21957 ko - Introduction
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1. estimait il fait de diverses composantes qui s allient mal qui manquent par leur assemblage de faire sens Tel est le sort sans doute de ce pont de bateau dans Ecuador rest nigme Mais Quoi tait outil l dedans Quoi tait marchandise Quoi n tait que morceau d autre chose ou simple cou leur parasite Et le po te d avouer quelques pages plus loin Toute contr e trang re me para t un peu mascarade Il y a des d tails qui tra vaillent de leur c t sans s occuper de l ensemble C est ce paysage en souffrance qui aura inspir la r flexion qui suit Dans les lieux de fuite qu enregistre Ecuador s organise un temps autre temps mort d une d composition du voyage et qui est peut tre sa v rit obscure Temps improductif o un savoir se d fait o un r el se d sagr ge en des parties inertes ne constituant plus un tout La v ritable rencontre avec l autre passerait peut tre apr s tout par ce temps d un non savoir par le malaise devant ce que le corps et le regard n avaient 9 Ibid p 150 10 Jbid p 154 11 Jbid p 201 12 Ibid p 156 13 Claude L vi Strauss Tristes tropiques Paris Plon 1955 p 477 14 Ibid p 475 15 Henri Michaux uvres compl tes op cit vol I p 151 16 Ibid p 157 Prologue 13 pas su pr voir et qui ruine leur coh rence O est il donc ce voyage Dans l criture inqui te de Michaux le voyage s2. l extr me dans le d placement de lintime et infinie diff rence diff rance entre un vivre et un mourir Pla ant la question du o au c ur de l inqui tude humaine Peter Sloterdijk note l enjeu obscur de cette localisation qui pour tre stable signifierait la mort Seuls les corps des morts peuvent tre localis s sans ambigu t Le lieu sans ambigu t o le corps trouverait ses coordonn es d finitives c est le point m me d un non retour Dans un s mi naire sur l hospitalit quelques ann es avant de mourir loin d o il tait n Jacques Derrida renversait la pr rogative donn e par la doxa par la loi la naissance pour nommer l tranger partir du lieu de son inhumation La question de l tranger concerne ce qui se passe la mort et quand le voyageur repose en terre trang re Les personnes d plac es auraient ainsi en partage deux nostalgies d une part celle de la langue maternelle perdue de l autre celle de leurs morts ils voudraient revenir au moins en p lerinage vers les lieux o leurs morts inhum s ont leur derni re demeure la derni re demeure des siens situe ici l ethos l habitation de r f rence pour d finir le chez soi la ville ou le pays o les parents le p re la m re les grands parents reposent d un repos qui est le lieu d immobilit depuis lequel mesurer tous les voyages et tous les loignements Le r cit d dip
3. Ibid p 95 Prologue 21 sa saisie la somme de ses parties Ce sera le cas du Tour du monde en 80 jours de Jules Verne 1872 de La Vie mode d emploi de Georges Perec 1978 et de L Invention du monde d Olivier Rolin 1993 circumnavigations qui relevant le d fi de la modernit puiser les dimensions de la Terre relaient aussi son pathos sa conscience de la finitude de l espace du monde Ce sera le cas autrement de ces r cits certains romans de Toussaint Les Mots trangers d Alexakis Vassilis 2002 qui assimilent la travers e d espaces des actes de traduction pour d couvrir son envers et sa limite la m lancolie ou le fant me l exp rience dans le passage d un intraduisible de vacillements dans la relation des mots et des choses Le cinqui me mouvement con cernera des points d instabilit et d ironie dans le savoir du r cit de voyage l o il fait place l animal son regard opaque ou sa pr sence fuyante effractions ouvrant l espace et le temps au del de l chelle de humain Ce sera l occasion de revisiter Montaigne L vi Strauss Derrida Agamben pour revenir Michaux la part de fiction dans le r el d animal dans l humain des moments d aimantation dans Un barbare en Asie 1933 vers un vertige zoologique Dans le sil lage des animaux de Michaux nous porterons alors notre attention aux hippopotames disparaissants d Oreille rouge d ric Chevillard 2005 Le si
