Tiré à part - François Sigaut
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1. La distri bution sur la carte de la culture du ma s des maisons en pis du cheval de b t du tour de potier des moulins eau roue horizontale des aciers damass s des pirogues balancier du propulseur du tricot des diff rentes fa ons dont les femmes portent leurs enfants des proc d s pour faire cailler le lait et de mille et mille autres choses C est elle aussi qui nous enseigne que l industrie fran aise de la quincaillerie est tait concentr e dans le Vimeu celle des montures de lunettes Oyonnax et celle des ateliers qui fournissent l horlogerie genevoise en pi ces et en bauches dans telles et telles vall es du Jura et des Alpes C est elle 515 F SIGAUT enfin qui nous montre dans les villes les m tiers regroup s par quartier ou par rues et l exemple parmi d autres du Sentier Paris montre que le ph nom ne n est pas pr s de dispara tre L approche macroscopique est premi re en ce sens qu il faut en passer par elle pour pouvoir la d passer beaucoup malheureuse ment la croient primaire et se donnent ainsi de mauvaises excuses pour la d daigner L approche microscopique prend les choses par l autre bout Elle se demande si une technique change en se d pla ant et comment elle change Elle se demande m me s il est possible qu une technique se d place sans changer ou change sans se d placer Elle s interroge sur les cheminements et sur les transmissions elle s i2. T Mason en 1895 Dans la plus haute d marche de l invention c est une rivalit perp tuelle entre le m canicien et ses uvres entre le savant et ses appareils On dit souvent qu en substituant la machine infaillible la main humaine on a limin l ing niosit Le cas n est pas si grave que cela pourtant Aucun changement d appareils ne peut priver la l La r habilitation des savoir faire d ex cution est un aspect de la fin du taylorisme fin annonc e peut tre un peu vite mais qui n en donne pas moins lieu une r organisation profonde de l organisation sociale dans l industrie mod le japonais etc La litt rature sur ce sujet est pl thorique Je ne citerai que les deux titres qui m ont paru les plus utiles Antoine Riboud 1987 et Annales des Mines 1988 522 REVENIR UNE G OGRAPHIE DES TECHNIQUES race humaine de g nies car l homme adroit se trouvera exceller dans la conduite des machines nouvelles Mason 1895 24 26 L histoire des techniques tout enti re pourrait probablement tre revue avec profit dans cette perspective d une course jamais gagn e entre la m canisation dont l automatisation n est que le dernier avatar qui vise supplanter les habilet s humaines et l invention de nouvelles habilet s qui se reconstituent in luctable ment autour des machines nouvelles Mais ne nous cartons pas trop de notre sujet qui est la g ographie des techniques
3. L Harmattan EDMONSON M S 1961 Neolithic diffusion rates Current Anthropology 2 71 102 FEL A 1978 La g ographie et les techniques pp 1062 1110 n B Gille ed Histoire des techniques Paris Gallimard 529 F SIGAUT FORDE C D 1977 Habitat Economy and Society a Geographical Introduction to Ethnology Londres Methuen amp Co LAVE J et E WENGER 1991 Situated Learning Legitimate Peripheral Participation Cambridge Cambridge University Press LEROI GOURHAN A 1945 Milieu et techniques Paris Albin Michel LESTEL D 1991 Raisonnement en milieu s mantiquement riche auto apprentissage incertitude et ajustement Communication au s minaire Apprentissage cognition et culture organis par B Bril l EHESS 20 d cembre L VI STRAUSS CI 1958 Anthropologie structurale Paris Plon LOWIE R 1936 Manuel d anthropologie culturelle Paris Payot traduction E M traux MALINOWSKI B 1935 Coral Gardens and their Magic a Study of the Methods of Tilling the Soil and of Agricultural Rites in the Trobriand Islands New York American Book Co MASON O T 1894 Technogeography or the relation of the earth to the industries of mankind American Anthropologist 137 152 1895 The Origins of Invention a Study of Industry among Primitive Peoples Londres Walter Scott Ltd MAUNIER R 1936 Invention et diffusion pp 341 348 in M langes D Gusti MAUSS M 1985 So
