ment des tats pathologiques ou un certain type de sensibilit fragile et instable Or pour Durkheim si certaines pr dispositions psychologiques peuvent peut tre influencer la d cision du passage l acte 1l est tabli que le ph nom ne du suicide trouve ses d terminations au niveau social La preuve en est qu aucune corr lation de fr quence ne peut tre tablie entre les tats psycho pathologiques et les suicides La conclusion est donc la suivante De tous ces faits il r sulte que le taux social des suicides ne s explique que sociologiquement C est la constitution morale de la soci t qui fixe chaque instant le contingent des morts volontaires Il existe donc pour chaque peuple une force collective d une nergie d termin e qui pousse les hommes se tuer l explication psychologique du suicide s oppose la notion de courant suicidog ne Le suicide devient alors un fait social Assimil tout ph nom ne humain pr sentant si on l enregistre une constance et des variations orient es ce dernier si l on reprend la d finition qu en donne Durkheim dans Les R gles de la m thode sociologique renvoie toute mani re de faire fix e ou non susceptible d exercer sur l individu une 2 contrainte ext rieure gt ou qui est g n rale dans l tendue d une soci t donn e tout en ayant une existence propre ind pendante de ses manifestation
19. e tout cas de mort qui r sulte directement ou indirectement d un acte positif ou n gatif accompli par la victime elle m me et qu elle savait devoir produire ce r sultat 7 Les critiques traditionnellement adress es cette d finition sont les suivantes dans un premier temps parler de tout cas de mort c est sous entendre que ne sont pas prises en compte les tentatives de suicide qui n ont pas men une mort effective De fait Le Suicide ne mentionne pas les tentatives de suicide si bien qu est sugg r que l image que l on aurait alors des conduites suicidaires n est que tr s partielle De fait une vaste part de la 12 recherche sur le suicide se fonde sur le mat riel rassembl aupr s de gens qui ont chou dans leur suicide Et il para t difficile si l on entend le suicide comme l acte pos volontairement par un individu dans le but conscient de s enlever la vie et dont l issue est fatale de faire une distinction radicale entre suicides r ussis et tentatives de suicide On peut en prendre pour preuve la d claration de Jean Baechler Si on adopte la m thode des cas et si l on consid re que l tude du suicide doit pr tendre d gager toutes les variables qui font que des tres humains en viennent se prendre la vie la tentative entre dans le champ de la recherche a Dans la mesure o la volont de se donner la mort s y trouve incontestablement inscrite les tentatives de suic
20. es d tre atteintes par les fluctuations dans la satisfaction des attentes et partant par les courants suicidog nes qui parcourent la soci t Philippe Besnard d clare qu on reconna t l le souci d exclure toute interpr tation des variations du suicide qui serait fond e sur des facteurs extra sociaux Si la femme se tue beaucoup moins que l homme c est donc simplement parce que tant beaucoup moins engag e que lui dans la vie collective elle en sent moins fortement l action bonne ou mauvaise S p 335 7 Or une telle interpr tation appara t en contradiction avec la th orie du suicide go ste selon laquelle l interaction sociale est pr cis ment ce qui pr serve du suicide l o l isolement le favoriserait Pour Jean Baechler ainsi il va sans dire que si les chiffres avaient t l inverse Durkheim aurait pr sent la m me explication C est donc au flou introduit par les concepts durkheimiens qui se trouve au centre de la controverse th orique laquelle se livre Jean Baechler dans son livre invers e en montrant que la d socialisation des femmes les rendait plus fragiles Bien plus le rapport de 1 3 qui s tablit entre hommes et femmes s inverse lorsque l on prend en compte les tentatives de suicide 14 UNE M THODE ET UNE TH ORIE QUI DEMEURENT PERTINENTES Malgr ces critiques tout la fois m thodologiques et th oriques il demeu