4. espace du monde entre le cercle et la sph re Avant de recevoir de Freud son sens moderne de deuil sans terme d une afflic tion principalement temporelle pour ne pas dire affliction m me du temps la m lancolie engageait profond ment en effet dans ses images et signes une pens e de l espace Ce sont les traits d une plus ancienne nstabilitas loci vel propositi qui hantent la m lancolie de 29 Jean Clair M lancolie G nie et folie en Occident op cit p 442 Ce volume accom pagnant l exposition qui eut lieu au Grand Palais d octobre 2005 janvier 2006 fut d di par ailleurs la m moire de Raymond Klibansky d c d en 2005 30 Raymond Klibansky Erwin Panofsky et Fritz Saxl Saturne et la m lancolie op cit p 538 31 Que l on nous permette la commodit de cette hypoth se jouant d une tymo logie que rappelle une note d Henri Meschonnic modernus fait sur modo de modus mesure en restant dans la mesure justement Henri Meschonnic Modernit modernit Paris Gallimard 1988 p 36 37 32 Chez Peter Sloterdijk la sph re englobe une sorte de th orie qui en sait plus sur la vie que la vie elle m me Partout o l on trouve de la vie humaine crit il qu elle soit nomade ou s dentaire naissent des globes habit s itin rants ou fixes qui d un certain point de vue sont plus ronds que tout ce que l on peut dessiner avec des cercles Peter
5. par o un imaginaire du monde m nage sa propre et inqui tante tranget 48 Abdelkebir Khatibi Figures de l tranger dans la litt rature fran aise Paris Deno l 1987 p 10 11 49 Ibid p 15
6. et la claustra tion les deux faces 22 Cardan Ma vie cit par Paul Virilio La Vitesse de lib ration Paris Galil e 1995 p 78 23 Voir Adrien Pasquali Tour des horizons Critique et r cits de voyage Paris Klinck sieck 1994 p 105 24 Sort du r cit de voyage que rel ve avec lucidit chez des crivains du xix si cle louvrage de Christine Montalbetti Le Voyage le monde et la biblioth que Paris PUF 1997 25 Voir Michel Beaujour Miroirs d encre Rh torique de l autoportrait Paris Seuil 1980 Prologue 15 dans le resserrement de la captivit dans l errance d sorient e la con science n est pas concili e avec le lieu qu elle occupe Sans logis ou mal log e r duite la cellule exigu ou l espace sans bornes elle ne peut conna tre le rapport harmonieux du dedans et du dehors qui d finit la vie habitable Nous nous trouvons enferm s sans espoir d issue ou bal lott s sans espoir d accueil li s une peine interminable qui ne peut apaiser ou s puiser ni par la patience s dentaire ni par la fuite sil est vrai que dans cette fuite sans direction tous les lieux s quivalent f Affaire d ad quation imparfaite la m lancolie relate la qu te et le manque continuels d une commune mesure entre l tre et le monde Elle donnait son nom selon une longue tradition une d faillance de la raison quantitative face un in fini de l espace Ainsi la sph re le com
7. fragile tre au monde 4 Bruno Thibault caract risera Ecuador de recherche inqui te du vrai voyage Voir Voyager contre la question de l exotisme dans les journaux de voyage d Henri Michaux French Review vol 63 n 3 f vrier 1990 p 487 Henri Michaux uvres compl tes op cit vol I p 144 Ibid p 144 Ibid p 232 Ibid p 149 PO AONAN 12 L o je ne suis pas arriv e dans un port Ah Vraiment c est a le monde Et faut il refaire sa vie et encore La premi re impression est terrible et proche du d sespoir Devant le fameux crat re de l Atacatzho le voyageur est pareillement accabl Ah Ah Crat re Ah On s attendait un peu plus de s rieux Ah 11 Au bout de quelques semaines pass es dans la capitale quatorienne il crit encore Quito ne me semble pas encore tout fait r el avec cette esp ce d homog n it et de naturel que poss de une ville que nous connaissons bien si divers que soient ses aspects pour un tranger Claude L vi Strauss demeurait pour sa part insatis fait devant le Fort Rouge de Delhi aux prises avec ce sentiment de malaise qui r sulte du manque d un l ment essentiel L ensemble fait une belle masse chaque d tail est exquis mais il est impossible de sai sir un lien organique entre les parties et le tout Le paysage inconnu p che aux yeux de l tranger par une qualit d informe