4. Pourquoi toutes ces consid rations sur l apprentissage les savoir faire et l habilet En quoi nous importent elles ici Je r sumerai mon propos en disant 1 qu il ny a pas de technique sans habilet 2 qu il n y a pas d habilet sans apprentis sage et 3 que l apprentissage est un fait social local parce que c est un processus qui ne peut se d rouler qu l int rieur de groupes comprenant un petit nombre d individus Dans cette perspective l apprentissage devient une des fonctions fondamentales de toute soci t mettre au m me rang que la reproduction biologique ou la production conomique Nous savons que toute soci t s organise en vue de remplir ces deux derni res fonctions et nous avons appris depuis assez longtemps identifier les structures qui r pondent cette n cessit famille et parent pour l une ateliers et entreprises pour l autre ce qui n exclut pas bien s r que la famille soit aussi une unit conomique Qu en est il de l apprentissage Comment les soci t s s organisent elles pour l assurer Et quelles structures lui correspondent elles Il faudrait pour r pondre cette question disposer de tout un corpus d observations ethnographiques qui n existe pas ou qui du moins n a pas t rassembl Je donne en note les r f rences utiles qui voudrait s informer sur l tat actuel de la recherche en ce domaine Une pr cision importante ici est que la no
5. REVENIR UNE G OGRAPHIE DES TECHNIQUES continent de forme quelconque c est dire vaguement ovale homog ne et isotrope en ce qui concerne le milieu physique les ressources et la population Admettons en outre que dans cet espace uniforme les innovations techniques naissent de fa on ind pendante les unes des autres en des points situ s au hasard Et admettons encore que chaque innovation une fois n e se propage comme une onde de fa on concentrique et avec une vitesse constante Le r sultat est que le point auquel ces innovations parviendront en moyenne le plus t t est le centre de gravit de l espace consid r C est donc au centre que les innovations individuelles si on peut dire ont le plus de chances d tre combi n es entre elles pour former un syst me technique nouveau Une phrase r sume la pens e d Edmonson sur le probl me particulier qui l int resse celui du N olithique plut t que de d marrer en Irak pour se diffuser vers l ext rieur il appara t que dans une mesure consid rable le N olithique a converg vers ce pays Edmonson 1961 Je ne suivrai pas Edmonson dans le d tail de ses d monstra tions Mais il faut souligner deux points importants Le premier est que pour laborer son mod le Edmonson a pris en compte bon nombre de faits en principe connus mais qu on passe ordinai rement sous silence comme par exemple le fait que la plus ancienne poterie du monde so
6. aussi bien s adresser des paysans fran ais Il reste le constat na f mais profond ment vrai que les techniques ne passent pas toutes seules Un constat qu il faut compl ter par le constat inverse aujourd hui bien document que les soci t s indig nes innovent bel et bien mais d une fa on et dans des domaines non pr vus par les experts Comme le r p te souvent le g ographe Paul P lissier c t des projets de d veloppement qui ne marchent pas il y a les non projets qui marchent N est ce pas cela finalement que se ram ne la probl matique des transferts de techniques 528 REVENIR UNE G OGRAPHIE DES TECHNIQUES C est pour cela me semble t il qu il est plus fructueux d explorer la g ographie des techniques R f rences BERG G 1981 The swedish threshing wagon Ethnologia Europaea 12 2 174 186 BLASQUEZ A 1976 Gaston Lucas serrurier Paris Plon Terre humaine BUREAU R et D DE SAIVRE sous la direction de 1988 Apprentissage et cultures les mani res d apprendre Paris Karthala CHEVALLIER D ed 1990 Savoir faire et pouvoir transmettre Paris ditions de la Maison des sciences de l homme Ethnologie de la France cahier 6 COY M ed 1989 Apprenticeship from theory to method and back again Albany State University of New York Press DARR J P 1985 La parole et la technique l univers de pens e des leveurs du Ternois Paris
7. la traite et pour l exportation Aucune magie n est connect e avec leur travail mais chaque individu est dress au m tier depuis l enfance Aucune autre communaut ne peut ni n essaye de se mesurer eux Malinowski 1935 I 15 16 soulign par moi Les n cessit s de l apprentissage autrement dit jouent un r le aussi d terminant que les opportunit s de l change dans ce processus universel de concentration sp cialisation pour lequel faute d un terme appropri je proposerais de parler de cristallisation ou de concr tion techniques Car c est bien d une sorte de concr tion qu il s agit Tous les hommes des les Trobriand savent se tailler un outil en bois l occasion Mais c est dans deux villages seulement qu une pratique assidue partag e par tous et inculqu e tous d s l enfance permet de fabriquer des objets qui sortent du commun et qui par cela m me sont changeables Pour qu il y ait commerce il faut qu il y ait gradient c est dire in galit dans la valeur des choses Or il ny a cette in galit que deux causes possibles L in galit de distribution des ressources naturelles c est la plus visible les plus belles pierres le meilleur bois les minerais le charbon le p trole ne se trouvent pas partout et il est banal que les p cheurs changent le poisson qu ils ont en trop contre le grain des cultivateurs Et l in galit des habilet s techniques qui
