ENTRETIEN AVEC LE PEINTRE JOЁL BARBEDETTE Gwenaël
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1. On vit de fa on courante entre un pass et un avenir entre une m moire et un projet On est rarement libre dans l instant C est une question qui m int resse beaucoup L on passe de l autre c t du r el tel qu il nous est donn chaque jour On va au c ur de l espace au del de tous les caract res qu on utilise pour s exprimer Les formes les couleurs sont des caract res de l espace des divisions de la lumi re Essayer de tendre vers la fin de ces divisions Ne plus tre s par On vit s par du monde On vit dans la division en quelque sorte Et par la peinture j aimerais me rapprocher de ce moment o on est livr au grand espace Il ne faut pas abuser des citations mais il y en a une que j aime bien de Ren Char qui dit En disparaissant nous rejoignons ce qui tait avant que la terre et les astres soient constitu s c est dire l espace L espace que nous sommes dans toute sa d pense Nous rejoignons le jour a rien et son all gresse noire Cela d finit le lieu o je travaille Le grand espace J ai t tr s content de d couvrir a chez Ren Char J voque un peu la grande lumi re Ce n est pas une lumi re sous les toiles ou sous le soleil c est une lumi re qui est la base au fondement de tout ce qu il nous est donn de voir J voquais la question parce qu en fouillant dans les toiles de ton atelier je me rendais compte qu il y avait des th mes que tu avais pours2. advaita vedenta 16 GK Revenons la peinture et ton mode de travail puisque les th mes prennent plusieurs ann es se d velopper la question que je me posais tait de comment tu sais qu une peinture est finie JB On finit par le savoir quand m me mais apr s avoir err longtemps parfois des ann es sur la m me GK JB GK JB GK JB GK toile Il est arriv Vieira da Silva de travailler pendant sept ans sur la m me toile qu elle a titr uvre impossible ou mission impossible et je comprends tr s bien ce type de d marche Parce que tu vis avec tes tableaux et que tu les regardes pendant tr s longtemps Je regardais tes travaux avec toi hier tu me disais vouloir en retravailler certains donc il y a un besoin de vivre avec le tableau et de continuer travailler dessus pendant pas mal de temps Il y a une incertitude un doute qui d finit le rapport qu on a avec ses propres tableaux A partir du moment o le doute n existe plus dans les peintures l huile on en est lib r et elles ne nous appartiennent plus on ne s en occupe plus mais autrement elles sollicitent toujours un service J ai lu quelque part que Bonnard venait avec sa palette et ses pinceaux dans les expositions de mus es finir mettre les derni res touches ses toiles Je comprends a tr s bien En se cachant du gardien c tait au mus e de Grenoble Cela n e
3. sence revienne dans le grand espace et il faut se d brouiller pour a un peu comme un musicien qui a une partition et qui l interpr te GK Et c est a qui prend du temps JB Oui a prend du temps mais ce sont les conditions de ce travail On joue avec le temps mais on est dans l instant quand on travaille en tout petit Cela se passe toujours l int rieur d une minute GK JB GK JB GK JB GK Parlons maintenant de la couleur apr s avoir parl du format Cela fait maintenant quarante ans que tu travailles avec seulement trois couleurs le rouge le noir le blanc L impression que j en retire apr s en avoir parl avec toi pendant pas mal d ann es c est que le blanc et le noir sont des donn es c est la lumi re et l ombre et que la couleur c est le rouge Tu n as pas besoin des autres couleurs le rouge repr sente toutes les couleurs Oui Mais le blanc et le noir sont aussi des couleurs Je dirai que le rouge est une couleur singuli re plus que le blanc et le noir qui tiennent justement la grande lumi re ou la grande obscurit Le rouge c est le choix du feu du sang de beaucoup d nergie en fin de compte C est une couleur qu on voit de tr s loin une couleur tr s forte Et tu n as pas une pr f rence ce sont tous les rouges J ai vu dans certaines toiles qu on passe du rouille l orange presque avec toute la gamme entre deux du violet de la