8. PROLOGUE Et ce voyage mais o est il ce voyage Casablanca Dans une trop grande angoisse analytique un voya geur se livre une fr n sie de postures avort es n arrivant pas se d cider sur ce qui pourrait constituer un voyage S tant rendu l h tel il se ravise c est qu il ferait mieux d aller la banque ayant encore beaucoup de courses faire la banque avant de pr senter sa lettre de cr dit il change encore de vitesse ne devrait il pas plut t visiter les principales curiosit s de la ville arabe En effet se dit il on ne peut quitter Casa sans avoir vu la danse du ventre Il s installe alors dans un caf mauresque devant une danseuse et une bouteille de porto pour aussit t se rend re compte que tout a ce sont des b tises et se diriger plut t au restaurant car en voyage avec ces fatigues inaccoutum es il faut premi rement se restaurer Or arriv au restaurant il est rattrap par l urgence quand on voyage de soi gneusement s assurer si tout est en place pour l tape du lendemain 1 Henri Michaux Plume Casablanca dans uvres compl tes d Raymond Bellour avec Ys Tran Paris Gallimard 1998 2004 vol I p 638 639 pour toutes les citations 10 L o je ne suis pas pour finir au bout de quelques autres d marches partielles devant les douanes en bras de chemise tirant de l aviron exub rant de vigueur se pr muni
9. Sloterdijk Sph res trad fr Olivier Mannoni Paris Hachette 2003 vol I Bulles p 13 33 Instabilit du lieu et du dessein tendance qu on comptait parmi les filiae acediae cit par Giorgio Agamben Stanze Parole et fantasme dans la culture occidentale trad fr Yves Hersant Paris Christian Bourgeois 1981 p 24 Prologue 17 l ge adulte du jeune Gy rgy Luk cs espace priv de la voix qui sans quivoque nous montrerait le chemin suivre abandonn du dieu qui trace d avance les voies du h ros et le pr c de sur sa route L ge adulte celui du roman et de notre modernit est celui o l espace est prouv non plus comme cadre et complice d un par cours pr alablement ou essentiellement signifiant mais pr cis ment comme espace un retour de l espace une retomb e en l espace en exc s ou en d faut sans orient L espace moderne d s oriente ne s puise plus dans ses modes d emploi cesse d tre vidence L effondrement du sens qu gr ne la m lancolie proc de pourrait on dire d une relation la relation de compr hension de propor tion de possible d sappoint e entre Phomme et Paire du monde Or le voyage a peut tre toujours su cette m lancolie que de tradition il aura renvers e en privil ge de connaissance en surplus ou en ironie Ouvrant le lieu son dehors au multiple des autres lieux qui l entourent et comme d j le hantent il des
10. acedia qui lorsqu on r partit les arts entre les plan tes en vint gou verner la quantit et les mesures des choses Voir Raymond Klibansky Erwin Panofsky et Fritz Saxl Saturne et la m lancolie trad fr Fabienne Durand Bogaert et Louis Evrard Paris Gallimard 1989 p 527 et pour l ensemble de l analyse la section IV IL 2 b 28 Ibid p 532 533 16 L o je ne suis pas g om tre L id e est encore pr cis e sous la plume de Jean Clair qui dirigeait en 2005 une exposition artistique consacr e au th me de la m lancolie en confinant l esprit dans le monde fini de la grandeur de la quantit et du mesurable l ars geometriae fait soup onner son auteur au del de l univers du quantifiable du mesurable du rep rable ou du nommable l existence d une sph re m taphysique dont l inaccessibilit m me le remplira de tristesse Lui m me g om tre qui appliquait sa peinture les r gles de la perspective D rer aurait donn forme dans sa fameuse gravure la plus f che use des heures de Saturne temps de s paration entre pens e et activ it o le monde exc de les quantit s finies de la science et l uvre est vaincue par le d s uvrement Si la modernit s est b tie sur une confiance en la mesure son envers intime pourrait bien se nommer m lancolie hantise d un reste qui vient rappeler la diff rence irr ductible entre une somme de lieux et l
