LE TEMPS DE LA REFLEXION 1982
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1. e tr NUM RO III OCTOBRE 1982 I R FLEXION PHASES DE L IMMORTALIT JEAN PIERRE VERNANT Le refus d Ulysse NICOLE LORAUX Donc Socrate est immortel MICHEL TARDIEU Les v tements de lin JEAN LOUIS CHR TIEN Pouvoir mourir et devoir mourir dans la th ologie chr tienne Documents Propos du Pape Jean Paul II sur la r surrection Conversation de Staline avec le Patriarche Alexis REN MARL La foi en la r surrection des morts LISABETH DE FONTENAY Nous marchons tous l ternit CLAUDE MOUCHARD Deux secondes vies CLAUDE LEFORT Mort de l immortalit 2 GILBERT DURAND Le retour des immortels JEAN STAROBINSKI L immortalit m lancolique II RECHERCHE JACQUES LE GOFF Saint Louis et les corps royaux JEAN CLAUDE SCHMITT Les revenants dans la soci t f odale CLAUDE IMBERT Port Royal et la g om trie des modalit s subjectives KRZYSZTOF POMIAN La culture de la curiosit ANTOINE COMPAGNON Comment on devient un grand crivain frangais CRITIQUE FRAN OIS GANTHERET Freud biologiste MICHEL SCHNEIDER Au d faut de l uvre les Journaux de Musil LAURENT JENNY La f lure et la parenth se Roger Caillois IV LECTURE par F AZOUVI M DEGUY M FROMENT MEURICE M IZARD G JORLAND M MORANGE E MOTZKIN J POUILLON G ROQUE 82X 23688 ISBN 2 07 023888 9 130 FF tc2. au bout du monde chouer chez Calypso sur son antre rocheux ce nombril des mers embelli 4 Cf sur ce point P Vidal Naquet Valeurs religieuses et mythiques de la terre et du sacrifice dans l Odyss e Le Chasseur noir Paris Maspero 1981 p 39 68 5 1 11 15 repris au chant 5 6 Quand elle s empare d un homme la mort l enveloppe d un sombre nuage elle recouvre de nuit son visage elle l encapuchonne de t n bres Eros n agit pas autrement Dans les deux cas cette action de cacher est exprim e par le verbe amphikaluptein cf pour la mort Iliade 5 68 et 16 350 pour Eros Iliade 3 442 7 Odyss e 5 120 sq Sur cet enl vement subit par une puissance surnatu relle cf Iliade 8 846 847 Odyss e 20 61 et surtout Hymne hom rique Aphrodite 1 202 238 8 Dans ses Probl mes hom riques 68 5 H raclite en interpr tant comme une all gorie les amours d H mera et d Orion souligne le lien entre Thanatos et Eros Quand mourait un jeune homme de noble famille et de grande beaut crit il on nommait par euph misme son cortege fun bre au lever du jour enlevement par Hemera comme s il n tait point mort mais qu il e t t ravi parce qu il tait l objet d une passion rotique 9 Situ e au couchant l extr me fronti re du monde l ile est appel e cepen dant omphalos thalass s nombril de la mer 1 50 repris au chant 5 et d sign e aussi co
3. macabre loc cit p 250 279 La prairie fleurie campent les charmeuses Sirenes est cern e d ossements et de d bris humains dont les chairs se corrompent Odyss e 12 45 46 11 Sur le lointain de l ile cf Odyss e 5 55 loign e des dieux 5 80 et 100 loign e des hommes 5 101 102 12 La nymphe plusieurs reprises est appel e thea ou theos d esse 1 14 et 51 5 78 7 255 surtout 5 79 le couple Calypso Hermes est celui de deux theoi 5 118 Calypso se range elle m me dans le groupe des d esses amoureuses d un mortel 5 188 avant de c der elle accorde qu aucun dieu ne peut s oppo ser au vouloir de Zeus 5 192 194 o le couple Calypso Ulysse est celui d un dieu et d un homme theos et an r Ce statut divin est confirm par le fait que m me lorsqu ils mangent en commun Calypso se nourrit de nectar et d ambroisie com me les dieux Ulysse de pain et de vin comme un homme mortel 5 93 165 196 200 18 Odyssee 5 61 et 1 56 57 repris au chant 5 16 R flexion Oublier Ithaque c est pour Ulysse couper les liens qui le relient encore sa vie et aux siens tous ses proches qui de leur c t s attachent au souvenir de lui soit qu ils esperent contre toute attente le retour d un Ulysse vivant soit qu ils s appr tent difier le mnema fun raire d un Ulysse mort Mais tant qu il demeure reclus cach chez Calypso Ulysse n est dans la condition ni d u
