L`informatique "sans le savoir"
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1. L informatique sans le savoir Josiane Jou t ous sommes tous des Messieurs Jourdain de l informatique Cette parodie par del la provocation peut certes para tre outr e au lec teur et dans une certaine mesure elle l est Quelle d rision Nous ferions de l informatique sans le savoir Mais la parodie a aussi une valeur d monstrative et le propos est ici de d masquer les Jourdain de l informatique qui se cachent dans tout un chacun On Paura compris le propos de cet article s int resse aux usages non savants de l informatique Par l m amp me il traite des usages vulgaires de l ordinateur qui concernent la majorit des praticiens du micro qui ignorent ce qui se passe l int rieur de leur machine Mais il aborde aussi les usages d autres objets qui se greffent sur la technique informatique et qui en sont relativement rapproch s comme la t l mati que ou a priori fort loign s comme l audiovisuel En outre se superpose la notion de non savoir lPacception commune d activit inconsciente En effet tout individu fraie aujourd hui avec l informatique sans le savoir et utilise pour ainsi dire son insu des codes informatiques dans sa vie quotidienne Le questionnement s adresse donc galement a la fonction structurante que joue le mod le informatique dans les activit s ordinaires Dans de multiples L informatique une cole de rigueur d ordr2. chappe pas ses utilisateurs Ce n est bien s r pas le cas des usagers profanes qui ma trisent mal les enjeux sociaux et thiques de l informatisation et pour lesquels il s agit d un processus d volution in luctable sans grande possibilit de contr le social En fait on observe aupr s de ces personnes un ph nom ne d acculturation sommaire l informatique qui se joue au niveau de la seule pratique et qui semble gagner des couches de plus en plus importantes de notre soci t II LA QUOTIDIENNETE PROGRAMMEE Il y a dix ans Laurent de Vilmorin pr disait dans cette m me revue l entr e massive de l informatique dans les foyers et se faisait l avocat de ce qu il appelait d infom na ger L ordinateur est d j dans la maison Sous la forme de microprocesseurs dans notre machine laver bient t dans la machine a crire dans la cha ne st r o digitale Si nous ne faisons pas encore le rapprochement entre tous ces appareils et l informatique individuelle c est parce que nous imaginons toujours cette derni re sous la forme d ordinateurs avec des crans claviers processeurs m moires etc de Vilmorin 1980 L informatisation du quotidien ne passe en effet pas exclusivement par le canal de l ordinateur mais galement par celui des techniques digitales qui se sont r pandues dans les foyers dans les bureaux et dans les lieux publics Il s agit donc de rechercher l empris
3. missions par exemple tandis que la t l vision par c ble mise sur le stockage des missions et inaugure des formes de paiement la demande Les fonctions d interactivit et de m moire s infiltrent ainsi dans le syst me m diatique En outre l emprise de l informatique se diffuse dans le langage courant qui s maille de termes directement emprunt s cette technique on se branche on pro gramme ses activit s on d code les messages etc L accoutumance l interactivit des machines et des r seaux comme l adoption du mode op ratoire des techni ques digitales constituent une p dagogie informelle de l informatique dont les incidences se manifestent plu sieurs niveaux de la vie sociale L emprunt de ces outils conduit souvent une nouvelle spatialisation de l action la technique permettant par exemple d effectuer de chez soi une multitude d op rations exigeant auparavant un d placement Par ailleurs la permanence de l acc s l information d bouche aussi sur une nouvelle temporalit Le branchement est possible tout moment du jour et de la nuit que ce soit en direct ou en diff r avec les fonctions de mise en m moire Mais la technicisation de l action constitue sans doute le point nodal de la pr gnance du mod le informatique Si comme l crit Gilbert Simondon 1958 La pens e techni que ne retient que le sch matisme des structures de ce qui fait l efficacit de l action su