4. Est ce que c est quelque chose qui rentre en compte Oui bien sur une tension interne Cela commande toute composition Comment s tablie telle C est selon une tension interne Sans cela il n y a pas de pr sence je pense 11 GK JB GK JB GK Est ce que tu attends du spectateur la m me r ponse que Rothko par exemple qui lui avait quasiment donn un mode d emploi lui sugg rant de se rapprocher de la toile au risque de se sentir mu pleurer Est ce que tu souhaites que le spectateur ait le m me rapport ta peinture Le spectateur est libre Une fois qu une toile est finie elle ne m appartient plus elle appartient celui qui la regarde Libre jeu On rentre dans un grand jeu dans lequel on est plus du tout le ma tre et les interpr tations de chacun m tonneront toujours videment C est le prestige d une image que d tre toujours r interpr t e Passons maintenant ce dont nous parlions avant cet entretien et au fait qui me semble prendre de plus en plus d importance au fur et mesure que je te parle de la r sistance dans ton uvre titrer et dater les toiles C est m me sans r sistance si tu veux je n y attache aucune importance Je suis comme un trou dans l histoire Ce n est pas compl tement vrai parce que l histoire nous accompagne et nous entoure mais j essaie de me rapprocher de l instant le plus possible et c est tellement difficile
5. chez Fautrier Il y a une fronti re ne pas d passer Fautrier savait tr s bien qu il tait excellent dans les petits formats Mais par contre il est tr s int ressant que Sam Francis se d veloppe en grand parce que lui il peut le faire Et Rothko malgr tout reste proportionn au corps je trouve il enveloppe le corps humain mais il reste proportionn au corps On n imagine pas un Rothko se r pandant la taille du mur A la limite je verrai mieux l expansion chez De Kooning par exemple mais pas du tout chez Bram Chez Bram un moment donn il ne faut pas qu il aille plus loin Quand tu commences un petit format est ce que tu sais d j si cela va se d velopper en grand ou est ce que la taille finale de ce th me est quelque chose qui se pr cise au fur et mesure que tu travailles D j dans le petit format on a parfois le sentiment du monumental Non je n ai pas de projet la chose m est donn e en quelque sorte J aime bien travailler en tout petit format dans le creux de la main parce qu on livre beaucoup d inconscient de cette fa on J aurais du mal attaquer un grand format directement L espace parcourir pour tracer une diagonale avec un pinceau sur un grand format par exemple j ai l impression de perdre de l nergie en allant d un angle l autre Tandis que dans un tout petit format toute l nergie est concentr e dans quelques centim tres carr s Il y a une densit qui harmo
6. militaire Oui sans doute Au tout d but quand j tais Paris de 1966 68 j ai furet pas mal dans les galeries dans les librairies J ai toujours beaucoup aim les bouquins M me quand j tais aux beaux arts je passais beaucoup de temps la biblioth que Est ce qu on peut dire que Bram et Rothko ont eu dans l articulation de ta d marche le m me poids que Rembrandt et de La Tour JB C est difficile Est ce qu on peut dire que je m lange Je vais de l un l autre sans trop essayer de comprendre sans trop analyser je vais d un choc l autre je fonctionne sur des moments d intensit Chez chacun de ces peintres ce n est pas l ensemble de l uvre c est seulement quelques tableaux qui me retiennent Chez De la Tour j ai besoin de cinq ou six tableaux des nocturnes et chez Rembrandt entre dix et vingt que je fr quente tout fait r guli rement C est un arri re pays n cessaire Chez ces peintres il y a une grande richesse Je ne dis pas que dans la p riode moderne on appauvrit les choses mais malgr tout cela devient tr s simplifi La d finition que je retiendrai de l abstraction celle que je comprends le mieux serait celle partir des notions communes chez Spinoza C est dire qu on est dans la vie dans la succession des ph nom nes et on prend tout on est m l tout Les notions communes expriment notre pouvoir d tre affect et s expliquent par notr