11. dition est tout juste amorc e Mais o est il donc ce voyage v nement av nement continuellement guett par l criture le voyage devient comme par une trop grande proximit son point d vanouissement Devenue leitmotiv la ques tion en engr ne d autres au fil de l ouvrage Et ce voyage mais o est il ce voyage redemande le narrateur quelques lignes plus loin Descendant l Amazone dans une pirogue lui valant une pauvre vue des alentours il s criera encore Mais o est donc l Amazone se demande t on et jamais on n en voit davantage Ecuador enregistre par les cheminements d un regard obstru un paysage morcel m lancolique L abstraction du lieu mat rialise son indiff rence au voyageur elle dramatise l tranget de l tranger cet il en d faut d acculturation comme surajout au monde Arriv Cura ao le narrateur se lamente du manque de coh rence du paysage On est entour moins d une encablure de toutes choses et notre il ne voit rien et notre cerveau ne comprend rien Les d barquements pro voquent syst matiquement une vive d ception Terrible la premi re 3 Jean Pierre Martin Henri Michaux critures de soi expatriations Paris Jos Corti 1994 p 320 Cette tude magistrale reste la plus lumineuse analyse de l uvre de Michaux et notamment de la place quy occupe le voyage comme condition sans cesse d stabilisatrice d un
12. e Colone est alors celui exemplaire de la perte de la derni re demeure la trag die d un espace cartel entre ce lieu perdu et un ailleurs lieu de bannissement Car lexil d dipe tait 42 Olivier Rolin Mon galurin gris Petites g ographies Paris Seuil 1997 p 11 43 Peter Sloterdijk Sph res op cit vol I p 30 44 Ibid p 94 45 De l hospitalit Anne Dufourmantelle invite Jacques Derrida r pondre Paris Cal mann L vy 1997 p 81 46 Ibid p 81 20 L o je ne suis pas avant et apr s celui affectant sa personne vivante une solitude inflig e son corps mort le chiffrage d une derni re adresse Si le d place ment ouvre lici son dehors une multiplicit de lieux autres qui le relaient et le perdent il d crit aussi le pointill liant la raison d un lieu propre au fond peut tre mythique dont la modernit aura fait sa nostalgie la d raison de lieux o dispara tre l arbitraire d un espace o pour reprendre les mots de Starobinski tous les lieux s quivalent Le parcours propos ici s organisera moins par souci d histoire lit t raire qu l coute d une m moire et d une intranquillit partag e des textes Il favorisera plut t qu une simple g n alogie des crits le tissage de certaines figures qui en eux se recoupant et se relayant uvrent contre la raison du voyage L vidence d un inassimilable dans l es
13. e rabat sur une syn taxe bris e formule magique qui aurait perdu ses pouvoirs Or c est toute une archive qui ouvre par l sur sa m lancolie propre Si le voyage r pond de tradition un fantasme de re motivation de pl nitude retrouv e du signe si l exotisme litt raire a pu nommer un r gime de luxe s miotique une voix gr ne en mineur au seuil de l re moderne la vacuit des signes exhibant ces failles par o l Ailleurs n est plus pl nitude ni surplus mais maigreur carence fant me Temps d cal de d parts sans arriv es espaces incompris paysages d faits ce sont l l h ritage et le domaine obscurs du r cit de voyage apr s la fin des voyages La formule de L vi Strauss donnait voix on le sait une hantise qu enregistraient d j bon nombre de voyageurs la fin du si cle des Chateaubriand et Loti qui se posaient comme derniers t moins de civilisations disparaissantes Victor Segalen qui redoutant l entropie plan taire consacrait son uvre l laboration d une esth tique du divers Cette conscience de fin de si cle est sans doute constitutrice de l criture de voyage de sa raison comme genre litt raire qui dit par intermittence sa crainte de la disparition de Ail leurs et partant celle de sa propre obsolescence Un si cle plus tard le bilan a de quoi confirmer sa crainte une p riode o il existait encore des barbares et des sauvages d co
14. lturelles o s esquisse une histoire moderne du monde d colonisation dispari tion de peuples et de modes de subsistance primitifs uniformisa tion des espaces r volution des transports et des m dias tourisme de masse En tant qu elle nomme le malaise d un genre litt raire elle accuse aussi l effet d une redistribution du savoir de l Ailleurs Car si autrefois histoire g ographie botanique zoologie lyrisme subjectif se partageaient ais ment l espace du r cit de voyage ces savoirs seront devenus avec le temps comme le notait Adrien Pasquali l affaire de disciplines et de lectorats bien distincts d lestant le r cit de voyage en tant que tel des fonctions qui longtemps lui avaient servi d ali bis L criture de voyage de nos jours peut difficilement pr tendre apporter un nouveau savoir elle succ de une biblioth que trop encombrante pour tre dupe de son utilit ou de son innocence Rel gu e alors une oisivet comparable celle qui selon Michel Beaujour serait le fardeau de l autoportraitiste elle devient cri ture de soi au carr elle relate la difficult d crire de s inscrire en un lieu d rob e de sa raison de la r sistance objective de son objet elle se retourne sur elle m me pour accueillir d autres inqui tudes ou pour tourner vide Il sera donc question ici de m lancolie celle m me sans doute dont Jean Starobinski relevait dans le vagabondage