8. sans explication vidente dans la r partition des 518 REVENIR UNE G OGRAPHIE DES TECHNIQUES activit s techniques La diff rence c est que l observateur se situe d embl e dans le cadre d une soci t ou d un ensemble de soci t s semblables l int rieur duquel les diff rences techniques prennent d embl e l aspect de sp cialisations Dans tout le bassin de l Or noque on r pe le manioc mais seules deux tribus fabriquent des r pes manioc et dans toutes les huttes de leurs villages on voit suspendus au toit un grand nombre de ces ustensiles pr ts tre export s Lowie 1936 166 Effet classique du commerce sur la division du travail Ou au contraire effet de la division du travail sur le commerce Comment trancher On voit mal sauf parti pris inv t r d co nomisme comment pr f rer l une l autre hypoth se Le plus probable comme dans toutes les questions du genre uf poule c est qu elles sont vraies toutes les deux la fois La seule chose exclure me semble t il c est que le commerce engendre la division du travail suivant un sch ma de causalit simple m cani quement en quelque sorte Car il y a un chelon indispensable la transmission des habilit s C est ce qu observait au d but de ce si cle Malinowski dans les les Trobriand autre soci t vivant encore comme on disait l poque l ge de pierre On pourrait tre te
9. Sous la direction de Jean Luc Jamard Anie Montigny Fran ois Ren Picon avec le concours de Sonia Fitoussi Dans le sillage des techniques Hommage Robert Cresswell L hatt Fran ois Sigaut Revenir une g ographie des techniques Les probl mes sont comme les insectes il faut commencer par les identifier c est dire par leur trouver une place dans un syst me descriptif comprenant d autres probl mes semblables et diff rents la fois C est seulement alors qu on peut esp rer com prendre quelque chose l nonc Je crois que le probl me des transferts de techniques ne fait pas exception Une technique n est pas quelque chose qui se trouve indiff remment n importe o Comme l crivit un jour L vi Strauss propos du langage 1958 78 la technique est la fois produit partie et condition de la culture Cela signifie qu elle ne peut exister telle qu elle est que dans un espace social d termin et donc n cessairement aussi dans un espace g ographique d termin Il y a une g ographie des techniques m me s il s agit de la branche la plus n glig e d une technologie science des techniques qui ne l est d j que trop elle m me Et c est l int rieur de cette g ographie des techniques que le probl me particulier de leurs transferts peut tre identifi comme un probl me parmi d autres et donc trouver son plein sens Transf rer des techniques c est un
10. actualit comme toutes les techniques y sont vou es t t ou tard La seconde est une confusion compr hensible mais f cheuse entre g ographie des techniques et g ographie industrielle voire g ographie cono mique Le r sultat me semble t il est qu vouloir trop embras ser beaucoup de g ographes de l cole fran aise se sont condam n s mal treindre La g ographie y a trouv une r putation injuste mais pas tout fait injustifi e de discipline sp cialis e dans les descriptions superficielles Et puis il y a les inclassables Ceux dont les uvres dorment dans la poussi re des biblioth ques o on ne les trouve que par hasard Je n en connais qu un mais il vaut le d placement Il s agit d un arch ologue Munro S Edmonson auteur d un article aussi fondamental que m connu Neolithic Diffusion rates 1961 C est la seule tentative dont j ai connaissance pour mod liser la diffusion g ographique des techniques Jy reviendrai Je ne peux donc pas pr tendre donner un aper u un tant soit peu complet de cette litt rature Mais pour organiser ce que subjectivement j ai l impression d y trouver je proposerais volon tiers de distinguer deux types d approches macro et microsco pique L approche macroscopique s int resse la r partition des faits l chelle d une r gion d un pays d un continent voire du monde entier C est elle qui nous enseigne telle ou telle date
11. ciologie et anthropologie Paris Presses Universitaires de France Quadrige 1 re dition 1950 ODDONE I 1981 Red couvrir l exp rience ouvri re Paris ditions sociales 530 REVENIR UNE G OGRAPHIE DES TECHNIQUES PEYRE J 1953 Jean le Basque Paris Flammarion PHILIP L 1989 The Road through Miyama New York Random House RIBOUD A 1987 Modernisation mode d emploi rapport au Premier Ministre Paris Union G n rale d ditions 10 18 RITTER K 1822 59 Die Erdkunde im Verh ltnisse zur Natur und Geschishte des Menschen 10 vol Berlin ROWE J 1974 The Hard rock Men Cornish Immigrants and the North American Mining Frontier Liverpool Liverpool University Press SIGAUT F 1987 Rapport au Conseil du patrimoine ethnologique du Minist re de la Culture sur le th me Culture technique multigr 1990 L apprentissage vu par les ethnologues un st r otype pp 33 42 in D Chevallier ed Savoir faire et pouvoir transmettre Paris ditions de la Maison des sciences de Phomme Ethnologie de la France cahier 6 1993 Learning teaching and apprenticeship New Literary History 24 1 1994 Apprentissage et morphologie des soci t s in B Latour et P Lemonnier eds De la pr histoire aux missiles balistiques L intelligence sociale des techniques Paris La D couverte SMOLOVWE J et L ROTHER 1982 Where Japanese go Latin Newsweek 17 ma