4. P et Toussaint Y La place sociale du minitel grand public Centre d Etudes des Pratiques Sociales Universit de Grenoble 2 1986 Manifeste pour le d veloppement de la culture technique Centre de Recherche sur la Culture Technique Neuilly 1981 Mirabail M Les cinquante mots cl s de la t l matique Privat Paris 1981 Proulx sous la dir de Vivre avec l ordinateur Les usagers de la micro informatique G Vermette Inc Qu bec 1988 Qu r L Des miroirs quivoques Aux origines de la communication moderne Aubier Montaigne Paris 1982 Simondon G Du mode d existence des objets techniques Aubier Res Paris 1989 r dition de 1958 Vilmorin L de Vers les applications domestiques de la micro informatique individuelle in Culture Technique N 3 sp cial septembre 1980 222
5. consultation d informa tions particuli res avec par exemple l annuaire lectroni que et les catalogues de t l achat disponibles sur le 219 vid otex Ils commencent aussi d l guer le stockage de leurs informations personnelles et professionnelles la m moire technique A titre indicatif la mise en m moire des num ros de t l phone les plus r guli rement appel s se r pand sur les appareils num riques et sur le minitel 12 La t l phonie d veloppe d ailleurs une s rie de nouvelles fonctions comme la gestion automatique des appels Les agendas lectroniques de poche assurent pour leur part la programmation des activit s journali res et sont quip s de sonnerie rappelant les rendez vous En maintes occa sions l objet technique devient gr ce son interactivit le partenaire qui garantit l ordre et dicte le rythme de vie tandis que ce dernier se greffe en retour sur les valeurs de performance v hicul es par la technique gain de temps productivit rigueur La programmation de l ac tion rejoint celle de la technique La vie quotidienne fourmille d exemples qui mon trent l insertion progressive des structures op rationnelles de l informatique dans les modes de faire M me la t l vision est gagn e par ce mod le et tente d laborer des voies de retour permettant au r cepteur d intervenir dans les programmes par le biais des sondages t l matiques en direct dans le cours des
6. et F pour homme et femme bjr et bsr pour bonjour et bonsoir etc et certaines tentent de repro duire la sonorit du mot koa pour quoi Il existe de m me une s rie de signes spectacularis s qui sont autant de symboles destin s se mettre en sc ne mais aussi soutenir la vivacit du dialogue interactif La pratique de la messagerie comprend donc une dimension de performance technique qui se manifeste dans la ma trise du mode op ratoire int gration des proc dures dext rit des manipulations la gestion des dialogues et l criture des messages Cette op rationa lisation de la communication inter personnelle qui est constitutive du dispositif ne para t pas trang re d instru mentalit des relations humaines Boullier 1989 qui y pr vaut Une interrelation troite se tisse en effet entre la syntaxe technique et l organisation sociale des message ries conviviales On y observe une ma trise du lien social qui concorde avec la performance du logiciel La cr ation de sociabilit partir de l change lectronique s inscrit dans le mod le de la performativit Jou t 1989 Si la mat rialit et la rationalit de la technique d finissent le dispositif op rationnel de cette forme de communication informatis e le contenu des changes chappe par contre cette logique Les messages s non cent sur le registre du plaisir dans lequel s enracinent les pratiques irrationnelles de p
7. vulgarisation du mod le informati que entre peu peu dans les r f rences pratiques cogni tives et symboliques usuelles Ainsi les Messieurs Jourdain de l informatique pourront ils encore longtemps rester ignorants de leur savoir 221 Bibliographie Boullier D Arch ologie des messageries in R seaux N 37 d cembre 1989 Breton P Histoire de l informatique La d couverte Paris 1987 Chesneaux J De la modernit Maspero Paris 1983 Ellul J Le bluff technologique Hachette Paris 1988 Fornel M de Une situation interactionnelle n glig e La messagerie t l matique in R seaux N 37 d cembre 1989 Jou t J Le minitel une prop deutique ambigu in Soci t s N 9 juin 1986 Jou t J L cran apprivois t l matique et informatique domicile Collection R seaux CNET Issy les Moulineaux 1987 Jou t Nouvelles techniques des formes de la production sociale in Technologies de l Information et Soci t Vol 1 N 3 1989 Jou t J Une communaut t l matique Les Axiens in R seaux N 37 d cembre 1989 Lage E Dimensions symboliques dans l interaction avec l ordinateur Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales Paris 1984 L vy P L oralit primaire l criture et l informatique technologies intellectuelles et modes de connaissance dans Corten A et Tahon M B La radicalit du quotidien communaut et informati que VLB Montr al 1987 Mallein