7. ENTRETIEN AVEC LE PEINTRE JO L BARBEDETTE Gwena l Kerlidou Jo l Barbedette hiver 2012 Gwena l Kerlidou Commen ons par un peu de chronologie pour essayer de te situer dans le temps En quelle ann e es tu n Jo l Barbedette En 1943 GK Tu as fait des tudes l cole des beaux arts de Rennes JB Et de Paris GK Entre les ann es JB Entre 1962 et 68 GK Quand tu arrives Paris tu es d j dipl m en Peinture de l cole de Rennes JB Oui mais c est dire que c est un dipl me national GK Et cette poque tu fais encore de la peinture figurative Que vois tu alors Paris que tu ne voyais pas Rennes JB Jai eu des chocs visuels avant d arriver Paris gr ce aux revues d art et l art abstrait m a donn une norme motion d j en Bretagne C est une toile de Serge Poliakoff qui m a convaincu de prendre ce chemin et il m a fallu attendre pour le prendre GK Cette piphanie devant la toile de Poliakoff a eu lieu quand tu tais encore tudiant Rennes JB En fait j tais encore au coll ge c tait m me avant les beaux arts c tait en 62 GK Je ne connais pas ton travail figuratif du tout JB C taient des rues sous la neige avec des ciels rouges des clowns le monde des saltimbanques et des paysages industriels des canaux du nord des banlieues un peu tristes GK Reste t il encore de ces toiles l JB Non quasiment p
8. as Jo l Barbedette ca 1968 Jeune fille pensive 35 x 27 cm huile sur toile GK Alors quand tu arrives Paris tu fais encore ce travail figuratif l JB Oui quand j arrive Paris je quitte la mer et je fais une s rie d encres qui repr sentent la mer la mer sans bateaux sans rivage les vagues le mouvement des vagues J avais besoin d avoir la mer aupr s de moi et donc j ai du la produire rire Cette s rie l je l ai toujours 2 GK Comment s op re alors le passage l abstraction JB D j j tais tr s attir Paris par les pans de murs qui laissent appara tre les traces de chemin es de grandes verticales noires J en ai pris beaucoup de photos et un certain moment j ai rencontr Poliakoff et malheureusement je n avais que a lui montrer Il y avait le rythme de ces grandes verticales noires mais aussi un morceau de ciel qui apparaissait toujours dans un coin J tais attir par des rythmes mais ce n tait pas compl tement abstrait J tais encore dans une sorte de paysage Poliakoff m avait donn des adresses de galeries o aller de sa part dont Dina Vierny mais Je n y suis jamais all Je n tais pas pr t du tout je me sentais incapable de pr senter mon travail GK Je ne savais pas que tu avais rencontr Poliakoff JB Il trainait beaucoup St Germain et je lui avais demand si je pouvais lui montrer mon travail Il m avait donn rendez vous au
9. aussi dans la t te entre les tableaux JB Oui c est une certaine fa on de regarder quand on porte son regard devant les choses parfois on a l impression de peindre je pense GK Tu aboutis alors aux formes que tu utilises toujours aujourd hui et ce choix color du noir du blanc et du rouge JB Oui ce sont les peintres du dix septi me si cle de La Tour et Rembrandt qui m ont donn cette palette l et je l ai trouv suffisante parce que c est un rapport tr s fort que l on peut prendre en charge GK Et cette transition s est pass e sur combien de temps JB C est au retour du service militaire Jai commenc n utiliser que cette palette lorsque j habitais rue de Varennes Cela m est apparu suffisant et quand j ai voulu aborder d autres couleurs comme le bleu par exemple je ne savais pas comment m y prendre et finalement c est peut tre le noir qui remplace le bleu ou le blanc ventuellement Pour moi c est largement suffisant GK Selon mes souvenirs personnels c est en t 1971 ou 72 que j avais pass un mois dans ton appartement rue de Varennes D j ton travail cette poque tait orient exclusivement vers le rouge le noir et le blanc Donc pour continuer rapidement avec la question des influences en dehors de ton rapport l histoire de l art comment se passait l poque ton rapport l abstraction contemporaine Quels taient les peintres q
10. dicible tu ne crois pas C est a qui nous tient le plus peut tre Oui absolument Comme je pense que la libert la plus grande qualit on ne peut pas la connaitre on n est pas libre on est pris de tout c t Quand on se pr te l exercice de la peinture par exemple eh bienil y a toute l histoire de l art Je pense que l on peint parce que l on a vu des tableaux pas parce que le paysage est beau ou la figure intrigante Finalement on est tr s conditionn GK Est ce qu on ne peint pas pour voir justement ce que l on ne voit pas pour voir ce que personne d autre ne nous a donn voir JB Exactement 18 Jo l Barbedette huile sur toile Chambon le 26 12 12 Jo l Barbedette est un peintre abstrait fran ais r sidant en Touraine Gwena l Kerlidou est un peintre abstrait fran ais r sidant New York Cr dit photographique Gwena l Kerlidou Caf des Deux Magots boulevard Saint Germain Paris Un caf tr s fr quent des artistes l poque N Librairie La hune librairie l gendaire fond e en 1944 boulevard Saint Germain c t du caf des Deux Magots Une correspondance dialogue pistolaire entre Jo l Barbedette et Catherine Baker Paris 2001 iv Ibid 19