12. e plus englobante de milieu int rieur favorable ou non l emprunt pour insuffisante qu elle soit est une tentative pour prendre en compte cette r alit Leroi Gourhan 1945 396 400 Une r alit sentie depuis bien longtemps puisque Selon le mot de Ferguson historien cossais du XVIIIe si cle 7 6 il s agit probablement d Adam Ferguson 1723 1816 on emprunte souvent ce qu on se disposait inventer Ne pensons pas qu un outillage sup rieur s imposera sans coup f rir en pays indig nes il s en faut bien les exp riences sont r it r es cet gard Et les cadavres des tracteurs sont l pour l attester la face de Dieu sous le ciel africain Quand Bonaparte vint au Caire il vit que chaque jour pendant de longues heures les femmes peinaient tourner la meule du moulin bras en chantonnant la chanson triste du moulin Il fit lever des moulins vent on en voit aujourd hui au Vieux Caire les ruines car les moulins cess rent de tourner quand les Fran ais furent partis Le sultan de Djeddah connut plus tard le m me chec Faidherbe apr s lui le connut aussi Et le tout puissant M h mer Ali ne sut pas mettre fin la routine du fellah Maunier 1936 347 348 cit par Leroi Gourhan Laissons de c t l esprit colonial et paternaliste de ce texte c est celui de toute une poque Laissons aussi de c t l allusion la routine qui elle aurait pu tout
13. est la plus universelle et peut tre la plus fondamentale Les deux co ncident souvent car ce sont videm ment des habilet s diff rentes qui font les p cheurs et les cultiva teurs Mais l in galit des habilet s peut se d velopper seule par le simple jeu des volutions culturelles diff rentes Tel est certaine ment le cas des exemples de l Or noque et des Trobriands et de mille autres semblables que l on pourrait citer aussi bien dans les soci t s dites primitives que dans nos soci t s industrielles qui se pr tendent avanc es 520 REVENIR UNE G OGRAPHIE DES TECHNIQUES Qu est ce toutefois que ce jeu des volutions culturelles encore bien abstrait Il faut pour r pondre revenir bri vement la technique et l habilet et la fa on dont celles ci s acqui rent et se transmettent La technique est action je rappelle pour m moire la d finition qu en a donn e Mauss l action traditionnelle efficace 1985 371 372 L action technique met en uvre des moyens mat riels notamment quoique pas seulement des outils et des connaissances d ordre physique chimique etc elle s applique une mati re d uvre pour la modifier suivant un programme plus ou moins pr cis Mais tout cela qui est la partie observable et descriptible de la technique on a parl d algorithmisation n en puise pas la r alit L action efficace hic et nunc exige toujours plus et autre chose q
14. i p 52 TRESSE R 1955 Le d veloppement de la fabrication des faux en France de 1785 1827 et ses cons quences sur la pratique des moissons Annales ESC 10 3 341 358 531
15. it japonaise et non proche orientale Le second est qu mon avis les r sultats des recherches effectu es depuis trente ans vont dans l ensemble dans le sens de ses hypoth ses Je pense m me que l Irak n olithique n est pas le seul exemple possible Dans l Europe du XVIIIe si cle les r gions les plus d velopp es s tendent de la plaine du P aux Pays Bas et l Angleterre et c est plus encore le cas aujourd hui Il me semble que ce n est pas un hasard si ces r gions sont depuis des si cles une zone de convergence par o passent obligatoirement la plupart des r seaux de circulation europ ens Ce n est pas toutefois la valeur heuristique du mod le d Edmonson pour l histoire que je voudrais souligner ici mais 517 F SIGAUT quelque chose de plus fondamental Edmonson nous d montre me semble t il que tout espace est techniquement h t rog ne Ou bien qu il l est parce qu il l tait d j les changements n affec tant que la forme de cette h t rog n it Ou bien il le devient par le jeu des innovations du seul fait que celles ci ne se propagent pas de fa on instantan e Le r ve pour certains le cauchemar pour d autres d un monde techniquement et donc culturellement uniforme est une impossibilit Mais cela signifie aussi plus prosa quement que la perspective g ographique est indispensable pour une description compl te du ph nom ne technique Le mod le d Edmonson est videmme