4. des Ath niens la vie d homme et de citoyen le corps D o tout au long du Ph don une s rie de sorties pour ne pas dire d expulsions et de cong s qui tous r p tent l adieu au corps Parce que toute vie est dans l me le philosophe enfin d barrass du corps connaitra la f licit dans l Hades s jour ultime des mes d livr es du s ma mais dot es de la pens e phron sis voire assimil es l activit m me du penser Socrate l atopos 6 Voir N Loraux L invention d Ath nes Histoire de l oraison funebre dans la cit classique Paris 1981 ainsi que Mourir devant Troie tomber pour Ath nes dans La mort les morts 27 43 7 Xanthippe ramen e chez elle Ph don 60 a ordre Criton d envoyer pro mener le serviteur et ses conseils 63 e cong donn la foule par les philoso phes 64 cong de l me au corps 65 cong du philosophe au corps 81 e cong au discours de la mati re 100 d 101 c et 4 l homme qui a dit adieu aux plaisirs du corps 114 e adieu du serviteur des Onze Socrate qui lui retourne son adieu 116 c et d cong aux femmes 117 d 8 En installant les mes dans l Had s Platon est fid le aux repr sentations grecques orthodoxes en dotant les mes philosophantes de phronesis il fait un pas a raie Me dus eaten dc re iE 7 8 D Y y Ya te 5 Dig is TQ pe 5 TT 7
5. part Ulysse a disparu englouti sans laisser de trace et il d sor mais une existence entre parentheses Comme les Sir nes Calypso qui peut elle aussi chanter d une belle voix charme Ulysse en lui tenant sans cesse des litanies de douceurs amoureuses aiei de malakoisi kai amulioisi logoisi th lgei Thel gei elle l enchante elle l ensorcelle afin qu il oublie Ithaque hop s Ithakes epil setai hautes colonnes maintenant s par s le ciel et la terre Odyss e 1 50 54 Dans son r le de pilier cosmique s enracinant au plus profond pour monter jusqu au ciel travers la terre Atlas apparait dans la g ographie mythique des Grecs tant t tout fait l ouest tant t tout fait en bas tant t l ombilic du monde Autant de facons de dire qu il n est pas dans ce monde que connaissent les hommes l extr me occident ogygienne comme le Styx au nombril de la mer l ile o habite Calypso n a pas non plus sa place dans l espace humain Elle est une figure de l ailleurs 10 Molles prairies leim nes malakoi chez Calypso Odyssee 5 72 prairie en fleurs leim n anthemoeis chez les Sir nes Odyss e 12 158 Sur la valeur rotique de leim n qui peut d signer le sexe f minin cf Andr Motte Prairies et jardins de la Gr ce antique Bruxelles M moires de la classe de Lettres de l Acad mie royale de Belgique 2 s rie t LXI fasc 5 1978 p 50 56 et 88 87 Sur la valeur fun bre ou
6. place pour la premiere fois dans notre litt rature ce qu on peut appeler le refus h ro que de l immortalit Pour les Grecs de l ge archa que cette forme de survie ternelle qu Ulysse partagerait avec Calypso ne serait pas vraiment sienne puisque personne au monde n en saurait jamais rien ni ne rappellerait pour le c l brer le nom du h ros d Ithaque Pour les Grecs d Hom re contrairement nous l im portant ne saurait tre l absence de tr pas espoir qui leur parait pour des mortels absurde mais la permanence ind finie chez les vivants dans leur tradition m moriale d une gloire acquise dans la vie au prix de la vie au cours d une existence o vie et mort ne sont pas dissociables Sur la rive de cette le o il n aurait qu un mot dire pour devenir immortel assis sur un rocher face la mer Ulysse tout le jour se lamente et sanglote Il fond il se liqu fie en larmes Son ai n son suc vital s coule sans cesse kateibeto ai n dans le pothos le regret de sa vie mortelle comme l autre bout du monde l autre p le du couple P n lope de son c t consume son ai n en pleu rant par regret d Ulysse disparu Elle pleure un vivant qui est peut tre mort Lui dans son ilot d immortalit coup de la vie comme s il tait mort pleure sur sa vivante existence de cr ature vou e au tr pas Tout la nostalgie qu il prouve l gard de ce monde fugace et ph m re auquel il ap