8. assion voqu es par tant d usagers Dans l espace de communication des message ries s expriment entre autres des archaismes refoul s et des figures de la perversion polymorphe voyeurisme exhibitionnisme masochisme sadisme comme le mon trent Philippe Mallein et Yves Toussaint 1986 mais aussi des d sirs banaux Cette communication orchestr e par l architecture informatique est avant tout un jeu social qui la fois int gre les r gles de la technique et les renverse travers une expression d viante Elle appara t comme un carnaval lectronique o se d ploient concurremment l ordre technique et l univers imaginaire Les messageries conviviales fournissent donc une grille de lecture o se lisent les conflits entre l avanc e technique et la r manence des codes archa ques Elles expriment sans doute un paradoxe n cessaire une gestion du passage de la transition et peut tre du d passement de la contradiction entre des mod les soci taux La part du jeu avec la technique semble troitement li l usage des techniques digitales L op rationalit de la pratique s accompagne souvent de formes ludiques qui r insufflent l amusement et l imaginaire dans la froide rationalit technique Ce jeu avec la technique se rep re dans les usages personnels mais aussi dans les applications professionnelles Proulx 1988 Ainsi les messages fonc tionnels du courrier lectronique en entreprise s maillent ils parfoi
9. e et de m thode 216 occasions on ne fait effectivement pas de l informatique et pourtant La d marche ne s appuie toutefois pas sur un mod le d terministe causal selon lequel l informatique aurait un impact sens unique sur le social La question est bien s r beaucoup plus complexe La diffusion de l informatique dans le corps social ne r pond pas au sch ma du stimulus r ponse elle repose sur un travail de convergence entre le progr s technique et l volution sociale dont les origines sont bien ant rieures la p n tration de l informatique dans le corps social comme l a montr entre autres Philippe Breton 1987 L objectif n est cependant pas ici de remonter le temps ni de d monter ces processus de convergence mais plut t de se situer au niveau de la pratique qui permet de saisir de fa on concr te les modes d interaction entre l informatique et la soci t Aussi l emprise de l informatique est elle analys e travers le prisme de la vie quotidienne o se lisent divers niveaux de ses manifestations Il s agit d abord de discer ner la diffusion informelle de la logique informatique travers l usage des nouvelles techniques puis d observer l empreinte de l informatique dans les pratiques ordinaires et enfin d aborder la m diation de cette technique dans les relations inter personnelles I LIMPREGNATION INFORMATIQUE L argumentaire d velopp ci dessous se fonde sur l hypoth
10. e de l informatique travers l usage de techniques qui n appartiennent pas en tant que telles ce domaine mais qui s y rattachent plus d un titre Ce faisant le projet est de cerner la relation qui s tablit entre le mod le informatique et les activit s courantes L op rationalisation de la vie quotidienne est abord e partir de trois entr es la digitalisation lin teraction technique et la m moire Pour faire fonctionner un grand nombre d quipe ments domestiques il suffit aujourd hui d effleurer de simples touches qui commandent les op rations Le pas sage de la m canisation l lectronique supprime les boutons et les manettes La digitalisation des appareils englobe l lectrom nager la t l phonie et l audiovisuel Ces objets se pr sentent comme plus complexes que ceux des g n rations ant rieures et offrent souvent une vaste gamme d usages qui exigent l apprentissage de savoir faire Toutes ces op rations requi rent le respect de Varchitecture de la technique et la manipulation des touches dans l ordre op ratoire La s lection des comman des permet d acc der directement une information sp cifique comme un message particulier sur le r pon deur t l phonique ou un morceau de musique sur la cha ne laser De m me le magn toscope se programme pour l enregistrement d missions choisies Les principes de programmation et de logique s quentielle sont d sor mais inscrits da