16. lentine Roux et quelques historiens 524 REVENIR UNE G OGRAPHIE DES TECHNIQUES soci t ambiante et de la nature des pratiques que le groupe v hicule Sur tous ces points je n ajouterai rien ici ce que j ai dit par ailleurs Sigaut 1987 1990 1993 de toutes fa ons les recherches de terrain sont encore trop rares pour qu il soit possible d aller bien loin dans cette direction Ce sont pourtant des recherches de terrain qui ont permis de mettre en vidence ces groupes de re production des habilet s comme je propose de les appeler celles d Ivar Oddone 1981 en milieu ouvrier italien et celles de Jean Pierre Darr 1985 en milieu paysan fran ais Le premier a d crit des groupes ouvriers homog nes le second des groupes professionnels locaux et il a galement introduit Futile concept de communaut de pratique pour d signer par exemple l ensemble des paysans d une r gion qui partagent peu pr s les m mes pratiques mais sans se conna tre individuellement La communaut de pratique est un peu mutatis mutandis ce que l ethnie est la famille dans certaines soci t s exotiques Nous voici au terme de ce propos La th orie d Edmonson supposait que la soci t n avait pas de structure ou plus exacte ment qu elle avait la structure d un fluide parfait compos de particules l mentaires identiques et interchangeables les indivi dus Ce postulat qui est aussi en gros celui sur lequel
17. nt de parler des habitants du district de Kuboma comme de la caste industrielle des Trobriands car on n en trouve de parall le exact ni dans la Gr ce ni m me dans la M diterran e ancienne Ils ne sont pas essentiellement des marchands comme les Ph niciens ou les Juifs mais plut t des industriels et des artisans et comme dans tout syst me de castes strict leurs grandes capacit s manuelles ne leur donnent pas un rang lev mais les placent plut t parmi ceux qu on m prise Cela concerne sp cialement les artisans les plus admirables de toutes les Trobriands les habitants de Bwoytalu Ce village qui partage avec son voisin Ba u la r putation de pratiquer la sorcellerie la plus efficace peut certainement montrer les plus belles r alisations en sculpture et que ce soit en perfection ou en quantit de sa production il n a pas son pareil dans la r gion De m moire d homme on y trouve les sp cialistes du travail du bois de la Nouvelle Guin e orientale Et ils produisent toujours de la vaisselle de bois des javelots de chasse et de p che des b tons de c r monie des 519 EF SIGAUT polissoirs des peignes des maillets et des r cipients en grandes quantit s et avec un degr de perfection g om trique et artistique que tout visiteur d un mus e ethnographique appr cierait Ils excellent aussi dans le tressage des fibres et dans certaines formes de vannerie C est une manufacture en grand pour
18. nt resse aux rapports qui lient peut tre une technique et un lieu ou un changement de lieu Elle met l accent sur les faits d inven tion et d apprentissage dans leurs rapports avec l espace L approche macroscopique est tellement d mod e aujourd hui dans la communaut des sciences sociales que c est presque s exposer au ridicule que de vouloir la d fendre Je crois pourtant qu elle reste plus actuelle que jamais comme chacun peut ais ment le constater pourvu qu il y regarde d assez pr s la diversit g ographique des techniques ne s att nue pas bien qu elle ne se situe plus l ou l ethnographie traditionnelle avait coutume de la chercher Elle est aussi plus n cessaire que jamais car c est elle et elle seule qui peut donner aux tudes plus approfondies notamment aux monographies le cadre permettant d appr cier leur repr sentativit Elle peut enfin tre une source d id es th oriques non n gligeables comme j esp re le montrer avec l exemple d Edmonson auquel je reviens tout de suite Le malheur c est que pour dire autre chose que des banalit s en technog ographie il faudrait disposer de v ritables atlas technologiques sur le mod le de nos atlas dialectologiques ou ethnographiques cela exigerait des moyens dont on ne voit pas qui accepterait de les prendre en charge En quoi consiste ce qu on peut appeler le mod le d Edmonson C est tr s simple Consid rons nous dit il un 516
19. nt absurde d imaginer que la conduite d une usine aussi automatis e qu on la suppose exige moins d habilet que celle d une automobile Il y a peut tre des transferts de technologies dans la mesure o une technologie n est que la description d une technique c est dire une information I n y a pas il ne peut pas y avoir de transferts de techniques car on ne peut pas transporter les habilet s s par ment des hommes qui les poss dent et des groupes sociaux qui sont n cessaires leur re production C est pour cette raison d ailleurs qu on a si souvent transport des hommes pour transporter des techniques Les souverains des grands empires asiatiques n h sitaient gu re d porter des populations enti res pour disposer des artisans n cessaires l accomplissement de leurs projets Dans d autres cas dont les plus c l bres sont ceux de la Russie de Pierre le Grand ou du Japon de l re Meiji on cherchait plut t attirer les sp cialistes trangers en les payant largement en m me temps qu on envoyait des sujets choisis en apprentissage l tranger Certains de ces cas peu connus n en sont pas moins int ressants Vers le milieu du XVIIIe si cle les Su dois qui taient la recherche d une solution au battage m canique des grains firent venir par voie diplomatique un paysan bulgare pour introduire chez eux le chariot battre m diterran en l exp rience ne r ussit pas mai
