Vérité et subjectivité, des Essais aux Rêveries
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1. 31 Ibid p 1042 Cependant il faut souligner la dette de Rousseau envers Plutarque point de d part de la quatri me promenade qui le rapproche encore de Montaigne Essais II 10 t II p 162 32 Ibid p 1001 33 Ibid p 999 1000 34 E Martineau Nouvelles r flexions sur les R veries La premi re promenade et son projet Archives de philosophie n 47 1984 p 207 246 ici p 221 222 35 Ibid p 228 cause de leur nihilit Je ne trouve pas tant de bien en moy que je ne le puisse dire sans rougir Si toutesfois ma posterit est d autre appetit j auray bien dequoy me revencher car ils ne s auroyent faire moins de compte de moy que j en feray d eux en ce temps l Tout le commerce que j ay en cecy avec le public c est que j emprunte les outils de son escriture plus soudaine et plus ais e Selon E Martineau la critique manich enne de Rousseau dissimule donc une signification plus profonde dont l indice serait le balancement entre le premier et le second ne que le premier est p joratif 7 crire que pour les autres le second purement quantitatif n crire que pour soi Crypt e la phrase des R veries sur Montaigne serait une formule qui conduit distinguer entreprise et projet Or le projet se rendre compte des modifications de son me et de leur succession risque bien le or lien ou encore l utopie soit ce but demeurera pour Rousseau une vell it2. qui existe et qui probablement existera jamais Aussi les Confessions prennent elles le genre humain comme public de la sc ne o se joue l entreprise que Montaigne n aurait pas vraiment men e terme lui qui croyait voir en lui la forme enti re de l humaine condition Je forme une entreprise qui n eut jamais dexemple et dont l ex cution n aura point d imitateur Je veux montrer mes semblables un homme dans toute la v rit de la nature et cet homme ce sera moi Moi seul Je sens mon c ur et je connais les hommes Je ne suis fait comme aucun de ceux que j ai vus jose croire n tre fait comme aucun de ceux qui existent Si je ne vaux pas mieux au moins je 82 Emile p 585 83 Voir M Foucault L Herm neutique du sujet op cit p 441 442 84 Ibid p 244 255 Voir R veries p 1025 85 Confessions OC I p 3 Le pr ambule de Neuch tel insiste galement sur le caract re inou de l entreprise 16 suis autre Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m a jet c est ce dont on ne peut juger qu apr s m avoir lu Rassemble autour de moi l innombrable foule de mes semblables qu ils coutent mes confessions qu ils g missent de mes indignit s qu ils rougissent de mes mis res Que chacun d eux d couvre son tour son c ur au pied de ton tr ne avec la m me sinc rit et puis qu un seul te dise s il Pose Je fus meilleur
3. 1959 d sormais OCT p 1001 3 Apr s la synth se de Colette Fleuret Rousseau et Montaigne Paris Nizet 1980 un appendice de Paul Audi intitul tre soi de Montaigne Rousseau soutient que le travail de confrontation reste faire De la V ritable Philosophie Rousseau au commencement Paris Le Nouveau Commerce 1994 p 151 158 L article r cent de Marc Andr Nadeau De la r verie tude de la nature du projet des R veries du Promeneur solitaire la lumi re de l entreprise des Essais de Montaigne in Encyclop die th matique Jean Jacques Rousseau http agora qc ca thematiques rousseau nsf documents de la reverie pose judicieusement le probl me mais sans y r pondre de mani re satisfaisante voir fra Voir galement Ph Knee La Parole incertaine Montaigne en dialogue Presses Universitaires de Laval 2003 chap 4 M L Weber Pr sence de Montaigne dans les R veries de Rousseau PhD Rice University 1970 http scholarship rice edu bitstream handle 1911 19019 7023592 PDF sequence 1 g n rations La m me inqui tude ne me tourmente plus pour cet crit je sais qu elle serait inutile et d sir d tre mieux connu des hommes s tant teint dans mon c ur n y laisse qu une indiff rence profonde sur le sort de mes vrais crits et des monuments de mon innocence ITS D 4 qui d j peut tre ont t tous pour jamais an antis Quel r le joue donc le
4. Une m me entreprise Le sens de la connaissance de soi Rousseau fut lecteur assidu des Essais comme en t moigne le pr ambule de Neuch tel le Persifleu et les Confessions Au del de la question classique des ditions fr quent es par Rousseau ou des warginalia de Pin folio qui porte l adresse d Edme Cousterot rue Saint Jacques Paris MDCLII la br ve note sur Mademoiselle de Gournay de Rousseau r cemment publi e par Bruno Bernardi et Bernard Gittler dans les Annales Jean Jacques Rousseau l ve une part du myst re sur les ditions des Essais privil gi es par Pauteur Cette note r dig e au moment o Rousseau secr taire de Madame Dupin rassemblait la documentation destin e un ouvrage sur les femmes illustres sans doute vers 1745 1746 stipule qu On a du Mademoiselle di de Gournai la meilleure dition de son tems qui eut encore t faitte de Montagne Sans en excepter celle qu il avoit faitte lui m me Elle en donna plusieurs dont la derni re en 1635 fut la meilleure la plus correcte et la mieux orn e des recherches qui pouvoient y convenir lesquelles toient ass s consid rables pour faire honneur son esprit et son rudition et m me sa modestie puisqu elle avoue qu elle avoit t aid e dans cet ouvrage Rousseau consid re que Marie de Gournay a tabli avec soin le texte qu elle dite Cependant il utilise pour son usage courant l dition de Pierre Coste Or dans
5. de la veille sans en d sirer d autre pas m me la b atitude du salut Le rapport au sto cisme serait il la cl de vo te de la divergence des pineuses entreprises Pour Rousseau accepter sans murmure le joug de la n cessit revient mettre entre parenth ses les dispositions int rieures de ses contemporains pour mieux les 68 J Starobinski art cit p 24 25 Voir aussi Emile in uvres compl tes Paris Gallimard t IV 1969 p 526 534 69 R eries p 1081 1082 voir le Portrait OC I p 1122 70 Nous remercions Andr Charrak pour cette suggestion pr cieuse 71 R veries p 1081 72 Ibid p 1059 73 Ibid p 1085 14 Voit J Starobinski art cit p 19 20 75 R veries p 1085 14 r ifier et les an antir Il ne s agit en aucun cas de b tir une forteresse int rieure afin de se prot ger de la maladie du deuil ou de la crainte de la mort expansion de Pamour de soi proc de du mouvement inverse Par del les ressemblances la sagesse consistant vivre au pr sent sans se laisser atteindre par les morsures des inqui tudes infond es et des besoins factices le rapport au sto cisme de Rousseau n est donc pas celui de Montaigne Dans les R veries Pamor fati suppose de faire abstraction du monde moral de ne plus faire droit aux intentions perverses suppos es donner sens aux actions La tranquillit de l me ne s obtient pas en faisant fi de l adversit par