11. e les principes du dispositif op ratoire et les formes d change inter personnel L ob servation des modes de communication qui s laborent sur les messageries conviviales nous a permis en effet de remarquer l imbrication qui se noue entre l architecture technique et la construction du lien social L organisation structurelle de la communication conviviale s articule d abord sur la configuration du sys t me technique L cran du terminal vid otex remplit une double fonction c est un bouclier qui encourage l anony mat et emprunt de pseudonymes mais galement un miroir o se projettent les fantasmes et le narcissisme Aussi la m diation de cette technique permet elle la fois l vitement social et l intimit des changes tout comme la d mat rialisation de la communication favorise l irruption 220 des pulsions et la r introduction de la corporalit le plus souvent sexuelle dans les messages Par ailleurs la gestion du dialogue convivial est orga nis e par le logiciel de communication qui appara t comme le locuteur technique L isomorphisme qui se d gage entre la structure technique et la structure conver sationnelle se lit plusieurs niveaux Le dialogue convivial est ponctu par l interactivit technique et se tisse autour d un aller et retour permanent entre les interlocuteurs Le dispositif t l matique insiste sur la s quentialisation des r pliques crit Michel de Fornel 1989 La logiq
12. flue pas seulement sur les modes de faire mais encore sur les mani res d aborder et de traiter un probl me et de fa on corr lative sur les modes de pens e Le r le jou par l informatique dans les sch mas cognitifs est d ailleurs selon Pierre L vy consid rable Je propose de consid rer l ordinateur comme une v ritable technologie intellectuelle C est que l in formatique affecte aujourd hui ou concerne demain la plupart de nos activit s cognitives L vy 1987 L impact de la logique informatique sur les structures r flexives est clairement identifi par de nombreux usa gers qui y voient une cole de rigueur d ordre de m thode La dimension cognitive est certes davantage per ue par les programmeurs mais elle est galement res sentie aupr s des praticiens qui se bornent des applica tions utilitaires comme la bureautique Les usagers profes sionnels de l ordinateur personnel reconnaissent quasi ment tous que les proc dures formalis es de l outil d bouchent sur des m thodes de travail plus productives Les utilisateurs du traitement de texte remarquent souvent une incidence des logiciels employ s sur leur mode d criture Mais le dialogue homme machine agit aussi sur le rythme et la forme du proc s intellectuel Le travail avec l ordina teur aide la ma trise du raisonnement mais certains inter view s mentionnent aussi une nouvelle attitude faite de calme et de s r nit enver
13. ique n appr hen dent pas la technique comme un sujet de connaissance mais comme un simple moyen Ils utilisent fr quemment la m taphore de la conduite automobile pour expliciter leur relation la technique L ordinateur demeure donc pour eux une bo te noire mais il n est pas pour autant magique car les usagers identifient clairement la technicit de l outil avec laquelle ils doivent n cessairement compo ser En effet l inverse du fonctionnement d autres appa reils domestiques pour lesquels il suffit d appuyer sur quelques boutons pour que cela marche tout seul le micro exige une pr sence continue et un dialogue poursuivi avec la machine Autre diff rence importante la pratique de l ordina teur passe n cessairement par un processus d apprentissage empirique qui ne peut se r duire la seule d couverte intuitive m me si cette derni re joue un r le non n gligea ble dans l appr hension des modes op ratoires L informa tique s apprend par la relation directe avec l ordinateur et ne peut s apprendre autrement Le couple individu ordi nateur assist d un document devient auto suffisant dans l acquisition du savoir faire informatique puisque le feed back de la machine suffit comme sanction de la r ussite Lage 1984 Le dialogue homme machine joue ainsi d s le d but une fonction d initiation la logique informatique et avec le temps la pratique int gre peu peu la structure binaire des comma
