Yolande verbist TFC10 - Université catholique de Louvain
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1. confier son malheur un texte ou la confier un r cit qui va faire office de m diation r paratrice dans le cadre par exemple d une psychanalyse voire d un proc s L criture devient un lieu ext rieur soi qui permet alors d exp rimenter l expression de cet indicible de cet innommable K m crit ce propos Voil je peux te dire que si jai crit c est tout simplement pour d poser Moi c est tr s lourd et franchement je ne sais pas si je vais m en sortir gt L criture un lieu o l on peut dire sans dire l criture sert cacher ce qui lui est confi Un lieu o l on peut cacher se cacher o l on peut employer des m taphores garder un contr le sur ce qui est dit y revenir ou de mettre loin de soi apprivoiser un r cit son propre r cit fiction ou r el Magritte avec sa pipe posait par l criture cette question de la diff rence entre le r el et la repr sentation que l on peut en faire L criture donne cette opportunit de mettre en sc ne la r alit Pouvoir crire quand la violence est introject e demande de pouvoir imaginer que la situation n est pas in luctable Le r cit peut tre un moyen de l exp rimenter dans une esp ce de jeu de cache cache et la fiction peut tre une opportunit que donne l criture pour traverser la violence Ecrire c est une mani re de r exp rimenter une fronti re avec le r el le monde ext rieur l autre c est retrouve2. op cit p 45 33 R BARTHES Plaisir du texte pr c d de Variations sur l criture op cit p 29 34 Un atelier d criture qui a dur 6 mois qui rassemblait des femmes aide m nag res en titres service et dont l objet tait d crire leur exp rience professionnelle 19 l instance d un Moi sujet qui ne soit plus l expression d un pouvoir dominateur et tout puissant mais celle de la restauration d une parole Un Moi en dehors de moi qui non seulement prenne conscience du malheur comme ma place mais le prenne en charge en y reconnaissant une injustice commise contre tous c est dire y trouve le point de d part d une revendication commune L individu humili a besoin de retrouver un collectif capable de lui donner une r assurance lorsqu il a t d poss d de lui m me L criture peut jouer l pleinement son r le de t moin de r cit partag par l humanit Le lecteur r el potentiel ou imaginaire joue ce r le de collectif Serait ce pour cela que pour moi ateliers d criture et cours d alphab tisation sont indissociables Au cours d alpha il faut crire A l cole il faut crire Ecrire ensemble non pour apprendre mais pour penser ensemble Ecrire avec des mots dans n importe quel code pour peu que l on puisse relire soi m me son crit en hi roglyphes en dessin dans une autre langue si besoin en est Ecrire et apprendre le code en parall le Ecrire lire ensembl
3. criture peut servir dire non que l criture et le savoir ne sont pas n cessairement ni seulement des instruments de pouvoir qu ils peuvent aussi servir dire son refus marquer son d saccord 1 A l inverse d instituer r f rence gar e 16 J FURTOS Le syndrome d auto exclusion dans Rhizome 9 sept 2002 p 15 sur www ch le vinatier fr orspere 17 E HATCHUEL Savoir apprendre transmettre Une approche psychanalytique du rapport au savoir Paris La D couverte 2007 p 140 10 Pour entrer dans un savoir plus acad mique il m a fallu aller revisiter ma propre histoire plus avant pour aller retrouver en quoi le savoir est en moi li l abus de pouvoir et m en tenait donc extr mement loign e Tout cela me donne videmment un regard particulier sur l apprentissage de la lecture et de l criture C est bien s r avec ce regard que je travaille avec ce regard que je r fl chis la mani re dont s articulent ces questions Et il est bien vident qu au moment o j entre dans une formation universitaire alors que j ai toujours refus cela au moment o je suis amen e produire un crit sur mon savoir sur ce que j ai appris au cours de toutes ces ann es avec des personnes en difficult de lecture ou d criture les questions li es au sens de l criture au lien que l criture noue avec la violence et les questions thiques li es ces pratiques m interpellent de mani re affect e VI L o il e
4. d un jour o je demandais T comment a se passait pour lui maintenant qu il tait en SRI d cision qui a t prise suite des faits de d linquance et afin de le mettre un peu l abri des violences familiales Du haut de ses quelques petites ann es il me r pond Ben cest plus difficile qu avant parce que avant 4h je voyais ma maman comment elle va et tout Maintenant pendant toute la semaine je me demande si vendredi elle sera l je pense comment elle va Tu vois je ne suis pas l alors Avant c tait une journ e maintenant c est 5 jours Son inqui tude tait palpable Et l cole alors d accompagner l enfant porter sa parole plus loin d interpeller les parents le SRI et les diff rents intervenants pour que les angoisses de l enfant soient entendues et que des pistes puissent tre propos es afin qu il puisse s apaiser et r investir le scolaire J ai vu des enfants ayant v cu des violences familiales graves tre tout fait en porte faux avec l apprentissage jusqu au jour o l cole a pu entendre les violences subies mettre en place un travail de r seau de mani re ce qu il soit mis fin ces violences qu elles soient reconnues et travaill es ailleurs qu l cole que la famille puisse s engager dans un soutien de l apprentissage Ces enfants se mettent parfois apprendre extr mement vite comme s ils avaient stock les informations n cessaires l apprentissage mais n y avaient mom
5. motions qu ils semblent ne pas avoir acc s au savoir Dans l cole dans laquelle je travaille le temps que l on passe rassurer les enfants r fl chir avec eux sur leur comportement est extr mement long et pourtant indispensable pour qu ils puissent d autres moments investir dans leurs apprentissages Est ce la faute de la famille Les parents comme les instituteurs cherchent faire de leur mieux avec leurs enfants Je n ai pour ma part jamais rencontr de parents qui m aient dit que l cole n tait pas importante pour leurs enfants Des parents aigris d us qui n y croient plus qui n arrivent pas tablir des liens non conflictuels qui certains moments mettent d autres priorit s oui beaucoup mais des parents qui m aient dit que l cole n tait pas importante non Or face ce constat d chec la tendance est un peu se renvoyer la balle le monde enseignant a tendance discr diter les parents et les parents discr diter l cole Mais les enfants veulent savoir les intervenants et les parents veulent qu ils apprennent et pourtant un pourcentage trop important d entre eux sort de l cole sans ma triser l crit Parfois un jour de plus en plus souvent contraints ils poussent la porte d un cours d alpha Ils r essayent r apprennent et parviennent quelquefois s approprier le langage crit Parmi ceux qui viennent au cours d alpha certains annoncent d embl e q
6. actes destructeurs de lui m me dans un discours ou des actes dans lequel il ne peut se reconna tre que doit il penser Qui est il alors Pourquoi apprendre si ceux qui portent le savoir ont abus de leur pouvoir Comment sortir de tout cela Devant cette interrogation quant la place qui est la mienne mon premier mouvement tait dans ce cas j arr te cette formation Puis je fais le pari de revoir Pascale et de lui dire que j ai un blocage que je n arrive pas crire suite notre discussion Dans sa r ponse je crois percevoir que ma question l agresse et je pense alors qu il vaut mieux que j arr te Je ne veux pas lui faire mal j ai juste une interrogation que faire de tout a Je n arrive pas crire C est tout Je me sens coupable d interroger cela m me qui a l air d tre la base du savoir universitaire Si on ne peut interpr ter alors il n y a pas de savoir universitaire Qui suis je pour interroger cela Mais interpr ter l inverse de la parole d autrui est extr mement violent mes yeux et je ne veux pas tre auteur de cette violence Et l interpr tation que j en ferais ne sera que mienne Elle parlerait plus de moi que d eux et elle serait diff rente aujourd hui de demain Pourtant interpr ter c est aussi pr ter sa voix un po me ses mains et sa sensibilit une partition C est faire d couvrir rendre accessible voire permettre l autre d tre touch par une uvre u