6. doibt paistre que de soy de l autre nul plaisir ma de saveur s il n est go t par autrui Il ne me vient pas seulement une gaillarde pens e en Pame qu il ne me fasche de l avoir produite seul amp n ayant qui l offrir La tension se prolonge la r flexion est sp culaire pour mestre des mon enfance dress mirer ma vie dans celle d autruy caract ristique de la condition mim tique de l homme Montaigne voque les coups de maillet qu il faudrait infliger au moi pour qu il accepte de revenir soi l exclusion du monde L auteur des Essais n entend donc pas jouir de lui l exclusion d autrui en abandonnant la soci t publique et ses devoirs qui ne vit aucunement N 52 autruy ne vit guere soi Or les R eries infl chissent ce projet par un renoncement officiel au public du genre humain qui tait encore celui des Confessions De cet horizon Rousseau fait son deuil dans les R veries en se resserrant comme dans Pinsularit d une le sur le plaisir de Pamour de soi La divergence des publics vis s rejoint donc celle des interpr tations de l entreprise de la connaissance de soi chez Rousseau l interpr tation morale de la connaissance de soi par la conscience appelle une identification du public cette seule instance Contrairement aux Essais mais moins aux Essais relus et pr fac s par Coste les R veries se jouent d
7. leur double entreprise S il faut prendre au s rieux l opposition esquiss e par Rousseau entre une criture pour autrui et une criture pour soi celle ci vaut surtout comme protocole de lecture des R eries Apr s les Confessions surench re sur Montaigne apr s les Dialogues qui cartent la posture ing nue des Essais au regard de l hostilit du public les R veries renoncent la disculpation et reviennent diff remment l pineuse entreprise Montaigne ne sert plus seulement de mod le et de faire valoir il ne surgit pas non plus f t ce de fa on implicite comme un repoussoir les Essais font office de contrepoint pour mieux faire entendre la tonalit m me du projet rousseauiste Revenir Montaigne en de de Descartes conduit retrouver une certaine figure du souci de soi qui n est pas abstinence ou p nitence mais jouissance Devenu imperm able toute communication avec ses semblables inscrit dans la plus trange position o se puisse trouver un mortel Rousseau est en mesure de ressaisir la v rit immanente de son tre qui selon la belle formule de Paul Audi n est plus tre au monde mais fre hors du monde Coup e de lalt rit par l poch du monde moral la subjectivit surmonte ce qui occultait sa v ritable nature nature qui n est pas essence et o z LA g i 2100 raison mais sentiment interieur et histoire Cependant la mise en suspens du monde m
8. que cet homme l f6 A ce stade Rousseau entend faire uvre difiante se juger au tribunal de la conscience et montrer aux hommes ses semblables l homme dans la v rit de sa nature La r f rence permet alors de distinguer une vraie d une fausse sinc rit Montaigne servant de faire valoir invers puisqu il ne s est pas peint sans complaisance Les Confessions veulent surpasser les Essais et dans cette surench re le rapport au public est essentiel Tout en restaurant son image d figur e le meilleur des hommes doit exhiber ses vices J avais toujours ri de la fausse na vet de Montaigne qui faisant semblant d avouer ses d fauts a grand soin de ne s en donner que d aimables tandis que je sentais moi qui me suis cru toujours et qui me crois encore tout prendre le meilleur des hommes qu il n y a point d int rieur humain si pur qu il puisse tre qui ne rec le quelque vice odieux Je savais qu on me peignait dans le public sous des traits si peu semblables aux miens et quelquefois si difformes que malgr le mal dont je ne voulais rien taire je ne pouvais que gagner encore me montrer tel que j tais Or lintroduction des Dialogues annonce un projet distinct S il faut contrer les pernicieuses manipulations de l opinion publique Montaigne cette fois n est plus d aucun secours Il s agit pour Rousseau forc de parler de moi sans cesse d en parler avec
9. se d livrer des scrupules elle doit conduire se prescrire un r gime de vie propre conserver la sant de son me Or les R veries reviennent Montaigne par del les inflexions cart siennes et chr tiennes du projet de connaissance de soi Rousseau esquisse une voie originale de lherm neutique du sujet si la conversation qu il entreprend avec son me pourra le d livrer de certains scrupules elle ne permettra pas de conna tre les lois de l union de l me et du corps ni de viser la sant de l me Loin de fuir le divertissement par le retour soi qui conduit ultimement Pamour de Dieu Rousseau entreprend une forme singuli re d examen de conscience dont l objet dans la r verie n est pas une forme aust re de lexercice spirituel mais une voie d acc s sensible au plaisir de l me IL Ecrire pour autrui n crire que pour soi Ayant voqu la communaut d entreprise entre les Essais et les R veries Rousseau met en exergue le contraste des vis es n crire que pour autrui m crire que pour soi Dans les R veries cette d claration d intention fait suite l affirmation de sa mort sociale et de son renoncement au monde C est la solitude du proscrit qui conduit reprendre l examen s v re et sinc re des Confessions Rousseau transfigure une solitude subie en solitude choisie l cart des livres pr f rant une fois l le de Saint Pierre
10. ses ditions et r ditions Londres 1724 Paris 1725 La Haye et Gen ve 1727 Londres 1739 P Coste joint aux Essais le Contr Un de La Bo tie marquant par l son intention politique critique de la monarchie absolue Le texte est modernis et donn 8 Dans le portrait du Persifleur 1749 Rousseau paraphrase Montaigne Rien n est si dissemblable moi que moi m me c est pourquoi il serait inutile de tenter de me d finir autrement que par cette vari t singuli re OCT p 1108 9 Confessions OC I p 3 voir infra 19 J Starobinski Rousseau notes en marge de Montaigne Annales de la Soci t Jean Jacques Rousseau t 41 Gen ve Droz 1997 p 11 56 F Potti e Sperry L exemplaire des Essais annot par Jean Jacques Rousseau BSAM n 41 42 1995 p 63 64 Outre six notes de sa main Rousseau intervient trente et une fois l encre ou au crayon au moyen de traits d accolades et de croix afin de souligner les passages des livres I et II qui retiennent son attention Comme le souligne J Starobinski la plupart de ces textes sont plut t des amorces d crits ind pendants dont la vis e s inscrit dans la marge de Montaigne relevant notamment les textes sur l amiti la sinc rit l orgueil ou la gloire Rousseau en tire l argument d un plaidoyer d fensif et le motif d une consolation Cette lecture doit tre compl t e par celle des Extraits r alis s