21. es sociaux en eux m mes d tach s des sujets conscients qui se les repr sentent il faut les tudier du dehors comme des choses ext rieures la statistique permet au suicide d tre autre chose qu un simple destin individuel et d appartenir pleinement au destin d une soci t Comment cette m thode s applique t elle plus particuli rement l analyse du suicide S il est d montr que le suicide con u comme strictement individuel par le sens commun est en r alit de nature sociale l on pourra en conclure que tout est d termin par la soci t Pour Durkheim certains facteurs font augmenter plus que d autres la propension au suicide Il s agit de prouver que le suicide est d pendant de l tat moral de la soci t et que la nature des structures sociales pr serve les individus du suicide ou au contraire les incite se tuer Le choix du suicide comme objet d tude sociologique est donc justifi dans la mesure o par son biais la sociologie selon Durkheim accomplit bien sa t che distinguer les tats normaux et les tats pathologiques de l organisme social 2 L usage des statistiques Par le biais de la statistique Durkheim d crit et analyse les donn es chiffr es qui se rapportent au ph nom ne du suicide Ce faisant l auteur m tamorphose ce fait singulier qu est a priori tout suicide en un v nement r gulier pr visible et explicable sociologiquement De fait pour
22. es vont bien et que le vent est l optimisme les attentes et les exigences des individus ont tendance augmenter trop rapidement pour pouvoir tre effectivement satisfaites Il en r sulte que le bien tre collectif peut entra ner une augmentation corr lative de la frustration individuelle augmentation qu on peut indirectement mesurer par l augmentation de la fr quence du suicide Confront s des normes qui ne sont plus ni stables ni fiables mais incertaines et floues les individus se trouvent dans l incapacit de r gler et de mod rer leurs aspirations C est la corr lation statistique entre fr quence de suicides et phases du cycle conomique qui fonctionne comme un r v lateur l augmentation des suicides se faisant lors des p riodes de crise conomique ainsi que durant les phases de grande prosp rit Enfin le suicide fataliste est celui qui r sulte d un exc s de r glementation celui que commettent les sujets dont l avenir est impitoyablement mur dont les passions sont violemment comprim es par une discipline oppressive Le fatalisme peut se d finir comme l impossibilit d int rioriser des r gles qui sont injustes et ill gitimes parce qu impos es de l ext rieur les esclaves inutiles les femmes mari es ou excessives les jeunes poux 5 L on ne s attardera gu re cependant sur le suicide fataliste dans la mesure o Durkheim ne lui consacre qu une courte
23. ide ne devraient elles pas en effet figurer dans toute tude sur le suicide Dans la d finition durkheimienne du suicide le passage accompli par la victime elle m me interpelle galement Jean Baechler De fait un suicidaire ne peut il pas se livrer la mort de son plein gr tout en n accomplissant pas l acte en personne De m me lorsque Durkheim crit qu elle savait devoir produire ce r sultat il rendrait compte pour l auteur des Suicides de sa conception purement rationaliste de l esprit humain Or tout ce qu un homme accomplit est il parfaitement clair sa conscience Enfin parler de r sultat sans nuancer ce dernier terme serait ne pas reconna tre la multiplicit de sens que l on peut donner la mort que celle ci soit bien con ue comme une cessation de vie ou qu on la d sire comme une simple interruption sur le mod le du sommeil 5 Quelques concepts phares de l analyse durkhe mienne du suicide controverses La d finition durkheimienne du suicide interrog e il convient de revenir sans viser aucune exhaustivit sur certains concepts phares de son analyse dont la pertinence est mise en question en particulier par Jean Baechler a La religion et le suicide Le rapport qu tablit Durkheim entre religion et suicide est remis en question par Jean Baechler C est en effet pour Durkheim le degr de coh sion de la communaut religieuse qui d terminerait la v
24. iquement contraires est en fait une justification de l tude des suicides accomplis Autrement dit si l on disposait un jour de chiffres complets sur les tentatives de suicide on pourrait certes tudier les conduites suicidaires dans leur ensemble mais il serait galement indispensable d tudier s par ment les tentatives et les suicides Tout indique qu il s agit bien de deux ph nom nes h t rog nes 50 Baechler Jean op cit p 406 51 Idem p 406 52 On se r f rera ici la question III de l entrevue Vous dites que pour vous il n y a aucune relation intellectuelle possible 53 Idem p 411 54 On se r f rera ici la question II de l entrevue Durkheim ne consid re pas le suicide comme un acte intime mais 55 Idem p 348 56 Idem p 410 57 Besnard Philippe Durkheim et les femmes ou le Suicide inachev Revue fran aise de sociologie XIV 1973 p 29 58 Baechler Jean art cit p 71 59 Philippe Besnard explique ainsi qu il convient de rappeler que cette immunit des femmes concerne les suicides accomplis et connus c est dire ceux sur lesquels s appuient statisticiens et sociologues Or il semble bien que les tentatives de suicide non suivies d effet sont beaucoup plus fr quentes chez les femmes in art cit note 3 p 28 60 Halbwachs M op cit p 14 61 Raymond Boudon op cit p 22 62 Idem p 22 63 Ainsi Halbwachs explicite ce
