Colloque de Cerisy
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1. r ver un instant sur cette v n rable parabole juive et tenter d en trouver le mode d emploi cette maison aux pi ces multiples qui sert d signer l Ecriture comme si l Ecriture n tait que le produit visible d une architecture reposant sur la juxtaposition ordonn e d un certain nombre de pi ces ces cl s myst rieusement chang es par quel malin g nie enfin toute cette m taphore immo bili re nous rappelle quelque chose et ce jeu avec des pi ces et des cl s ressemble trangement d autres jeux auxquels Perec nous a habitu s D e plus propos de cl on ne peut manquer d voquer l un des plus anciens souvenirs racont s dans W et dont l nonc le plus simple serait mon p re rentre de son travail il me donne une cl L on pourrait dire en somme pour paraphraser notre texte de d part qu un cho peine affadi des pr occupations vertigineuses d Orig ne et de ses pr d cesseurs juifs en mati re d ex g se semble bien r sonner encore au c ur m me de l criture de Perec Et nous serions ainsi dans le vif de notre sujet II ne nous resterait plus qu chercher d autres paraboles juives susceptibles d tre envisag es comme des plagiats par anticipation d uvres de Georges Perec M ais que l on se rassure ce n est pas dans cette direction l que pour l instant je me propose d aller Je me contenterai de prendre la parabole rabbi2. serv sur le r le d volu toutes ces cl s c est qu elles me paraissent soulever autant de difficult s qu elles proposent de solutions Et la principale de ces difficult s tient en fait aux deux constatations suivantes d une part chaque inventeur de cl se presse d ri ger la sienne en passe partout quitte forcer un peu certaines serrures qui ont le mauvais go t de r sister d autre part les informations que chacun croit trouver dans telle ou telle suggestion perecquienne sont d un usage d licat car Perec ne dit que ce qu il a envie de dire dans le cadre d un projet d criture dont la com plexit et les ramifications commencent seulement appara tre Rien n oblige donc le croire toujours sur parole La direction qu il indique notre il dans tel ou tel cas peut tout aussi bien n tre qu un leurre un moyen de d tourner le regard et il faut toujours beau coup de prudence avec cet expert en trompe l il ce sp cialiste de la double couverture On aura donc compris quoi vise ce trop long pr ambule Principalement viter quelques malentendus Au moins deux L un sur l objet m me de ces pages le th me de la jud it chez Georges Perec n est pas un th me facile avoir choisi d en parler ne signifie nullement mes yeux que tout Perec doive se r duire ce th me l La cl juive pour importante qu elle soit dans le d clenche ment de l criture perecquienne
3. ainsi que dans ce que devrait tre le d veloppement ult rieur de son uvre ne suffit pas ouvrir toutes les portes L autre sur l usage qui est fait des d clarations de Perec sur la question les rapports de Georges Perec avec sa juda t qui sont pass s on va le voir par des phases altern es d opacit et de transparence sont si complexes que quelle que soit sa bonne foi ou ce que Harry M athews a appel l intensit et la candeur rare qui manent de ses crits ce qu il en dit lui m me n est pas n cessairement le dernier mot sur la question on pourra par exemple constater que certaines des traces ou des affleurements les plus vidents d un substrat juif chez lui ne sont pas toujours l o il les aurait lui m me localis s Un mot encore sur la terminologie ici employ e j entends par jud it le fait d tre juif jud it objective ou la mani re de l tre jud it subjective j entends par juda sme non seulement la religion mais aussi l ensemble des valeurs et de la culture juives Ces pr cautions prises et l on voit qu elles ne sont pas de pure forme on peut aborder plus directement le probl me PEREC ET LE JUDA SME UN CONSTAT DE CARENCE On pourrait commencer par une tentative d inven taire des allusions directes ou indirectes aux juifs ou au juda sme figurant dans l uvre de Georges Perec Voici l essentiel de ce que l on pourrait rep rer quelques porte
4. CAHIERS GEORGES PEREC Colloque de C erisy juillet 1984 P O L 33 rue Saint Andr des Arts Paris 6e PEREC ET LA JUD IT par M arcel B nabou Pr ambule On se souvient sans doute de la page qui sert d ouverture l Histoire du lipogramme Elle commence avec une vocation du Zohar et de Rabbi Sim on puis de la Cabbale et des trois principales directions de l ex g se des cabbalistes Gematria N otarikon Temourah Et ce majestueux exercice d rudition emprunt Gershom Scholem s ach ve sur une pirouette un cho consid rablement affadi de ces pr occupations vertigineuses me semble r sonner encore propos du lipogramme Je me permettrai de prendre cette d marche pour mod le et puisque Perec a jug n cessaire de faire un d tour par la Cabbale et le Zohar pour aboutir au lipogramme je me sens autoris faire un d tour par Orig ne et l ex g se biblique pour aborder Perec Orig ne donc le ma tre de la th ologie chr tienne au d but du si cle rapporte dans ses Commentaires aux psaumes de David une int ressante parabole emprunt e un savant h bra que Les critures saintes aurait dit ce savant ressemblent une grande maison avec beaucoup de pi ces devant chaque pi ce se trouve une cl mais ce n est pas la bonne les cl s de toutes les pi ces ont t chang es et il faut trouver pour chaque pi ce la cl qui l ouvrira On peut s autoriser