11. soit il sera accompli au m diocre niveau o lavait tenu l auteur des Essais et il rejoindra 7 fine le sot projet que Montaigne a de se peindre P r 38 d nonc par Pascal celui ci ayant eu mieux que Rousseau conscience de sa folie Il reste que le dossier mest pas clos Un l ment nouveau au moins invite le 7 d reprendre Dans la pr face de son dition des Essais Pierre Coste d fend Montaigne contre ses objecteurs et d fie les imitateurs On a fort bl m Montagne de ce qu il s est fait lui m me le sujet de son Livre Cette objection a t rebattue mille fois et je Pai entendu repeter fort souvent dans des Compagnies o il m toit ais de voir que ceux qui la faisoient n toient pas fort instruits de la maniere dont Montagne s est d peint dans son Livre Il Pa fait avec tant de sinc rit qu y a tout sujet de croire que c est moins par vanit que pour instruire qu il s est engag dans une entreprise si pineuse I est certain du moins que ce Portrait est comme un Miroir fidelle o tous les hommes pourront se reconno tre par quelque endroit s ils prennent la peine de s y regarder avec attention et dans le dessein de se voir tels qu ils sont effectivement Qu on essaie d imiter la libert qu il a prise de se peindre sans d guisement et l on verra bient t que Pentreprise n est pas tant bl mable que difficile ex cuter La plupart des
12. 006 B S ve Montaigne Des r gles pour l esprit Paris P U F 2008 17 Ibid IL 16 t III p 27 18 Ibid IIL 13 t IV p 490 19 Ibid p 493 494 20 Ibid II 17 t III p 61 n s Ce point fera l objet d objections r currentes au si cle suivant 21 y 5 ta X N s qu il s attend que personne ne fasse Si Montaigne voque plusieurs reprises la gt DDASS P conscience il semble exclure la perspective d une r forme morale Moy cette heure amp moy tantost sommes bien deux Quand meilleur je n en puis rien dire Affirmant l identit de son entreprise et de celle de Montaigne Rousseau propose cet gard une lecture nettement plus personnaliste sinon substantialiste de la connaissance de soi Le contraste des devises en est le sympt me du Que sais je au Vitam impendere vero la prise de distance l gard du pyrrhonisme se d c le ais ment Les R veries infl chissent l herm neutique du sujet montanienne en un sens moral la connaissance de soi comme connaissance de sa valeur authentique devient l objet de l examen de soi Le souci de soi vise d sormais la conscience plus que la vari t infinie de nos affections et de nos actions Je consacre mes derniers jours m tudier moi m me et pr parer davance le compte que je ne tarderai pas rendre de moi Livrons nous tout entier la douceur de converser avec mon me puisqu e
13. V rit et subjectivit des Essais aux R veries M Coste disois je en riant croit avoir fait Montagne et il rougit quand on le lo e devant Jui Je fais la m me entreprise que Montaigne mais avec un but tout contraire au sien car il n crivait ses essais que pour les autres et je n cris mes r veries que pour moi les rapports entre Rousseau et Montaigne sont l un des lieux privil gi s de l ex g se rousseauiste et l incise de la premi re promenade des R veries du promeneur solitaire ne fait pas exception Un paradoxe est pourtant rest sans explication ce jour Confrontant son dessein celui de son pr d cesseur dans un double mouvement de filiation et d exclusion Rousseau livre en quelque sorte le mode d emploi de son livre Les R veries opposent deux vis es m crire que pour autrui n crire que pour soi Dissociant curieusement P entreprise de son but Rousseau pr tend contrairement Montaigne renoncer la reconnaissance de ses contemporains comme celle de la post rit J crivais mes premi res Confessions et mes Dialogues dans un souci continuel sur les moyens de d rober aux mains rapaces de mes pers cuteurs pour les transmettre s il tait possible d autres 1 Montesquieu Mes Pens es n 1231 2 Les R veries du promeneur solitaire d sormais R veries in uvres compl tes de Jean Jacques Rousseau Paris Gallimard t I
14. ait trahir accuser amp combattre nous mesmes amp faute de tesmoins estranger elle nous produit contre nous t II p 68 a Voit Essais III 2 Du repentir E Concernant la r ception du scepticisme de Montaigne en particulier chez les Encyclop distes et sur sa r ception libertine voir M Dreano La Renomm e de Montaigne en France an XVIII si cle Angers Editions de Ouest 1952 sur Rousseau p 335 344 25 R veries p 1001 26 Ibid p 1032 27 Ibid p 1000 voir VI promenade p 1051 Pour autant l infl chissement du projet de connaissance de soi ne suit pas ici la voie d un cheminement par l tude et les exercices spirituels de la science de la morale Pamour de Dieu La confrontation avec ouvrage du b n dictin Fran ois Lamy intitul De la connoissance de soy mesme 1694 est cet gard clairante Lamy interpr te la connaissance de soi comme connaissance des propri t s de l union de l me et du corps Il s interroge sut la valeur de Punion est elle dans l ordre ou faut il d plorer les contrari t s de l homme ses mouvements contradictoires de grandeur et de mis re de gloire et de d sespoir Souscrivant l ambition d une cartographie du moi Lamy pr conise de conna tre la nature de l homme pour mieux surmonter son impuissance En lieu et place des distractions du monde la connaissance de soi entretenue par l tude solitaire doit permettre chacun de
15. ans le huis clos de la conscience la fois acteur et juge de l entreprise rousseauiste Rousseau donne ainsi la connaissance de soi un sens objectif et une port e morale celui d une zise en ordre qui est aussi un retour l ordre puisque la v ritable valeur morale du sujet sera n fine reconnue Laissons donc faire les hommes et la destin e apprenons souffrir sans murmure tout doit la fin rentrer dans l ordre et mon tour 54 viendra t t ou tard 47 Essais III 9 t IV p 294 48 Ibid ITI 10 t IV p 353 4 Ibid ITI 9 t IV p 309 50 Ibid ITI 13 t IV p 492 51 Ibid ITI 12 t IV p 427 428 52 Ibid ITI 10 t IV p 348 53 Nous remercions Charrak pour cette suggestion pr cieuse 54 R veries p 1010 11 IV Les R veries comme anti syst me Le parall le m rite d tre prolong Le contexte d introduction du contraste avec Montaigne n est pas anodin apr s avoir r affirm l utilit de la mise en ordre de ses pens es qui vite d extravaguer Rousseau avoue son incapacit proc der avec m thode sut le mode de la m ditation cart sienne Proc dant la recherche d un crit re de v rit et d une source de la certitude objective cette m thode l carterait de son but qui est de s e rendre compte des modifications de sJon me et de leur succession La r f rence Montaigne intervient donc au moment o Rousseau r