25. ire son sujet le moindre essai de g n ralisation La complexit du probl me du suicide est bien mise en valeur par l clatement des tudes qui lui sont consacr es Il est en effet question d une explosion th orique sur ce th me dont s emparent diff rentes coles aux pr suppos s contradictoires Si l on partageait le regard ironique qui est celui des auteurs du livre Suicide mode d emploi on pourrait dire avec eux qu on reste confondu devant les chafaudages interpr tatifs des sociologues Pour Claude Guillon et Yves Le Bonniec chacun y va de sa th orie la crise l urbanisation la pollution les variations climatiques en corr lant des chiffres avec n importe quel facteur explicatif Parce que son ouvrage intitul Le Suicide a fait et fait encore autorit nous nous proposons de faire de l analyse de Durkheim le centre de notre article Dans un premier temps nous exposerons sans 1 revendiquer une quelconque exhaustivit l tude durkheimienne du suicide Dans un second temps il conviendra d esquisser quelques unes des nombreuses controverses d ordre m thodologique ou th orique auxquelles donne lieu cette analyse tant donn les limites impos es notre article nous nous limiterons certaines dimensions de cet ancien et vaste d bat en prenant appui principalement sur la critique de Jean Baechler expos e dans sa th se Nous nous r f rerons alors la d monstration de c
26. jet nous conduit nuancer cette assimilation du suicide la libert Sans doute convient il de distinguer la libert comme non programmation le fait que l esp ce humaine soit la seule pouvoir choisir de vivre ou de mourir et la libert d user de cette capacit Pour revendiquer le droit de mettre la libert en uvre il faut introduire une donn e suppl mentaire de nature thique et ou religieuse qui rend licite et justifie la d cision d tre libre de cette mani re l En d autres tenues dans la d finition de la libert l on trouve non seulement la possibilit de choisir entre deux issues au moins mais encore le choix juste celui dont on est en mesure d affirmer qu il est conforme la rectitude La justification ne peut donc provenir que de la consid ration des fins de l homme qui ne sont pas donn es directement dans la d finition du suicide comme expression de la libert humaine Jo lle GARDETTE Deuxi me cycle Sociologie Universit Laval 17 1 On se r f rera ici la question XVII de l entrevue Que pensez vous du livre Le Suicide mode d emploi 2 Claude Guillon et Yves le Bonniec Suicide mode d emploi histoire technique actualit Paris ditions Alain Moreau 1982 p 25 3 Baechler Jean Les Suicides Paris Calmann L vy 1975 4 Durkheim mile Le Suicide Paris PUF 1960 p 147 5 Idem p 336 6 On se r f rera ici l ensemble des R gles de la m
27. la th orie en oubliant les statistiques ou en supposant que celles ci sont exactes CRITIQUE D ORDRE TH ORIQUE posture pist mologique de Durkheim jug e contestable par Jean Baechler selon laquelle il ne para t pas n cessaire de prendre en compte tout ce qui rel ve de l interpr tation subjective de la contrainte au suicide Or l auteur Des Suicides se demande si ce n est pas l se priver d une compr hension en profondeur du ph nom ne Si l on peut concevoir l importance d un syst me de contraintes qui atteint et influence r ellement l individu celles ci ne sauraient pour lui tre con ues comme strictement ext rieures au sujet et ind pendantes de l interpr tation que celui ci peut en faire L importance de la subjectivit dans l explication du suicide nous conduit 1 Le suicide acte individuel nous interroger sur le partage indi Avant toute chose il est tabli vidu soci t qui apparait probl ma que si les statistiques peuvent fournir des certitudes chiffr es elles ne nous livrent aucun renseignement sur les sujets concern s et ainsi tudi s Ce que Freud appelle la boursouflure moisie de la vie se trouve pass sous silence Ce paragraphe de Jean Baechler est loquent Le suicide est une affaire personnelle et individuelle par excellence J essaierai de montrer qu il exprime en un acte fulgurant toute une personnalit affront e une situation particuli re