11. e puissance de comprendre Il y a id e abstraite quand nous choisissons un l ment et le pr f rons tous les autres L id e abstraite c est un choix on se retire de l ensemble des ph nom nes on en choisit un et je pense que a d finit tr s bien les d marches des peintres abstraits Ils choisissent un l ment c est l orthogonal ou le rectangle chez Mondrian ou ces coulures avec un V chez Bram van Velde ou ces formes angulaires chez Poliakoff qui deviennent l id e de base Voil comment je comprends la chose GK Avec l introduction de Rothko dans notre discussion je voulais te demander quel tait ton rapport aux expressionnistes abstraits am ricains parce qu on sent dans ton travail des affinit s peut tre indirectes mais suffisantes pour qu on se pose la question de ta connaissance de leur uvre surtout avec l id e de sublime telle qu elle fut articul e par Rothko Gottlieb ou Newman On a l impression que dans l appareil esth tique que tu as mis au point pour ton travail quelque chose de proche du sublime entre en jeu J ai compris par la suite que tu ne connaissais pas leur uvre au d part ou plut t que tu avais d j lanc ton projet esth tique quand tu les as d couverts ou que a s est pass au m me moment Est ce que tu crois que cela a eu de l importance sur ton projet artistique JB Enorme oui parce que les am ricains nous aidaient sortir de la peinture bourgeoi
12. nise l ensemble des gestes et qui n existe pas dans le grand format mais a d pend de la composition au d part II y a des compositions qui se pr tent tre agrandies et d autres pas Tout a ne se ma trise pas c est donn en quelque sorte Jo l Barbedette aquarelle sur papier 2011 GK Ce qui est int ressant chez toi par rapport l Action Painting c est que le geste de l action est tr s intime et quand on passe au grand format ce dont on parlait hier au sujet du passage du lavis la peinture l huile ce n est plus de l action a devient de la m ditation et la peinture l huile qui est une technique lente ralentit le geste JB et se pr te la m ditation oui a c est sur GK et donc ces toiles que tu d veloppes en grand format l huile prennent des ann es m rir JB trouver leur stabilit mais la forme est d j d finie elle est tablie d s l origine Il faut qu elle s installe dans l espace et l il y a un rapport au corps humain l espace qui me s pare du tableau aussi qui est un espace vivant c est certain la vie d pend beaucoup de l espace donn Une chose peut tre vivante dans une toute petite dimension et si on la d veloppe beaucoup il y a une partie de vie et d nergie qui se perd Donc les grands formats sont interpr ter d une certaine fa on ce n est pas un agrandissement rigoureux il faut que la pr
13. r calmer le mouvement Et puisqu il n y a pas d volution on a aussi l impression en regardant la succession de tes toiles dans leur ordre ou d sordre que depuis quarante ans tout a la m me qualit dans ta d marche c est dire qu elles sont toutes sorties au m me niveau qualitatif qu il n y a pas d volution d avant ou d apr s Il y en a quand m me Il y a maintenant des toiles que je ne pouvais pas faire il y a dix ans Par exemple dans les petites toiles rouges 14 JB GK JB GK JB Jo l Barbedette 3 peintures sur papier 2011 Il y a une nettet du geste Je vise une ind termination mais en m me temps le chemin pour y aller lui est d termin II faut de la pr cision a aide donner la forme Il faut qu il soit pr cis dans le temps et dans l espace L o je voulais en venir et tu me diras ce que tu en penses c est que j ai l impression devant ton travail que ton rapport la peinture ton esth tique tes moyens sont plus de l ordre de la r v lation que de l volution puisqu on a limin l volution comme facteur important Est ce vraiment dans ces termes l qu il faut poser la question Le mot que tu utilises l r v lation oui je l accepte il n est pas trop fort Parce que nous sommes dans une situation paradoxale par rapport au temps On a besoin du temps pour laisser appara tre de temps en temps des instants l ins