16. caract res de la m ditation sto cienne en amont de la rupture cart sienne comme des techniques de p nitence chr tiennes le philosophe fait retour la m ditation comme souci de soi Dissiper les illusions d jouer les tentations et les s ductions devenus pi ges dont l auteur est victime mais aussi explorer les arcanes secr tes de la conscience visant s lucher avec soin Pex g se de soi m le ces diverses fonctions de la m ditation sto cienne et de la confession chr tienne Toutefois l mancipation l gard du corps n a rien ici d une asc se ni d une preuve d une privation ni d une souffrance destin e rem dier notre d pendance l gard du sort la m ditation est source de s r nit et de volupt Dans la pl nitude du sentiment d existence ou dans le doux plaisir de la r verie c est l me imaginante lib r e du fardeau de l alt rit autant que de la prison du corps qui devient le v ritable sujet objet de la jouissance V Politique de la v rit Sans doute serait il vain de vouloir dresser face face deux monolithes Pas plus que Montaigne n endosse une doctrine tout au long des Essais Rousseau n assume un parcours lin aire dans la trajectoire de son uvre On sait que l avertissement des Confessions pr sente son projet comme concurrent de celui des Essais Voici le seul portrait d homme peint exactement d apr s nature et dans toute sa v rit
17. des feurs et du 28 A z Voas M me d marche avec des conclusions diff rentes chez le protestant J Abbadie que Rousseau avait plus de chances de conna tre L Art de se conna tre soi m me Rotterdam Reinier Leers 1712 29 R veries p 999 30 Ibid foin toute cette bouquinerie Incapable de tout travail sp culatif et priv de l horizon moral d une action b n fique esseul en l absence de tout v ritable ami Rousseau n esp re d sormais rien d autre que de retrouver une forme de temporalit restreinte son tre propre il s agit surtout pour lui d anticiper la relecture de ses r veries qui permettra de retrouver la douceur qu il avait eue les crire il s agit de se donner ainsi un compagnon lui m me quelques ann es plus t t qui lui fasse retrouver dans ses vieux jours les charmes de la soci t pourtant d sert e Ainsi s explique la divergence assum e des vis es alors que Montaigne se retire des afflictions de la vie publique les guerres de religion Rousseau prend cong des afflictions du public l tat de guerre des amours propres Son uvre ultime se nourrit du d sir de fuir la souffrance inflig e par ses ennemis et d oublier le pr judice subi j oublierai mes malheurs mes pers cuteurs mes opprobres 2 02 33 en songeant au prix qu avait m rit mon c ur Pourtant opposition demeure nigmatique Selon la c l bre analyse d E
18. enonce appliquer s ricto sensu un barom tre son me afin d tablir rigoureusement la connaissance de soi r duire ses observations en syst me Mais je n tend pas jusques l mon entreprise Je me 4 P 2 X 56 contenterai de tenir le registre des op rations sans chercher les r duire en syst me C est dans ce contexte d abandon du syst me que Montaigne appara t comme caution et comme guide privil gi crits sauts et gambades les Essais sont un anti syst me Ne a wE Aae h ie inh L essai ou la r verie maintiennent dans leur criture la contingence et la rhapsodie inh rente A so S au mouvement m me de la vie A ce titre l imminence de la mort joue le r le d op rateur heuristique C est sous l emprise d une forme de m lancolie et faute d autre mati re que Montaigne s est engag dans son dessein extravagant sa sotte entreprise ou encore sa resverie comme il laffirme dans une adresse Mme d Estissacs Dans la promenade la r verie comporte une dimension de passivit l gard des impressions mondaines qui se pr sentent de fa on renouvel e et vari e cette passivit tant l occasion d une forme douce d activit de la m moire de limagination ou de Pesprit associ e la jouissance de sa libert Les Essais consignent ce r ve L je feuillette cette heure un livre cette heure un autre sans ordre et
19. ges Mais quand il seroit vray que ce fust necessairement presomption d entretenir le peuple de soy je ne doy pas suivant mon general dessein refuser une action qui publie cette maladive qualit puis qu elle est en moy et ne doy cacher cette faute que j ay non seulement en usage mais en profession t Assortie la conscience des errances de l ambition l introspection mortifie l orgueil 67 et d voile la nihilit de l humaine condition Dans son exemplaire annot Rousseau st Ibid VX 13 t IV p 580 581 voir II 12 Ma recommendation est vulgaire commune et populaire 4bid II 17 t IM p 106 6 Ibid XX 12 64 Dialogues OCT p 813 65 R veries p 1047 66 Essais Il 6 t II p 90 91 67 Ibid p 95 Voir III 9 MI 13 13 avait relev le passage de l Apologie de Raymond Sebond o Montaigne disait son intention d humilier l homme et de faire mordre terre son orgueil pour faire droit la majest divine Mais malgr la pr sence irr ductible de l amour propre la r verie t moigne surtout pour Rousseau du bre jeu de l amour de soi libre jeu de imagination et de 7 Dans la solitude et le la sensibilit que n affectent plus les v nements du monde commerce avec l imaginaire jouissant d une sensibilit rendue elle m me par la mise en suspens du monde ext rieur l auteur se voudrait d livr des atteintes
20. gure tut laire de Montaigne resurgit comme guide de l herm neutique du sujet et du parler vrai qui en fournit la matrice Citant deux mensonges vertueux qu il avait omis de r v ler dans les Confessions Rousseau ajoute Que si quelquefois sans y songer par un mouvement involontaire j ai cach le c t difforme en me peignant de profil ces r ticences ont t bien compens es par d autres r ticences plus bizarres qui mont souvent fait taire le bien plus soigneusement que le Le R veries p 1024 30 Ibid p 1059 Voir R Ricatte R flexions sur les R veries Paris Jos Corti 1960 91 M Foucault introduction aux Dialogues recueillie dans les D s et Ecrits 1 Gallimard Quarto 2001 p 200 216 ici p 207 72 Voir M Foucault L Herm neutique du sujet op cit p 438 441 sur Epict te et p 460 469 sur Pexamen de conscience 35 R veries p 1028 24 R veries p 1038 1039 95 2 A K S a mal Dans le pr ambule de Neuch tel Rousseau avait mis Montaigne la t te de ces faux sinc res qui veulent tromper en disant vrai car il se peint ressemblant mais de 96 profil Par del la distance affich e les R eries op rent ce singulier retour Montaigne en valuant les limites des Confessions moi aussi je me suis peins de profil Loin d tre seulement l appendice des autres uvres autobiographiques les R eries r v lent l chec de