14. ndes et la progression s quentielle des op rations Certes l approche instrumentale de l ordinateur ne conduit pas une ma trise des programmes et nombreux sont les individus qui d clarent ne conna tre et n exploiter qu une partie des fonctions de leurs logiciels comme le traitement de texte N anmoins l op rativit de l outil d bouche sur l acquisition de savoir faire et m me parfois de quelques connaissances plus th oriques Certains uti lisateurs prouvent en effet la curiosit de conna tre les rudiments du fonctionnement de leur machine et Pusage fonctionnel s accompagne alors d un int r t pour la tech nique elle m me Sans devenir des informaticiens ama teurs ils font montre d un minimum de savoirs th oriques Mais pour la majorit des praticiens profanes l im pr gnation de la technique se r duit l acquisition de savoir faire et de notions sommaires la ma trise de Pop rativit de Poutil et une familiarisation diffuse la logique informatique Ces individus sont pourrait on dire des semi alphab tes de l informatique ou des alphab tes fonctionnels Ils ne satisfont pas aux crit res d une alpha b tisation r elle car leur niveau de connaissance demeu re trop l mentaire Mais ils ne sont pas non plus d sem par s face Pordinateur qu ils emploient pour des appli cations certes limit es mais avec aisance L impr gnation de l informatique para t beaucoup plus diffu
15. ns les modes d emploi des appareils courants et sont devenus travers l exp rience empirique partie int grante des sch mes mentaux d un grand nombre d usagers Les individus sont aussi initi s l interactivit du dialogue homme machine et l op rationalit informati que travers les contacts usuels qui les mettent en pr sence d un terminal Les distributeurs automatiques de billets de banque repr sentent sans doute l exp rience la plus banale L usager y apprend donner son code de passe confidentiel composer ses ordres sur un clavier suivre les instructions fournies par la machine et attendre le d roulement des op rations Cet aller retour permanent entre l intervention humaine et l intervention technique est encore plus d velopp dans le cas des usages t l matiques comme nous l avons vu L emploi du terminal vid otex permet non seulement la consultation d informations mais aussi des op rations de transaction travers par exemple la gestion du compte bancaire et les services de r servation de places de transport ou de spectacle L interaction avec la technique est ainsi devenue int gr e aux op rations de traitement de l information qui rel vent de la vie domestique et personnelle L appel la m moire de la technique est une autre dimension qui traduit l volution vers une gestion informa tis e du quotidien Les individus acc dent de plus en plus aux banques de donn es et la
16. on de d marches technicis es d in formation et de service qui se greffent sur la logique algorithmique L impact cognitif se limite pour le vid o tex l acquisition de nouveaux modes op ratoires de nature informatique dans l accomplissement de l action Ainsi Pusage commun du micro ordinateur et du minitel conduit il une familiarisation avec la technique informatique qui se joue diff rents niveaux Si on remarque dans chaque cas l acquisition de savoir faire ceux ci sont nettement plus d velopp s dans la pratique de la micro informatique qui de plus entra ne une initia tion rudimentaire des notions de base et une plus forte empreinte de la rationalit technique Aupr s des usagers profanes on observe ainsi un processus d impr gnation des principes de base de la technique qui en aucun cas ne saurait toutefois tre assimil une r elle alpha b tisation informatique Ces personnes ne poss dent ni une comp tence technique ni une connaissance th ori que qui puissent leur permettre d avoir une domination de ce champ Par ailleurs contrairement aux espoirs formul s les quipements d informatique personnelle ne concourent pas la diffusion d une culture technique au sein de la population On est loin ici de l attente exprim e dans le Manifeste pour le d veloppement de la culture technique 1981 qui d finit cette derni re comme la pens e qui est l oeuvre lorsqu une technologie n
17. r les points singuliers on peut dire que l usage banal des techniques digitales se con forme au mod le de la performativit La pratique d op rations parcellis es compos es d ordres de s lection de suivi s quentiel et de mise en m moire s rige en habitus Le fonctionnement op ratoire met en oeuvre un sch me de logique formelle de rapidit et de performance qui envahit la quotidiennet dans le travail et les activit s priv es La pratique integre les principes de rationalit d ordre et de coh rence de la technique qui fagonnent des modes de faire et des comportements nouveaux Le sujet op ratif dont parle Louis Qu r 1982 devient bien une figure courante de cette fin de si cle L action se calque de plus en plus sur le mod le de la performativit Le paradigme digital s introduit dans notre mode de vie nos facons de raisonner et nos valeurs Cette emprise que Jacques Ellul 1988 stigmatise sous le terme de technoculture de masse atrophie selon Jean Chesneaux 1983 humanisme la pens e intuitive et le d sordre cr atif La culture devient documentation constate Mirabail 1981 La pr minence du sch me op ratoire sur l action de la praxis sur la r flexivit de la technique sur le sens social atteint plus d un titre les racines m mes de notre soci t De nombreux l ments confortent certes le pessi misme de ces analyses Mais la programmation du quoti dien compo