15. ons les d sirs irr alis s auraient eux aussi leur place dans une histoire mat rielle du monde L intuition de cette autre lisibilit apport e la g ographie humaine s av re tout aussi r v latrice dans les plis des r cits d espace s organise un autre espace informul suppl ment fantomatique po tique de ce qui en lui ne se r duit pas une relation positive La m lancolie du voyage le savoir intime d un incommensurable le penser illicite car ennemi de l action pratique du temps productif de ce qui dans l espace exc de la somme de ses lieux ou alors s y sous trait dispara t Car une accumulation de distances finies ne recom posera jamais l in fini l humain devant l espace du monde forme un corps en souffrance Dans un bel ouvrage Daniel Oster relevait dans certains voyages et notamment celui de Rimbaud un paradoxe de Z non Toutes nos douleurs viennent d une mauvaise occupa tion que nous faisons de l espace et du temps crit il la souffrance vient de ces plissements de la dur e de ces pincements de l espace et l angoisse n est qu une troitesse de l me Parmi les aphorismes en fin d ouvrage on lit encore Il n y a pas d urgence combler une distance qui de toute fa on nous survivra Arpenter l espace c est le faire passer par le temps le voir divis par le temps division qui donne la vitesse ou la lenteur du passage temps qui est pour le v
16. oyageur un temps compt mortel ou qui encore se d verse par son espacement dans l impropre l inhumain C est faire l exp rience de ces seuils par o le corps s aimante vers l o il n est pas point de vertige o l tre glissant dans ce pli o se produit l espace temps est renvoy au diff r de sa pr sence 38 Hans Blumenberg La Lisibilit du monde trad fr Pierre Rusch et Denis Trier weiler Paris Cerf 1997 39 Agamben voque ainsi le topos outopos o se situe notre exp rience d tre au monde Stanze op cit p 104 La m lancolie est dans Stanze le savoir d une topologie de l irr el la conviction qu il n est possible de s approprier le r el et le positif qu la condition d entrer en rapport avec l irr el et l inappropriable comme tels p 13 14 40 Daniel Oster Passages de Z non Essai sur l espace et les croyances litt raires Paris Seuil 1983 p 12 41 Ibid p 251 Prologue 19 Une intranquillit sugg re Olivier Rolin qualifie la relation de l humain l espace Au fond ne serait ce pas la qu te d un lieu de mort d un lieu dernier que trame l intranquillit secr te de tout voyage Recherche qu il enclenche sans m me le savoir uvre aveugle d une distance creus e entre un lieu d appartenance de r f rence et un autre lieu p le incertain d un loignement qui aimante le corps et construit les r cits Il en va
17. pace du monde se construira dans un premier temps autour du constat d un trouble de lisibilit par o le voyage ouvre sur une asymbolie et le r cit sur un fond d incroyance terme par lequel Sig mund Freud qualifiait en 1936 un malaise ressenti sur l Acropole qu prouvait de m me quelques ann es plus tard Naples le pro tagoniste d une nouvelle de Jean Paul Sartre Si Sartre tenait sa nou velle pour manqu e l pith te venait plut t qualifier le d paysement et l aventure qu elle donnait pour impossibles Restait aussi inachev la mort de Sartre La Reine Albemarle ou le Dernier Touriste texte autour duquel se nouera ici dans un deuxi me temps une r flexion sur le miroir ce seuil et point limite dans l exp rience de l espace lieu de passage et d vanouissement de distribution du m me et de l autre o tre quelque part se renverse de mani re insolite en une absence au lieu Lab me sp culaire la sentence d une sur r flexivit nous permettra aussi de lire l re contemporaine certains des r cits post touristiques de Jean Philippe Toussaint Trouvant ses coordon n es chez Baudelaire Lacan et Foucault la duplicit du miroir donne son titre cet ouvrage Il s agira d examiner dans les chapitres suivants sous ses divers traits l insistance d un reste dans le savoir moderne du voyage effets de d rapage ou de fuite par lesquels le monde exc de ou se soustrait 47