21. hommes sont si aveugl s par une fausse complaisance pour eux m mes et par une mauvaise honte que bien loin de pouvoir se d voiler au public avec cette aimable sinc rit qui para t dans Montagne ils n ont pas m me le courage de fouiller dans les replis de leurs c urs pour se d couvrir secr tement eux m mes leurs faiblesses leurs l g ret s et les v ritables motifs de leurs actions C est l sans doute la raison pourquoi de tant d crivains qui ont paru depuis Montagne et 36 Essais TI 18 t II p 121 122 37 Selon E Martineau la critique de Montaigne par Rousseau nous dit ceci m me but entreprise contraire projet art cit p 232 38 Ibid p 234 235 dont la plupart n ont t que de faibles imitateurs car c est l engeance qui a toujours abond le plus dans la R publique des Lettres il ne s en est trouv aucun qui ait entrepris de marcher sur ses traces P Coste infl chit ici doublement la pens e de Montaigne Le premier glissement concerne la fin poursuivie par pineuse entreprise de la connaissance de soi instruire de la condition de l homme dissocier la r flexion sur la condition de l homme de la peinture de soi par vanit La seconde sugg re la port e morale du processus introspectif les termes utilis s pour le d crire s apparentent ceux qui caract risent l examen de conscience Loin de toute complaisance l introspectio
22. igne d finit ici l entreprise existentielle que les R veries poursuivent C est au moment m me o il affirme que son projet de se peindre est r verie registre de ses menues pens es qui lui vite d extravaguer qu il dit aussi crire pour autrui et prendre la plume non sans dessein de publique instruction ce que P Coste sans doute retient dans sa pr face Le rapport entre criture pour autrui et criture pour soi dans les Essais s av re donc plus vertigineux qu on aurait pu le croire En un sens le savoir de soi est m diat et l identit se constitue dans l intersubjectivit Mais le discours sur soi peut aussi servir fre soi en J Starobinski art cit p 27 45 Essais II 18 t III p 122 123 a Sur les ant c dents et les sources de la notion de r verie voir R Morrissey La R verie jusqu Rousseau Recherches sur un topos litt raire Lexington French Forum Publishers 1984 ainsi que son dition des R veries Paris Presses de l Universit Paris Sorbonne 2003 for ant l individu se tenir l image qu il a publiquement donn e Je sens ce profit inesp r de la publication de mes m urs qu elle me sert aucunement de r gle Cette publique d claration m oblige de me tenir en ma route amp ne desmentir l image de mes conditions Dans les Essais il faut aussi crire pour autrui afin d crire pour soi Si d un c t P me ne se
23. justice et v rit sans louange et sans d pression Cela n est pas difficile un homme qui le public rend l honneur qui lui est d il est par l dispens den prendre le soin lui m me Il peut galement et se taire sans s avilir et s attribuer avec franchise les qualit s que tout le monde reconna t en lui Mais celui qui se sent digne d honneur et d estime et que le public d figure et diffame plaisir de quel ton se rendra t il seul la justice qui lui est due 58 Dans les Dialogues le public d termine la teneur du discours sur soi que Rousseau pourra tenir et prescrit la juste distance l gard de Montaigne il est impossible de se peindre avec quit sans tenir compte des diffamations propag es dans l opinion Telle est la raison pour laquelle la mise en sc ne fictive et le d doublement s av rent n cessaires il s agit de se Ibid n s Ibid p 516 517 OCT p 664 665 n s 17 juger et de se faire juger s0 me comme un autre Montaigne sert alors de repoussoir se louer ou se d pr cier avec justice n est pas se faire justice une fois que sa r putation a t bafou e Au regard de l aveuglement du public la strat gie autobiographique de Rousseau doit une premi re fois s infl chir la sinc rit montanienne est d cid ment na ve Or par del les Dialogues les R veries reviennent Montaigne au moment o elles pourraient le plus radicalement s en d p
24. la force de la volont mais en assumant sa faiblesse et en renon ant agir Se d livrer de l opinion suppose d sormais de couper tout rapport au monde des hommes pour se recueillir dans Pamour de soi rentr dans l ordre de la nature La nature des R veries est d moralis e une fois les hommes r duits des corps automates ou des animaux taupes sous terre Rousseau jouit du singulier rapport tabli entre son naturel la nature et l ordre moral dont Dieu seul r pond Le projet des Essais s en trouve subverti pour Montaigne il s agit pour l essentiel de savoir jouir loyalement de son tre au pr sent selon la couture indissoluble du corps et de l esprit en puisant tour tour aux deux fontaines du plaisir et de la douleur Contre les contempteurs du corps le philosophe veut que l me se rallie la chair et tout la fois contr le et jouisse Or pour Rousseau le bonheur qui dure se distingue du plaisir qui passe Si Pon jouit loyalement de son tre dans l herborisation l errance ou le sentiment existence c est dans la n gation de tout int r t temporel La couture de l me et du corps se d chire dans ce d s uvrement mon me est encore active elle produit encore des sentiments des pens es et sa vie interne et morale semble encore s tre accrue par la mort de tout int r t terrestre et temporel Mon corps n est plus pour moi qu u
25. lle est la seule que les hommes ne puissent m ter Si force de r fl chir sur mes dispositions int rieures je parviens les mettre en meilleur ordre et corriger le mal qui peut y rester mes m ditations ne seront pas enti rement inutiles Contrairement son pr d cesseur Rousseau soutient que criture fix e dans loisivet de la r verie servira non seulement r fl chir ses dispositions int rieures en tenir le registre mais aussi les modifier ou les corriger ce qui sera non seulement source de volupt mais aussi d am lioration morale Telle est la raison pour laquelle il faut se conna tre son juste prix M me si Rousseau pr tend n avoir plus se louer ni se bl mer il entend valuer au plus juste son tre moral et le corriger encore au moment m me o la vertu active lui para t hors d atteinte ses bonnes intentions contr es par lhostilit du monde ne pouvant plus s effectuer en acte 21 Ibid ITI 9 t IV p 318 22 Voir notamment De la solitude Essais I 38 I 39 dans P dition P Villey essai de la premi re p riode dite sto cienne qu on trouve ainsi dans l dition Coste Qu il se flatte amp caresse amp sur tout se regente respectant amp craignant sa raison amp sa conscience op cit p 442 L essai II 5 De la conscience est plus r serv Tant est merveilleux l effort de la conscience Elle nous f