28. logique Paris Hachette CHAZEL Fran ois Consid rations sur la nature de l anomie Revue fran aise de sociologie VIII 1967 p 155 DOUGLAS Jack D The social meanings of Suicide New Jersey Princeton University Press 1967 DURKHEIM mile Le Suicide Paris PUF 1960 DURKHEIM mile Les r gles de la m thode sociologique PUF Paris 1967 GUILLON Claude et LE BONNIEC Yves Suicide mode d emploi histoire technique actualit Paris Editions Alain Moreau 1982 HALBWACHS M Les causes du suicide Paris PUF 1930 JAVEAU Claude Le ons de sociologie Paris Armand Colin 1997 STENGEL E Suicide and attempted suicide Harmondsworth Penguin Books 1964 20
29. ndant la critique par Jean Baechler des notions de densit et d int gration est sans appel b La densit et l int gration sociale La notion de densit du milieu familial est en effet consid r e comme inutile par l auteur Des Suicides De fait cette entit m taphysique n clairerait en rien pour lui par exemple la raison pour laquelle les taux de suicide des m res est peu lev Loin de n cessiter la convocation d une telle notion l explication propos e consiste dire que les m res de famille se trouveraient tre peu expos es au suicide parce qu aucune fin intelligible ne saurait se lire en ce qui les concerne dans ce recours ultime qu est le suicide La notion d int gration sociale est elle aussi remise en question dans la mesure o le degr d int gration de l individu au groupe est une entit m taphysique insaisissable C est donc le flou introduit par les concepts durkheimiens qui se trouve au centre de la controverse th orique laquelle se livre Jean Baechler dans son livre c Les femmes et le suicide Pour ce qui est du fait que les femmes se suicident en moyenne moins que les hommes l explication donn e par Durkheim est galement pour Jean Baechler objet de discussion De fait Le Suicide tablit que les femmes parce qu elles participent moins que les hommes la vie active et que leurs relations sociales sont moins d velopp es sont moins susceptibl
30. note de bas de page et o certains commentateurs le passent m me sous silence 3 L int gration et l anomie C est dans un tat d quilibre id al et utopique de la soci t que les individus ne ressentiraient l influence d aucune incitation au suicide Or un certain taux de suicide est normal Le pathologique appara t lorsque l on s carte du taux moyen cet cart pouvant tre mis en relation avec une int gration 4 insuffisante ou excessive ou encore avec l absence d une r glementation des d sirs des individus Afin que la soci t conserve son unit l int gration peut se faire sous deux formes les individus peuvent tre ni s et fondus dans la collectivit ils peuvent encore mettre au service de la collectivit leurs aptitudes particuli res La premi re forme d int gration donnera naissance la solidarit m canique caract ris e par la similitude des individus et par la pr sence d une conscience collective et la seconde la solidarit organique caract ris e par la lib ration des consciences individuelles et l interd pendance des acteurs sociaux La distinction qu tablit Durkheim entre le suicide go ste et le suicide altruiste devient particuli rement claire gr ce la notion d int gration De fait la solidarit m canique tend pr valoir dans les soci t s traditionnelles et dans des formes d organisation sociale dont l arm e pourrait tre le mod le Il s agit
31. nsi Durkheim remonte toujours du produit de l anomie sa source savoir l affaiblissement de l ordre tabli par la soci t cet affaiblissement contribue d tacher l acteur de l organisation sociale et de ses principes fondamentaux le privant ainsi d un soutien dont il a 15 besoin et le poussant dans la voie de la d viance C est donc la r f rence la d sorganisation du tout qui permet de comprendre une conduite premi re vue asociale comme le suicide se C est dire que Durkheim voit d abord dans l anomie l expression d une organisation sociale qui se d r gle Cons quence d une dislocation de l ordre social elle donne naissance au suicide Cependant pour l auteur du Suicide l anomie n est pas simplement une force myst rieuse qui Jouerait au niveau de la Soci t entit sup rieure afin de s insinuer dans des esprits individuels qui verraient se d velopper leur insu des espoirs et des attentes terme in vitablement d us Bien plus Durkheim d veloppe une argumentation morale selon laquelle l homme est incapable de r gler ses propres d sirs et de donner une limite ses aspirations Fixer des buts raisonnables ses activit s c est ce que fondamentalement il ne sait pas faire On est loin ici d une exclusive influence de la soci t dont le r le para t se restreindre Selon Fran ois Chazel en imposant comme point de r f rence l individu la r flexion moralisante
