Présence Panchounette et le ridicule de la modernité
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1. Ibid p 30 3 Cit par Guy Tortosa Pr sence Panchounette Pictura Edelweiss n 6 Printemps 1985 p 20 Pr sence Panchounette Projet Exposition Yvon Lambert janvier 1975 uvres choisies Tome 1 op cit p 30 Picasso en 1942 Cette pi ce en plastique orange et noir correspondait un remake coloris ou au maquillage make up outrancier de l uvre initiale La transformation moquait la f tichisation de cet assemblage qui n avait pas connu le sort r v par l artiste ce qu il aurait fallu tout de suite apr s c est jeter la t te de taureau avait expliqu Picasso La jeter dans la rue dans le ruisseau n importe o mais la jeter Alors il passe un ouvrier Il la ramasse Et il trouve que peut tre avec cette t te de taureau il pourrait faire une selle et un guidon de v lo Et il le fait a aurait t magnifique C est le don de m tamorphose Pareille r appropriation de la part d un prol taire n avait pas eu lieu Et le bricolage servait pr sent saluer la g niale inventivit de Picasso exacerb e ici par la grande modestie des mat riaux Il faut alors ajouter que les parodies de Pr sence Panchounette induisaient elles aussi une connivence culturelle qui loignait le groupe de la pesante litt ralit laquelle il ne cessait de pr tendre sans le vouloir vraiment il partageait bel et bien avec les autres acteurs du champ artistique les r f rences2. Les pieds dans le tapis Pr sence Panchounette et le ridicule de la modernit Fabien Danesi Apr s le joli mois de mai Pendant de nombreuses ann es le collectif bordelais Pr sence Panchounette donna la date de 1969 comme d but de ses agissements Ce ne fut qu l occasion d un entretien en 1987 qu il mentionna que sa fondation avait eu lieu en v rit un an auparavant Dans la mesure o il y avait d j suffisamment de malentendus propos de nos activit s on a pr f r dire 1969 expliqu rent ses membres dont le nombre exact et l identit taient inconnus l exception de Fr d ric Roux Postdater sa constitution pourrait d j passer pour une marque d ironie l gard de l importance accord e la nouveaut dans le r gime de la reconnaissance caract ristique de la modernit artistique l o certains artistes seraient volontiers tent s d antidater leurs uvres afin d appara tre comme des pr curseurs Pr sence Panchounette s accorda un an de moins de fa on viter soi disant les m prises De prime abord cet argument semble quelque peu sp cieux surtout lorsqu on se rappelle que le groupe cultiva les quivoques tout au long de sa carri re Toutefois la question de ces malentendus m rite d tre tudi e si Pr sence Panchounette n a pas souhait que son nom soit attach 1968 c est bien s r parce que cette ann e pouvait facilement
3. Pr sence Panchounette continua insister sur son identit provinciale au sein du monde de l art contemporain encore essentiellement parisien Il s agissait d y introduire le jugement des b otiens Le collectif pr sentait une diff rence en faisant intervenir l opinion partag e par le grand public face aux cr ations plastiques qui avaient perdu la possibilit d une identification l mentaire Il reprenait l l un des fondements de la d marche satirique savoir le rappel du sens commun Dans cette veine le groupe fit sien le poncif de la maladie mentale pour voquer les innovations plastiques du XX si cle Il travaillait donc contre courant de tout un pan de la modernit qui avait d cri la normalit synonyme d uniformit afin de mieux valoriser la singularit et sa n cessaire distance face la massification Les Panchounette entretenaient savamment un lourd prosa sme et rejouaient d une certaine mani re le rire de la foule au Salon des Refus s de 1863 Ce rire rappelons le exposait le rejet par la soci t du Second Empire des uvres qui attentaient l image qu elle voulait se donner Or les plaisanteries de Pr sence Panchounette taient d autant plus d plaisantes qu elles d signaient nouveau une sanction sociale Sauf que cette sanction n tait plus bourgeoise mais populaire le groupe parlait selon lui la place des laiss s pour compte de l art contemporain pui