7. Le temps dela r flexion 1902 Parait une fois l an Gallimard AN Extrait de la publication ditions Gallimard 1982 Extrait de la publication SIE ERICH Sie aus POS POO sy ds SEIEN av eue S S SN POSO AOS OIR 6 X S PES SSS DIS SS SS SSS SOOT LISTEN ISOS SSIS SFOS OPS Rhe eS M B AROS SS SS y ASSIS Sa BUR ANN RES SRR CASES SAP SS SSS SS SSS SSS SSS BASS SSS SS MEM See ae SS vea SS SSSSSSS SRSSSSS S SSSR mana S AV ARS a SS RBW BB VCS AAA AAs OATS GABAA SSSSSSS SES NN e ARSS REAS ISS I NN x DIN SSS XI S SE SSS SS ESR SSS SSS BSS SS RES URS ISIS L operation de reprendre les relais et de former le las ou n ud qui joint les couleurs Tapisserie de Basse Lisse des Gobelins Planche XVII du Recueil de planches sur les sciences les arts lib raux et les arts m chaniques avec leur explication Huiti me livraison Paris 1765 Extrait de la publication I R FLEXION PHASES DE L IMMORTALIT Extrait de la publication JEAN PIERRE VERNANT Le refus d Ulysse D s les premiers vers de l Odyss e la nymphe Calypso surgit et occupe le devant de la sc ne Le po te commence par elle son r cit quand s ouvre le chant I Ulysse bloqu depuis sept ans dans l ile o l
8. a d esse le retient d sesp re de revoir son logis Sur l Olympe devant les dieux rassembl s Athena la d nonce comme responsable des malheurs de son prot g C est vers elle que Zeus d p cher Hermes en messager pour lui intimer l ordre de lais ser le h ros reprendre la mer et retourner chez lui La figure de Calypso l amour de la d esse pour un mortel la longue captivit qu elle impose Ulysse aupres d elle tout l pisode par sa place au d part de la narration par sa reprise maintes fois r p t e dans le courant du texte conf re aux errances du roi d Ithaque leur v rita ble signification en r v lant l enjeu de toute l aventure odyss enne retour ou non retour du h ros travers sa patrie au monde des 1 Odyssee 1 11 15 ces m mes vers sont repris textuellement au d but du chant 5 o comme au chant 1 ils servent introduire la tenue de l assembl e des dieux et la d cision effective cette fois d j prise mais non r alis e au chant 1 d envoyer Hermes en messager aupr s de Calypso pour qu il lui transmette l ordre de lib rer Ulysse Sur cette duplication de l pisode et sur sa port e dans la chro nologie narrative du po me cf E Delebecque Construction de l Odyss e Paris Les Belles Lettres 1980 p 12 18 2 Ulysse est rest sept ans chez Calypso comme il le pr cise luim me r ponse une question d Ar t la reine des Ph aciens 7 259 261 Sept ans sur une d
9. dit Et quelle tradition Rejet pur et simple d un texte jug difiant r p tition r v ren cielle d une longue tradition de commentaires spiritualistes Entre ces deux attitudes oppos es qui d un seul mouvement conseillent de ne pas trop s approcher d un dialogue nagu re beaucoup lu n y auraitil plus rien chercher dans le Ph don A moins que cette double mise en garde ne suffise sugg rer d aller malgr tout y voir de plus pr s quitte devoir trouver une strat gie face au triple prestige dont se pare ce dialogue prestige de la mort de Socrate dont il contiendrait le r cit authentique de la pure sp culation philosophique certains d veloppements y sont d une redoutable difficult et bien s r de l immortalit de l me le Ph don en pr sente diton plus d une preuve 1 Le Ph don sera consid r en tant qu il instaure une tradition sans m connaitre que replac dans l volution de la pens e platonicienne ce texte est une simple tape dans le traitement de la question de l me je ne m int resserai ici qu la rupture qu il introduit Pour la p riode qui va du moyen et n o platonisme au Moyen Age l histoire de la tradition a t faite voir par exemple P Courcelle Connais toi toi m me De Socrate saint Bernard II Paris 1975 pp 325 414 ch III fix e au corps L histoire du Ph don dans l institution universitaire aux XIX et xx si cles reste pour l essen