20. nt beaucoup trop simple Non seulement les innovations ne se propagent pas instan tan ment mais elles ne se propagent pas non plus de fa on uni forme et isotrope L espace g ographique comporte d innom brables h t rog n it s d serts montagnes mers fleuves etc auxquelles viennent s ajouter une r partition tr s in gale des ressources et surtout les h t rog n it s propres l espace social Le probl me est que si l on tient compte de toutes ces h r rog n it s voire seulement des principales d entre elles le nombre de facteurs en cause devient si lev que le raisonnement hypoth tico d ductif devient impossible On est typiquement dans le genre d univers peut tre d termin mais certainement impr visible que les math maticiens nous ont fait d couvrir il y a quelques ann es Le trait de g nie d Edmonson a t de montrer ce qu on pouvait tirer de l isolement d un seul facteur la propaga tion non instantan e des innovations Mais c est un succ s qui n est probablement pas renouvelable Bien qu il ne faille pas l exclure totalement il est peu probable que l on puisse trouver d autres mod les bas s sur l isolement d autres facteurs dot s de la m me valeur heuristique C est alors que l approche microsco pique prend le relais D une certaine fa on cette seconde approche commence d une mani re assez semblable la premi re par la constatation de discontinuit s
21. oudra L exp rience des dix ou quinze derni res ann es a montr qu elle avait plus d apparence que de r alit Stimul s par les perspectives grandioses du progr s de l informatique tromp s par la conception trop troite qu ils se faisaient de la technique trop troite en ce sens entre autres qu elle ignore le savoir faire des ex cutants les ing nieurs ont cru aux possibilit s illimit es de l automatisation Il leur fallut d chanter Plusieurs checs retentissants montr rent ce qu il en co tait d avoir oubli les savoir faire d ex cution On s aper ut alors combien ceux ci taient indispensables m me lorsqu ils taient ignor s ou tenus pour n gligeables par l encadrement et m me lorsque le but de l op ration tait de les supprimer On s aper ut encore qu il tait dangereux d automatiser tout et trop vite car il y a dans ce domaine aussi une loi des rendements d croissants c est dire qu il y a certaines limites au del desquelles les automates peuvent devenir plus co teux et moins s rs que les hommes On s aper ut enfin que de nouveaux savoir faire d ex cution ne tardaient pas r appara tre autour ou c t des nouvelles installations savoir faire non pr vus au programme et pourtant concourant un fonctionnement optimal donc essentiels pour la comp titivit de l entreprise Cette derni re observation n est pas neuve on la trouve d j dans les crits d Otis
22. probl me pour chefs d entreprises pour administrateurs pour ing nieurs Tous ces m tiers sont infiniment honorables et n cessaires mais ils ne sont pas le n tre nous chercheurs Les responsabilit s politiques et conomiques ne sont pas celles qu on nous demande de prendre Nous avons le privil ge d tre d gag s de l urgence des d cisions quotidiennes en change de quoi nous sommes cens s prendre du F SIGAUT recul Prenons en c est le seul moyen honn te que nous ayons de remplir le contrat qui nous lie nos employeurs Et lorsque ceux ci nous parlent transferts ayons le courage de leur r pondre g ographie des techniques Ce n est pas qu une question de termes C est pour marquer notre volont de faire notre m tier c est dire de ne pas nous borner r p ter ceux qui nous inter rogent dans un langage obscur et compliqu ce qu ils savent d j La g ographie des techniques je viens de le dire est peut tre la branche la plus n glig e de la technologie Elle n est pourtant pas d pourvue d histoire notamment en ce XIXe si cle qui avait moins de peine que le n tre semble t il consid rer la technique comme composante de la culture La g ographie des techniques commen a sans doute comme un chapitre de la g ographie cultu relle c est en tout cas ce qu implique Otis T Mason lorsqu il lui donne pour fondateur Karl Ritter auteur de Die Erdkunde im Verh ltnisse