4. globale de la civilisation le groupe bordelais avait abandonn toute vis e mill nariste La notion d homme total c est dire l invention de soi travers une communaut galitaire n tait plus l ordre du jour Seul le constat situationniste de la fin de l art fut repris Dans la soci t du spectacle la cr ation esth tique ne pouvait esp rer tre autre chose que le signe de la d composition culturelle provoqu e par le capitalisme D s juin 1957 Debord avait remarqu le renoncement une revendication d ensemble et l acceptation d un travail fragmentaire pour ajouter C est ce qui donne ce terme m me d avant garde toujours mani en fin de compte par la bourgeoisie quelque chose de suspect et de ridicule Ce jugement fut aussi celui de Pr sence Panchounette qui usa sans restriction de la raillerie afin de d noncer la d mesure des pr tentions qui animaient selon lui les mouvements artistiques de l poque D s les ann es 1970 le groupe per ut dans le discours critique produit par la cr ation contemporaine une grotesque convention qui se r fugiait dans une certaine abstraction souvent oublieuse de la structure sociale Son approche peut alors tre consid r e l aune de la satire qu il employa de mani re strat gique Une b tise irr cup rable Sur ce th me je renvoie notamment l ouvrage de Joseph Heath et Andrew Potter R volte consomm e L
5. volution industrielle qui pille dans la nouveaut pour en donner une version d une grande pauvret formelle La distinction entre de v ritables avanc es artistiques et les succ dan s culturels demeurait d s lors primordiale D autant que la bourgeoisie garante du bon go t tait en passe de dispara tre au profit d une masse informe d pourvue de r elle culture Pour se pr munir de la confusion ambiante il tait obligatoire de rappeler l existence de valeurs inalt rables L avant garde moderniste tait alors consid r e par Greenberg comme ce rempart contre la m diocrit Pratiquant une forme d entrisme le groupe bordelais renversait un tel postulat en rabaissant l expression de la qualit un pur signe de distinction sociale pour ne pas dire de snobisme L avant garde artistique ne concernait que quelques happy few et elle rejoignait sur un plan symbolique les in galit s de classe Pr sence Panchounette d sirait montrer que le cadre culturel demeurait coercitif et il tentait de jouer les trouble f tes en reprenant le discours des non initi s Seule l utilisation des commentaires de profanes tait m me de montrer que l art si iconoclaste f t il tait encore r gi par des r gles strictes qui devaient tre respect es Dans cet espace sacr Pr sence Panchounette abusait de l outrage Mais le paradoxe voulait que son attitude repr t exactement la tactique moder
6. exprimait aussi travers des attaques ad hominem l image de leur pol mique avec Daniel Buren Sa d marche leur apparaissait embl matique de la conscience factice de l avant garde Quand ils d crivaient leur papier peint fausse pierre comme des lignes blanches se croisant peu pr s angle droit d terminant sur un fond rouge des rectangles d approximativement 8 7 cm de large sur 17 4 cm de long ils parodiaient les notes explicatives de Buren qui avait opt de son c t pour la r p tition d un motif unique une bande de 8 7 cm de large Cette conomie maximale indiquait un retrait l gard de l expression subjective de l artiste et du plaisir visuel du spectateur Mais elle tait per ue par le groupe comme une sobri t toujours d ordre stylistique le style est l et rien ne pourra Pen d loger notait il au milieu des ann es 1970 Il continuait Car l se pose le probl me que Buren se refuse d examiner du choix de cette toile store particuli re qui s av re profond ment marqu e par le design Il existe une multitude de toiles store dont la neutralit prol tarienne n aurait pas rencontr l adh sion qu a rencontr e la neutralit bourgeoise de celle utilis e par Buren Autrement dit le d tachement auquel Buren aspirait n induisait pas l effacement de l ethos de sa classe sociale Pr sence Panchounette voulait mettre nu le condit