7. de vie de mort d inceste de jalousie d envie de meurtre de d voration Ils sont remplis de violence et en parlent de mani re d cal e dans le temps et dans l espace Utilis s dans un cadre suffisamment rigoureux ils peuvent permettre aux enfants dit il d y puiser des pistes de r ponse Combien d enfants disent que ce qu ils font l cole ne les int resse pas Combien de fois ai je entendu Mais jmen fous de a A l inverse K me racontait comment elle n avait rien compris au cours sur 8 Au sens o l entend E HERMANT dans Clinique de l infortune La psychoth rapie l preuve de la d tresse sociale Paris Le Seuil 2004 Suzanne B ROBERT OUVRAY Enfant abus enfant m dus op cit p 136 1 BOIMARE L enfant et la peur d apprendre op cit p 101 et 103 les pronoms personnels compl ments au d but je pensais que a allait puis je ne sais pas tout s est embrouill Je revoyais avec elle ses exercices et cela posait probl me partir de Les enfants ont abus de leurs parents Pour elle qui a t abus e si longtemps est ce vraiment tonnant que cela se brouille cet endroit Et me dit elle e prof a dit que pour des questions de politesse dans cet exemple on ne met pas Les enfants en ont abus mais ont abus deux Je comprends rien pourquoi pour des questions de politesse Combien d enfants ai je vu tra ner toute une journ e l cole avec un air absent Je me souviens
8. kilom tres or je constate que parmi les apprenants du cours d alphab tisation il y a l oncle d une enfant de l cole la maman d une autre la tante d un troisi me Un certain nombre de parents d enfants de l cole disent ne pas savoir lire ni crire Je ressens aussi quelque chose d trangement commun dans leur exigence d authenticit leur intol rance l injustice leurs menaces de passage l acte extr mement rapide leur m fiance extr mement forte face ceux qui repr sentent le savoir et au savoir lui m me Ces adultes en alphab tisation et ces enfants en enseignement sp cialis type 3 se trouvent dans une situation d apprentissage Ils sont l sans l avoir demand Cela fait beaucoup de points communs Y a t il un lien entre ces enfants que je rencontre l cole et ces adultes qui viennent au cours d alphab tisation L cole accueille environ 40 enfants g s de 4 13 ans Ces enfants lui sont adress s suite des comportements jug s incompatibles avec la poursuite d une scolarit dans un enseignement ordinaire Beaucoup de ces jeunes ont une histoire personnelle familiale scolaire tr s difficile et tr s souvent empreinte de violence maltraitance violence familiale violence sexuelle violence sociale Les adultes que je rencontre au cours d alpha auraient ils eux aussi t victimes de violence En alphab tisation l essentiel de mon travail consiste donner des cours de fran ais dans des s
9. pr s l enjeu social Elle fait et a fait violence Mais qui dit pouvoir dit aussi contre pouvoir nous en reparlerons L criture fige immobilise fixe Elle met de la distance Elle arr te le temps N est ce pas aussi une caract ristique de la violence que d arr ter le temps que de figer l individu victime de violence dans un espace et un temps hors du r el Tu sais parfois c est comme si j tais rest e petite Comme si j avais encore peur comme si a pouvait recommencer En arr tant le temps l criture nous fait entrer dans le langage du r cit Si on ne peut acc der au r cit de sa propre histoire comment peut on entrer dans le langage du r cit Si a a voir avec ma propre histoire Je n en sais rien Jai jamais pens Que faire si l histoire personnelle de l individu est remplie de violence comment supporter d en faire un r cit d y revenir d avoir un savoir dessus C est du pass c est du pass on s en fout Cette souffrance est elle elle m me violence 27 R BARTHES Plaisir du texte pr c d de Variations sur l criture Paris Seuil 2000 p 29 30 28 Op cit p 33 17 L criture nous confronte au manque l incomplet la fragilit la frustration Les mots n expriment pas suffisamment la pens e ils ne sont pas toujours justes Ils disent d autres choses que ce qu on a voulu y mettre Ils nous chappent Ils nous trahissent Dans son analyse du geste graphique R Ba
10. tout cela m entra ne Pascale me dit que j ai le droit d interpr ter que c est le fondement m me de la science anthropologique Mais thiquement je ne peux aller l encontre de leur interpr tation C est de leur vie qu il s agit Qui suis je pour dire tu dis non mais c est moi qui ai raison il a un lien Dire qu ils ne voient pas le lien Dire cela c est affirmer ce lien et les disqualifier encore plus Faire un lien entre analphab tisme et impossibilit de trouver les mots C est tentant Mais qui lettr ou illettr victime de violence trouve les mots C est bien a le probl me de la violence elle laisse l individu sans mots dans un tat de sid ration Il ne lui reste plus que les actes les mots lui manquent il ne peut plus penser il ne peut plus qu agir pour dire Faire ce lien analphab te et sans mot pour dire la violence c est enfermer l individu dans un stigmate faire de la discrimination n gative comme dirait Castel 2 20R CASTEL La discrimination n gative Cond sur Noireau Seuil et La R publique des id es 2007 12 Juxtaposer leur avis et le mien et laisser le lecteur libre de son interpr tation Un leurre par le fait m me que c est moi qui prends la parole et qui cris c est mon discours qui est l gitim Leur donner leur r cit mais pas l interpr tation que j en fais Cela ne r sout rien C est confisquer leur savoir le trahir et le faire mien Au nom de q
11. voir comment l individu soumis une violence qui le blesse trop fort pourrait ne plus avoir acc s au savoir Igor Reitzman d finit ainsi la violence c est une conduite qui a pour effet de contraindre une personne penser agir ou se comporter d une certaine fa on subir une exp rience qu elle n a pas choisie C est une conduite qui a pour effet de chosifier l autre de l instrumentaliser de le nier en tant que personne dot e d un statut b Il convient aussi de d finir ce qu on entend par difficult s d criture Lors de sa conf rence du 8 mai dernier Bruxelles M Cifali parlait des strat gies d vitement de l crit de certains chefs d entreprise D eux on dit qu ils n aiment pas crire Lors du d bat apr s la conf rence une infirmi re explique que dans son service o les violences institutionnelles sont importantes plus personne n arrive crire elle dit ceci Je ne sais pas crire je ne sais pas pourquoi Y a t il quelque chose de commun entre cette infirmi re qui conna t pourtant bien le code de l crit et les personnes en alpha En tous cas elles disent la m me chose elles utilisent les m mes mots Toute une s rie de gens se retrouvent dans des cours d alphab tisation parce qu ils habitent la cit parce qu ils sont consid r s comme devant acqu rir des comportements relatifs la citoyennet et au travail de groupe en vue de leur int gration sociale Cela a t il un li
12. 6 O et M NEUMAYER On n est pas l pour apprendre mais pour penser ensemble dans Dialogue n 122 Formation Alternance ou Alternatives octobre 2006 7 La phrase exacte de Roland BARTHES est L criture n est en somme rien d autre qu une craquelure R BARTHES Plaisir du texte pr c d de Variations sur l criture op cit p 51 20 Les violences institutionnelles sociales familiales mettent l individu l cart A l cart des autres l cart de lui m me Elles emp chent le langage et tiennent loign du savoir La honte s installe Refuser d entrer dans un apprentissage de l criture peut pour certains tre une mani re de refuser le monde la situation la violence qu ils subissent Une mani re de dire non Le risque est de s auto exclure Les cours d alpha l cole d enseignement sp cialis l criture sont entre autres choses des lieux de mise en sc ne de ces violences Peut tre que si dans ces lieux ces violences peuvent tre dites entendues rejou es de mani re prot g e peut tre alors l individu soutenu par un collectif peut il se r instituer se r concilier avec le savoir et d couvrir d autres possibles Le savoir est relation il se construit en commun s change et se partage Le r le du formateur est d accompagner l individu de lui permettre d entrer dans un langage du r cit dans ce lieu hors de lui qu est l criture de faire de refaire du ou des liens de