26. mmanuel Martineau l auto critique de l entreprise de la confession dans les R eries ne sera point une auto critique de l espineuse entreprinse des Essais de Montaigne mais une critique de l id e d entreprise comme telle Le commentateur propose une confrontation litt rale un v ritable corps corps entre Rousseau et Montaigne Or la strat gie d appropriation ne rel ve pas de la filiation ou du pur et simple emprunt Dans sa critique Rousseau semble non sans mauvaise foi faire cho aux scrupules de Montaigne lui m me A la question du Et puis pour qui escrivez vous IL 17 Montaigne r pondait en effet qu il n crit ni pour la post rit ni pour le public mais pour ses amis et ses proches Le philosophe entend privil gier l espace du priv qui en temps de guerre civile et de d saffection l gard de la chose publique est ce qui importe Je ne dresse pas icy une statue planter au carrefour d une ville ou dans une Eglise ou place publique C est pour le coin d une librairie et pour en amuser un voisin un parent un amy qui aura plaisir me racointer et repratiquer en cett image Les autres ont pris c ur de parler deux pour y avoir trouv le subject digne et riche moy au rebours pour lavoir trouv si sterile et si maigre qu il n y peut eschoir soup on d ostentation Je juge volontiers des actions d autrui des miennes je donne peu juger
27. mordantes de Pamour propre en tout ceci Pamour de moi m me fait toute l uvre l amour propre n y entre pour rien Aussi ne faudra t il pas s humilier davantage en r v lant la vanit de lhumanit en soi mais au contraire s assigner sa place authentique dans l ordre des Lurac72 merites A ce titre les Essais et les R veries ne livrent pas seulement deux gologies distinctes ils explorent aussi deux arts de vivre incompatibles D un c t Montaigne a raison de dire que le monde est une branloire p renne et que Phomme mest qu inconstance et changement Tout est sur la terre dans un flux continuel qui ne permet rien d y prendre une forme constante La r flexion sur le flux faisait l encore partie des marginalia de lexemplaire annot Rousseau avait trac l encre un trait vertical afin de souligner le passage aff rent de P Apologie de Raymond Sebond renvoyant lui m me Lucr ce et indiqu en marge flux de choses Mais alors que Montaigne concluait une f licit ancr e dans le mouvement m me de la vie Rousseau en tire une inf rence contraire le bonheur est un tat permanent qui ne semble pas fait ici bas pour l homme Si la paix et la s r nit peuvent tre retrouv es dans la solitude en conjurant le d sespoir associ la destitution publique c est en aspirant simplement l ternel retour du m me chaque jour rappelant le plaisir
28. n embarras un obstacle et je men d gage d avance autant que je puis Rousseau accomplit en un sens la profession de foi dualiste du Vicaire savoyard qui tablissait contre les mat rialistes 76 Ibid p 1080 17 Ce n est pas ici le lieu de rappeler les controverses concernant l volution de Montaigne dans son rapport au sto cisme depuis l ouvrage de F Strowski sur Le pr tendu sto cisme de Montaigne 1907 19 R veries p 1077 1079 7a Essais Il 17 t IN p 71 Rousseau l encore avait soulign un passage analogue de Pessai De la pr somption cit par J Starobinski art cit p 26 Voir galement III 13 La th se de Christophe Litwin que nous remercions chaleureusement pour ses remarques sur cet article permet d claircir le sens de cette jouissance de son tre alors m me que nous n avons aucune communication l tre G n alogies de Pamour de soi Montaigne Pascal Rousseau EHESS NYU soutenue le 19 octobre 2011 80 R veries p 1046 81 Ibid p 1000 15 lexistence de l me Tes sentiments tes d sirs ton inqui tude ton orgueil ont un autre 2 A 2 82 principe que ce corps troit dans lequel tu te sens encha n Non qu il faille une conversion ou une technique d abstinence pour parvenir la connaissance de soi la volupt est imm diatement associ e la m ditation sur soi Chez Rousseau la r verie retrouve certains
29. n l crivant a nou la trame de sa vie Et quand personne ne me lira ay je perdu mon temps de m estre entretenu tant d heures oisives pensements si utiles et agreables Moulant sur moy cette figure il m a fallu si souvent me testonner et composer pour m extraire que le patron s en est fermy et aucunement form soy mesme Me peignant pour autruy je me suis peint en moy de couleurs plus nettes que n estoyent les miennes premieres Je nay pas plus faict mon livre que mon livre m a faict Livre consubstantiel son autheur D une occupation propre Membre de ma vie Non d une occupation et fin tierce et estrangere comme tous autres livres Ay je perdu mon temps de mestre rendu compte de moy si continuellement si curieusement Nature nous a estrenez d une large facult nous entretenir part et nous y appelle souvent pour nous apprendre que nous nous devons en partie la soci t mais en la meilleure partie nous Aux fins de ranger ma fantasie resver mesme par quelque ordre et project et la garder de se perdre et extravaguer au vent il n est que donner corps et mettre en registre tant de menues pens es qui se presentent elle J escoute mes resveries parce que j ay les enroller Quantes fois estant marry de quelque action que la civilit et la raison me prohiboient de reprendre descouvert m en suis je icy desgorg non sans dessein de publique instruction Monta
30. n pratiqu e par Montaigne exigerait le courage de fouiller dans les replis de son c ur pour y d couvrir les faiblesses les l g ret s et les v ritables motifs de ses actions L ascendance huguenote de Coste influe sans doute ici et Rousseau sa fa on en assume l h ritage Que celui ci ait eu connaissance de cette pr face et qu il Pait lue avec la plus grande attention ne fait au demeurant aucun doute Dans la note couvrant deux feuillets pr c demment cit e il rel ve M Coste dans la sa pr face de sa derni re des ditions de Montagne denn e en1739 qu il a donn es traitte M de Gournai asses ass m diocrement bien mais dans l avis sur sa derni re dition il la traitte un peu mieux ce titre c est peut tre la pr face de Coste plus encore que le texte de Montaigne que visent les R veries L entreprise poursuivie par les deux philosophes ne s identifie qu condition d y inclure cette inflexion difiante du projet initial qui explique du m me coup la communaut d entreprise et l opposition des vis es revendiqu es par l auteur II Prolongements Rousseau et l informe journal de sJes r veries La confrontation des projets ne se r duit donc pas un glissement vers le pathos sp ee 42 gt K ou lexpression non r flexive de la sensibilit La question des publics doit tre reconsid r e Certes l avertissement P dition de 1580 stipule que la vi