18. pas d autres instruments de mesure gisaient inertes dans l atelier du g om tre L on sait d apr s l tude de Raymond Kliban sky Erwin Panofsky et Fritz Saxl la fusion qui avait eu lieu dans la tradition iconographique partir de l uvre d Albrecht D rer des all gories de la g om trie et de la m lancolie Convergence assur e sous le signe d un dieu plan te partag mais dont l intuition picto riale r v lait une affinit entre deux dispositions de l tre au monde que l on devine autrement profonde Les auteurs citent ainsi ce propos de Henri de Gand pour qui les g om tres succombaient la m lancolie parce qu incapables de croire qu il y ait des tres qui ne soient ni dans l espace ni dans le temps Quoi qu ils cogitent il faut que la chose ait de l extension ou comme le point g om trique qu elle occupe une position dans l espace Or certaines intuitions en n occupant aucun point aucun espace m trique ruinent la foi du 26 Jean Starobinski Lencre de la m lancolie dans Jean Clair dir M lancolie G nie et folie en Occident Paris R union des mus es nationaux Gallimard 2005 p 27 27 La fusion de l all gorie d un des quatre temp raments le typus Acediae avec celle d un des sept arts lib raux le typus Geometriae se serait effectu e en effet sous le signe de l antique dieu Saturne auctor temporum traditionnellement associ l
19. r pouvoir en somme avoir lieu le voyage se trouve ici paralys par son id e La difficult dit tout l cart creus entre un genre narratif le r cit de voyage et un v cu une suite d actions inefficaces ne pouvant se rassembler sous son signe Casablanca ville clat e en un espace et un temps qui mutuel lement se concurrencent et se ruinent r cit o vouloir s y ins rer le voyageur dispose d un trop de places ou d aucune Le voyage ce r cit de lisibilit du monde serait il en panne partir de quel lieu 2 Voir Jean Pierre Cauvin Variations sur un pr fixe L Esprit cr ateur vol 26 n 3 automne 1986 p 67 et Henri Michaux Passages Plume disparut le jour m me de mon retour de Turquie o il tait n uvres compl tes Paris Gallimard 2001 vol II p 350 Prologue 11 de quel positionnement du regard du corps de quelle habitation le paysage retrouverait il sa coh rence Le voyage de Plume recompose en parodie un malaise qui avait marqu on le sait une dizaine d ann es plus t t le long s jour de Michaux en Am rique m ridionale Un m me d sassemblage du temps et du paysage travaille Ecuador 1929 l anti journal de ce voyage qui comptant plus de d ceptions que de choses vues relate de fait moins un voyage que sa qu te sans cesse frustr e La fuite du voyage sa dis location c est une question qui vient l inscrire en inqui tude alors que l exp
20. sine et r p te le mouvement par lequel quelque chose comme un lieu propre est perdu Si l espace est ce qui emp che que tout soit au m me lieu il est aussi dans son immensit ce qui interdit au corps de se trouver partout en m me temps Habiter l espace c est se livrer cette preuve par o tre signifie tre quelque part et partant n tre pas ailleurs sentence d occupation partielle contingente qui formule la condi tion de l tre au monde C est compter avec l conomie n gative du d place ment avec un n tre pas l composant la part d ombre le pass l avenir ou le fond obscur de tout tre l Car l espace ne s accumule pas mais se perd c est sa loi et sa ph nom nalit propres Faisant appara tre comme perdu ce qui somme toute ne pouvait peut tre jamais tre sciemment poss d la m lancolie pr serve son objet un lieu plein premier unique propre et assure l immobilit secr te de tout mouvement l in changeable de l change le singu lier retir la circulation l quivalence Pour le philosophe Hans 34 Gy rgy Luk cs La Th orie du roman trad fr Jean Clairevoye Paris Gonthier 1963 p 82 35 Jean Starobinski L encre de la m lancolie op cit p 28 36 Georges Perec Esp ces d espaces Paris Galil e 2000 p 179 37 Voir Giorgio Agamben Stanze op cit p 48 18 L o je ne suis pas Blumenberg les d cepti