32. nt r t 7 De fait la l gitimit m me de la d marche statistique qui d signe les donn es quantitatives recueillies par des organismes sp cialis s a t interrog e par de nombreux auteurs On peut se proposer de reprendre ici succinctement certains arguments avanc s par Jack D Douglas souvent cit lorsqu il est question des limites de la d marche quantitative L une des critiques de ce dernier porte sur la d finition que donne Durkheim du suicide Le suicidaire est de fait pour ce dernier celui qui a accompli un acte qu il savait devoir produire ce r sultat gt Conform ment cette d finition ne se seraient donc pas suicid s les gens qui se tuent sans en avoir conscience tandis que seraient consid r s comme tels les tres qui se seraient donn la mort par des moyens d tourn s par exemple ceux qui refusent de s alimenter les h ros les martyrs etc Or cette d finition peut sembler en d calage avec les statistiques utilis es De faits les mat riaux statistiques tels qu ils sont recueillis par les institutions ad quates ne correspondraient pas toujours aux crit res sociologiques d finis par Durkheim ce titre l hallucin qui se d fenestre est consid r comme un suicid par les m decins et les policiers habilit s d clarer qu une mort est ou non un suicide Loin d adh rer la d finition sociologique ici tablie ces derniers ne valideraient donc pas
33. og nes ou autres interpr tations pu riles ou comiques de Durkheim in art cit p 314 11 convient de se r f rer ce sujet l entrevue que nous avons eue avec Jean Baechler pr sent e ci apr s 22 Jean Baechler Le probl me du suicide propos d un rapport du Minist re de la Sant note in Contrepoint n 4 t 1971 23 Jean Baechler op cit p 26 24 Cf Jack D Douglas The social Meanings of Suicide New Jersey Princeton University Press 1967 p 163 231 25 mile Durkheim op cit p 5 26 Durkheim crit en effet l acte qui le consacre est accompli en connaissance de cause 27 Christian Baudelot et Roger Establet op cit p 52 28 Idem p 49 29 Douglas Jack D op cit 30 D une fa on similaire Jean Baechler attribue la modification des statistiques prussiennes relatives au suicide en 1868 et 1883 aux changements subis aux m mes dates par les m thodes d enregistrement de ce ph nom ne 31 Besnard Philippe art cit pp 317 318 32 Baechler Jean op cit p 33 33 ce titre on peut citer ce passage de Baudelot et Establet concernant la dissimulation des suicides op cit p 65 Deux conclusions s imposent la dissimulation du suicide est un ph nom ne dont l ampleur est limit e les biais qu elle imprime aux distributions statistiques sont moins vidents qu on pouvait le supposer au premier abord 34 Besnard Philippe art cit p 316
34. ouglas et reprise par Jean Baechler il est incontestable que l usage des statistiques dans l analyse du suicide est sujet controverse Philippe Besnard lui m me reconna t une certaine l gitimit aux arguments avanc s Sur beaucoup de points en tout cas force est de donner raison Douglas C est ainsi qu on lui accordera volontiers que les statistiques officielles du suicide ne font que traduire des d finitions communes du ph nom ne tr s fluctuantes et qui ne correspondent pas n cessairement aux d finitions propos es par les sociologues Halbwachs critiquait d j Durkheim cet gard On admettra galement que le processus qui conduit les autorit s enregistrer un d c s comme suicide est la fois complexe et sujet variations que la stabilit des taux de suicide d un pays donn n est ni un gage de la s ret des statistiques n1 une preuve de l action de facteurs sociaux enfin que les variations de ces taux de suicide peuvent dans certains cas d pendre 9 simplement de modifications dans l appareil d enregistrement a Cette critique d ordre m thodologique vise en fait simplement d montrer que l interpr tation durkheimienne du suicide en tant que fond e sur l usage des statistiques peut tre fausse et non pas qu elle l est C est pourquoi il convient ainsi que le fait l auteur Des Suicides de prolonger le regard critique que l on peut porter sur Le Suicide du point de vue de