13. Craguelures Liens entre difficult s d criture et violence Sant mentale en contexte social 2008 Yolande Verbist Multiculturalit et pr carit Assistante sociale Formatrice en alphab tisation yoverbist hotmail com Ce travail est n d un questionnement sur d tranges similitudes entre les enfants avec lesquels je travaille en enseignement sp cialis type 3 et les adultes en albhab tisation Il tente d explorer les liens qu il peut y avoir entre les difficult s d criture et la violence comment ces difficult s peuvent tre une forme de r sistance cette violence et comment l criture en ouvrant un espace social de co interpr tation peut peut tre ouvrir une piste pour la traverser I L o les questions prennent racines Depuis le d but de mon parcours professionnel je suis interpell e par des questions d apprentissage de la lecture et de l criture animatrice dans des coles de devoirs assistante sociale dans des coles primaires forte population immigr e formatrice en alphab tisation avec des jeunes de 15 25 ans dans ce que l on appelait les coles parall les avec des femmes immigr es et aujourd hui avec un public belge Actuellement je travaille mi temps comme formatrice en alphab tisation et mi temps comme assistante sociale en enseignement primaire sp cialis pour des enfants pr sentant des troubles du comportement Type 3 Ces deux institutions sont distantes de plus de vingt
14. Puf 2007 Enfant abus enfant m dus Suzanne B ROBERT OUVRAY Paris Descl e de Brouwer 2003 La discrimination n gative Robert CASTEL Cond sur Noireau Seuil et La R publique des id es 2007 La violence de l interpr tation Piera AULAGNIER Paris PUF 2007 L cole et ses violences Jacques PAIN Paris Economica 2006 Le croisement des savoirs Quand le Quart Monde et l Universit pensent ensemble GROUPE DE RECHERCHE QUART MONDE UNIVERSITE Paris Les Editions de l Atelier Editions Ouvri res Editions Quart Monde 1999 L enfant et la peur dapprendre Serge BOIMARE Paris Dunod 2004 Le plaisir du texte pr c d de Variations sur l criture Roland BARTHES Paris Seuil 2000 Le pouvoir de la langue et la libert de l esprit Essai sur la r sistance au langage totalitaire J DEWITTE Paris Michalon 2007 Les sources de la Honte Vincent DE GAULETAC Paris Descl e de Brouwer 1996 Par crit Ethnologie des critures quotidiennes sous la dir de D FABRE Paris Maison des Sciences de l homme 1997 22 Savoir apprendre transmettre Une approche psychanalytique du rapport au savoir Fran oise HATCHUEL Paris La D couverte Poche 2007 Souffrance en France La banalisation de l injustice sociale C DEJOURS Paris Seuil 1998 Articles Alphab tisation et assimilation des minorit s au Canada le cas des francophones du Canada S WAGNER Dans Alpha 90 Recherches en alphab tisation p 53 84 Gouvernement du Qu bec M
15. ais ne l utilisent pas beaucoup plus Ils ont eu le m me genre de r actions en d but de cursus sont rest s tr s accroch s la formation et ont demand pouvoir la continuer m me apr s la fin de leur contrat Aujourd hui U a trouv du travail il veut crire un livre sur son histoire et son parcours dans le milieu de la prostitution et de la drogue pour que les gens sachent parce que les gens croient savoir beaucoup de choses mais ils ne connaissent rien Il y a aussi la violence laquelle certains menacent de recourir Que me dit H quand il me dit je ne viendrai pas au cours sinon je casse tout et Z quand il dit Si j cris a va te faire peur o A quand apr s avoir crit une seule phrase il fait une boulette de sa feuille et avec une rage tr s visible la propulse par la fen tre Que disent ils de ce lien entre criture et violence L me disait Tu sais quand toujours pendant 12 ans On te dit que tu es con et que fu ne sais rien W Qu est ce que fu veux moi quand je rentrais chez moi ils taient tellement bourr s Des fois j avais peine d pos mon cartable je recevais une canette dans la tronche comme a J avais rien fait j aurais m me pas eu le temps C Stercq dans sa r cente tude sur la fr quentation du public belge dans les centres d alphab tisation bruxellois parle de parcours marqu s par des ruptures ruptures familiales sociales scolaires D autres au
16. autres utilisent l crit sans attacher d importance au code voire en l agressant Qu est ce qui explique cette diff rence et qu est ce que cette diff rence induit Lors d un atelier d criture avec des jeunes g s de 19 25 ans nous r fl chissions leurs repr sentations de l criture P crivait J ai envie d apprendre crire sans faute de d couvrir de nouveaux horizons et V crit L criture est un droit et nous devons en profiter car des gens se sont battus pour nos droits Pour V dialogue et se comprendre sont des contraires de l crit Mais alors quel sens cela peut il avoir d apprendre l criture c Lien savoir criture Tous nous sommes remplis de savoirs multiples de savoirs transmis sans mots de savoirs familiaux de savoirs manuels de savoirs techniques de savoir vivre de savoirs intellectuels Ces savoirs profanes et l gitim s font de nous ce que nous sommes Dans ce travail c est du seul savoir intellectuel scolaire intimement li l criture dans nos soci t s qu il est question III L o difficult s d criture et violence ont l air d tre li es Les raisons de l analphab tisme de l illettrisme sont bien s r multiples et ont d j t tudi es par tant et tant d auteurs Les questions de diff rences d carts culturels entre l cole et les familles la mani re dont l cole reproduit voire accentue les diff rences sociales ont longuem
17. avoir sur eux m mes et sur le monde Un savoir qui leur permette d exister d tre en relation Un savoir construire ensemble Un savoir construire en lien avec l histoire du monde l histoire minuscule ou grandiose Peut tre que c est cela qu a per u N quand il dit crire c est rentrer dans l me de l humanit ou cela qu crit E quand il donne son texte sur l criture la forme d un homme Construire ce savoir avec les personnes concern es leur rythme notre rythme Co interpr ter Prendre le temps ensemble de dire d interroger de r fl chir d apprendre de transmettre Interpr ter ensemble Faire un travail du type de ce que certains appellent une recherche action formation ce qui a t fait par exemple dans Le croisement des savoirs ce qui s approche de ce qu en atelier d criture on appelle analyse r flexive mais qui se joue sur du beaucoup plus long terme Ceci ne rentre malheureusement pas dans le cadre de cette formation contraintes de temps n cessit d une quipe pour porter le processus etc VII L o les postures entrent en conflit Peut tre cette question est elle celle d une double position d une double appartenance formatrice en alphab tisation et tudiante en recherche anthropologique Comme formateur il s agit d accompagner un processus donc d tre symbole de s curit d ancrage de racine d affirmation que c est possible Le formateur en alphab
18. dans principes g n raux et objectifs des R gies des quartiers par le Code wallon du logement 3JP HAUTECOEUR L analphab tisme Quel sens Quelles actions Quels r sultats Dans Alpha 92 Recherches en alphab tisation Institut de l Unesco pour l ducation Hambourg Qu bec 1992 p 107 126 JP HAUTECOEUR Offre g n reuse demande bloqu e le paradoxe actuel de l alphab tisation Dans Alpha 90 Recherches en alphab tisation Gouvernement du Qu bec Minist re de l ducation Qu bec 1990 p 123 139 4JP HAUTECOEUR Offre g n reuse demande bloqu e le paradoxe actuel de l alphab tisation ibidem p 128 L asbl Lire et Ecrire consid re qu en Belgique 10 de la population adulte est analphab te ouillettr e Ma s tout le monde en fait de toute fa on alors o comme dit P dans une formule un peu en noir et blanc j cris pas parce que j ai dur formuler des phrases Ces personnes parlent aussi de l importance que cela a d tre comme on est J entends souvent un discours qui parle la fois de la honte et de la revendication pouvoir rester soi m me Ainsi D ne veut plus venir au cours parce qu elle est enceinte et fu comprends je vais tre maman et je ne sais pas crire sans faute Non a ne va pas Que me dit elle de cette honte qui la submerge et l emp che de continuer de suivre les cours Ou F l inverse qui revendique mais de toute fa on c est pas parce q