31. naire comme pens e errante ou flottante Le rapport de la connaissance de soi la connaissance de Phomme s en trouve infl chi Chez Montaigne l acc s du singulier Puniversel passe par la forme de la condition le philosophe pr tend ne d couvrir en lui qu une complexion ordinaire et vulgaire L essai qui livre le plus singulier l unique permet aussi de parvenir l universalit de l homme affect en proie l impuissance de la raison et la toute puissance des 63 affections de l imagination et de l illusion Tout linverse la singularit du promeneur solitaire se veut d prise de l humanit commune Si le Rousseau des Dialogues tient que q s 64 notre vrai moi n est pas tout entier en nous P auteur des R veries affirme qu il faut tre s par du genre humain pour se conna tre et jouir dans la pl nitude du pr sent de la volupt du sentiment d existence La diff rence tient encore la v rit d couverte au c ur de la subjectivit par l introspection ou l association libre Rousseau pr tend parvenir Pamour de soi Montaigne l amour propre Dans les Essais c est pr cis ment le tableau de la vanit du moi qui vite au projet de peinture de soi de sombrer dans la vanit qui le menace La coustume a faict le parler de soy vicieux et le prohibe obstin ment en hayne de la vantance qui semble tousjours estre attach e aux propres tesmoigna
32. nt la fois public et juge cette conscience dont Rousseau avait pr cis ment affirm l existence dans la Profession de foi du Vicaire Savoyard contre le scepticisme de Montaigne C line Spector avec la collaboration de Sylvia Giocanti 101 Tout particuli rement dans les Dialogues et les R veries qui montrent quel point Rousseau est r fractaire au raisonnement ou la m ditation au sens strict Dialogues p 845 102 R veries p 995 103 Lettres morales OC IV p 1108 1109 Emile IV p 598 599 R veries p 1021 Les lois de la conscience sont pour Montaigne le pur produit de la coutume Essais I 23 20
33. oral ext rieur op r e dans les R eries ne livre pas seulement laffectivit ou la passivit pure la saisie imm diate du soi qui jouit de 10 v s ip PO N 0 x soi l inali nable adh sion soi ou la vie subjective absolue Elle fait appara tre un 35 Ibid p 1036 96 Je mets Montaigne la t te de ces faux sinc res qui veulent tromper en disant vrai Il se montre avec des d fauts mais il ne s en donne que d aimables il n y a point d homme qui n en ait d odieux Montaigne se peint ressemblant mais de profil Ebauches des Confessions p 1149 1150 i R veries p 1000 E Martineau l avait soulign art cit 7 Ibid p 1002 2 P Audi Rousseau une philosophie de l me op cit p 218 220 100 Ibid p 258 19 recentrement sur l instance de la conscience seule instance comp tente pour s valuer dans intime conviction de sa valeur r elle Si elle abandonne une certaine forme de raisonnement moral l thique immanente de Rousseau ne cong die pas l valuation de l tre moral ni ne r duit l thique au savoir tre soi Le dessein des R veries s claire la lumi re de la confrontation avec l pineuse entreprise des Essais relue et pr fac e par Coste au 12 et tente de se moment o la subjectivit se per oit comme d tach e d eux et de tout re conna tre voluptueusement dans son zps it m me la conscience devie
34. par Rousseau et conserv s la Biblioth que Publique de Neuch tel Ms R 18 Il semble que Rousseau en g n ral ait omis pour une part l apport original du livre III livre que Rousseau dans l exemplaire qu il a le plus fr quent avait laiss vierge de toute marginalia 1 B Bernardi et B Gittler Note sur Mademoiselle de Gournay Annales Jean Jacques Rousseau n XXXIX 2010 p 299 301 Je remercie B Gittler pour ses suggestions 1a Rousseau passe outre les alt rations de style et les r f rences parfois erron es que d non ait pourtant Pierre Coste Voir C Blum D Editrice des Essais in Marie de Gournay uvres compl tes J C Arnould dir Paris Honor Champion 2002 t I p 27 43 Ph Desan Marie de Gournay et le travail ditorial des Essais entre 1595 et 1635 id ologie et strat gies textuelles 4bid p 79 103 13 Voir notamment L Simonutti Pierre Coste moraliste et homme de lettres in La Lettre clandestine n 15 2007 p 61 75 A la d fense de la libert de la tol rance et des droits de la conscience inscrite dans le sans distinction des strates L diteur ajoute l claircissement de certaines sources la v rification de certains faits historiques l explication des gasconismes et des termes surann s Il indique en marge des titres pour la lecture Encore faut il comprendre l pineuse entreprise de Montaigne dont Rousseau pr tend assume
35. r cier l aune d un id al hors d atteinte Dans cet esprit il faut combattre la pathologie des scrupules par laquelle s entretiennent la d pr ciation et la haine de soi homme s ordonne soy mesme d estre n cessairement en faute Il n est gu re fin de tailler son obligation la raison d un autre estre que le sien qui prescript il ce sillage de Locke Coste conjugue un plaidoyer en faveur de l galit sociale et politique qui n tait sans doute pas indiff rent Rousseau n Montaigne Essais de Michel Seigneur de Montaigne d sormais Essais P Coste d Gen ve Bousquet amp Comp 1727 t II IL 6 p 90 15 R veries p 1000 1001 Voir les tr s belles analyses de P Audi Rousseau une philosophie de l me Verdier 2008 chap VII et VIII 16 Nous ne rentrerons pas ici dans la r cente controverse sur la r alit du scepticisme de Montaigne F Brahami et S Giocanti ont retrac l itin raire sceptique de Montaigne F Brahami Le Scepticisme de Montaigne Paris P U F 1997 Pourquoi prenons titre d tre Pens e de soi et pens e de Dieu chez Montaigne et Descartes Revue de m taphysique et de moral n 1 2006 S Giocanti Penser l irr solution Montaigne Pascal La Mothe le Vayer Paris Honor Champion 2001 De quel jugement les Essais sont il l essai M thode n 18 2010 Pour une th se diff rente voir notamment P Mathias Montaigne Paris Vin 2
36. r l h ritagett Si l entreprise prolong e par Rousseau est l vidence celle de la connaissance de soi d abord entendue comme tentative de suivre le vagabondage de l esprit de p n trer ses profondeurs et ses ab mes de scruter ses impressions et ses agitations ses affections et ses motivations cette entreprise est loin de se d finir de mani re univoque Pour Montaigne se peindre n est certes pas se conna tre au sens fort le moi n advient que par la mise en forme que lui conf re le r cit de soi Dans cet esprit l inscription de l oracle de Delphes delphique est interpr t e soit comme un d fi impossible puisque le moi es vide sans contenu soit comme une entreprise infinie car le moi se vide au fur et mesure qu il se remplit de l ext riorit du monde Dans les deux cas si l on doit suivre l injonction de l oracle c est pour comprendre que la porte est close qu il n y a rien derri re ni l int rieur du moi La fiction de l identit personnelle dissimule une bigarrure infinie L impossibilit de qualifier moralement les actions en d coule non seulement les actions ne se rattachent pas un sujet pratique de mani re coh rente mais leurs qualit s dominantes ne peuvent tre discern es par la raison Pourtant Montaigne crit aussi qu il est possible de se conna tre au sens de s estimer son juste prix sans se laisser duper par lamour propre ni se d p