7. la peinture moderne au cours de l volution du Cubisme a d couvert ce m me moyen et l utilise assez largement Matisse Klee Picasso il n est plus gu re permis d y trouver un sympt me maladif en soi Texte sans titre 1979 uvres choisies Tome 1 op cit p 40 Li Jacques Soulillou Texte sans titre 1978 Ibid p 8 jugement de go t n tait pas compris sur le mode universaliste de la pens e humaniste d Emmanuel Kant mais sur le mode d terministe de la sociologie structuraliste de Pierre Bourdieu Pour tre exact le collectif devan a la grille de lecture de Bourdieu puisque celle ci ne parut qu en 1979 D s 1973 Pr sence Panchounette soulignait D un point de vue qui ne pose pas comme axiome qu il existe une qualit on s aper oit que bon et mauvais go t sont seulement des cat gories que d finit l id ologie dominante sans liaison avec une r alit transcendantale tous les go ts sont quivalents il existe simplement une parfaite ad quation planifi e du produit aux cat gories historiques biologiques et sociologiques qui le consomment Dans cette optique le chounette se comprenait comme une d fense du kitsch Mais cette appellation tait trop connot e puisqu elle n tait employ e que par ceux qui le d nigraient Dans son c l bre article de 1939 le critique d art am ricain Clement Greenberg avait d fini le kitsch comme un produit de la r
8. Avant garde et kitsch Art et culture Essais critiques Paris ditions Macula 1988 Boston Beacon Press 1961 pp 16 17 Les membres du groupe s inspiraient du jugement d un autre critique d art am ricain Harold Rosenberg Cet adversaire de Greenberg avait insist sur l importance de l acte de peindre dans l expressionnisme abstrait au d triment du r sultat plastique Il interrogea le succ s de ce courant en soulignant la possible perte d un authentique investissement de la part des cr ateurs Satisfait des merveilles qui demeurent bien l abri sur la toile l artiste accepte de perp tuer des lieux communs et les d core de ses quotidiennes annihilations R sultat un apocalyptique papier peint L id e que l avant garde n tait pas l abri des platitudes et de la r p tition fut galement voqu e par Pr sence Panchounette Pour le collectif il ne faisait aucun doute que l une des raisons en tait la stricte autor f rentialit et le retrait l gard de la vie quotidienne sous le signe de l approfondissement l art avait perdu son nergie vitale pour devenir une activit prisonni re de ses propres codes La trivialit de ses interventions prolongeait en partie sur un mode n gatif le constat que toutes les peintures taient des pratiques s par es ali n es L argumentation des Panchounette ne prenait pas seulement un tour g n ral Leur mauvais go t s
9. ce soit BMPT qui intervint de d cembre 7 Pr sence Panchounette Manifeste Panchounette 1969 uvres Choisies Tome 1 Toulouse Calais Centre R gional d art contemporain Midi Pyr n es Mus e des Beaux Arts 1986 p 56 8 i Ibid Pour des pr cisions concernant le bas mat rialisme chez Georges Bataille je renvoie l exposition de Yve Alain Bois et Rosalind Krauss L informe Mode d emploi Paris ditions du Centre Pompidou 1996 10 Pr sence Panchounette Deux ou trois choses que l on sait d elle 1977 uvres choisies Tome 1 op cit p 37 1966 d cembre 1967 ou le groupe anglais Art amp Language cr en 1968 nombreux furent les artistes qui prirent le parti de l aust rit et de la r flexivit Apparu en ao t 1970 l occasion d une exposition l ARC Supports Surfaces dita partir de juin 1971 une revue dont le titre Peinture cahiers th oriques traduisait cette recherche intellectuelle des plus ardues Selon Pr sence Panchounette ces initiatives taient port es par une s v rit digne des sciences exactes qui montrait que ces travaux entretenaient un d calage avec la masse la rh torique de Supports Surfaces f t elle d ob dience marxiste l niniste l inverse de telles pratiques le chounette clamait son appartenance au d risoire et au d sopilant Car le chounette correspondait une sorte de d rapage quelque chose qui n tait pas