23. repose la th orie conomique Homo conomicus n est pas toujours rejeter Pour analyser certains types de faits et une certaine chelle il peut tre parfois utile l exemple d Edmonson le montre brillamment Mais nous savons depuis longtemps que la soci t n a pas la structure d un fluide Elle est organis e c est dire compos e d unit s de toutes sortes dont les caract ristiques et les relations qu elles ont entre elles donnent chaque soci t la morphologie qui lui est propre On ne peut pas comprendre les fonctionnements sociaux si on ne tient pas compte de tout cela pas plus dans le domaine technique que dans tout autre La technique n a pas d existence autre que sociale Il faut tenir compte des structures qui permettent de la produire et de la reproduire si nous voulons comprendre comment elle se distribue dans le temps et dans l espace 525 F SIGAUT On peut transporter plus ou moins facilement des objets et des informations lesquelles mat riellement se pr sentent comme une cat gorie particuli re d objets et dans ce domaine on a accompli depuis deux si cles des progr s spectaculaires On ne peut pas transporter des techniques parce que les techniques ne sont r ductibles ni des objets ni des informations L usine clefs en mains n est qu un objet comment la faire fonctionner Le mode d emploi n est qu une information comment le mettre en pratique Il est videmme
24. s elle aida sans doute les inventeurs su dois avancer dans leurs recherches Berg 1981 Un peu plus tard au d but du XIXe si cle les gouvernements fran ais d bauch rent plusieurs reprises des ouvriers autrichiens pour monter en France l industrie de fabrication des faux qui y manquait Tresse 1955 526 REVENIR UNE G OGRAPHIE DES TECHNIQUES Mais c est le peuplement de l Am rique apr s Colomb qui offre sans doute les exemples les plus nombreux Les migrants europ ens et asiatiques taient souvent pouss s par l oppression ou la mis re nombreux aussi furent ceux qu on fit venir comme sp cialistes et qui reproduisirent en partie de l autre c t de l Oc an leur organisation sociale Il y a longtemps que la litt rature rudite la fiction et m me la presse ont trait de ce sujet Pour ne prendre que trois exemples entre mille voici les mineurs de la Cornouailles britannique qu on retrouve prospectant l or largent et le cuivre dans toutes les r gions mini res des tats Unis Rowe 1974 voici les bergers basques recrut s pour conduire les immenses troupeaux de moutons des Rocheuses Peyr 1953 et voici les Japonais import s comme coolies par les barons br siliens du caf au d but de ce si cle qui occupent aujourd hui une position dominante dans la production horticole du Br sil Smolowe et Rohter 1982 N oublions pas enfin ces migrations de travail si importantes nagu re et qui
25. sans d ouvriers de soldats etc L apprentissage est galement ce qui fait l originalit de la d marche de l ethnologue dans l ethnologie dite participante l ethnologue s y place plus ou moins volontairement dans la position d un adulte qui doit r apprendre ex nihilo toutes les pratiques sociales que l on enseigne ordinairement aux enfants Il existe donc sans aucun doute d innombrables informations sur l apprentissage dans la litt rature soit classique soit ethnographique Je ne sache pas toutefois qu aucune tentative pour les rassembler en un corpus utilisable ait t faite Quant aux tudes ethnologiques ayant pour th me sp cifique l apprentissage elles sont peut nombreuses Gaston Lucas serrurier par Ad la de Blasquez 1986 ou The road through Miyama par Leila Philip 1989 sont de bons exemples de monographies mi autobiographiques mi ethnographiques Plusieurs ouvrages collectifs donnent une bonne id e de l tat actuel des recherches ce sont Bureau et de Saivre 1988 Chevallier 1990 Coy 1989 Une synth se vis e plus th orique est celle de Lave et Wenger 1991 J ai moi m me contribu ce sujet plusieurs reprises Sigaut 1987 1990 1993 1993a Enfin Blandine Bril anime depuis 1991 un groupe de recherches interdisciplinaires sur l apprentissage l EHESS comprenant des psychologues sciences cognitives des anthropologues des arch ologues exp rimentaux Jacques P legrin Va
26. taient bel et bien des migrations de techniciens exer ant des m tiers particu liers Les ramoneurs savoyards les ma ons limousins les auver gnats porteurs d eau et de charbon Paris avant de prendre les positions que l on sait dans les d bits de boisson et la restauration repr sentent exactement le m me ph nom ne de concr tion technique que l horlogerie suisse ou la quincaillerie du Vimeu c est seulement l inscription du ph nom ne dans l espace qui diff re Et j ai l impression que si on y regardait d assez pr s on s apercevrait que nos immigr s d aujourd hui qu ils soient originaires du Maghreb d Afrique Noire du Tamil Nadu ou d ailleurs ne font que reproduire le sch ma des anciennes immi grations provinciales Combien de bistrots auvergnats n ont ils pas t transform s en restaurants chinois Que serait l industrie du b timent sans les maghr bins Comment nos h pitaux fonction neraient ils sans les antillais La technique colle aux hommes aux soci t s aux cultures Croire qu on peut len dissocier n est qu illusion On peut on doit m me isoler la technique par la pens e pour mieux la d crire 527 F SIGAUT Mais la pens e ne doit pas se tromper elle m me Elle ne doit pas croire que l objet qu elle isole par un proc d de m thode qui peut tre parfaitement l gitime a de ce seul fait une existence propre l tat isol La notion de milieu technique ou cell