19. e des lettres qu est ce que cela change Il y a leur vie individuelle et personnelle et il y a ce qui est de l ordre du processus qui fait trace collective Peu importe qu ils s appellent Anatole Julien ou Zo qu ils soient lui toi ou moi il y a quelque chose qui nous est commun quelque chose qui va de A Z En rendant les personnes personnages de r cit est ce eux que je prot ge ou moi L invitation thique de la Clinique de concertation de ne parler des gens que comme s ils taient l cette mani re un peu r volutionnaire de travailler le social de se pr munir de l irrespect ne peut elle ne doit elle pas tre transpos e dans nos crits Il n est donc pas question de m autoriser tirer des fils qui vont l inverse de leur parole non Quelques semaines plus tard je reparle dans ce m me atelier d criture de cette difficult qui est la mienne Vous mavez dit que vos difficult s avec l crit navaient rien voir avec la violence Moi je ressens ce que vous mavez dit ce que vous avez v cu comme tr s hard tr s dur tr s violent Et V me dit que oui bien s r c tait tr s violent Et il me parle du choc terrible de l annonce de la mort de son p re par un policier qui n avait aucun tact aucun respect Son p re n tait sans doute pas un homme sans d faut non mais c tait son p re Il me parle aussi de la r action du directeur de l cole Ce sont des choses gui arrivent tout le
20. e pour penser Ecrire seul crire 2 ou 3 crire en groupe parce que les mots de l un r sonnent aussi chez l autre parce qu ils l entra nent plus loin parce qu ils ne sont pas siens et lui ouvrent ainsi une autre mani re de dire le monde Parce que chacun peut se les r approprier et les faire voyager Ecrire lire pour penser ensemble nous r volter redire notre humanit nous merveiller agir Ecrire et lire au groupe son texte sa r volte sa po sie son d lire son brouillon son essai son uvre Tous ces textes entrent alors en cho les uns avec les autres avec l exp rience silencieuse avec la Litt rature Ils ouvrent en chacun un autre possible ils lui donnent une autre lecture du monde d autres mots pour lui donner sens pour lui donner corps Ils donnent du monde une autre exp rience L criture est craquelure L criture est collective IX Conclusion En arrivant la fin de ce travail il me semble pouvoir crire que l criture et les difficult s y entrer ont un lien avec la violence Cette violence est elle celle de tous les apprentissages ou est elle sp cifique Cette question m riterait d tre approfondie Nous l avons vu la langue crite et son appropriation sont loin de n tre qu une question d apprentissage du code La focalisation de l apprentissage de l criture autour du code est interroger fortement 33 V DE GAULEJAC Les sources de la Honte op cit p 141 142 3
21. en avec leur mani re d crire Hautecoeur dans des tudes qui datent de 1990 et 1992 se demande pourquoi l on parle tant d un probl me d analphab tisme Il analyse dans les diff rents pays francophones ce que ce vocable recouvre r fl chit aux enjeux des campagnes d alphab tisation Jusque quand est on analphab te qui cela sert il N y a t il pas d analphab tes dans les milieux favoris s En tous cas on ne les rencontre pas dans les cours d alpha L analphab tisme comme la folie c est la d finition qu une soci t en donne une poque donn e Actuellement en Am rique du Nord comme de plus en plus en Europe il varie entre un adulte sur cinq et un adulte sur trois Les personnes avec lesquelles je travaille actuellement dans le cadre d ateliers d criture n ont pas de demande d apprentissage Elles disent ne pas utiliser l crit dans leur vie de tous les jours et ne pas en avoir besoin J cris jamais pourquoi j crirais Elles ont un parcours g n ralement extr mement difficile en ce qui concerne le lien l crit et au savoir Elles ne se reconnaissent pas dans le vocable d analphab te ni dans celui d illettr elles disent d elles m mes ne pas savoir lire ni crire ou avoir des difficult s en lecture et en criture ou faire des fautes 1 D finition de Igor REITZMAN cit par S B ROBERT OUVRAY dans Enfant abus enfant m dus Paris Descl e De Brouwer 2003 p 176 Tel que d fini
22. ent t trait es par de nombreux chercheurs comme Bourdieu Passeron Hirtt Grootaers Bonn ry Ces carts cette reproduction sont effectivement des violences extr mement puissantes C est ce que B me rapporte quand elle dit A l cole j tais toujours punie Je devais copier des lignes et des lignes Par exemple c taient mes fr res L cole tait sur le chemin du pointage alors eux quand ils passaient devant l cole ils faisaient aller leur carte comme a pour dire bonjour et moi a me faisait rigoler Je rigolais toujours alors j tais toujours punie Le lien entre analphab tisme et enseignement sp cialis est interrog dans plusieurs tudes et a t point derni rement lors d une r union du groupe pr vention du R seau partenarial de lutte contre l analphab tisme en Province de Namur Mais d autres jeunes sortent d un enseignement ordinaire sans pour autant ma triser l crit Rien n y fait 10 12 des l ves sortiront encore cette ann e de notre cole sans ma triser les savoirs fondamentaux Est ce l cole qui ne leur donne pas les outils suffisants a me semble trop rapide d accuser ainsi l cole ou les enseignants Les enseignants que je rencontre sont tr s en recherche et tr s soucieux de ce que chacun termine sa scolarit en sachant lire crire et calculer Mais parfois les enfants semblent tellement tiraill s en rupture tellement envahis mobilis s par leurs
23. entan ment pas acc s Je suis tr s souvent tonn e avec des adultes en alphab tisation de rencontrer ce m me type de situations o ils apprennent tr s vite font des progr s fulgurants comme si quelque chose avait d se passer pour que tout coup ils puissent remettre des liens entre tout ce qu ils savaient sans doute d j M me disait faut essayer de comprendre la personne C est dur de se dire chez moi jai mes probl mes et puis maintenant je suis l cole et mes probl mes je les mets de c t Moi personnellement si ce moment l quelqu un m aurait dit Je suis l je toblige pas parler ni guoi que ce soit ben j aurais t plus confiante en moi Parfois il y avait eu quelqu un puis cette personne disparaissait changeait de travail mourait et les liens taient nouveau coup s Parfois les interlocuteurs taient trop fragiles et les personnes en souffrance avaient peur de faire mal peur que leur mal tellement insupportable pour elles m mes fasse mal la personne qu ils commencent appr cier et qui se trouve l devant eux M C est a que j ai ressenti je voulais montrer aux gens le mal que j avais d un autre c t je voulais pas je voulais pas les atteindre avec mon mal Personne pour tre l pour entendre des mots qu on ne peut pas dire Tu sais il fallait mapprivoiser Pas parler non juste tre l On parlait pas sp cialement de mes probl mes
24. entendue s Il n y avait pas de lieu pour la dire pas de lieu ou personne pour l entendre L cole ne r pondait pas leurs questions vitales Ce vide cette absence de lien se fait sentir diff rents niveaux les supports de l apprentissage les liens milieu familial milieu scolaire une personne de r f rence ou quelqu un pour couter Depuis longtemps les chercheurs r fl chissent la difficult culturelle que repr sente l apprentissage scolaire pour certains enfants Comment cela se joue t il pour des enfants victimes de violences Pour des enfants qui toute la journ e cherchent des r ponses leurs questions existentielles des r ponses leurs angoisses ce qu ils vivent comme des questions de vie ou de mort Elles seules ont du sens leurs yeux Elles seules les mobilisent Si on n y r pond pas comment ces enfants peuvent ils entrer dans un apprentissage Mais comment faire pour y r pondre sans entrer dans leurs fantasmes et leurs exp riences de vie traumatisantes S Boimare dans L enfant et la peur d apprendre parle de l importance des th mes de l apprentissage Plus le th me est neutre et aseptis dit il plus il favorise le retour de l inqui tude et il continue Si le support doit tre chaud il ne doit jamais tre br lant Il raconte comment il utilise les contes l gendes mythes comme m diateurs culturels comme supports l apprentissage Ces textes parlent des questions