10. comique Essai d interpr tation g n rale Paris Sedes 1991 p 42 12 Matthew Hodgart La satire Paris ditions Hachette 1969 p 122 diff rence c est que la plaisanterie d Alphonse Allais est une plaisanterie de mauvais go t Voil donc c tait trouv le cr neau le mauvais go t Assur ment Pr sence Panchounette connaissait ses pr curseurs et apr s dada l ombre des Arts incoh rents 1882 1893 planait sur ce groupe de comiques pasticheurs Cependant une diff rence essentielle existait les blagues potaches au sein du Salon organis par Jules L vy concernaient de fa on cum nique aussi bien l art officiel que les impressionnistes tandis que Pr sence Panchounette se focalisait sur les uvres les plus radicales C est que les temps avaient chang Le d placement des limites de l art travers des actes extr mistes commen ait devenir routinier En France cette acad misation des avant gardes allait s observer explicitement au d but des ann es 1980 travers les mesures prises par le gouvernement socialiste sous la pr sidence de Fran ois Mitterrand la cr ation de la D l gation des Arts Plastiques et des Fonds R gionaux d Art Contemporain en 1982 affirmait un programme culturel ambitieux dont l une des incidences fut de faire rimer Subversion et subvention pour reprendre ici le titre d un ouvrage de Rainer Rochlitz En d pit de cette progressive d centralisation
11. de la modernit ce qui n tait pas le cas des classes populaires qu il tait cens repr senter En outre une seconde ambigu t tait apparue avec le changement de paradigme perceptible au d but de cette nouvelle d cennie la confusion g n ralis e des valeurs dont les Panchounette se servaient dans leur pratique satirique caract risait pr sent la postmodernit La conception progressiste du modernisme qui avait amen les artistes plasticiens vers une puret essentialiste s puisa Le pluralisme des ann es 1980 signa la fin de l Histoire lin aire et une ouverture des possibilit s esth tiques Cette ouverture fut marqu e notamment par le retour la peinture figurative et une certaine forme d attraction color e Pr sence Panchounette commenta ce changement dans une uvre de 1982 intitul e Wham On y observait un nain de jardin rapporter dans sa brouette des monochromes gris incarnant l art conceptuel des ann es 1970 apr s avoir accroch dans un angle une toile au style gestuel et bariol La critique tait manifeste cette volution n tait qu une affaire de mode et ceux qui avaient pr n le rigorisme intellectuel acclamaient maintenant les enjolivures les plus chevel es La postmodernit fut toutefois consid r e comme une perte des rep res Et Pr sence Panchounette ne fit pas exception la r gle En 1986 le groupe avoua en dernier ressort respecter la distinction en
12. e mythe de la contre culture Paris Na ve 2005 5 Pr sence Panchounette Capri c est fini Et dire que c tait la ville de mon premier amour Art Press n 134 mars 1989 p 34 Je souligne Guy Ernest Debord Rapport sur la construction des situations et sur les conditions de l organisation et de l action de la tendance situationniste internationale Bruxelles 1957 Repris dans Textes et documents situationnistes 1957 1960 op cit p 3 Dans son Manifeste de 1969 le groupe pr cisait Le manifeste panchounette est crit avec pr sent l esprit l image de Georges Bataille retroussant ses manches de lustrine pour guillotiner Dada d une seule formule pas assez idiot Quant l Internationale Panchounette elle aspire l idiotie totale tendre m me au mongolisme De l idiotie au mongolisme on peut souligner que Pr sence Panchounette assuma une vidente incorrection Le collectif avait choisi d abuser des mauvaises mani res de fa on ne solliciter aucune adh sion Il s agissait de d courager les ventuels aficionados en versant dans l ineptie loin de tout engagement politique Dans cette perspective les Panchounette prirent le contre pied du r quisitoire contre la soci t bourgeoise en passe de devenir une v ritable mode L Internationale Panchounette n a pas pour but la subversion mentionnait le groupe dans son texte programmatique Dans le monde o les gens
13. ionnement de l individualit m me lorsque celle ci avait r ussi obtenir un statut artistique et se voulait en dehors des jeux de force traditionnels Il tait impossible de pr tendre une compl te ind pendance Pour le groupe l mancipation pr n e par de nombreux artistes par rapport aux cat gories sociales tait simplement une fa on de ne pas probl matiser leur place au sein de cette soci t La satire qu il leur renvoyait avait pour ambition d accentuer les contradictions et de d voiler que l affranchissement personnel entretenait une collusion avec le groupe dominant Dans ces conditions le style chounette r v lait par contraste cette identit