35. ourront tre saisies C est donc l effet des param tres du syst me d interaction sur le comportement des acteurs qui doit tre interrog En fait que l augmentation de l anomie ou de l go sme entra ne selon Durkheim une augmentation de la fr quence des suicides n implique pas que la soci t ait le pouvoir d induire leur insu certains sentiments ou comportements chez les sujets sociaux 7 CONCLUSION Nous nous proposons dans cette conclusion non pas de r sumer ce que nous avons expos mais d ouvrir cet essai sur une r flexion plus large qui sera compl t e par l entrevue que nous avons eue avec Jean Baechler 16 La bibliographie sur le th me du suicide laquelle l on pourrait renvoyer serait si cons quente que l on peut bien parler d une diversit infinie des th ories qui peuvent s laborer sur ce sujet Non seulement ces th ories sont diverses mais les r sultats et les statistiques de nombreuses tudes sont souvent contradictoires C est dire le flou auquel est confront quiconque cherche rationaliser le ph nom ne de l auto destruction On pourrait avancer qu en fait ce dernier pr sente un visage diff rent dans chaque soci t o il se manifeste et qu il est intimement li au contexte social et culturel dans lequel il se d ploie La difficult laquelle se heurte toute analyse tient encore au fait que chaque suicide concret r sulte toujours d une biogr
36. pour l individu de se conformer une identit sociale dans laquelle il se voit dissout Le suicide altruiste peut alors r sulter d une tendance logique l oubli de soi Dans les soci t s modernes fond es sur la division du travail l unit sociale se construit en prenant appui sur les diff rences individuelles Le danger encouru est l isolement de l individu inconscient de la relation subtile qui le lie aux autres et qui se trouve d s lors menac par le suicide go ste l axe go ste altruiste r pond l axe anomique fataliste La situation d anomie peut tre d finie comme le d r glement des normes la norme se comprenant comme un syst me d attentes renvoyant des valeurs l issue d un changement brutal de la soci t L augmentation de la division du travail provoque ce titre un changement rapide l origine du d faut de r gulation sociale observable dans la soci t moderne Durkheim parle donc explicitement d une anomie des soci t s modernes Il ne s agit pas ici d en rendre responsable le progr s l industrialisation ou tout autre facteur mais de montrer que la solidarit traditionnelle dispara t par suite de transformations morphologiques que sont principalement l augmentation du volume et de la densit de la population Les changements profonds qui ont lieu dans la structure de la soci t donnent naissance un certain tat maladif de la soci t Il y a d s lors disparition
37. qu entend Durkheim par causes sociales du suicide Mais celles ci se pr sentent tant t comme des forces culturelles proprement dites telles que les coutumes familiales ou les grands courants politiques et nationaux et tant t sous la forme de motifs individuels plus ou moins nombreux et r partis de fa on diff rente suivant que la soci t est plus ou moins complexe in op cit p 13 64 Fran ois Chazel Consid ration sur la nature de l anomie Revue fran aise de Sociologie VIIL 1967 p 155 65 Idem p 156 66 Boudon Raymond op cit pp 27 28 67 Idem p 32 68 On se r f rera ici la question X de l entrevue Dans la mesure o tout suicide r sulte 69 Claude Guillon et Yves Le Bonniec op cit p 258 19 BIBLIOGRAPHIE BAECHLER Jean Les Suicides Paris Calmann L vy 1975 BAECHLER Jean Le probl me du suicide propos d un rapport du Minist re de la Sant Contrepoint n 4 t 1971 BAUDELOT Christian et ESTABLET Roger Durkheim et le suicide Paris PUF 1984 BESNARD Philippe L anomie Paris PUF 1987 BESNARD Philippe Durkheim et les femmes ou le Suicide inachev Revue fran aise de sociologie XIV 1973 27 61 BESNARD Philippe Anti ou ant dukheimisme Contribution sur les statistiques officielles du suicide Revue fran aise de sociologie XVII 1976 313 340 BOUDON Raymond La logique du social Introduction l analyse socio