37. recours Montaigne dans l lucidation du projet des R veries Il ne s agira pas tant de revenir ici sur la question des sources que de d terminer quelle ic ne ou quel spectre de Montaigne hante les R veries et permet en circonscrire le projet Notre hypoth se est la suivante Rousseau ne partage la m me entreprise que Montaigne qu condition de souscrire une conception morale du projet de connaissance de soi La conscience appara t d sormais comme la seule instance de jugement valable Or cet infl chissement a t amorc par l dition des Essais donn e par Pierre Coste que Rousseau a eue sous les yeux ainsi que par la r flexion amorc e par Coste dans sa traduction de Essai de Locke sur la conscience entre conscience de soi et conscience morale A la th orie sceptique du moi comme fiction succ de ici une conception personnelle du soi dont l identit est d abord morale la connaissance de soi visant de mani re prioritaire l examen de conscience l valuation des m rites et le perfectionnement moral Rousseau participe ainsi sa fa on l histoire des rapports entre connaissance de soi et souci de soi et contribue de mani re originale la constitution moderne de l herm neutique du sujet 4 Ibid p 1001 n s Voir J Starobinski La Transparence et lObstacle Paris Gallimard 1989 p 415 Il est impossible de mentionner dans le cadre de cette tude les principau
38. rendre Tout tient la conscience de la difficult de loracle delphique le connais toi toi m me du temple de Delphes n tait pas une maxime si facile suivre que je l avais cru dans mes Confessions Suite de l examen s v re et sinc re des Confessions qui n a pu aboutir les R veries prennent aussi la mesure de l chec de la diffraction du moi mise en sc ne dans les Dialogues ils ne verront jamais ma place que le J J qu ils se sont fait et qu ils ont fait selon leur c ur pour le ha r leur aise Si Rousseau n entend plus se d douaner de la monstruosit que le public proclame il s agit d sormais selon les termes de Michel Foucault de reprendre le sujet dispers et dissoci des Dialogues pour le reconduire une forme d unit libre et d s uvr e Le souci de soi s EAS 92 x D Gi aoa 5 retrouve bien la divinit en soi mais cette divinit n est rien d autre que l instance par 2 sb de 00 n PAPER L g laquelle chacun se juge comme Dieu l aurait jug D sormais la r f rence Montaigne ouvre la voie une r appr ciation de l estime de soi L ambition m me des Confessions se voit r valu e l aune de la conscience seule juge de la loyaut de Rousseau l gard de sa 94 devise Dans les R veries le retour Montaigne accompagne donc labandon du projet de restauration publique des Confessions et des Dialogues La fi
39. s e des Essais n est que domestique et priv e Vou s une commodit toute particuli re ils ne seraient 5 f v adress s qu aux parents voisins et amis Apr s sa mort qu il pressent prochaine Montaigne 2 CES 43 pourrait se l guer ses proches de fa on plus enti re et plus vive Par une pirouette la Essais op cit p ii iii 40 B Bernardi et B Gittler art cit p 299 a Inflexion galement pr sente chez certains lecteurs du XVIIe et du premier XVIIe si cle voir M Dreano op cit 2 Voir M A Nadeau De la r verie tude de la nature du projet des R veries du Promeneur solitaire la lumi re de l entreprise des Essais de Montaigne art cit Essais t 1 non pagin venant apr s la page lxi et avant la Table des mati res conclusion de l avertissement enjoint m me le lecteur anonyme ne pas lire le livre Ainsi lecteur je suis moy mesmes la matiere de mon livre ce n est pas la raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain Mais ce d ni ludique se trouve diff remment exprim dans Du d mentir essai auquel Rousseau se confronte galement dans la premi re promenade le passage jusqu comme tous autres livres marqu d une accolade et d une croix avait d j retenu son attention dans l exemplaire analys par J Starobinski Peu importe le lectorat du livre si Montaigne e
40. sans dessein pi ces descousues tantost je resve tantost j enregistre et dicte en me promenant mes songes que voyci L oisivet et le retrait de la vie active sont les conditions de la r verie si Montaigne n invoque pas d extase il soutient que l oisivet est le moment o l esprit pour le meilleur et pour le pire se produit pied plut t qu cheval 55 Ibid p 1000 56 Ibid p 1001 Sur le sens qu il convient ici de donner au terme syst me dans le sens de la critique condillacienne de Descartes voir A Charrak Empirisme et M taphysique L Essai sur l origine des connaissances humaines de Condillac Paris Vrin 2003 57 Il n est subject si vain qui ne merite un rang en cette rapsodie Essais I 13 t I p 78 58 Ibid II 8 59 Ibid IJI 3 60 Ibid 1 8 12 moins enlev e peut tre la r verie rousseauiste assume pleinement le plaisir imaginatif et producteur de l esprit l expansivit f t elle d sormais r duite de Pamour de soi Pour autant la fonction de l imagination n est pas la m me ici et l chez Rousseau seule l expansion de Pamour de soi port e par l imagination permet l extase v cue comme une lib ration l gard de la prison troite du corps Chez Montaigne en revanche l extase n est jamais valoris e en soi la r verie n est pas associ e l l vation de l me mais son tat r S P 61 ordi
41. x travaux consacr s aux R veries depuis une dizaine d ann es Le renouveau est spectaculaire En t moigne notamment le recueil The Nature of Rousseau s R veries Physical Human Aesthetic J C O Neal d Oxford Voltaire Foundation 2008 03 en partic J F Perrin Les op rations que font les physiciens physique de Phomme naturel selon les R veries du promeneur solitaire p 73 83 et Swenson The solitary walker and the invention of lyrical prose p 225 244 ainsi que les ouvrages para tre d A Charrak et de J F Perrin Politique du renon ant le dernier Rousseau Des Dialogues aux R veries ditions Kim Le Groupe Rousseau a consacr un cycle d tudes de deux ans aux R veries Je remercie cette occasion les membres du groupe et en particulier Gabrielle Radica de leurs suggestions pr cieuses 2 Selon M Raymond Rousseau n avait pas relu les Essais d affil e apr s 1776 m me s il en emprunta un exemplaire peu auparavant OC t I p XI XII Voir aussi C Fleuret Rousseau et Montaigne op cit p 147 148 6 Voir la remarquable introduction E Balibar J Locke Identit et diff rence L invention de la conscience traduit et pr sent par E Balibar Paris Seuil 1998 et la note de Coste au texte de PEssai philosophique concernant l entendement humain I1 27 cit e p 14 7 Voir M Foucault L Herm neutique du sujet Paris Gallimard Seuil 2001 I
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