bourgeoise en provoquant un v ritable d go t Le pari fait par les membres du groupe tait en effet que leurs objets conserveraient leur charge ignoble malgr leur insertion dans le monde de l art Leur banalit se voulait aux antipodes de l habituelle sophistication et sans les clins d il qui permettaient de tol rer les citations de la culture populaire Cette tactique de la laideur et du premier degr tait toujours adopt e dans les ann es 1980 Un cas vaut d tre cit celui de Remake up 1986 la version d chue de la T te de Taureau r alis e par 21 Harold Rosenberg La tradition du nouveau Paris Les ditions de Minuit 1962 New York Horizon Press 1969 p 34 7 Pr sence Panchounette Projet Exposition Yvon Lambert janvier 1975
14. l art moderne avait adopt pour crit re d excellence l invention et non plus la composition le m tier l harmonie ou encore le fini avaient t remplac s par la nouveaut ce qui induisait que les uvres des avant gardes apparaissaient pleines de faiblesses ou de d fauts au regard du jugement acad mique Les Panchounette quant eux n accord rent aucune valeur particuli re l originalit dans leur tentative de nivellement satirique Ils d nigr rent les cr ations modernes en s appuyant sur leur apparence physique souvent d termin e par une absence de savoir faire L extrait d un texte de 1984 est ce titre embl matique Lorsqu en 1969 nous nous disions na vement que nous allions gagner parce que nous tions les plus beaux il n y avait pas grand chose d utilisable dans le bric brac moderniste Des chouettes empaill es aux capsules de soda tout tait prix la razzia tait faite Il ne nous restait plus rien ni m me le pastiche ni m me le plagiat Le presque rien Le n importe quoi L videmment Le pas tout fait a Essor s mort Sauf si de Premi re communion de jeune fille chlorotiques par un temps de neige Alphonse Allais 1883 Carr blanc sur fond blanc Kasimir Malevitch 1918 blanc sur blanc on ne voit que du feu c est kif kif facile on tire la conclusion suivante c est pas pareil Pourquoi Qu est ce qui change La H Jean Emelina Le
15. l surgit Il critique la soci t renverse la table des valeurs ou nie son existence il recommande inlassablement la transgression Dans la logique propre aux avant gardes l historien de l art non ait le caract re conflictuel des arts plastiques face la marche du monde Il soulignait d autant plus leur pouvoir de d construction que les r cents v nements avaient donn une plus large audience la subversion Cit par Sylvie Couderc Une conversation avec Pr sence Panchounette Kanal Magazine n 27 28 janvier mars 1987 p 30 Atelier Populaire pr sent par lui m me 87 affiches de mai juin 1968 Paris Usines Universit s Union 1968 p 8 3 Gilbert Lascault L art contemporain et la vieille taupe dans Art et contestation Bruxelles La Connaissance S A 1968 p 93 Pour Pr sence Panchounette renvoyer 1969 n tait donc pas anodin Une telle date t moignait de sa prise de distance par rapport la contestation Ne correspondait elle pas en effet la prise de d cision du pr sident Georges Pompidou d difier un grand mus e d art moderne Cette proposition politique fut tr s souvent consid r e par les opposants au gouvernement comme une forme de r cup ration Et la contre culture n tait pas au bout de ses d ceptions L encore c est a posteriori que le collectif se fit plus explicite En 1989 en r ponse aux interrogations de Catherine Millet le groupe mentio
16. mbres du groupe pr cisaient avec justesse La cacophonie des signes que nous avions assez na vement vue comme pr lude l av nement de la soci t sans classes n a t le pr lude de rien du tout sinon de l clectisme postmoderne Jacques Soulillou This is the end Pr sence Panchounette Art Press n 145 mars 1990 p 29 2 Pr sence Panchounette Texte Artension 30 d cembre 1984 uvres choisies Tome 1 op cit p 89 d bord dans la mesure o cette fameuse postmodernit avait troqu en dernier recours le malaise contre la d contraction Pr sence Panchounette reconnut d ailleurs s tre pris les pieds dans le tapis du d coratif savoir le nivellement Il mit fin ses activit s en 1990 Sa logique de confusion reposait exclusivement sur le constat d une perte irr m diable du combat des avant gardes qui ne pouvait tre surmont e force d endosser le r le quelque peu nihiliste de ceux qui on ne la fait pas ils se retrouv rent finalement sans plus rien faire Pour eux il tait entendu que la grande culture du refus n existait plus depuis longtemps Cette culture devait tre li e un engagement social et port e par une praxis Or ils avaient tabli la dissociation entre le discours et l action d s les lendemains des v nements de mai 1968 en insistant sur l impossibilit d une rencontre authentique entre l art et la vie D s son origine le gr