14. se encadr e vou e la d coration d appartement Ils rompaient avec toute cette tradition de l objet bourgeois et tant donn les formats il y avait une ambition chez eux qui m a s duit C tait comme une lib ration tre attir par quelque chose de plus grand que nous D une fa on beaucoup plus claire le zen dit que nous n atteindrons jamais la cible le but que nous serons toujours en tat de marcheurs et a c est tr s lib rateur J aime bien la citation de Maurice Car me qui dit Passant je n ai fait que passer sans en demander davantage ainsi le ciel ses nuages Je pense que a peut s accorder avec Rothko le nuage qui passe la peinture qui rec le du sublime une dose de sublime GK La raison pour laquelle je pose la question est que nous sommes maintenant assis devant une de tes toiles qui est norme vraiment ce que l on peut appeler un format am ricain et qui rappelle un peu Clyfford Still comme je t en avais parl non pas par la facture mais un peu par l esprit II faut que je d crive la toile elle fait environ 4m de long par 2 70m de haut et est 80 noire 15 rouge et 5 blanche la surface en est compl tement vernie et repr sente un bloc qui donne une impression tr s proche des grands formats am ricains pass s au filtre de la peinture classique europ enne du dix septi me si cle JB Quand tu voques Clyfford Still je ne me sens pas proche de lui parce que ce
15. st jamais fini Mais nous allons finir cet entretien avec une question moins pesante parlons de Bram van Velde puisque tu l as rencontr et que c est quelqu un qui m int resse beaucoup et j aimerais que tu dises quelques mots sur la mani re dont il a influenc ton travail sur l importance qu il a pour toi C est son exp rience en tant qu artiste son lien au tragique quand il dit aller en tant que rien vers rien je trouve que c est une phrase mystique qu aurait pu prononcer Ma tre Eckhart c est ce lien spirituel qui m int resse J ai d couvert tr s tardivement qu il y avait sous Bram van Velde une esp ce de cubisme qui se d truit Tout fait 17 JB Et donc ce c t destruction de l image pour trouver sa v rit destruction volontaire fruit d un je GK JB veux Il y avait chez Bram un je ne veux pas Cela me touche norm ment J y reste tr s attach C est un mod le d artiste comme Beckett l est dans son domaine comme Mondrian qui est un mod le de d marche rigoureuse tr s impressionnant Ce sont des mod les absolus et Rothko aussi bien s r mais on est plus li sensiblement Rothko cause de son tremblement de cette esp ce de pr sence absence qui fait qu il installe un va et vient entre la peinture et notre regard un tremblement qui cr e l motion tout de suite Mais chez ces peintres qu on aime beaucoup Bram ou Rothko on tient beaucoup l in
16. t au contact de la foudre de l orage des esp ces d clats Poussons un peu la chose puisque nous ne pouvons pas organiser ces toiles en termes de succession chronologique tu es aussi r fractaire l id e d volution Mais r fractaire est peut tre un mauvais terme 13 JB GK JB GK JB GK JB GK Non c est bien a Quand on essaie de suivre ton parcours on est un petit peu d rout par le fait que tu d joues une lecture bas e sur l volution Je pr f re le mot involution je crois que c est de Deleuze qui a dit a On demandait Bu uel comment vous identifiez vous vous d terminez vous et il disait je m ind termine et je comprends a tu vois C est dire qu on est chahut par un d sir d unit Ce qui pour continuer creuser la question me ram ne un peu au point de d part c est que plus on avance en regardant ton travail plus on se rend compte plus on a l impression que les l ments de ton esth tique se sont mis en place assez rapidement dans ton travail une fois pour toute Oui on peut le dire En m me temps je suis dans les variations J essaie de servir des formes qui jouent entre elles qui se fondent C est le service que je leur rends ces formes rire Elles sont dans le d sordre le chaos j essaie de les calmer De temps en temps j ai l impression que c est comme des chevaux sauvages qu il faut tenir dompte