25. es cours les ateliers d criture et l cole J ai rencontr individuellement des apprenants en alphab tisation qui m ont permis d avancer sur ces questions en me faisant part de leur histoire Qu ils soient tous ici remerci s de la confiance qu ils m ont faite Je me suis aussi arr t e sur mes propres difficult s crire sur ce sujet et j ai enrichi confront tout ce mat riau quelques lectures sur le langage l criture les raisons de l analphab tisme le recours la violence et les ph nom nes de r silience Et il y a bien s r tout ce que ces mois de formation de conf rences de partage dans les groupes ont laiss comme traces en moi II L o les mots se construisent a Parler d un lien entre violence et difficult s d criture n cessite de d finir la violence Nous avons tous chacun une exp rience de la violence plus ou moins traumatisante plus ou moins m tabolis e Il y a bien s r des degr s dans la violence des violences socialement accept es voire encourag es et d autres que la soci t ne reconna t pas n cessairement comme telles un moment de son histoire mais bien un autre La reconnaissance de la violence comme acte ayant des effets toxiques pour sur l individu et ou la collectivit est toujours contextualis e Ce qui nous occupe ici n est pas de classer les actes jug s violents sur une chelle 2 qui justifierait aux yeux de qui une r action de fermeture au savoir mais de
26. inist re de l ducation Qu bec 1990 L analphab tisme Quel sens Quelles actions Quels r sultats JP HAUTECOEUR Dans Alpha 92 Recherches en alphab tisation p 109 125 Institut de l Unesco pour l ducation Hambourg Qu bec 1992 Le syndrome d auto exclusion J FURTOS dans Rhizome 9 sept 2002 p 15 sur www ch le vinatier fr orspere Etre affect Jeanne FAVRET SAADA Gradhiva n 8 1990 Etudes et notes Offre g n reuse demande bloqu e le paradoxe actuel de l alphab tisation JP HAUTECOEUR Dans Alpha 90 Recherches en alphab tisation p 123 139 Gouvernement du Qu bec Minist re de l ducation Qu bec 1990 On n est pas l pour apprendre mais pour penser ensemble O et M NEUMAYER dans Dialogue n 122 Formation Alternance ou Alternatives octobre 2006 sur http pratiques alphabetisation be content view 113 203 Retrouver le sens de l illettrisme dans son histoire personnelle une approche clinique D PADE Dans Illettrismes quels chemins vers l crit p 343 346 Guide Magnard 1997 23
27. iolent Mais crire n est ce pas aussi une mani re de traverser la violence Et ma voisine qui crit sur son parcours d exil en cho avec sa place d assistante sociale qui accompagne des personnes demandeuses d asile me dit cest tout fait a crire tout a c est trop violent Je ne peux pas a L criture violente L criture r pond elle la d finition que nous donnions de la violence Peut elle avoir pour effet de contraindre une personne penser agir ou se comporter d une certaine fa on subir une exp rience qu elle n a pas choisie Peut elle avoir pour effet de chosifier l autre de l instrumentaliser de le nier en tant que personne dot e d un statut L exp rience que l on peut avoir de l criture n est elle pas parfois de cet ordre Penser qu il faut prot ger les personnes au sujet de qui on crit suppose au minimum qu on pressente qu crire comporte une grande responsabilit voire un danger Depuis la nuit des temps nous rappelle R Barthes l criture a t l instrument du pouvoir I y a une v rit noire de l criture l criture pendant des mill naires a s par ceux qui y taient initi s peu nombreux de ceux qui n y taient pas la masse des hommes elle a t la marque de la propri t par la signature et de la distinction il y a des critures primaires vulgaires et des y 27 critures cultiv es 7 ou L criture est toujours li e de tr s
28. ire des phrases c est comme a C est cause de a Aujourd hui encore il a d normes difficult s trouver ses mots faire des phrases articuler sa pens e Faire une lettre est pour lui extr mement difficile bien qu il n ait pas le moindre probl me en orthographe Pour R non plus a n a rien voir avec la violence Moi c est le contraire mes parents me laissaient tout faire je faisais ce que je voulais Je voulais faire tel cours ou telle option c est moi qui d cidais Eux ils s en foutaient Ils ne s occupaient pas de a Pas du tout Je faisais ce que je voulais c est moi qui d cidais Y Et tu regrettes R Non enfin peut tre que je devrais dire oui je n en sais rien de toute fa on c est le pass et donc voil on s en fout C est pass c est pass Et je suis avec un sentiment tr s fort d avoir entendu des choses qui traduisent de la violence Or eux me disent Non a na rien voir Que faire avec ma perception tout en les respectant dans ce qu ils me disent de leur histoire non a na pas de lien avec la violence Je ne me sens absolument aucun droit de remettre cela en question S ils me disent que a n a pas de lien avec la violence c est que a n en a pas Peut tre un jour me diront ils l inverse peut tre pas Je ne me sens absolument pas fond e dire l inverse ni m me le penser Mais que faire alors avec ma perception Quel est ce tourbillon dans lequel
29. je suis juste bonne me suicider 1 S B ROBERT OUVRAY Enfant abus enfant m dus op cit p 141 12 JP BOUILLOUD Souffrir pour comprendre Exp rience individuelle et production intellectuelle dans E ENRIQUEZ CI HAROCHE J SPURK D sir de penser peur de penser Lyon Parangon Vs 2006 p 49 Vincent DE GAULEJAC Les sources de la honte Paris Descl e de Brouwer 1996 p 30 Op cit p 55 La violence destitue le sujet N y aurait il pas pour certains quelque chose qui aurait trait un refus d apprendre un refus de l cole un refus du code comme seule mani re possible de refuser ce qui leur arrive comme seule mani re possible d entrer en r bellion contre le monde qui les agresse tant Quelque chose qui s approche de ce que Furtos nomme un sympt me d auto exclusion V L o nos histoires entrent en r sonance Je me rends bien compte que la mani re dont ces histoires m interrogent me touchent et me mettent en r flexion a voir avec ma propre histoire avec mon rapport au savoir Petite j adorais lire je lisais beaucoup mais je ne pr tendais pas crire Plus tard je n crivais que lorsque j y tais vraiment contrainte J crivais avec 5 fautes par ligne non que je ne connaisse le code mais je le refusais comme je refusais d apprendre de dire ce que l enseignant voulait entendre d entrer dans un savoir acad mique Seule l exp rience comptait mes yeux elle seule tait digne de rec
30. le r le de tuteur peut il trahir Est ce son r le N est ce pas l apprenant qui doit faire cette d marche d autonomisation Si le formateur entame ce genre de d marche en renversant les r les ne risque t il pas de faire revivre cette violence d j subie tant et tant de fois Ecrire sur des personnes analphab tes est sans doute aussi difficile que d aller vite dans une maison de repos Peut tre s agit il l d une transgression profonde d une violence insoutenable d une mani re d tre affect assign Mon r le n est il pas plut t d accompagner les personnes qui font une d marche d alphab tisation afin qu elles puissent prendre elles m mes cette parole une parole construite avec d autres la leur Au sens o Olivier SERVAIS parlait de bricolage comme d un mot qui comprend le mot brisure et le mot collage mais auquel je voudrais ajouter le mot art 26 E HATCHUEL Savoir apprendre transmettre op cit p 54 16 VIII Violence de l criture ou crire pour traverser la violence Vendredi 24 10 valuation de ce cycle de formation Chacun pr sente en quelques mots le propos de son travail Lorsque c est mon tour j en parle peu pr s dans ces termes un travail sur le lien les liens entre difficult s d criture et violence Puis je d centre un peu ma question partir de mes propres difficult s crire sur ce sujet et interroge le lien entre criture et violence Est ce crire qui est v
31. monde tu dois te ressaisir maintenant cest bon De toute fa on de ce quartier il ne peut rien sortir de bon C est comme a me dit il que j ai d croch de l cole Et on reparle des effets des violences successives des paroles qui font mal de ce qui rompt les liens de transmission 13 Mon probl me imm diat est r solu Mais la question reste S il m avait dit non si je n avais pas eu l occasion d en reparler avec lui si qu aurais je fait Quelle est cette place nouvelle laquelle cette recherche me convie Comment vais je l occuper Qu en est il si ce que l autre dit de lui et ce que je per ois ne vont pas dans le m me sens C est sans doute cela qui est au c ur de ma question Peut tre est ce cela la violence qui emp che d avoir acc s au savoir la violence qui met l cart La violence d un discours verbal ou act sur l autre qui l enferme qui le nie qui le r duit quelqu un qui ne sait pas qui ne comprend rien de lui m me Quel sens quel pouvoir quel statut donner l interpr tation Pourquoi l individu assign interpr t disqualifi se mettrait il chercher savoir chercher le sens Il y a celui qui a plus de savoir professeur travailleur social universitaire parent qui de plus est cens prendre soin de l individu c est son m tier il fait tout ce qu il peut pour toi c est ton p re si cette personne enferme l individu dans un discours ou des