27. tion 2 L apprentissage est un th me litt raire classique quoiqu il s agisse rarement d apprentissage technique ce dernier occupe une bonne place surtout dans les 523 F SIGAUT d apprentissage doit tre largie Au sens le plus troit l apprentis sage est limit dans le temps et m int resse que des jeunes des novices Mais l invention est galement acquisition par habilet s nouvelles la diff rence tant simplement qu il ny a pas de mod les pr existants des habilet s acqu rir on peut alors parler d auto apprentissage Lestel 1991 Et plus g n ralement toute pratique qui n est pas compl tement fix e et totalement prot g e des changements ext rieurs fait l objet d ajustements incessants qui imposent une sorte d apprentissage permanent Le point important dans tout cela est que l apprentissage n est pas uniquement un processus individuel L apprentissage suppose toujours l existence d un groupe de quelques personnes se connais sant entre elles partageant la m me exp rience pratique et qui gr ce aux conversations et autres interactions qu elles ont en permanence entre elles sont en mesure de construire un sens autour de leur pratique Ce groupe est au minimum de deux personnes un ma tre et un apprenti et au maximum de deux ou trois douzaines Ses caract ristiques sont extr mement variables en fonction la fois des structures et de l id ologie de la autobiographies de pay
28. ue les descriptions qu on peut en faire Ou autrement dit il ne suffit jamais de savoir comment on fait pour savoir faire pour passer de l un l autre il faut un minimum d exp rience c est dire d apprentissage Il ne suffit pas d expliquer un enfant comment aller bicyclette ou comment jouer du violon pour en faire un cycliste ou un violoniste confirm Nos explications pourront l aider des d monstrations pourront lui servir de mod les imiter et nous pourrons ainsi faciliter ou acc l rer son apprentissage Mais nous ne pourrons jamais len dispenser C est par l exp rience person nelle de l action que l enfant acquerra les habilet s n cessaires l action efficace Cette exp rience nul autre que lui ne peut la faire sa place ce qui signifie qu au contraire de ce qu on d signe habituellement par connaissances les habilet s ne sont pas trans missibles elles peuvent seulement tre reproduites On objectera peut tre que je raisonne partir de cas particu liers Ne remplace t on pas un peu partout les hommes par des robots ne vend on pas des usines enti res clefs en mains Tout cela ne signifie t il pas que l algorithmisation de la technique gagne du terrain et qu elle finira par l emporter parce qu un jour viendra o on saura tout calculer tout pr voir tout contr ler 521 F SIGAUT Cette vision est un vieux r ve d ing nieur ou un vieux cauchemar de po te comme on v
29. zur Natur and Geschichte des Menschen 1822 1859 Mason lui m me est l auteur de plusieurs articles d inspiration g ographique dont l un Technogeography 1894 annonce on ne peut plus clairement les intentions Par la suite il devient plus difficile de suivre les fils d une histoire qui perd en visibilit en m me temps que l int r t pour les techniques d cro t dans les sciences humaines Dans les pays de langue allemande l cole ethnologique dite des Kulturkreise est largement d inspiration g ographique Dans les pays de langue anglaise l admirable Habitat Economy amp society de C Daryll Forde 1934 mais r dit r guli rement depuis montre que la tradition ne se perd pas le livre porte en sous titre Geographical Introduction to Ethnology En France il y a eu l cole de g ographie humaine dont le chapitre d A Fel G ographie et techniques dans l Histoire des techniques de Bertrand Gille 1978 donne une bonne pr sentation Il faut reconna tre pourtant qu quelques exceptions pr s comme celles de Max Sorre ou de Pierre Deffontaines l apport de cette cole la g ographie des tech niques proprement dite a t assez mince Jen vois deux raisons La premi re est le souci excessif de beaucoup de g ographes de 514 REVENIR UNE G OGRAPHIE DES TECHNIQUES rester accroch s au pr sent ce qui les conduit trop souvent d tourner le regard d objets qui perdent de leur
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