38. re et des circonstances qui ont entour l acte C est l tude des cas qui se pr sente d s lors comme la plus appropri e Jean Baechler se livre ce titre dans Les Suicides la transcription de r cits biographiques ou plus pr cis ment de fragments d existences jug s int ressants pour l explication de ce ph nom ne myst rieux qu est le suicide Cette transcription repose sur l hypoth se que selon la formule de Ferrarotti l individu n est pas un piph nom ne du social L int r t d une telle d marche r side pour Claude Javeau dans sa capacit explorer des situations dont les d marches classiques rendent difficilement compte dans ce qu elles ont entre autres de dramatique Dans cette optique l on pourrait pr senter l analyse faite par Jean Baechler du suicide conform ment la d finition qu il donne de celui ci selon laquelle le suicide d signe tout comportement qui cherche et trouve la solution d un probl me existentiel dans le fait d attenter la vie du sujet comme un acte strat gique visant la r solution des angoisses de l individu Id alement l tude du suicide devrait pr tendre la prise en compte de toutes les variables qui conduisent des tres humains attenter leur vie Or le probl me auquel se trouve confront e la m thode des cas r side dans le fait qu un nombre illimit de cat gories pourrait voir le jour Jean Baechler souligne lui m m
39. re que la th orie et la m thodologie de l analyse durkheimienne du suicide sont d une pertinence incontestable En t moigne Halbwachs qui d clare Durkheim a eu le m rite d embrasser le ph nom ne du suicide dans toute son ampleur et d en proposer une explication qui pourra tre amplifi e et rectifi e mais dont le principe para t bien inattaquable A 1 Le suicide et les d terminismes sociaux La sociologie selon Durkheim se pr sente bien comme la science des d terminismes sociaux Le Suicide en est la meilleure illustration qui d montre que c est la soci t ou du moins les variables qui sont d pendantes de cette derni re qui influent sur la fr quence des suicides tudier le suicide pour Durkheim revient donc en analyser les causes sociales Dire que l action de tout individu s explique partir de param tres sociaux c est adopter une conception radicalement diff rente de celle d un Pareto par exemple pour qui le sociologue doit s int resser aux actions en particuliers non logiques Ainsi que le dit Raymond Boudon par contraste Durkheim parait faire de l homos sociologicus un sujet passif sorte d automate dont le comportement serait l effet de causes sociales La vision v hicul e par certaines autres de ses uvres d un homo sociologicus qui serait le si ge de causes sociales qui le d passeraient peut conduire attribuer Durkheim la paternit du sociologisme
40. s individuelles Le suicide s int gre bien dans le cadre d une telle d finition Si long terme le taux de suicide subit des variations celles ci demeurent orient es si bien que l on peut parler d un ph nom ne r gulier donc explicable mais explicable par le social seulement En tant qu acte d termin par les conditions sociales le suicide exprime selon sa fr quence le degr de coh sion et de sant sociale Il en est un indice caract ristique C est dire que les param tres couramment rendus responsables de l augmentation des suicides sont pour Durkheim corr ler strictement l organisation sociale d finie comme nous le verrons plus loin en termes de normes et d int gration l explication psychologique du suicide s oppose la notion de courant suicidog ne Le sui cide devient alors un fait social 2 Les quatre types de suicide selon Durkheim Est r v lateur de l tat moral de la soci t chacun des quatre types de suicide distingu s par Durkheim Le suicide go ste est d fini en ces termes par Durkheim Le suicide varie en fonction inverse du degr d int gration des groupes sociaux dont fait partie l individu Il est question ici d une int gration insuffisante de l individu qui contraint de d terminer seul le cours de son existence peut se suicider par exc s d individualisme L analyse du suicide go ste se fait partir de la corr lation
41. thode sociologique Paris PUF 1967 7 On se r f rera ici la question IV de l entrevue Vous vous distinguez radicalement de Durkheim Mais au fond 8 Durkheim mile op cit 1960 p 223 9 Christian Baudelot et Roger Establet Durkheim et le suicide Paris PUF 1984 p 31 10 Jean Baechler op cit p 23 11 mile Durkheim op cit p 233 12 mile Durkheim op cit p 24 13 Raymond Boudon La logique du social Introduction l analyse sociologique Paris Hachette p 21 14 mile Durkheim op cit p 311 15 Philippe Besnard L anomie Paris PUF 1987 p 97 16 Ainsi pour Philippe Besnard il se trouve que Durkheim a tout mis en uvre pour escamoter le suicide Fataliste c est dire pour dissimuler l incidence ventuellement n faste d un exc s de contrainte sociale in Anti ou ant durkheimisme Contribution au d bat sur les statistiques officielles du suicide Revue fran aise de sociologie XVII 1976 p 315 17 On se r f rera ici La division du travail social de Durkheim 18 Jean Baechler op cit p 26 19 mile Durkheim Les R gles de la m thode sociologique 20 Christian Baudelot et Roger Establet Op cit p 20 21 Philippe Besnard crit ce sujet L examen de Durkheim occupe en fait une place tr s r duite 4 pages dans l ouvrage de Baechler qui est il est vrai ponctu ici et la de sarcasmes contre les courants suicid