10. e pr caire et mortelle les preuves les errances sans cesse recommenc es ce destin de h ros d endurance qu il lui faut assumer pour devenir lui m me Ulysse cet Ulysse d Ithaque dont aujourd hui encore le texte de l Odyss e chante le nom raconte les retours c l bre la gloire imp rissable mais dont le po te n au rait rien eu dire et nous rien entendre s il tait demeur loin des siens immortel cach chez Calypso Jean Pierre Vernant 20 Odyss e 5 158 la vitalit d Ulysse s pand en larmes parce que la nym phe ne lui plaisait plus epei ouketi hendane numph 21 Le soir Ulysse rejoint Calypso par contrainte anank contre son gr parce qu elle le veut 5 154 155 22 1 59 23 C est une maxime chez les hommes que quand un exploit a t accompli il ne doit pas rester cach kalipsai dans le silence Ce qu il lui faut c est la divine m lodie des vers louangeurs Pindare M m ennes 9 13 17 NICOLE LORAUX Donc Socrate est immortel Parlons de l me En d autres termes parlons de l immortalit Car immortelle est l me occidentale l affirmer tient la limite de la tautologie Cette nait dans le Ph don elle donne m me ce dialogue son sous titre I faut relire le Ph don Relire le Ph don quoi bon C est ennuyeux et bien spiritua liste Relire le Ph don Peut tre mais il n y a rien en dire que la tradition n ait d ja
11. epr sentations grec ques de l immortalit Texte fondateur soit mais pour s essayer une lecture qui ne se contente pas de r p ter la tradition on tentera d y d chiffrer les voies discursives de cette belle op ration d immortalit Cerner la rupture et tout la fois ce qui l accr dite d sormais comme tradition telle est donc la vis e qui orientera cette lecture Une pratique de s baration D Homere l ge classique l homme grec a un corps s ma et une psych mot que je ne traduirai pas d entr e de jeu pour ne pas 2 Telles sont les trois disciplines que dans un article souvent cit La com position du Ph don Revue des Etudes Grecques 1940 R Schaerer autorise p 7 s approcher du dialogue 8 Pr histoire de l immortalit de l me voir par exemple M Detienne La notion de Daim n dans le pythagorisme ancien Paris 1963 pp 69 85 pythagorisme J C G Strachan Classical Quarterly 20 1970 pp 216 220 orphisme ainsi que plus g n ralement E Rohde Psyche trad fr Paris 1952 F Sarri Socrate e la genesi storica dell idea occidentale di anima Rome 1975 et J Bremmer The Early Greek Conception of Soul paraitre Princeton Donc Socrate est immortel 21 l identifier trop vite l me que la mort lib re Reste d termi ner ce qu il fait de l un et de l autre travers les trois figures cons cutives et parfois concurrentes il s est successive
12. ment reconnu le guerrier de l pop e le citoyen soldat de l poque clas sique le philosophe Il se trouve qu ces trois figures correspon dent comme le lieu m me de leur exemplarit trois modeles de la mort Meure le guerrier hom rique pour que du cadavre inerte nais se un mort la collectivit connait le mode d emploi Il suffit de traiter le corps de facon appropri e alors le guerrier d funt acc de ra au statut social de mort l a de pourra pour l dification de la post rit chanter sa gloire imp rissable kleos aphthiton et sa psych rejoindra dans l Hades les ombres incertaines et fugitives des morts du pass Moment d cisif que cette derni re tape ce qui n emp che pas que pour Homere le corps ait bien plus de r alit que cette psych vaporeuse