17. tant On ne le trouve que dans le temps lin aire et le paradoxe se situe entre ce temps lin aire et les ruptures instantan es dans ce continuum Est ce que nous ne serions pas loin d une id e de la r v lation qui te donnerait au d part quand tu commences peindre d une mani re abstraite des param tres suffisants pour continuer peindre pour le restant de ta vie C est peut tre mal pos mais peut on relier cette approche de la peinture comme r v lation ton ducation et ta culture chr tienne catholique puisque tu viens d une famille tr s pratiquante Le r gne de l image dans la civilisation occidentale chr tienne j en d pends il nous enveloppe On n a pas le choix On a vu des images religieuses et certainement qu on est marqu par a Il y a un lien sans doute J aime bien le mot sacr L enjeu c est de le rejoindre Ce qui d finit le sacr 15 c est quelque chose qu on ne peut pas cr er nous m mes qui nous est donn qui nous arrive On ne peut que le recevoir On ne peut pas le transformer ou le manipuler et donc forc ment j y suis sensible Alors un mot un peu plus simple un peu moins grand que r v lation c est le mot tonnement merveillement Au fond les compositions que je garde sont celles qui m ont tonn et que je ne comprends pas compl tement Si je comprends trop bien la fa on dont c est construit je jette C est une nuance qui est importan
18. te je crois GK Alors pour l articuler un peu diff remment peut tre que c est la notion de myst re JB Compl tement GK C est dans ce sens que je rejoins l esth tique et les valeurs catholiques dans la mani re dont on y entretient et valorise le myst re JB La force de toute l iconographie chr tienne c est une incarnation qui donne naissance l image et en m me temps l image qui rec le son myst re et le d passement d elle m me C est l un sujet qui m int resse beaucoup Je crois que je ne peindrais pas s il n y avait pas cet enjeu l GK Donc une esp ce de spiritualit JB Ah oui compl tement e n ai pas peur de ce mot l bien entendu mais c est l esprit au sens large c est dire comme toutes les civilisations l utilisent l esprit comme tissu du r el Enfin ce sont les orientaux qui parlent de cette fa on GK Tu me dis que tu lis beaucoup sur le bouddhisme JB et l islam En fait les quatre traditions juives le hassidisme me plait beaucoup Dans les histoires des hassidiques je trouve qu il y a des choses mobiles comme dans le jazz il y a des syncopes des moments de rupture d tonnement des moments qui peuvent te laisser d munis d une certaine fa on une certaine d possession La tradition soufi est extr mement int ressante et la voie du milieu en orient en inde videmment l advaita vedenta et donc le zen qui est un mode de l
19. terre de sienne brul e ocre rouge Six rouges au fond On parle du rouge parce que c est comme cela que tu regardes la peinture et l histoire de l art Tu cherches dans un certain sens les rouges dans l histoire de l art Disons qu ils me sollicitent Les rouges de Rembrandt de Georges de La Tour de Soutine de Nicolas de Sta l On pourrait faire un petit tour de l histoire de l art par l interm diaire des rouges 10 JB GK Jo l Barbedette huile sur toile Oui et tu vois quand je faisais des rues de banlieues sous la neige le ciel tait rouge et une fois en Bretagne un galeriste tait pass regarder ces peintures et m avait demand pourquoi faites vous des ciels rouges Je navais pas su lui r pondre et il avait dit Parce que le rouge c est beau C tait d j un rapport assez fort par rapport au blanc de la neige parce que les rues taient recouvertes de neige Mais c tait le blanc tout simplement qui m attirait et puis le rouge tait ce qui cr ait le drame le plus fort On parle donc ici d une triade couleur qui est l pour servir une id e du drame JB J aime beaucoup le chiffre trois Pour moi un et un cela fait trois Il y a deux l ments et entre eux GK JB un espace qui est acteur aussi Je pense vraiment sous le chiffre trois Dire deux me parait toujours incomplet Le dernier terme de la question tait l id e du drame
20. tte toile l est tr s structur e un peu comme la fa ade d un temple grec C est quand m me comme trois colonnes ou comme un visage le noir a la forme d un H de la lettre H donc c est quand m me tr s structur GK Je me posais la question du format parce que en visitant ton atelier je me suis rendu compte qu il y a norm ment de petites toiles et qu il y a donc un mouvement du petit au grand qui se passe d une mani re bien diff rente de ce que l on appelle l action painting et que tu n es pas r fractaire l id e du petit autant que les expressionnistes abstraits am ricains pouvaient l tre en s opposant aux petits formats parisiens Chez toi tout commence par le petit et augmente peu peu Pourrais tu nous dire comment s effectue le passage du petit au grand comment se d veloppe un th me formel qui commence dans le creux de la main et qui finit chelle du mur JB GK JB Jo l Barbedette 2012 lavis 20x20cm Il y a un seuil qu on ne peut pas d passer parce que la pr sence s en va Il y a des structures formelles qui conviennent aux grands formats et d autres plus faibles qu il faut arr ter une certaine taille On n imagine pas un grand Paul Klee par exemple Un Paul Klee grand comme ce que pouvait faire Matisse avec la danse par exemple Ce n est pas con u de la m me fa on Il y a une discr tion chez Paul Klee qui refuse le grand format M me chose