17. ne de la transgression dont il se m fiait pourtant puisque sa satire tait une fa on d prouver sa libert face au carcan hi rarchique l avant garde du d coratif Tout au long des ann es 1970 Pr sence Panchounette connut de rares occasions de diffuser sa critique Entre 1972 et 1975 le groupe exposa uniquement Bordeaux dans son propre espace le Studio F4 Sa premi re manifestation parisienne eut lieu en 1977 la galerie Eric Fabre Cette intervention portait un titre surann Transition Valse Le groupe avait recouvert les murs de la galerie de deux sortes de papier peint Le premier de type fausse pierre tait visible en fa ade le second plus psych d lique l int rieur de la salle La crise de la peinture de chevalet et l affirmation de la plan it picturale qui en d coulait taient ramen es un papier d coratif C tait l le moyen le plus frappant pour aller l encontre de l autonomie de la cr ation plastique 8 Je renvoie ici aux ouvrages d Emmanuel Kant Critique de la facult de juger suivi de Id e d une histoire universelle au point de vue cosmopolite et de R ponse la question Qu est ce que les Lumi res Paris ditions Gallimard 1985 et de Pierre Bourdieu La distinction critique sociale du jugement Paris Les ditions de Minuit 1979 1 Bauhaus Panchounette Para Design 1973 uvres choisies Tome 1 op cit p 25 2 Clement Greenberg
18. nnait dans la revue Art Press En ce qui concerne ce que nous voulions la plus grande confusion r gnait sans doute la Gloire mais aussi que le monde cesse d tre la saloperie qu il continue d tre et d autres d sirs plus boniches encore Nous ne nous faisions gu re d illusions l dessus et tr s t t un graffiti de novembre 1968 disait Tout est comme avant il tait sign Pr sence Panchounette La brutalit de la verve allait de pair avec un certain cynisme les entendre les membres du groupe ne furent jamais dupes des possibilit s d une r volution apr s la crise du r gime r publicain D s lors le malentendu serait de consid rer les Panchounette comme de jeunes r veurs tout droit sortis de la d nonciation de mai 1968 avec le d sir de prolonger ce mouvement Il n en est rien leur rage ne prit jamais une forme h ro que mais pr senta plut t l aspect d une baudruche d gonfl e La d rision se substitua ais ment la nostalgie Et ils s employ rent d jouer les croyances en un Grand Soir ce premier pas vers une nouvelle soci t que l art se devait d anticiper Si Pr sence Panchounette reconnut avoir t influenc initialement par les th ses de l Internationale situationniste il marqua n anmoins ce qui le diff renciait des r volutionnaires men s par Guy Debord entre 1957 et 1972 L o l LS s tait plac e dans la perspective utopique d une transformation
19. oupe avait adopt une position de double bind travers laquelle il ne pouvait s agir uniquement d avoir raison La conscience et le discernement ne suffisaient plus ce qui avait amen tendre vers une certaine ind cidabilit Ses uvres se voulaient autant les preuves d une lecture vigilante de la place de l art dans la soci t que les sympt mes de la d cadence de la culture critique La d g n rescence guette les avant gardes 1972 1986 constatait Pr sence Panchounette travers le titre d une de ses installations Sur une table repasser taient pos s le fer clout de Man Ray Le Cadeau de 1921 et une veste qui rappelait le pantalon lettriste port par Jean Michel Mension au d but des ann es 1950 Ces trois objets taient trangers la c l bre beaut d crite par la surprenante rencontre du comte de Lautr amont beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d une machine coudre et d un parapluie Ils tendaient au contraire vers une sorte de normalit fonctionnelle qui t moignait de l inexorable chute des aspirations transformer le monde vers l ordinaire le plus grossier Mais cette d g n rescence montrait aussi que la satire du collectif tait la fois contestataire et r actionnaire Et c est s rement ce titre qu elle peut appara tre aujourd hui encore au c ur des ambivalences de notre poque