qui d s le tr pas fuit en pleurant le guerrier et attend de devenir enfin ombre parmi les ombres Platon s en sou viendra souriant des interlocuteurs de Socrate poss d s par la crainte enfantine que tout de bon le vent n aille souffler sur l me sa sortie du corps pour la disperser et la dissiper surtout quand d aventure au lieu d un temps calme il y a grosse brise l instant de la mort Soit maintenant la mort du citoyen soldat de l Ath nes classi que tomb au combat Il a donn sa vie bios la cit mais les textes disent aussi indiff remment qu la cit il a donn son corps s ma ou sa psyche qui lui tai
13. mme n sos ogugi ile ogygienne 1 85 qualificatif qu H siode applique l eau du Styx le fleuve infernal qui s coule sous la terre travers la nuit noire au fond du Tartare Th ogonie 806 C est dans ce m me lieu souterr in qu H siode contraire ment la tradition qui le place l extr me ouest localise Atlas le p re de Calypso soutenant de la t te et des bras sans faiblir le vaste ciel Th ogonie 746 748 Quand Hom re parle de nombril de la mer au sujet de l ile o r side Calypso C est pour voquer aussit t le p re de la d esse cet Atlas l esprit malfaisant qui conna t les abimes profonds de toute la mer et qui en m me temps tient les Le refus d Ulysse 15 d un bois de sources ravissantes et de molles prairies voquant la prairie en fleurs rotique et macabre chantent les Sir nes pour charmer et perdre ceux qui les coutent L ile l homme et la nymphe cohabitent coup s de tout de tous dans la solitude de leur face face amoureux de leur isole ment deux se situe dans une sorte d espace en marge de lieu part loign des dieux loign des hommes C est un monde de l ailleurs qui n est ni celui des Immortels toujours jeunes bien que Calypso soit une d esse ni celui des humains soumis au vieillisse ment et la mort encore qu Ulysse soit un homme mortel ni celui des d funts sous la Terre dans l Had s une sorte de nulle
14. n vivant ni d un mort Bien que toujours en vie il est d j et par avance comme retranch de la m moire humaine Pour reprendre les mots de T l maque en 1 235 il est devenu par le vouloir des dieux d entre tous les hommes invisible aistos Il a disparu invisi ble et ignor aistos apustos hors de port e de ce que peuvent atteindre le regard et l oreille des hommes Si au moins ajoute le jeune garcon il tait mort normalement sous les murs de Troie ou dans les bras de ses compagnons d infortune il aurait eu sa tombe et quelle grande gloire mega kleos il aurait laiss pour l avenir son fils mais les Harpyes l ont enlev homme de nulle part les vivants n ont plus rien faire avec lui priv de remembrance il n a plus de renom vanoui effac il a disparu sans gloire aklei s Pour le h ros dont l id al est de laisser apr s soi un kleos aphthiton une gloire imp rissable pourrait il rien avoir de pire que de dispa ainsi aklei s sans gloire Qu estce donc alors que la s duction de Calypso propose Ulysse pour lui faire oublier Ithaque D abord bien s r d chapper aux preuves du retour aux souffrances de la naviga tion tous ces chagrins dont elle sait l avance tant d esse qu ils l assailleront avant qu enfin il ne retrouve sa terre natale f Mais ce ne sont l encore que bagatelles La nymphe lui offre bien davanta ge Elle lui promet s il acce