32. n discours un acte auquel sinon il ne comprendrait rien Piera Aulagnier dit m me que l interpr tation est vitale Si la m re n interpr te pas les cris de son b b celui ci risque de mourir si elle n interpr te pas le monde pour lui comment peut il s en faire une repr sentation Pourquoi alors cela me semble t il si violent dans ce contexte Ce jour l revenir vers ces jeunes avec les questions qui taient les miennes leur partager mon ressenti et les difficult s qu il me posait a visiblement permis de construire un savoir ensemble de comprendre ensemble de mettre ensemble du sens Arriv la fin de ses quelques mois de 21 P AULAGNIER La Violence de l interpr tation Du pictogramme l nonc Paris PUF 2003 14 formation P jetait un regard en arri re sur celle ci Nous reparlions du chemin parcouru entre les deux mots minuscules qu il crivait tout serr s en haut de la feuille en d but de formation et la lettre de motivation qu il venait d achever Faisant r f rence ces moments de discussion autour de mes questions il me disait Oui tout a c est cause de ce qu on discuta t l autre fois Mais maintenant a va je peux souffler un peu L exp rience v cue ne se transforme que si elle est r fl chie Tout l enjeu de mon travail quotidien consiste permettre aux personnes pr caris es illettr es de retrouver par l criture un savoir sur eux m mes de se construire un s
33. on parlait de tout et de rien elle moffrait des cadeaux d ailleurs que jai toujours C est vrai Depuis mes primaires C est pr cieux pour moi gt Il y avait eu une situation de violence d c s coups viol Quelque chose avait t fracass mais il ny avait eu rien ni personne pour r parer pour retisser des liens Il y avait eu rupture des liens de transmission Il y avait refus de l autorit Je ne supportais aucun ordre de qui que ce soit parce que dans ma t te c tait les ordres que jai recevoir c est rien que de mes parents si mes parents ils ne sont plus l ben j ai pas d ordre recevoir de personne Et la seule r ponse tait alors un silence un silence violent d une violence contre soi ou contre les autres La seule r ponse possible tait un repli sur soi Il se tait mais son silence est une fa on de mourir peu peu soi car les exc s de stimulations non mentalis s agissent comme des poisons internes M Moi jvoulais rien savoir puisque plus tu men parlais plus je m nervais Cest comme a que Jj foutais encore plus le bordel que j tais encore plus m chante envers les gens et ils le voyaient en plus Y Et quand on ten parlait pas a allait mieux M Quand on m en parlait pas a allait un peu mieux quoi J essayais quand m me de rester calme En fait j avais des p riodes o tout allait bien et j avais des p riodes o mon avis quand a allait bien le mal que j a
34. onnaissance le savoir tant pour moi li l abus de pouvoir et la violence Et pourtant je voulais savoir Mais sans doute pas apprendre ni me mettre penser Or c est la posture adopt e face au savoir qui est mancipatrice pas le savoir lui m me C est en travaillant avec une enfant dans un cadre de rem diation scolaire que j ai appris l importance du code et son utilit Une enfant qui ne savait pas lire ni crire elle avait 10 ans et son institutrice ne savait qu en faire Elle a crit avec moi un texte sur ses vacances en Turquie Un moment qui tait pour elle plein d motions positives Elle l a crit comme elle pensait dans un style infra phon tique sans aucune correction de ma part et la semaine suivante lorsqu elle a voulu le relire elle en a t incapable elle m a regard e tr s surprise de ne rien comprendre son propre texte Nous avons sur base de nos souvenirs et de mes notes refait ensemble le texte oralement elle l a r crit de mani re tout fait satisfaisante et n a plus eu de difficult s particuli res d orthographe et moi non plus Donner du sens aux apprentissages permettre de faire des liens comprendre l utilit du code Pour l apprentissage de l criture comme mani re de construire un savoir comme mani re de penser il m a fallu attendre encore quelques ann es J ai eu la chance de rencontrer des animateurs d atelier d criture qui m ont permis d exp rimenter que l
35. r une peau un contenant Se retrouver Les mots sont dit on comme les vases du potier prisonniers du vide qui les habite En les crivant nous leur donnons une silhouette nous leur donnons corps Nous donnons corps au vide qui nous habite Une des participantes un atelier d criture valuait ainsi le travail effectu Ecrire Repousser ses limites La d couverte de soi m me C est aussi apprendre se conna tre conna tre les autres La po sie la fantaisie s apprennent s expriment par notre richesse int rieure par notre r flexion notre cr ation en toute libert Se sentir capable valoris e c est l ouverture d un avenir meilleur C est prendre conscience travers nos textes que nous ne sommes pas que des petites aide m nag res mais aussi des personnes des tres humains ayant la capacit d imaginer de penser de cr er de jolies phrases c L criture r ponse collective une violence individuelle et ou collective Il s agit bien de prendre conscience travers nos textes que nous ne sommes pas que des petites aide m nag res mais aussi des personnes des tres humains De Gaulejac nous emm ne l aussi quand il nous dit que la r ponse l humiliation la violence incorpor e doit tre collective Pour sortir de cet tat d alt ration du Moi il faut retrouver 32 JP BOUILLOUD Souffrir pour comprendre Exp rience individuelle et production intellectuelle
36. ropre savoir et la litt rature Il recycle tout ce savoir qu il re oit l interpr te afin de le rendre accessible d autres personnes situ es dans d autres strates de la soci t Il rend ce savoir un droit de cit Il revendique que l on en tienne compte Son r le est de chercher comprendre et de porter plus loin il n est pas de rester ni d accompagner Il a un r le de passeur me disait Pascale Jamoulle Transmettre la parole de ceux qui n y ont jamais eu droit la porter plus loin parce qu ils ne sont pas en mesure aujourd hui de la porter eux m mes n est ce pas malgr tout une mani re de ne pas leur permettre de la porter eux m mes finalement de la leur confisquer Une constante demeure cependant la probl matique de l apprentissage et du savoir renvoie toujours aux questions de d pendance L apprentissage suppose toujours un moment une trahison une sortie de la d pendance Etre anthropologue serait ce d s lors accepter de recevoir un savoir puis pour le porter plus loin de sortir de cette d pendance qu on a install e et accepter de trahir les personnes qui nous ont transmis ce savoir Est ce cela la double question des anthropologues Br le t on toujours son terrain et Le terrain nous br le t il toujours Ces r les de passeur et de tuteur peuvent ils tre tenus par le m me individu dans les m mes groupes avec les m mes personnes dans le m me temps Celui qui joue
37. rthes rel ve que l criture est une question de lien d agencement de liaisons et de ruptures ponctuation coupure de mots de phrases lettres li es et d li es Ecrire suppose toujours un autre un lecteur Au minimum un autre soi m me l criture c est donc l change Que faire si tre en lien est dangereux Si tre en lien faire du lien faire des liens r veille des exp riences insoutenables Les personnes avec qui je travaille opposent souvent l criture la relation au dialogue la parole se comprendre Parlent elles d une diff rence entre la langue orale et la langue crite ou d une exp rience effectivement oppos e la relation M me la lettre n a pas le statut d un tour d criture elle n est pas destin e ouvrir une s rie d changes Eux pour qui parfois malgr les apparences la question du lien de la relation est primordiale comment peuvent ils alors entrer en criture Lorsqu en atelier d criture je leur ai demand une citation r elle ou imaginaire au sujet de l crit E note Je suis seul avec mon stylo comme un tox avec sa seringue Ecriture relation Ecriture violence Pour pouvoir apprendre le code de l criture la langue de l crit il faut d abord pouvoir tre entendu dans sa souffrance dans ses comp tences dans son langage dans sa langue pour petit petit m tisser celle ci avec le code afin de trouver une mani re d tre de dire et d en