20. qui le confortent de la main droite reconnaissent de la main gauche la n cessit de le changer elle est la seule Internationale qui trouve que TOUT VA BIEN Apr s la radicalit extr me des situationnistes le collectif ne pouvait se satisfaire de quelques productions artistiques suppos es participer l accusation du mode de fonctionnement du syst me capitaliste Il s opposait par exemple au Comit de la Jeune Peinture qui pr senta au mus e d art moderne de la Ville de Paris dans le cadre de l ARC la Salle rouge pour le Vietnam Du 17 janvier au 23 f vrier 1969 cet espace accueillit diff rentes toiles de m me format qui avaient toutes en commun d avoir t con ues collectivement et autour d une couleur l vidente signification id ologique Cet art militant qui fustigeait l imp rialisme am ricain se pensait au service de la cause du peuple vietnamien Son existence se justifiait travers sa port e symbolique et non sur un plan strictement esth tique Ces peintres figuratifs accordaient donc une primaut au message de leurs uvres et entendaient susciter une prise de conscience chez les spectateurs contrairement Pr sence Panchounette cet gard la r f rence Georges Bataille permet de mieux comprendre ce rejet obtus de la signification chez les membres du collectif Ces derniers s inscrivaient en faux contre toute formalisation conceptuelle dans la mesure o elle leur apparaissait in
21. sa place selon les conventions en usage Ce n ologisme tait issu du mot choune qui d signe dans un langage particuli rement grossier le sexe f minin Chounette revendiquait de la sorte un langage argotique des plus vulgaires Le suffixe grec pan qui lui tait accol de fa on malicieuse laissait entendre quant lui un d sir feint de totalisation en cette p riode dogmatique o les artistes travaillaient la d couverte de la v rit C est cette fausse totalisation qui fut le pr texte la vraie agressivit du collectif Le rire de Pr sence Panchounette exhibait en effet un cart par rapport aux enjeux qui animaient le monde de l art Il tait la marque d une v ritable insolence Et en cela il rejoignait la satire qui est irrespect et offense comme l a mentionn Jean melina dans son essai sur Le comique L idiotie dont il a t question devait compromettre les activit s du groupe mais galement l ensemble des uvres contemporaines L objet des Panchounette tait de d valuer l avant garde en jetant le doute sur ses ambitions Dans cette optique ils firent appel au proc d de base de la satire qui est comme l expliquait Matthew Hodgart en 1969 la d gradation La r volte des m diocres du go t En fait Pr sence Panchounette prit au pied de la lettre la r volte des m diocres qui avait t invent e par l artiste Robert Filliou en 1967 D apr s ce dernier
22. sque cet art contemporain tait pr sent cautionn par l lite La d mocratisation engag e dans les ann es 1980 travers la mise en place de nouveaux dispositifs institutionnels n tait pas suffisamment significative pour remettre en cause son interpr tation sociologique Le postulat fondamental de la d marche de Pr sence Panchounette tait le suivant malgr la grande diversit des cr ations toutes partageaient un code commun qui reposait sur le go t Tandis que les avant gardes pensaient en avoir fini avec l esth tique ou tout du moins la beaut Pr sence Panchounette cherchait souligner que le jugement de go t demeurait leur refoul D vidence ce 1 Pr sence Panchounette Pr sence Panchounette Public n 2 1984 p 25 Rainer Rochlitz Subvention et subversion Art contemporain et argumentation esth tique Paris ditions Gallimard 1994 15 Matthew Hodgart La satire op cit p 124 16 Le plus souvent les surfaces sont trait es par le malade mental d une mani re assez particuli re on a voulu y voir certaines poques un signe quasi sp cifique des dessins d ali n s Nous voulons parler du remplissage d coratif par des points des hachures des ronds m me des lettres et des chiffres Il s agit l si l on veut d it rations apparent es aux st r otypies c est dire la r p tition prolong e du m me l ment formel Mais depuis que