42. tivit au point de pouvoir faire le sacrifice de sa vie au 3 nom de valeurs collectives qui le d passent ou de ne plus arriver savoir qui il est Il est question ici d une trop grande adaptation c est la norme qui ordonne l individu de se tuer Ce type de suicide est fr quent dans les soci t s primitives il peut s observer d une mani re privil gi e chez les militaires l o en un mot le sujet est trop fortement soumis la conscience collective et aux normes du groupe Le suicide anomique apparait lorsque se brouillent les normes sociales sous l effet d un d r glement ou d un rel chement On peut parler d un infini du d sir humain qui ne pouvant pas tre satisfait se doit d tre born raisonnablement parce que l on pourrait appeler un r gulateur moral Seule la soci t soit directement et dans son ensemble soit par l interm diaire d un de ses organes est en tat de jouer ce r le mod rateur car elle est le seul pouvoir moral sup rieur l individu et dont celui ci accepte la sup riorit Quand apparaissent des crises la soci t ne peut plus contr ler les individus On assiste alors une ind termination croissante des objectifs et une ouverture illimit e du champ des possibles Le fait que le suicide augmente galement en p riode de boom conomique donne lieu une explication que Raymond Boudon r sume par ces mots En effet lorsque les affair
43. tre autres l analyse durkheimienne du suicide s explicite alors ainsi ce n est pas dans une juxtaposition des regards et des approches que l on pourra cerner l essence du suicide Il ne convient pas de faire une sociologie du suicide une psychologie du suicide une psychopathologie du suicide etc Il faut imp rativement se d barrasser de tous ces d coupages et s attacher exclusivement conceptualiser cette interrogation toute b te Qu est ce qui fait que des humains en viennent attenter leurs JjJours On se d sint resse enti rement et d finitivement de toute autre interrogation en particulier de savoir si les hypoth ses que l on est amen formuler concordent ou non avec les id es re ues dans telle ou telle discipline universitaire En un mot il s agit de montrer que non seulement une sociologie est possible mais que c est la seule solution si l on pr tend apporter une ou des r ponses l interrogation originelle gt Pour Jean Baechler cette sociologie consiste donc ne prendre comme objet que le suicide et non pas le suicide tel qu il est per u par la sociologie par la psychanalyse ou par toute autre discipline 4 La d finition durkheimienne du suicide controverses La d finition que donnait Durkheim du suicide d limite un cadre conceptuel qui se trouve tre galement questionn cette fois au niveau th orique On appelle suicid
44. uatre courants suicidog nes correspondent quatre types de suicides Les quatre types de suicides sont enti rement d termin s quant leurs taux par la soci t Ils ne choisissent pas au hasard leurs victimes mais frappent les plus faibles Si la soci t d termine le nombre des morts elle ne d termine leur identit qu indirectement 18 Le choix du suicide comme objet d tude sociologique est donc justifi dans la mesure o la sociologie accomplit bien sa t che distin guer les tats normaux et les tats pa thologiques de l organisme social Durkheim rejette les facteurs extra SOCIaux qu ils soient psychologiques ou physiologiques et d montre que le suicide est l effet des seuls facteurs sociaux Pour ce faire il applique strictement les r gles de sa m thode l analyse de ce probl me exemplaire LA M THODOLOGIE DURKHEIMIENNE APPLIQU E L ANALYSE DU SUICIDE 1 L tude des faits sociaux Parler de l objet de la sociologie durkheimienne c est se r f rer l tude des faits sociaux Caract ris s par leur ext riorit par rapport l individu et par la contrainte qu ils exercent sur celui ci ces derniers doivent tre consid r s comme des choses afin que les pr notions qui voilent la connaissance scientifique soient limin es Bien plus il s agit de les regarder comme on consid re des faits physiques Il nous faut donc consid rer les ph nom n
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