38. se retrouver et de porter lui m me sa parole au dehors Une parole co construite une pens e co crite Le r le de formateur ne permet donc pas toutes les interpr tations toutes les critures il est lui aussi assign tenir son r le Il lui incombe de respecter sa place sous peine d tre lui m me acteur de violences L criture est un pouvoir Un pouvoir sur soi un pouvoir sur autrui un pouvoir sur le monde Tout pouvoir comporte un risque d abus Ce risque est d autant plus inqui tant pour des personnes qui ont t victimes de violences La responsabilit du formateur qu il soit formateur d adultes ou d enfants est d am nager un cadre suffisamment s curisant pour que ces personnes puissent petit petit se risquer l criture car si l criture est porteuse de violence elle permet aussi de la traverser L criture questionne le lien elle devient espace social Elle permet une autre pens e que la parole Les mots qui ne peuvent tre dits peuvent parfois tre crits et le silence a aussi son mot dire Mais il me faut il nous faut veiller ne pas rester enferm s dans ce silence parce que La confrontation une langue corrompue et pervertie ne conduit pourtant pas la conviction qu il y aurait quelque chose de vicieux dans le langage lui m me de sorte que la seule issue d cente r siderait dans le silence Elle conduit au contraire un acte de r sistance individuel ou collectif qui consiste l
39. st important de marquer un temps d arr t de r sider un peu Et arrive ce fameux vendredi soir Fin de semaine 17h30 un vendredi comme un autre La formation est termin e on a travaill encore un peu en sous groupe bu un verre la terrasse il est tard on rentre Je ram ne Pascale en voiture On sort de Bruxelles on a le temps de papoter un peu On discute formation Je lui parle de la difficult que j ai par rapport des questions thiques pour le travail que nous avons remettre J avais propos l un des groupes avec lesquels je travaille en atelier d criture de m aider pour cette recherche En effet qui mieux qu eux peut savoir ce qui les a amen s l Premi re partie de ce travail atelier d criture sur le th me de l criture Ecriture en rubriques 6 rubriques actes d criture contraires du mot criture souvenir li l criture engagement par rapport l criture citation mode d emploi de la feuille criture d un texte sur l criture Deuxi me partie l objet de mon travail est de chercher s il y a un lien entre difficult s d criture et violence Pouvez vous m aider l dessus Telle tait ma question Tous ils me r pondent qu ils veulent bien m aider mais que non il ny a pas de lien avec la violence vraiment non Et ils essayent pour moi de trouver ce qui dans leur vie est l origine de leurs difficult s avec l crit Et ils racontent Si aujourd hui V a des difficul
40. t s c est en lien avec le d c s de son p re Il avait 14 ans Pour son p re l cole le savoir la promotion sociale la culture c tait tr s important Il me dit avoir eu avec son p re de tr s longues discussions sur la politique l histoire la culture toutes les questions importantes de soci t Ils adoraient cela tous les deux Son p re tait son soutien Quand son p re est mort il a d croch de l cole Et s ensuivent des ann es difficiles des ann es 18 Affect au sens o l entend Jeanne FAVRET SAADA dans le double sens de travers par des affects et affect assign par le terrain assign r sidence Etre affect J FAVRET SAADA Gradhiva n 8 1990 Etudes et notes Pascale JAMOULLE responsable de la formation 11 sans beaucoup d attaches des ann es douloureuses Une esp ce d errance de laquelle il essaye de se sortir r guli rement Pour P non plus a n a rien voir avec la violence Son p re tait extr mement s v re extr mement strict tout le monde le sait dans le quartier a valse quand il n est pas content Il fallait que P ram ne de tr s tr s beaux r sultats genre 80 en 5 secondaire mais a ce n est pas possible me dit il Mais mon p re voulait a Alors moi je savais que je ne savais pas a me stressait tellement que je ne faisais pas Je ne voulais m me pas voir m me pas essayer ces travaux en fran ais Je ne pouvais pas Je n arrive pas fa
41. tendre d tre en lien Oser s approprier le savoir scolaire demande d abord que l exp rience de vie soit reconnue comme source de savoirs Dans ce travail ce n est qu en me mettant crire tout cela ce n est qu en prenant le temps d crire toutes mes difficult s que je parviens les penser Avant d crire je sens je ressens mais je suis incapable d articuler ma pens e je n arrive pas mettre mes motions suffisamment distance crire m y oblige crire me pousse r fl chir plus loin b Ecrire serait ce alors une mani re de traverser la violence La litt rature est pleine de t moignages de personnes qui ont utilis l criture pour traverser la violence qu ils avaient subie Les tags des murs de nos cit s sont pleins de cette violence qui essaye d tre dite et qui demande tre entendue Parfois elle se fait d ailleurs magnifique uvre d art La psychanalyse et la psychoth rapie savent utiliser l criture depuis bien longtemps Apr s la violence il n y a plus de retour possible une vie normale sauf peut tre Op cit p54 3 M DE FORNEL La peine crire dans D FABRE Par Ecrit Ethnologie des critures quotidiennes Paris Maison des sciences de l homme 1997 p 112 31 GROUPE DE RECHERCHE QUART MONDE UNIVERSIT Le croisement des savoirs Quand le Quart Monde et l universit pensent ensemble Paris Ed de l Atelier Ed Ouvri res Ed Quart Monde 1999 p 318 18
42. teurs comme S Wagner parlent d analphab tisme de r sistance C DUCH NE et C STERCQ Recherche action la place et la participation effective des populations d origine belge aux formations d alphab tisation en R gion bruxelloise Bruxelles Lire et Ecrire Bruxelles 2005 75 WAGNER Alphab tisation et assimilation des minorit s au Canada le cas des francophones du Canada Alpha 90 Recherches en alphab tisation du Gouvernement du Qu bec Minist re de l ducation Qu bec 1990 p 53 84 6 N y aurait il pas pour certaines personnes quelque chose qui aurait trait un emp chement d apprendre tant leur souffrance est grande Est il possible d apprendre lire et crire lorsqu on est rempli d une violence subie L intensit de la douleur fait voler en clats les capacit s contr ler m moriser se situer dans l espace et le temps Dans tous les r cits que j ai eu l occasion d entendre il est question de violence journali re ou exceptionnelle Enorm ment de gens d enfants subissent des violences qu elles soient sociales culturelles sexuelles ou familiales Ces violences aussi graves soient elles expliquent elles elles seules ce ph nom ne de d saffiliation au savoir ou l apprentissage IV L o le lien br le ou fait d faut Une des constantes du discours des personnes avec lesquelles je travaille est que leur s souffrance s n a pas n ont pas pu tre dite s ou
43. tisation a un r le de tuteur au sens que lui donne Cyrulnick quand il parle de tuteur de r silience Il est celui qui tient debout qui reste la t te hors de l eau dans la temp te des motions que suscite cet apprentissage Il est celui qui re oit la peur l agressivit la violence l espoir Il a apprendre recevoir ces manifestations parfois agressives et ou d stabilisantes m me si elles ne lui sont pas adress es en tant que personne mais bien pour ce qu il ou elle repr sente Il lui faut apprendre laisser tout ceci le traverser en restant bien 2 GROUPE DE RECHERCHE QUART MONDE UNIVERSIT Le croisement des savoirs Quand le Quart Monde et l universit pensent ensemble Paris Ed de l Atelier Ed Ouvri res Ed Quart Monde 1999 p 295 23 GROUPE DE RECHERCHE QUART MONDE UNIVERSIT Le croisement des savoirs Quand le Quart Monde et l universit pensent ensemble Op cit 24 E HATCHUEL Savoir apprendre transmettre op cit p 124 15 ancr dans son travail sur la langue en permettant l autre de se l approprier C est bien cela le bricol art du formateur Est ce compatible avec la posture du chercheur anthropologue Toutes ces semaines de formation me donnent voir l anthropologue comme quelqu un qui atteste du savoir des individus autres non reconnus trangers en situation pr caire Il recherche ce savoir qui lui est partiellement tranger le confronte ou le met en lien avec son p