21. ssant ainsi contre des m decins imaginaires qui viendraient remettre en question sa parfaite sant Et ainsi fai sait il conclut le texte quand la police toujours inqui te le ques tionna entendit sa r ponse et d s lors ne le l cha plus Singuli re t che du voyageur que celle de devoir par sa personne en mouvement par un devenir r cit enfiler l espace dans le temps L impatience de Plume invention et alter ego d Henri Michaux grand voyageur lui fait syncoper le temps pour retrouver un espace en morceaux croire que l angoisse ancienne de ne pouvoir atteindre un lieu ou d y tre en proie divers p rils avait fait place celle de ne savoir l occuper Ne pouvant se d cider quel endroit ou selon quelle allure assumer les r nes de son voyage Plume se conduit pour finir comme s il croyait moins un monde qu il lui faut par son corps raccorder en r cit qu un r cit de voyage lui pr existant un script dont il lui incombe d occuper en accomplissant les gestes requis la place vide du voyageur D innombrables r cits de voyages Casablanca pr c dent en effet celui de Plume Sa n vrose s annonce historique structurelle Chez lui les r cits se contestent se r clament et finissent par s annuler coups d engrenages avort s et son voyage de se mordre la queue ren voy son retour v nement trop soucieux de son effet cumulatif trop conscient de son archive pou
22. uvrir crit Jean Baudrillard suc c de une poque o la Terre devenant une boule le voyage s ach ve et le tourisme commence c est dire P re o l on ne peut que faire le tour d un monde d j connu La mort de l exotisme est la caract ristique essentielle de notre actualit confirme encore Marc Aug La moindre s duction de tels verdicts fournissant le poncif notre re hyper m diatis e post touristique n est pas celle de pouvoir se r p ter comme toujours pour la premi re fois ou la derni re les postmodernes 17 Voir sur ce point la riche tude de David Scott Semiologies of Travel From Gautier to Baudrillard Cambridge Cambridge University Press 2004 18 Voir Claude L vi Strauss Tristes tropiques op cit p 7 19 Voir Victor Segalen Essai sur l exotisme Une esth tique du divers Montpellier Fata Morgana 1978 20 Jean Baudrillard et Marc Guillaume Figures de l alt rit Paris Descartes et Cie 1994 p 47 21 Marc Aug Le Sens des autres Actualit de l anthropologie Paris Fayard 1994 p 10 14 L o je ne suis pas s y verront en la compagnie de cet autobiographe du xvr si cle Je suis n dans ce si cle o toute la Terre a t d couverte alors que les anciens n en connaissaient gu re plus d un tiers La fin des voyages th se qu il n y a pas disputer ni confirmer d passe ses fortes d terminations historiques et sociocu
23. xi me temps de l tude se pr occupera pour renouer avec un r el historique et social et pour finir d un arri re du monde d clin dans divers crits de Georges Perec Paysage fer de Fran ois Bon 2000 et Un livre blanc de Philippe Vasset 2008 zones par o l espace s ab me en atopie en lieux condamn s ou mortif res o l criture doit subir l preuve de sa limite L effritement du r cit de voyage son ouverture un incoh rent du monde la m lancolie au fant me au reste se produit au moment o pour reprendre la pens e de Luk cs ou celle de Foucault ni dieu ni une foi en l ad quation des mots aux choses ne porte plus caution au signe et partant au r el qu il l gitime Alors peut tre dans sa survivance l criture assume t elle proprement ce qu Abdelkebir Khatibi voyait comme le secret de toute litt rature occidentale sa fonction depuis Hom re plus ou moins avou e d une initiation l extran it c est dire au monde en tant que narration du dehors de 22 L o je ne suis pas l trange de l tranger du barbare L exotique nommerait en cette acception grave dans la litt rature l espace de son illisibilit o se brouille l conomie des identit s et des diff rences Les pages qui suivent porteront alors moins sur des voyages r els et fictifs que sur ces zones d illisibilit qui les d sorganisent et les ouvrent un dehors
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