21. ue tu regardais JB GK JB GK JB GK JB GK JB GK J ai eu un choc avec Fautrier j aimais bien Soulages et par la suite je lui ai pr f r Franz Kline qui pour moi restait proche de Rembrandt Kline peint aussi les blancs ce que ne fait pas Soulages mais Soulages reste quelqu un de tr s impressionnant En vrac j ai toujours beaucoup aim Nicolas de Sta l Tal Coat J ai connu Hosiasson un peu par accident on a eu une courte correspondance c tait un artiste magnifique Je ne connais pas bien son travail Pourtant il est connu aux Etats Unis Je l ai rencontr tout fait par hasard J avais vendu un dessin certains de ses amis en Belgique qui m ont dit d aller le voir Il tait du plus grand accueil tr s gentil C est une uvre rare A quel moment fais tu la d couverte de l uvre de Rothko Rothko c est au travers d un tout petit catalogue trouv la Hune Alors l ce fut un choc norme Dans Correspondance je m en explique c est un pan de peinture Un choc norme C est vers quelle poque Vers 70 72 je ne sais pas Rothko est mort en 70 je crois Non a a du se passer avant Quand je suis parti au service militaire je connaissais d j son travail J ai d couvert Bram van Velde et Rothko la Hune au travers de catalogues Puisque tu voques Bram van Velde quelle p riode se passe aussi sa d couverte Avant ton service
22. uivi pendant longtemps d une toile l autre et je me 12 JB GK JB GK demandais comment on pouvait suivre l volution de ce th me puisque les toiles ne sont pas dat es Comme par exemple celle qui est au mur l bas et qui est bas e sur le fragment d un pan de manteau dans une ic ne qui est au Nationalmuseum Stockholm et qui est un peu un leitmotiv ou aussi comme celle que je d signe ici comme un point d exclamation Jo l Barbedette huile sur toile motif bas sur le d tail d une ic ne Et qui est un peu comme la fa ade d un temple pour moi C est un peu une figure qui me regarde et un lieu o je peux aller habiter Donc ces th mes formels qui se sont d velopp s assez t t dans ton uvre ont t travaill s sur des dizaines d ann es puisqu on en voit l volution de toile en toile et que tu les reprends r guli rement Mais pour toi l volution d un th me comme celui de l ic ne de Stockholm n a pas d importance Il n est pas important que l on puisse organiser cette succession de toiles chronologiquement Oui exactement Je le dis dans correspondance Je n ai pas du tout le souci de l historien Je suis sensible l clair dans l orage une succession de moments plut t que de briquer les maillons d une cha ne qui est le travail de l historien A une marche lente je pr f re le bond qui me fait recevoir les clairs et ventuellement me me
23. x Deux Magots GK Apr s la rencontre avec Poliakoff tu continues ton volution vers l abstraction JB Brutalement je vire vers l abstraction apr s la p riode du service militaire o pendant deux ans je mai pas peint J ai beaucoup m dit sur les rapports du mur et de la peinture la fa on dont la peinture pouvait abolir le mur C tait un rapport la lumi re en fin de compte La peinture est une chance pour le mur d tre d truit et de laisser place la lumi re C tait ce genre de pens e qui m animait le rapport du mur et de la peinture GK Pour suivre notre fil biographique tu fais donc ton service Lun ville pendant 2 ans et ensuite tu rentres Paris et l tu recommences peindre JB Et la premi re toile abstraite que j ai faite c tait la cit universitaire C tait un copain qui m a dit d arr ter une peinture que j tais pr t poursuivre Je n ai jamais regrett d avoir suivi son conseil GK Continuons grands pas puisque ton travail n a quasiment pas chang depuis quarante ans quel moment as tu solidifi l approche esth tique avec laquelle tu travailles toujours Est ce que c est venu brutalement ou plut t progressivement JB Tr s lentement et avec une grande conomie d activit Je peignais tout le temps mais pas beaucoup et j avais l impression de peindre m me quand je n avais pas de pinceaux dans la main GK La peinture se fait
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