23. tre le mineur et le majeur qu il avait pourtant malmen e avec une constance quasi in branlable Il remarquait S il n y a pas de hi rarchie ni d ordre notre travail n a pas de sens On peut alors se demander ce qu il faut comprendre un tel revirement de la part d un collectif qui avait soutenu l quivalence g n ralis e Les Panchounette avaient cru que la cacophonie des signes permettrait l av nement d une soci t sans classes Mais une fois r alis e cette cacophonie semblait juste neutraliser leur critique sociale sous le coup d un clectisme jug doucereux Ils faisaient la constatation suivante L avant garde en 1928 le ridicule en 1984 Sauf que ce ridicule avait t promu par Pr sence Panchounette d s la fin des ann es 1960 comme un pied de nez la modernit L incongruit voulait donc que le collectif e t anticip d une certaine mani re sur la postmodernit en diagnostiquant l essoufflement de la port e politique des innovations artistiques Mais il fut lui m me 25 Cit par H l ne Parmelin Picasso dit Paris ditions Gonthier 1966 p 90 Sophie Duval et Marc Martinez La satire litt ratures fran aise et anglaise Paris Armand Colin 2000 p 198 77 Cit par Sylvie Couderc Une conversation avec Pr sence Panchounette Kanal Magazine op cit p 30 l occasion d un article informant de l arr t de leurs activit s les me
24. tre ramen e son seul mois de mai et la r volte estudiantine et ouvri re qui lui tait associ e Dans le monde de l art le mouvement de contestation fut marqu notamment par la cr ation de l Atelier Populaire de l ex cole des Beaux Arts de Paris en gr ve depuis le 8 mai Outre la diffusion des affiches devenues c l bres une commission de r forme mit au point un programme de lutte contre la culture qualifi e de bourgeoise Dans un tract diffus le 21 mai elle expliquait que c tait l l instrument par lequel le pouvoir d oppression de la classe dirigeante s pare et isole du reste des travailleurs les artistes en leur accordant un statut privil gi Et de pr ciser Le privil ge enferme l artiste dans une prison invisible Contre l autonomie de la cr ation les animateurs de ce nouvel espace de production et de r flexion entendaient remettre en cause le principe d une libert d expression limit e aux uvres d art et dont la majorit de la population tait concr tement d munie Si l insurrection eut pour conclusion imm diate les lections l gislatives des 23 et 30 juin qui donn rent une large victoire la majorit gaulliste la lutte n en continua pas moins Ainsi dans un ouvrage dirig par Jean Cassou qui cherchait faire le point sur la dimension rebelle de la cr ation Gilbert Lascault affirmait que l art contemporain critique la culture l int rieur de laquelle i
25. vitablement prise dans les rets de l id alisme Leur lecture tait pleinement mat rialiste mais issue de ce bas mat rialisme que l on doit l auteur de Madame Edwarda ou Histoire de l il La dialectique n induisait aucune r solution des contradictions Le principe d un d passement tait cart et il ne restait plus qu exasp rer les tensions propres la pens e dualiste Ainsi Pr sence Panchounette souhaitait intervenir l int rieur du monde professionnel de l art bien que ses membres se comportassent en amateurs et que la sp cialisation f t v cue comme une v ritable s paration vis vis de l espace social Son attitude moqueuse r sultait en partie de ce conflit insurmontable l absurdit revendiqu e tait une fa on d affirmer sa position intenable Il fallait int grer le milieu de l art pour le faire tourner en bourrique comme le veut une expression qui pourrait tre qualifi e de chounette lui seul ce mot irritait par sa charge d su te Pr sence Panchounette affichait un ricanement qui disait son refus de se prendre au s rieux mais galement d accorder un quelconque cr dit aux propositions artistiques de l poque Dans le domaine de la cr ation plastique la fin des ann es 1960 et les ann es 1970 furent marqu es par des d marches analytiques dont la rigueur visuelle assurait de ne pas souscrire aux facilit s du beau et de la s duction que
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