44. tructures de remise au travail art 60 au CPAS co cantonniers la ville r gie de quartier soci t de titres services Ces cours n ont pas bonne presse au sein de l asbl aucun b n vole ne veut les donner ni aucune de mes coll gues La raison est sans doute chercher dans le public qui y participe Ces personnes ne sont en g n ral pas demandeuses de ces cours et le manifestent clairement Elles sont majoritairement belges g es de 18 55 ans et ont la plupart du temps une formation primaire ou secondaire inf rieure Pourrais je aller jusqu dire que ces adultes comme ces enfants sont mis la marge tant de l institution scolaire que du centre d alphab tisation Ces adultes auraient ils eux aussi souffert de violence Y aurait il un lien avec leur pr sence au cours d alpha Y aurait il un lien entre difficult s de lecture d criture et violence Que peut on dire de ce lien Comment s articule t il Au del de tous ces parcours individuels tellement personnels et intimes y a t il trace de quelque chose qui d passe l individu et sa mani re toujours unique de traverser ses difficult s quelque chose qui fait sens et donne un poids collectif ces trajets particuliers Pour travailler cette question j ai longuement discut avec les participants aux ateliers d criture et je les ai invit s crire sur ce sujet J ai galement pris des notes sur ce qui se disait ou se vivait au jour le jour dans l
45. u ils ne viendront pas Ils y sont oblig s mais pourquoi viendraient ils ce n est pas pour a qu ils ont t engag s art 60 5 S BOIMARE L enfant et la peur d apprendre Paris Dunod 2004 p 5 R gie de quartier formation entretiens des espaces verts et de toute fa on ils n utilisent jamais l crit dans leur vie quotidienne alors quor a sert Je pense O et X qui me disaient de toute fa on a sert rien on en a rien foutre On a jamais r ussi apprendre alors c est pas aujourd hui que a va commencer De toute fa on a ne sert rien Nous avons eux et moi n goci un contrat Vous venez trois fois et vous jouez le jeu pendant ces trois cours Apr s trois cours on value et si vous dites que a ne vous sert rien je m engage aller voir votre assistante sociale et lui dire qu on arr te les cours parce que a ne vous apprend rien Apr s ces trois cours j ai voulu faire une valuation Oui oui a va on continue sur un air de c est bon on ne va quand m me pas te dire qu on appr cie non plus Ils ont t tr s assidus pendant les quelques mois qu a dur la formation Ensuite ils ne sont jamais revenus au cours mais sont venus dire bonjour l une ou l autre fois Il y a C aussi qui ne veut pas non plus entendre parler de cours mais qui vient chaque fois et est tr s soutenant pour le groupe U et J qui se d brouillent mieux avec la langue crite m
46. u on est ministre quon est plus intelligent Tu les as vus Moi jaime autant tre comme je suis Quand les gens ils savent ils deviennent tous des cons Ces mots recouvrent des r alit s extr mement diff rentes qu y a t il de commun entre G et S qui ont des grosses difficult s d criture mais face auxquelles ils ont des attitudes si diff rentes S crit des paroles de rap ainsi que des po mes et revendique que l orthographe n a pas d importance De toute fa on on s en fout et G dit d elle m me mo je ne sais pas tout a je ne sais pas penser Dans ma famille personne ne sait lire et crire alors fu sais moi tout a je ne l ai pas appris je ne sais pas C est pour a que dans un groupe je ne parle jamais J ai pas appris tout a I me demande d crire sa place parce que toi fu es intelligente toi tes pas comme nous autres Ah bon et pourquoi Parce que toi tu sais Comme s il existait un lien entre intelligence et savoir un quelque chose qui leur chapperait et qui interdirait la pens e Pens e sur eux m mes pens e sur le monde Comme si ne pas avoir acc s l crit d poss dait de ce savoir sur soi de ce savoir sur le monde L apprentissage de l criture aurait donc quelque chose voir avec un droit retrouver une pens e un savoir et un pouvoir sur soi m me et sur sa vie Comment se fait il que ce savoir ce pouvoir leur ait t enlev Comment se fait il que d
47. uoi Quelle serait ma l gitimit V P et R me parlent d une part de leur histoire et moi j en conclurais que je sais mieux qu eux ce qu il faut en penser Quel serait ce savoir sur leur vie que je poss de et qu ils ne poss dent pas Ne s agirait il pas plut t d un questionnement que d un savoir Ce questionnement ne doit il pas d abord leur revenir Ecrire ce questionnement sans lui donner un statut de savoir J essaye d imaginer la situation o quelqu un viendrait m interroger par exemple sur le choix des sujets des travaux de fin de cycle de ce type de formation Il avancerait une hypoth se hypoth se que je r futerais Quelque temps plus tard je lirais qu il conclut l existence de ce lien Il dirait que certains ne voient pas ce lien ou ne le per oivent pas mais que pour lui c est clair ce lien existe C est la violence qui me serait faite que je ressens Je me refuse donc faire cela En anthropologie il ne s agit pas de faire des liens individuels mais de tirer des fils collectifs de toutes ces histoires individuelles C est pourquoi on parle d anonymiser les r cits de faire en sorte que les personnes deviennent personnages du r cit qu ils ne s y retrouvent pas comme tels Anonymiser les r cits pour prot ger les personnes De quoi faut il les prot ger Si mon crit les met en danger puis je l crire Cacher leur visage est ce suffisant Changer leur pr nom pourquoi Si je n utilise qu
48. utter contre l inhumanit du langage par les moyens du langage Pouvoir et contrepouvoir disions nous Peut tre est ce la r gle secr te de toute criture la communication passe par un envers S8GROUPE DE RECHERCHE QUART MONDE UNIVERSIT Le croisement des savoirs Quand le Quart Monde et l universit pensent ensemble op cit p 333 39 DEWITTE Le pouvoir de la langue et la libert de l esprit Essai sur la r sistance au langage totalitaire Paris Michalon 2007 p 118 R BARTHES Plaisir du texte pr c d de Variations sur l criture op cit p 77 21 Bibliographie Recherche action la place et la participation effective des populations d origine belge aux formations d albphab tisation en R gion bruxelloise Charles DUCHENE et Catherine STERCQ Bruxelles Lire et Ecrire Bruxelles 2005 Animer un atelier d criture Faire de l criture un bien partag O et M NEUMAYER Issy les Moulineaux Cedex ESF 2003 Clinigue de l infortune La psychoth rapie l preuve de la d tresse sociale E HERMANT Paris Seuil 2004 Comprendre l chec scolaire BONN RY Paris La Dispute 2007 D sir de penser peur de penser sous la direction de E ENRIQUEZ CI HAROCHE J SPURK Lyon Parangon Vs 2006 Ecole et R silience sous la direction de B CYRULNIK et JP POURTOIS Paris Odile Jacob 2007 Ecrire l exp rience Vers la reconnaissance des pratiques professionnelles M CIFALI et A ANDRE Paris
49. vais au fond de moi j le gardais je me for ais le garder pendant x temps et puis un moment a explosa t et tout va mal et a a toujours t comme a une p riode a va une p riode a va pas une p riode a va une p riode a va pas Ce n est pas une simple difficult de parole c est une impossibilit de langage il n y a pas de mots pour dire ce drame la langue elle m me est muette Cette disparition de la langue est la mesure de sa souffrance et de sa force toujours l uvre elle traduit son c t surhumain chapper la langue c est chapper la condition d homme elle t moigne aussi d une quasi impossibilit de penser puisque les mots se d robent ici l on est contraint au silence et la solitude face cette douleur qui n a pas d espace social pour s exprimer Lorsque l identit profonde de l individu est alt r e chaque nouvelle raison d avoir honte r active les hontes anciennes Il y a un effet de r sonance comme dans une chambre d cho L auteur ajoute plus loin chaque tape le sentiment de honte envahit un peu plus profond ment la psych jusqu ce qu il lui colle la peau K Moi jai toujours pens que c tait de ma faute Y De ta faute Comment a de ta faute C est de ta faute si tes fr res t ont viol e et si ton p re veut t envoyer bosser dans un bordel K Oui j ai toujours pens a Peut tre il a raison je ne vaux rien
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