15. partient notre h ros ne go te plus les 18 H siode Travaux et Jours 154 Dans le contexte de la culture grecque archaique la cat gorie de la personne est bien diff rente du moi d au jourd hui seule la gloire posthume du mort peut tre dite personnelle L im mortalit d un tre invisible et ignor se situe en dehors de ce qui constitue pour les Grecs l individualit d un sujet c est dire pour l essentiel son renom cf J P Vernant 4 p 12 et 58 19 Larmes d Ulysse Odyss e 1 55 5 82 83 151 158 160 161 larmes de P n lope 19 204 209 262 265 18 R flexion charmes de la nymphe S il s en vient le soir dormir avec elle c est parce qu il le faut bien Il la rejoint au lit lui qui ne le veut pas elle qui le veut Ulysse rejette donc cette immortalit de faveur f minine qui en le retranchant de ce qui fait sa vie le conduit finalement trouver la mort d sirable Plus d eros plus de himeros plus d amour ni de d sir pour la nymphe boucl e mais thaneein himeiretai il desire de mou rir Nostos le retour gun P n lope l pouse Ithaque la patrie le fils le vieux p re les compagnons fid les et puis thanein mou rir voil tout ce vers quoi dans le d go t de Calypso dans le refus d une non mort qui est aussi bien une non vie tout ce vers quoi se porte l lan amoureux le d sir nostalgique le pothos d Ulys se vers sa vie sa vi
16. pte de demeurer pres d elle de le rendre immortel et d carter de lui pour toujours la vieillesse et la mort A la fa on d un dieu il vivra en sa compagnie immortel dans l clat permanent du jeune ge jamais mourir ne pas connaitre la d cr pitude du vieillissement tel est l enjeu de l amour partag avec la d esse Mais dans le lit de Calypso il y a un prix payer pour cette vasion hors des fronti res qui bornent la commune condition humaine Partager dans les bras de la nymphe l immortalit divine 14 Odyss e 1 241 15 Cf J P Vernant La belle mort et le cadavre outrag La mort les morts dans les soci t s anciennes sous la direction de G Gnoli et J P Vernant Cambridge et Paris 1982 p 45 76 16 Odyssee 5 205 sq 17 Odyss e 5 136 209 7 257 8 458 23 336 Le refus d Ulysse 17 ce serait pour Ulysse renoncer sa carri re de h ros pique En ne figurant plus comme modele d endurance dans le texte d une Odyss e qui chante ses preuves il devrait accepter de s effacer de la m moire des hommes venir d tre d poss d de sa c l brit posthume de sombrer m me ternellement vivant dans la nuit de l oubli au fond une immortalit obscure et anonyme comme est anonyme la mort de ceux des humains qui n ont pas su assumer un destin h roique et qui forment dans l Had s la masse indistincte des sans nom des n numnoils L pisode de Calypso met en
17. t souffle de vie en change la cit lui donnera par del la mort la gloire immortelle et une place dans la m moire des vivants Il peut bien gagner l Hades supposer que pour accomplir ce voyage quelque chose subsiste de lui c t de son nom dont la m moire collective des vivants s est empar e mais l n est pas l essentiel de ce qu il advient de ce mort glorieux la tradition civique n a pas grand chose dire car tout le sens s est r fugi dans la cit La vie du citoyen ne comptait gu re il la tenait 4 Sur le rituel fun raire dans l pop e voir J P Vernant La belle mort et le cadavre outrag dans G Gnoli et J P V d La mort les morts dans les soci t s anciennes Cambridge Paris 1982 pp 45 76 ainsi que le r sum de son cours de 1976 1977 dans l Annuaire du College de France 77 ann e pp 428 441 5 Ph don 77 d e Sur la r alit du corps chez Hom re voir E Vermeule Aspects of Death in Early Greek Art and Poetry Berkeley et Los Angeles 1979 p 97 chez Hom re psyche est le v hicule de l identit mais non l identit Nagy Patroklos Concepts of Afterlife and the Indic Triple Fire Arethusa 18 1980 p 162 22 R flexion de la collectivit son corps ne comptait pas d j br l sur le champ de bataille il est r duit des ossements support abstrait de la c r monie politique des fun railles publiques Alors l orateur officiel s a