5. es T h nardier ou les illustrations du Petit Poucet et ses fr res alors que les informations sur L ubar tow et sa population moiti compos e de juifs peuvent ais ment se trouver dans la J ewish Encyclopedy Au fond si Georges Perec ne parle pas plus fr quemment des juifs n voque pas avec un peu plus de comp tence le juda sme dans son existence historique concr te c est sans doute qu il n a rien en dire Ce qui le retient para t bien tre un mouvement naturel de recul d h sitation face un domaine avec lequel il n entretient plus aucune familiarit N ous sommes vi demment avec lui aux antipodes de toute une litt ra ture juive de l apr s guerre de tous ces crivains am ricains ou fran ais chez qui l exp rience juive sous les formes les plus diverses est constamment et massive ment pr sente jusqu constituer parfois le th me unique de toute une uvre de toute une vie Un Elie Wiesel par exemple a b ti sa vie et son uvre autour de sa fonction de t moin de l H olocauste
6. nique dans son sens le plus obvie pour l appliquer telle quelle l criture de Perec qui semble comme l E cri ture sainte poser un probl me de cl s La diversit des lectures et des ex g ses propos es en est la preuve En fait de cl s on a eu droit depuis vingt ans tout un trousseau la cl sociologique la plus ancienne qui s tait un peu rouill e depuis les Choses mais qui a pu reprendre du service l occasion de telle ou telle publi cation plus r cente la cl autobiographique la cl ouli pienne la cl juive la cl m tatextuelle Tout un clique tis donc de cl s h t roclites propres rebuter l aspirant ex g te Loin de moi l id e pourtant de refuser en bloc ces interpr tations elles sont d autant moins r cusables qu elles correspondent le plus souvent des indications de Perec lui m me qui ne d teste pas sugg rer son lecteur un protocole de lecture un mode d emploi Qu on se souvienne de la phrase qui sert d exergue au Pr ambule de la Vie mode d emploi L il suit les che mins qui lui ont t m nag s dans l uvre Cette for mule de K lee est videmment une formule cl que Perec semble avoir appliqu e chacun de ses livres car pour chacun de ses livres il a par le biais d un sous titre d un pri re d ins rer d un avant propos d un pr ambule ou d une postface pris la peine de m nager un chemin pour l il de son lecteur Si je reste pourtant r
7. ris est l accumulation voire la saturation il y a l un souci de la litote qui m rite d tre relev On se souviendra qu une remarque du m me ordre avait t faite propos de K afka qui sur ce point avait pouss plus loin encore la discr tion puisque le mot juif n appara t nulle part dans ses uvres On doit bien s r s interroger sur cette absence qui semble relever de la gageure Chez K afka la discr tion sur le juda sme coexiste avec une profonde connaissance de la culture juive et une extraordinaire ouverture aux divers courants qui animent le monde juif de son temps le Journal en apporte quasi quotidiennement la preuve Chez Perec au contraire elle ne peut appara tre de prime abord et avant toute analyse que comme le pro longement naturel d une certaine ignorance un d faut d ducation juive initiale corrobor ensuite par un solide fond d indiff rence et d incuriosit Perec ne sait presque rien du juda sme ni comme religion ni comme culture il ne conna t pas le yiddish ni l h breu et hor mis l pisode de la guerre il ne manifeste pas un int r t particulier pour quelque p riode que ce soit de ce que l on peut appeler l histoire juive se contentant par exemple lorsqu il tente d imaginer l enfance de sa m re Lubartow d une fantasmagorie toute litt raire b tie autour du souvenir de quelques lectures enfantines la Petite M archande d allumettes d Andersen l pisode de Cosette chez l
8. urs d invisibles toiles dans Un homme qui dort un Juif munichois fuyant l Anschluss dans la D ispa rition la r f rence au Zohar et la Cabbale dans H istoire du lipogramme divers r ves o la jud it appara t en liaison avec des probl mes de police arrestation d nonciation camp dans la Boutique obscure les pages d sormais fameuses sur l enfance et la famille dans la partie autobiographique de W le long d veloppement sur le rapport particulier Ellis Island comme lieu de l exil et les entretiens avec divers immigrants d origine juive dans les R cits d E Ilis Island la r f rence au Golem qui figure aussi dans Ellis Island enfin dans le microcosme grouillant de la Vie mode d emploi deux personnages sont d sign s explicitement comme juifs l ethnologue M arcel Appeuzzel et Cinoc qui exerce la profession de tueur de mots cela il faut bien entendu ajouter les r ponses quelques interviews surtout celles de Jean M arie Le Sidaner dans L Arc et Ewa Pawlikowska dans Litt ratures Le moins qu on puisse dire c est que hormis les cas particuliers des confessions que sont certains passages de W et d Ellis Island dans la fiction perecquienne propre ment dite la r f rence juive le th me juif ne prolif rent pas et l on ne se sent gu re encourag apr s un si maigre bilan mettre ce th me au centre de l uvre Pour un auteur dont l un des proc d s favo
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