18. rte aussi des br ches dans lesquelles l usager compose mais aussi recompose diff remment les codes techniques A l int rieur de ces espaces formalis s s immis cent en effet le sensible et l irrationnel comme le montre le v cu de la communication m diatis e par l informati que II LA COMMUNICATION INFORMATISEE Les r seaux d information digitalis e inaugurent une nouvelle forme de communication inter personnelle Le courrier lectronique s implante dans les entreprises et le r seau t l matique francais devrait des 1990 s enrichir de cette fonction travers la mise en place de bo tes aux lettres coupl es annuaire lectronique Mais c est le dispositif des messageries conviviales du vid otex qui retient ici notre attention car sa sp cificit s avere parti culi rement propice l analyse de d informatisation des rapports sociaux La messagerie se pr sente comme une pratique sociale qui ne s inscrit pas dans une d marche techni cienne mais au contraire dans une approche ludique fond e sur la fiction et l expression de fantasmes Le d sordre de cette communication imaginaire qui donne libre cours aux d bordements de la raison et aux d sirs les plus fous s oppose au mod le d ordre et de rationalit de la technique qui m diatise par contre les changes Ce premier constat qui expose l antinomie du proc s technique et du proc s social masque cependant une homologie fondamentale entr
19. s de plaisanteries propres maintenir la texture humaine de la communication Le ludisme exprime un double mouvement d implication subjective et de distan ciation objective envers l outil technique L individu inte gre le formalisme de la proc dure op ratoire et en m me temps le remet sa juste place en y apportant sa marque personnelle Les techniques digitales font d ailleurs g n ralement l objet de pratiques fortement individualis es La coexistence de la rationalit instrumentale qui pr side leur emploi et de la personnalisation des usages montre la corr lation qu introduit la soci t technologique entre subjectivisme et technicisme Qu r 1982 Cette hybridit du s rieux et du jeu ne saurait pour autant masquer l effet organisateur des techniques digita les sur l action sociale Les diff rentes modalit s de ce processus expos es ci dessus ont en effet permis de saisir la dimension globalisante de informatisation du quoti dien Cette derni re s infiltre dans une multitude d activit s courantes et jusque dans la fabrication du lien social La performativit devient partie de nos savoir faire de notre outillage mental et de nos valeurs L articulation entre Pinformatique et la soci t ne peut donc tre valu e l aune des seules applications techniques Elle se situe galement dans l usage commun de cet outil qui t moigne d une nouvelle posture de relation l action La
20. s l exercice intellectuel Avec l informatique on ne peut pas sauter les tapes la r flexion doit se couler dans un encha nement analytique qui conduit une certaine lenteur La machine dicte un rythme discontinu o alternent la succession progressive d op ra tions calmement r fl chies et la rapidit de traitement et d x cution des ordres L informatique favorise une pos ture intellectuelle empreinte de mesure et fond e sur une lente maturation c r brale Jou t 1987 Le lien entre la rationalit technique et les structures mentales n est cependant pas identifi par tous les usagers de l ordinateur personnel Certains estiment avoir eu depuis toujours un esprit logique qui les a d ailleurs Le contr le de minitels assembl s l usine Alcatel de Woerth Bas Rbin 218 amen s cet outil d autres craignent au contraire Pim pact de la rigidit informatique sur leur mode d analyse et d sirent chapper son emprise Mais dans tous les cas l informatique est per ue comme une technique totali taire qui privil gie une d marche de logique simple et rigoureuse et qui vacue a priori la part de l intuition dans le raisonnement Les usagers de la t l matique n tablissent pas pour leur part une relation entre la technique et leur mode de pens e en raison de l absence de confrontation intellec tuelle avec l outil Une nouvelle posture mentale se rep re toutefois dans l adopti