18. tiel faire 20 R flexion On fait donc ici le pari de s essayer relire le Ph don et de mener cette lecture sans se r clamer de la philologie de la philoso phie ou de la th ologie mais pour une fois de l histoire Non qu il s agisse de s interroger sur l historicit du r cit de la mort de Socrate la question semble enfin d pass e et l a toujours t pour les lecteurs attentifs au r le de la fiction vraie dans l uvre de Pla ton C est la rupture introduite par le Ph don dans les repr senta tions grecques et plus g n ralement occidentales de l immortalit qu on s int ressera En affirmant qu avec ce dialogue l immortalit de l me fait son entr e en scene officielle dans la pens e grecque on n entend pas oublier tout ce qu il doit la r flexion mystique men e bien avant Platon dans les sectes orphiques et pythagori ciennes le texte lui m me ne s en cache pas qui pour accr diter sa conception initiatique de la philosophie se r clame mainte reprise d un antique discours palaios logos mais il importe qu avec le Ph don et l institutionnalisation de la philosophie comme genre litt raire cette r flexion jusqu alors marginale au sein de la cit acqui re une l gitimit qui ne lui sera plus contest e A parler de rupture on n aura toutefois accompli que la moi ti du chemin reste s interroger sur ce qui dans le texte a rendu possible ce tournant decisif dans les r
19. ur e totale qu on peut chiffrer huit ou neuf ans d errance depuis la fin de la guerre de Troie jusqu au retour Ithaque c est dire la place qu occupe ce s jour dans l ensemble du p riple 8 1 11 87 4 555 558 5 11 800 7 241 266 8 450 458 9 29 80 12 389 et 447 450 17 140 144 28 883 888 14 R flexion hommes Ils taient au logis tous les autres h ros qui de la mort avaient sauv leur t te il ne restait que lui toujours d sirer le retour et sa femme car une nymphe auguste le retenait de force l cart au creux de ses cavernes Calypso la toute divine qui br lait de l avoir pour poux de kaluptein cacher le nom de Calypso dans sa transpa rence livre le secret des pouvoirs qu incarne la d esse au creux de ses cavernes elle n est pas seulement la cach e elle est aussi elle est surtout celle qui cache Pour cacher Ulysse comme le font Thanatos et Eros Mort et Amour Calypso n a pas eu l enle ver le ravir Sur ce point elle differe des divinit s dont aupres d Hermes elle invoque l exemple pour justifier son cas et qui afin de satisfaire leur passion amoureuse l gard d un humain l ont emport avec elles dans l au del le faisant d un coup dispara tre tout vivant de la surface de la Terre Ainsi E s a ravi Tithon ou H mer Orion Cette fois c est Ulysse naufrag qui s en est venu lui m me l extr me occident
20. vance pour c l brer la cit travers ses morts et toute valeur est dans sa parole Socrate va mourir il attend la mort et parle de l immortalit la mort de son corps l immortalit de l me et puisque aussi bien C est dans son immortalit que l me occidentale est constitu e com me telle on n h sitera plus d sormais traduire psyche Autant dire que dans ses propos corps et me sont d j irr vocablement s pa r s comme doivent l tre le visible et l invisible ce qui est destin perdre son identit et ce qui toujours la garde le dissoluble et l in dissoluble le mortel et le divin Mais ses disciples il apprend que cette division dialectique anticipe ce que la mort effectuera lysis kai ch rismos le d tachement et la s paration de l me lib r e du corps Condamn par la cit le philosophe paradigmatique attend la mort et ne la devance pas par le suicide il l a beaucoup mieux devanc e en vivant lui qui sait que philosopher c est apprendre mourir et qui s est exerc rejeter tous les plaisirs du corps pour que d ores et d j sa vie ressemble le plus possible l existence de celui qui est mort Socrate que ses disciples vont devoir quitter en lui adressant cet adieu chaire que dans les cimetieres ath niens les steles fun raires redisent sans fin Socrate retourne l adieu un adieu serein et comme joyeux vers ce qu il quitte vers ce qu il a d j quitt la foule
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