21. se aupres des usagers du terminal vid otex Le minitel s inscrit d ailleurs davantage dans la filiation du t l phone que de l informatique N anmoins l informati que est bien pr sente dans la configuration de la t l ma tique dont l information v hicul e est stock e et trait e dans des centres serveurs tandis que les proc dures d in terrogation se greffent sur l architecture des logiciels Le minitel se pr sente d ailleurs comme une mini console une sorte de sous ordinateur dont la banalisation est inscrite dans l ergonomie m me de l appareil touches en clair du clavier code conversationnel de son mode d em ploi De fait malgr sa conception simple et la vulgarisa tion des proc dures le minitel favorise un apprentissage 217 de la rationalit informatique Ce processus se situe dans le suivi d op rations obligatoires et r p titives effectu es sur le mode binaire qui conduit peu peu a une familia risation avec la logique algorithmique Le minitel initie au cheminement dans les arborescences et dans les choix multi crit res A la ma trise des proc dures se joint l ap prentissage de l interrogation distance et de l acc s des banques de donn es partir du foyer Jou t 1986 L interactivit de l outil et le dialogue homme machine conf rent donc la t l matique une fonction de prop deutique dans l initiation la logique informatique La mat rialit de la technique n in
22. se que l usage courant et banalis des quipe ments informatiques domestiques conduit un apprentis sage diffus aux principes de fonctionnement de ces outils Il se produit une familiarisation avec la logique informati que et une acquisition de savoir faire op ratoires Cette p dagogie informelle ne permet cependant pas d acc der la connaissance de la technique ni a fortiori de la ma tri ser Aujourd hui la majorit des utilisateurs du micro ordinateur du minitel et des diverses techniques avanc es qui ont p n tr dans les foyers ignorent tout ou quasiment tout de l informatique La d mocratisation de l informati que qui a t rendue possible par la miniaturisation des mat riels la r duction des co ts et la facilit ou pr tendue facilit du mode d emploi se concr tise justement par un acc s profane la technique Le marketing de ces produits ne s est il d ailleurs pas fait autour des th mes de l aisance de la manipulation d une part et de l informatique mise la port e de tous d autre part Ce constat vaut pour le micro ordinateur mais aussi pour d autres objets comme le minitel dont un des slogans n a t il pas t la puissance de l ordinateur la facilit du t l phone Ce sont d ailleurs les pratiques de ces deux objets qui retiennent ici notre attention partir de l analyse effectu e au cours d une tude qualitative Jou t 1987 Les usagers profanes de l informat
23. ue algo rithmique dicte d ailleurs les modalit s de la pratique L usager de la messagerie doit composer avec les codes des logiciels suivre scrupuleusement les instructions affich es l cran pour envoyer ou recevoir un message emprunter le cheminement des arborescences pour circuler entre les divers services de la messagerie dialogue direct forum salon particulier et faire des incursions dans les m moires du centre serveur afin d avoir acc s aux curriculum vitae des participants ou leurs bo tes aux lettres La conversa tion men e entre les divers partenaires suit le sch ma de la boucle informatique et se construit partir de processus d entr es et de sorties de s lections et d jections Ces derni res qui t moignent du refus d un convive de pour suivre le dialogue sont per ues comme un rejet on peut les assimiler des bugs rencontr s dans le labyrinthe du parcours t l matique Le format de la page cran implique aussi des contraintes et la messagerie g n re une criture sp cifique qui comporte ses propres codes Le co t lev de la communication et le dialogue en direct poursuivi parfois avec plusieurs interlocuteurs entra nent une composition rapide des messages Le peu d espace disponible quel ques lignes favorise le style t l graphique la contraction des mots la perte de la ponctuation Les messageurs ont en effet cr leur propre sous langage qui comporte des abr viations H
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